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Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 20 février 2001, n° 9903960

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Decoux

Défendeur :

Styl'Mousse (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Andrault

Conseillers :

Mme Baret, M. Pascot

Avoués :

SCP Musereau-Mazaudon, SCP Gallet

T. com. Niort, du 24 nov. 1999

24 novembre 1999

Exposé du litige

Courant 1992, Messieurs Lechat et Decoux ont créé la SARL Styl'Mousse dont le siège social est situé à Virolet (79) et qui a pour objet, la fabrication et la vente de mannequins et autres articles pour taxidermistes. Ayant choisi de ne pas souscrire une augmentation du capital social, Monsieur Decoux est devenu associé minoritaire à compter de décembre 1997.

Monsieur Decoux a été révoqué de ses fonctions de co-gérant par Assemblée Générale Ordinaire du 24 avril 1998, décision confirmée par jugement du Tribunal de Commerce de Niort du 25 novembre 1998.

Monsieur Decoux a alors créé sa propre entreprise de taxidermiste sous l'enseigne "JD Moulage", à Magne (79).

Reprochant à Monsieur Decoux d'avoir reproduit ses moules, d'avoir dévoilé la formule d'un produit de tannage appelé "Cremotan", et d'avoir détourné une partie de sa clientèle, la société Styl'Mousse a assigné Monsieur Decoux en concurrence déloyale devant le Tribunal de Commerce de Niort.

Par jugement du 24 novembre 1999, le Tribunal de Commerce de Niort a notamment :

- condamné Monsieur Decoux à verser à la société Styl'Mousse la somme de 100.000 francs à titre de dommages intérêts,

- ordonné sous astreinte que Monsieur Decoux cesse la diffusion du catalogue JD Moulage,

- ordonné que Monsieur Decoux retire de la vente les 80 modèles ayant fait l'objet d'une liste comparative,

- ordonné la mise sous scellés et la destruction des moules de fabrication de ces 80 modèles,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par acte du 19 décembre 1999, Monsieur Decoux a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 15 février 2000, le Premier Président a dit n'y avoir lieu à suspension de l'exécution provisoire assortissant le jugement dont appel.

Monsieur Decoux entend voir la Cour :

- débouter la SARL Styl'Mousse de ses demandes,

- lui ordonner de restituer sous astreinte la totalité des moules mis sous scellé,

- la condamner à lui verser la somme de 150.000 francs à titre de dommages intérêts,

- la condamner au paiement de la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il fait valoir en effet :

- sur la copie alléguée des modèles, que le constat d'huissier produit n'est pas probant et que la grande ressemblance entre les modèles de chacune des entreprise en litige résulte du fait que les moules sont obtenus par coulage sur un mannequin acquis auprès de sociétés spécialisées italiennes ou américaines,

- que le bain de tannage Cremotan n'est que l'assemblage de divers produits qui ne présente aucune originalité et ne bénéficie d'aucune protection au titre des droits d'auteur,

- qu'il n'est pas démontré que Monsieur Decoux ait détourné le fichier clients de la SARL Styl'Mousse et qu'en réalité, certains clients de la société intimée, satisfaits des prestations de l'appelant, se sont tournés vers lui lorsqu'ils ont appris qu'il créait sa propre entreprise.

- sur le dommages intérêts réclamés par la société Styl'Mousse, que celle-ci démontre d'autant moins que les pertes qu'elle subit sont consécutives à l'installation de Monsieur Decoux qu'elles étaient antérieures à ce début d'activité,

- que la mise sous scellés de la plupart de ses moules a obligé Monsieur Decoux à en réaliser de nouveaux et l'a empêché de poursuivre normalement son activité.

