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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 14 mars 2001, n° 2000-01210

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Conran Shop (SA), Conran Collection (Sté)

Défendeur :

Azagury

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Patricia Hardouin

Avocats :

Mes Hollier Larousse, Leker.

TGI Paris, 3e ch. 3e sect., du 9 nov. 19…

9 novembre 1999

Pierre Azagury est titulaire d'un modèle de vase déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 15 mai 1997, enregistré sous le numéro 97/2844.

Reprochant à la société de droit britannique Conran Collection et à la société The Conran Shop d'avoir commercialisé un vase reproduisant les caractéristiques de son modèle, Pierre Azagury a saisi le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 9 novembre 1999, a :

- dit que la société The Conran Shop, en offrant à la vente et en vendant en septembre 1998, dans son magasin situé à Paris, des vases qui sont la copie servile du modèle N°97/2844 dont Pierre Azagury est propriétaire et la société Conran Collection, en vendant, en juillet 1998, lesdits vases à la société Conran Shop ont commis des actes de contrefaçon,

- interdit aux sociétés The Conran Shop et Conran Collection la poursuite de ces agissements, sous astreinte de 500 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- condamné in solidum les sociétés The Conran Shop et Conran Collection à verser à Pierre Azagury la somme de 30.000 F en réparation de l'atteinte à son droit moral, celle de 30.000 F en réparation de l'atteinte à son droit patrimonial outre celle de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 21 décembre 1999 par les sociétés The Conran Shop et Conran Collection ;

Vu les dernières écritures signifiées le 31 octobre 2000 par lesquelles les sociétés The Conran Shop et Conran Collection, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, font valoir que le modèle litigieux a été conçu par le service création de la société The Conran Shop antérieurement au mois de janvier 1997 et demandent à la cour de :

- dire que la société The Conran Shop bénéficie des droits de création sur le vase dénommé " S ",

- dire que le modèle de vase ondulé déposé par Pierre Azagury sous le N° 97/2844 constitue la contrefaçon du modèle de vase "S" dont la société The Conran Shop est propriétaire,

- prononcer la nullité du modèle N°97/2844,

- interdire à Pierre Azagury de fabriquer, faire fabriquer, commercialiser le vase constituant la reproduction du vase " S " dont la société The Conran Shop est propriétaire, sous astreinte définitive de 1.000 F par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner Pierre Azagury à verser à la société The Conran Shop la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- autoriser la société The Conran Shop à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de l'intimé, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 50.000 F ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2001 aux termes desquelles Pierre Azagury sollicite la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté sa demande en concurrence déloyale, réclamant à ce titre une indemnité de 50.000 F outre la publication de l'arrêt à intervenir et l'allocation d'une somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Sur quoi,

Sur la validité du modèle

Considérant que Pierre Azagury a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 15 mai 1997, un modèle de vase de forme ondulée, enregistré sous le numéro 97/ 2844 ; qu'il soutient avoir créé ce modèle dès 1995 et l'avoir commercialisé à l'occasion d'une exposition-vente au mois d'avril 1997 et conteste le caractère probant des documents produits par les sociétés Conran pour l'antérioriser ;

Que la société The Conran Shop prétend que le vase litigieux dénommé " S " qu'elle commercialise, a été créé antérieurement au mois de janvier 1997, que le seul élément crédible concernant la date de création du vase revendiqué par Pierre Azagury est la facture des ETS Telleschi datée du 9 avril 1997 et conclut à la nullité du modèle pour défaut de nouveauté ;

Considérant que les parties ne contestent pas la similitude des vases en litige quant à leur forme ondulée en vague, celui commercialisé par Pierre Azagury sous le nom " Azag Editions " portant la référence " OND " ou " vase ondulé ", celui diffusé par la société The Conran Shop étant référencé " S " ;

Considérant que pour détruire la nouveauté d'un modèle, les documents opposés à titre d'antériorités doivent avoir date certaine ;

Considérant qu'il ressort de la télécopie datée du 31 janvier 1997 que la société The Conran Shop a transmis ce jour à Christopher Williams des dessins parmi lesquels figure le vase en forme de S litigieux ; que Christopher Williams atteste, dans une lettre datée du 28 octobre 1998, avoir bien reçu ces dessins en janvier 1997, que toutefois, la mention sur ces dessins par la société appelante elle-même du " Copyright Conran 1996 " est insuffisante, en l'absence d'autre élément, pour conférer à la création revendiquée, une date certaine antérieure au mois de janvier 1997, que la société The Conran Shop justifie, en outre, par les deux télécopies datées du 28 février et du 12 mars 1997 et une facture datée du 7 août 1997 de la fabrication du vase en forme de " S " par la société de droit portugais Raul da Bernarda ;

Mais considérant que la plaquette intitulée " Editions Azag Paris - La Collection avril 1997 " sur laquelle le vase ondulé figure au prix de 310 F et les factures d'achat établissent que Pierre Azagury a commercialisé le modèle litigieux avant son dépôt, que le devis de fabrication du vase daté du 22 avril 1996 établi sur un papier à entête de la Poterie Grosjean, corroborées par deux attestations rédigées par Gérard Leclerc et Jacques Lardin, exploitant cet établissement, dont le caractère probant ne saurait être contesté, permettent de retenir que Pierre Azagury a créé le vase dénommé " OND " au mois d'avril 1996 ;

Considérant qu'il s'ensuit que les sociétés Conran Shop et Conran Collection ne peuvent se prévaloir de droits antérieurs opposables au modèle objet du dépôt, que les premiers juges ont exactement estimé que le modèle déposé par Pierre Azagury était nouveau, bénéficiait de la protection instaurée par le livre V du CPI et rejeté la demande de nullité du dépôt formée par les appelantes ;

Sur la contrefaçon

Considérant que la société The Conran Shop ne conteste pas que le vase " S " reproduit les caractéristiques du modèle déposé, que professionnelle dans le domaine de la décoration, elle ne peut se prévaloir de sa bonne foi, inopérante devant les juridictions civiles en matière de contrefaçon ;

Que les faits de contrefaçon reprochés sont donc établis ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que Pierre Azagury prétend qu'en vendant le vase contrefaisant au prix de 195 F au lieu de 315 F, prix du modèle original, la société The Conran Shop a commis des actes de concurrence déloyale ;

Mais considérant que la vente à un prix inférieur dès lors qu'il n'est ni établi, ni même allégué qu'il serait vil, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, distinct des faits de contrefaçon ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société The Conran Shop reconnaît avoir vendu 90 exemplaires du vase au prix de 195 F l'unité, qu'en allouant à Pierre Azagury une indemnité de 30 000 F en réparation du préjudice patrimonial résultant de l'atteinte portée à son modèle et celle de 30 000 F au titre de l'atteinte portée à son droit moral, les premiers juges ont exactement évalué son préjudice ;

Considérant que la mesure d'interdiction qui apparaît nécessaire pour mettre un terme aux actes délictueux sera confirmée,

Que la publication de l'arrêt doit être ordonnée, à titre de dommages-intérêts complémentaires, dans les termes précisés au dispositif,

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à Pierre Azagury, qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 30 000 F ;

Que les sociétés Conran Shop et Conran Collection qui succombent en leur appel doivent être déboutées de leur demande sur ce même fondement ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication ; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau ; Autorise Pierre Azagury à publier le dispositif du présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais in solidum des sociétés The Conran Shop et Conran Collection, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 10.000 F HT ; Y ajoutant, Condamne in solidum la société The Conran Shop et la société Conran Collection à payer à Pierre Azagury la somme complémentaire de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne in solidum la société The Conran Shop et la société Conran Collection aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.