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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 8 mars 2001, n° 1999-12860

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wylson (SA)

Défendeur :

Au Bas Jo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Briottet

Avoués :

SCP Fanet-Serra, Me Bettinger

Avocats :

Mes Pellegrain, Castanie.

T. com. Bobigny, du 1er avr. 1999

1 avril 1999

Par jugement du 1er avril 1999, le Tribunal de commerce de Bobigny a :

- condamné la SA Wylson à payer à la SARL Au Bas Jo, consécutivement à la rupture du contrat d'agent commercial qui liait les parties, les sommes de 600.000 francs et de 150.000 francs, à titre respectif d'indemnité de résiliation et de dommages intérêts supplémentaires pour abus, outre 15.000 francs de frais irrépétibles.

La SA Wylson interjette appel, et soutient, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 3 octobre 2000, que la SARL Au Bas Jo a commis des actes de concurrence déloyale, constitutifs de faute grave propre à entraîner la résiliation au bénéfice du mandant en distribuant les marques de maroquinerie, ce, en 1996 et en 1998, Derma, puis Tentatione Due et Saxel, alors qu'en 1996, sur une rigoureuse réaction de sa part, la SARL Au Bas Jo avait cessé, recommençant deux ans plus tard ;

Elle ajoute que les produits de ces marques, comme les siens, dits de basse gamme, sont similaires en forme, matière et prix, précisant que l'objection qu'un autre agent les distribuerait s'avère dénuée de fondement, celui-ci ayant un secteur éloigné, et surtout, ayant, dès avant la passation de son propre contrat ancien de 13 ans, la commercialisation de la marque Saxel ;

L'appelante dénie aussi qu'un motif étranger à la concurrence déloyale l'ait conduite à la rupture, comme la volonté de s'approprier la clientèle sans bourse délier au moyen de diverses contraintes, forcement inexécutables ou inacceptables, qui auraient mis dans son tort la SARL Au Bas Jo ;

A l'encontre d'un tel argumentaire, la SA Wylson affirme que son comportement a toujours tendu au respect des obligations souscrites, qu'en effet l'objectif, fût-il triplé était révisable, selon le contrat, et a d'ailleurs été atteint, que le paiement retardé de certaines commissions résultait d'un réajustement comptable concernant antérieurement trois clients directs ; Ainsi, proclamant qu'il y avait faute grave adverse et qu'elle même n'avait pas démérité, elle conteste le principe des indemnités allouées et sollicite le remboursement des sommes réglées sur poursuite de l'exécution provisoire, majoré des intérêts légaux depuis le versement ;

Subsidiairement, quant au quantum, elle observe que l'indemnisation est calculée très au delà de la base normale de trois mois de commissions, pour la brusque rupture et plus généralement, hors tout justificatif comptable et discrimination avec l'activité de détaillant en maroquinerie également exercée ;

Elle requiert 20.000 francs de frais irrépétibles ;

Au terme de ses écritures signifiées le 25 février 2000, l'intimée répond que le constat d'huissier dressé au Salon de la Maroquinerie de Juan les Pins en juin 1998, prétendu apporter la preuve d'une concurrence déloyale manifeste, n'était qu'un prétexte, les produits n'étant en rien similaires puisque ceux de la SA Wylson étaient fabriqués en Asie avec des matières synthétiques, éventuellement des garnitures en cuir, tandis que ceux de la marque Tentatione étaient fabriqués en Italie, en cuir de haute gamme, ceux de marque Saxel l'étaient en France, principalement en cuir et de moyenne gamme, ces deux marques pratiquant des prix plus élevés;

Elle souligne que les marques exposées par elle au Salon étaient connues de la mandante avant juin 1998, et que celle-ci n'avait cependant pas protesté à ce stade mais au moment de l'exposition en invoquant un précédent intervenu en 1996, lequel n'était pas significatif, la marque n'étant pas la même et sa décision d'en abandonner la collection de pure conciliation commerciale;

L'intimée insiste, en toute hypothèse, sur l'absence de mise en demeure, celle-ci pourtant contractuellement exigée ; En ce qui concerne le préjudice, elle forme appel incident et réclame 220.000 francs de dommages intérêts pour abus (basés sur 3 mois de préavis) et 1.387.138,60 francs d'indemnité de résiliation (basée sur deux années de commissions brutes);

Elle reproche au Tribunal d'avoir estimé qu'il y avait partage de responsabilité découlant de ce qu'elle aurait dû informer la mandante de la participation au Salon, alors que celle-ci le savait par ailleurs;

Plus généralement, elle dénonce la préméditation de la SA Wylson ainsi qu'en attestent les pourparlers de reprise, le remplacement des agents par des salariés mal payés qui, du reste, quitteront la mandante et saisiront le Conseil de Prud'hommes, la hausse considérable de l'objectif ;

L'intimée sollicite, en conséquence, avec le bénéfice de l'appel incident, l'octroi des intérêts légaux sur les sommes précitées et 20.000 francs de frais irrépétibles.

Sur quoi :

Considérant que le contrat d'agent commercial litigieux, passé sans exclusivité le 23 octobre 1993, disposait en son article XIV "... la résiliation imputable à la SA Wylson ouvre droit pour la SA Au Bas Jo à une indemnité compensatrice du préjudice subi... Cette indemnité ne sera pas due en cas de faute grave de l'agent, caractérisée.., par des actes de nature à nuire ou à porter concurrence à la Société Wylson, ou en cas de non respect réitéré des obligations souscrites..., après mise en demeure infructueuse...";

Considérant qu'il est de fait que la SA Wylson, qui a constaté la réalisation d'actes qu'elle estimait de concurrence déloyale, n'a nullement mis en demeure la SA Au Bas Jo de les faire cesser, et qu'elle ne peut se servir d'un courrier RAR, envoyé deux ans plus tôt, pour en tenir lieu alors que ce courrier entrait dans le cadre d'une vigilance régulière, ne visait pas les mêmes produits que ceux reprochés en 1998, et n'avertissait pas d'une rupture de plein droit en cas de récidive; qu'en outre la SA Wylson pouvait connaître, par la publicité qui en était faite auprès des professionnels, les conditions de la représentation des produits au Salon ;

Considérant, pour ce qui est des actes eux mêmes, que la SA Wylson ne démontre pas que les produits, objet de constat, soient caractéristiques d'une concurrence frontale, destructrice de l'intérêt commun; que, bien plus, l'agent fait la preuve, sans être contredit, que l'origine des produits, leur qualité et aspect avec leur prix, n'étaient pas totalement substituables, mais simplement compétitifs ; que, d'ailleurs, un autre agent, JM Moal, de la SA Wylson, travaillait pour l'une des firmes dont les produits étaient censés concurrents, la SARL Saxel, et, ce, depuis 13 ans ;

Qu'il se déduit qu'il n'y a pas de concurrence déloyale avérée, et donc pas de faute grave imputable à l'agent;

Considérant, d'autre part, que les agissements de la SA Wylson, dans les mois qui ont précédé la rupture, apparaissent bien comme des manœuvres de déstabilisation (hausse soudaine et d'importance de l'objectif en chiffre d'affaires jusqu'alors jamais révisé, lancement sur le secteur d'autres représentants) ainsi qu'une recherche contournée de la valeur effective de la clientèle de la SA Au Bas Jo par le biais de pourparlers d'achat ; que ces circonstances attentatoires à la bonne foi désignent un comportement abusif ;

Qu'il reste que l'agent, tenu, en vertu du contrat comme de la loi, d' informer le mandant, s'en est abstenu imprudemment à l'occasion de l'exposition incriminée ; qu'il aurait dû redoubler de précautions se sachant surveillé et s'étant trouvé en butte avec la SA Wylson pour des faits argués de concurrence déloyale dans un contexte voisin également à l'occasion d'un salon, deux ans plus tôt ;

Que, par là, il a commis une faute, qui, bien qu'atténuée en raison du comportement adverse, a néanmoins concouru à la rupture, ce qui amenait le Tribunal a admettre à bon droit un partage de responsabilité ;

Considérant, relativement au quantum, qu'en allouant 150.000 francs de dommages intérêts pour l'abus imputable au mandant, le Tribunal a évalué le préjudice subi par référence à la perte d'un préavis de 3 mois, soit un quart des commissions annuelles estimées à 600.000 francs sur un taux moyen de 10 % l'an, puisque le contrat à durée indéterminée avait une ancienneté supérieure à trois ans et que le taux de commissions variait de 4 à 15 % ; que, par ailleurs en allouant 600.000 francs au titre de l'indemnité de résiliation le Tribunal, appliquant la proportion d'égalité du partage, l'a raisonnablement chiffrée à la moitié de deux années de commissions ;

Considérant que les intérêts légaux courent à partir du jugement s'agissant de dommages intérêts, lequel a été exécuté; qu'il n'y a donc pas lieu à un octroi distinct ;

Considérant, enfin, que l'équité justifie l'attribution à l'intimée de 12.000 francs de frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Condamne la SA Wylson à payer à la SARL Au Bas Jo 12.000 francs de frais irrépétibles d'appel et à s'acquitter des entiers dépens ; Admet Maître Bettinger, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.