En réponse, la société Styl'Mousse entend voir la Cour :

- ordonner sous astreinte la cessation de la diffusion du catalogue "JD Moulage",

- ordonner le retrait de la vente des 80 modèles ayant fait l'objet d'une liste comparative et les modèles Safaris,

- ordonner la mise sous scellés et la destruction des 80 modèles et modèles Safaris évoqués ci-dessus,

- débouter Monsieur Decoux de ses demandes,

- le condamner à verser à la SARL Styl'Mousse :

. la somme de 170.000 francs en réparation de la marge brute sur chiffre d'affaire perdue consécutivement à la concurrence déloyale de l'appelant,

. la somme de 30.000 francs pour le dévoilement de la formule du Cremotan,

. la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir en effet :

- que Monsieur Lechat a sculpté lui-même des modèles d'animaux pour se démarquer de la concurrence,

- qu'il résulte du constat d'huissier effectué sur la base de modèles provenant de Monsieur Decoux, que ce dernier a indiscutablement procédé au surmoulage d'articles vendus par la société Styl'Mousse,

- que les éléments versés aux débats par Monsieur Decoux pour attester qu'il s'est fourni auprès de fournisseurs étrangers pour faire ses surmoulages ne sont pas probants,

- que les moules créés par Monsieur Lechat n'ont qu'une finalité fonctionnelle et ne pouvaient être protégées en se fondant sur des qualités artistiques ou autres,

- que Monsieur Lechat a lui-même mis au point le bain de tannage Cremotan qui était un produit exclusif de la société Styl'Mousse,

- que Monsieur Decoux a emporté la copie du fichier clients et fournisseurs,

- que l'absence de contrefaçon ne saurait priver la SARL Styl'Mousse du droit d'agir contre Monsieur Decoux sur le terrain de la responsabilité délictuelle et ce d'autant que l'intimé avait commencé à fabriquer ses moules avant sa révocation et a pu ainsi obtenir des produits de substitution à un moindre coût,

- que l'existence d'actes déloyaux a nécessairement provoqué un préjudice et que les difficultés sont apparues à partir du moment où Monsieur Decoux a été révoqué de ses fonctions de gérant, que la SARL a du emprunter 200.000 francs en mai 1999 et 50.000 francs en mai 2000,

- que Monsieur Decoux ne justifie nullement sa demande de dommages intérêts.

Motifs de la décision

L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du Code Civil. Il appartient donc au demandeur à l'action, en l'espèce, la SARL Styl'Mousse, intimée, de rapporter la preuve d'une faute à l'encontre de Monsieur Decoux.

Il est constant que la SARL Styl'Mousse ne détient aucun droit, au titre de la propriété intellectuelle, ni sur les modèles litigieux, ni sur le produit de tannage Cremotan. Cependant, une action en concurrence déloyale pouvant être entreprise indépendamment de toute action en contrefaçon, il convient de s'interroger sur le fait de savoir si une faute distincte de toute contrefaçon peut être retenue à l'encontre de Monsieur Decoux, tant au titre des modèles (1) que du bain de tannage Cremotan (2). L'appréciation de la faute s'effectuera aussi au titre du détournement de clientèle allégué (3).

1°) Sur les modèles animaliers :

Ces modèles en mousse sont utilisés par les taxidermistes comme support des peaux après qu'elles aient été traitées. Pour chaque animal, le modèle acquis par le naturaliste auprès de son fournisseur doit être retravaillé. Ainsi, dans son attestation, Monsieur Mennecier, naturaliste, parle de "modèle de base". Quant à Monsieur Chaploteau, taxidermiste lui aussi, il précise dans son attestation que les modèles américains ne nécessitent que 10% de travail alors que les modèles français en nécessitent 50%. Dès lors, les modèles vendus par les fournisseurs en la matière ne consistent jamais qu'en des formes sommaires non défmitives.

En outre, Monsieur Decoux verse aux débats divers catalogues de vendeurs concurrents. Quand bien même écarterait-on le catalogue de la société Dieda dont la SARL Styl'Mousse serait le fournisseur, force est de constater que les modèles proposés à la vente sont toujours les mêmes.

Compte tenu du caractère sommaire du modèle qui suppose d'être retravaillé, et de la similitude des modèles proposés par les autres fournisseurs, même si Monsieur Decoux a mis sur le marché des modèles identiques à ceux vendus par la SARL Styl'Mousse, il n'y aurait pas là, acte de concurrence déloyale. La société appelante émet certes l'hypothèse d'un concert frauduleux avec un client ami de Monsieur Decoux pour permettre à ce dernier de se procurer des modèles à reproduire. D'une part, il s'agit d'affirmations non étayées et d'autre part, la manœuvre n'aurait jamais permis à l'appelant que d'accéder à des modèles quasiment identiques à ceux disponibles auprès d'autres fournisseurs.

2°) Sur le bain de tannage Cremotan et autres produits :

Si Monsieur Lechat affirme que le produit appelé Cremotan est le fruit de son travail de recherche, qu'il s'agit d'un produit exclusif Styl'Mousse protégé par un secret de fabrication, il n'en rapporte nullement la preuve. En évoquant la caractère exclusif du produit, il se place sur le terrain de la propriété intellectuelle alors que, comme il a été vu précédemment, ce bain de tannage ne fait l'objet d'aucune protection juridique à ce titre.

Quant aux autres produits dont la SARL Styl'Mousse souligne la similarité dans le conditionnement et les notices d'utilisation, la Cour observe :

- que les pots en matière plastique blanche utilisés par Monsieur Decoux sont des articles de conditionnement extrêmement courants utilisés dans de nombreux secteurs d'activité,

- que s'agissant des notices d'utilisation, compte tenu de la très grande spécificité des produits concernés, le fait de recourir aux mêmes formules ne saurait être reproché à Monsieur Decoux.

3°) Sur le détournement de clientèle :

Il est habituel de constater, quelle que soit l'activité concernée, que lorsque un associé quitte une société pour fonder sa propre entreprise, une partie de la clientèle le suit. Pour que ce déplacement de clientèle tombe sous le coup de la concurrence déloyale, encore faut-il démontrer l'existence de manœuvres de la part de celui qui bénéficie de cet apport de clients. En l'espèce, quand bien même Monsieur Decoux aurait pris une copie de fichier clients, il ne s'agit pas d'une circonstance suffisante pour caractériser un processus déloyal comme le serait un véritable démarchage ou un dénigrement de l'ancien associé.

Il résulte de l'ensemble de ces observations que la SARL Styl'Mousse ne démontre pas que Monsieur Decoux aurait commis des fautes sur le terrain de la concurrence déloyale.Le jugement entrepris sera donc infirmé et l'intimé sera débouté de ses demandes. Le restitution des modèles placés sous scellés sera ordonnée dans le délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt avec astreinte de 500 francs par jour de retard au delà de ce délai.

Monsieur Decoux sollicite des dommages intérêts à hauteur de 150.000 francs en raison de la gêne causée par la mise sous scellés de ses modèles. Il y a lieu cependant de constater :

- qu'il sera procédé à la restitution de ces modèles,

- qu'aucun justificatif chiffré n'est produit à l'appui de cette demande conséquente de dommages intérêts,

- que les dépenses exposées pour récupérer les scellés doivent être considérés comme des frais irrépétibles et seront couvertes à ce titre.

L'appelant sera donc débouté de sa demande de dommages intérêts.

la SARL Styl'Mousse qui succombe sera condamné aux dépens et par conséquent au paiement de la somme de 8.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris; Déboute la SARL Styl'Mousse de l'ensemble de ses demandes; Ordonne la restitution à Monsieur Decoux de la totalité des moules placés sous scellés dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt avec astreinte de 500 francs par jour de retard au delà de ce délai; Déboute Monsieur Decoux de sa demande de dommages intérêts; Condamne la SARL Styl'Mousse à verser à Monsieur Decoux la somme de 8.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Rejette toute autre demande, Condamne la SARL Styl'Mousse aux dépens, Dit que les dépens seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile