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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 23 janvier 2001, n° 99-05342

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alessi (SNC), Alessi

Défendeur :

Ronda, Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon, Méditerranée Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Chassery

Avoué :

SCP Argellies- Travier

Avocats :

Mes Merlin, Terrier, Assemat, Dumas.

T. com. Béziers, du 28 juin 1999

28 juin 1999

Faits et procédure

En 1982, la commune de Montady créait un lotissement de 7 lots à destination commerciale.

Le lot n° 7 était vendu à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon en 1982 et l'acte de vente prévoyait comme condition particulière "sine quanum" (sic) "L'acquéreur s'engage à faire édifier sur la parcelle de terrain présentement vendue, un local destiné exclusivement à l'exercice du commerce des établissements financiers et à imposer à tous ses futurs ayant droit et ayant cause l'exploitation du même type de commerce et ceci, au cas d'ouverture d'un autre type de commerce, sous peine de tous dommages et intérêts envers l'acquéreur du lot sur lequel sera exploité un commerce similaire, ainsi qu'à peine de nullité de l'acte de vente".

En 1996, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon faisait apport de ce lot n° 7 à la Société Méditerranée Immobilier. L'acte d'apport dressé par devant Me Coderch, notaire, ne précisait pas la condition particulière.

Par acte notarié dressé par Me Gondard, notaire à Cazouls Les Béziers le 3 juin 1997, la société Méditerranée Immobilier vendait aux époux Gaétano Alessi-Muriel Poncet le lot n° 7. L'acte de vente ne reprenait pas la condition d'affectation à un commerce déterminé.

Les époux Alessi créaient une SNC qui transportait et exploitait dans l'immeuble un commerce de papeterie-librairie-bimbeloterie et débit de tabac.

Guylaine Ronda qui avait acquis en 1995 le lot n° 6 affecté à l'usage commercial de bazar, papeterie-librairie-bimbeloterie, arguant que les époux Alessi et la SNC Alessi en ne respectant pas la clause "sine qua non" imposée à leur auteur lui faisaient une concurrence déloyale, saisissait le tribunal de commerce de Béziers. Les défendeurs appelaient en garantie la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier.

Par jugement en date du 28 juin 1999, le tribunal de commerce de Béziers s'est déclaré compétent et a :

- fait défense à la SNC Alessi de poursuivre l'exploitation, sur le lot n°7 du lotissement communal de Montady, d'un fonds de commerce concurrentiel à celui exploité par Mme Ronda, ce, sous astreinte de 5.000F par jour passé un délai d'un mois après la signification du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement de ce chef,

- ordonné une expertise sur la demande en paiement de dommages et intérêts,

- condamné la SNC Alessi et les époux Alessi à payer la somme de 5.000F HT à Mme ronda par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier, solidairement entre elles, à relever et garantir la SNC Alessi et les époux Alessi de toutes les condamnations prononcées contre eux,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement de ce chef,

- condamné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier à payer, au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 5.000F à la SNC Alessi et aux époux Alessi.

Le 2 juillet 1999, la SNC Alessi et les époux Alessi ont relevé appel de cette décision.

L'affaire a été radiée puis réinscrite en novembre 1999.

Prétentions et moyens des parties

Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 14 mars 2000 par Guylaine Ronda, le 6 novembre 2000 par la SNC Alessi et les époux Alessi, et le 9 novembre 2000 par la Caisse d'Epargne et de prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier.

La SNC Alessi et les époux Alessi demandent à la Cour de réformer le jugement déféré, de dire le tribunal de commerce de Béziers incompétent et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance de Béziers, seul compétent pour interpréter et juger de l'application de la clause sine qua non.

Subsidiairement, ils demandent à la Cour de réformer le jugement déféré, de dire nulle la clause litigieuse ou, à tout le moins, la dire à eux inopposable.

Encore plus subsidiairement, ils demandent à la Cour de condamner la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier à les relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre eux.

En toutes hypothèses, ils demandent à la Cour de condamner la Caisse D'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier à leur payer la somme de 752.991F en réparation de leur préjudice outre celle de 5.000F à titre de dommages et intérêts et celle de 15.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions la SNC Alessi et les époux Alessi font valoir que l'action est fondée sur l'interprétation d'une clause touchant aux droits immobiliers relevant de la seule compétence du tribunal de grande instance.

Ils font également valoir que cette clause est nulle et que de surcroît elle leur est inopposable.

Enfin ils font valoir qu'ils ont subi des préjudices importants.

Guylaine Ronda demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de condamner les appelants à lui payer la somme de 60.000F à titre de dommages et intérêts et celle de 10.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de ses demandes Guylaine Ronda soutient que, s'agissant d'une action en concurrence déloyale, le tribunal de commerce était compétent.

Elle soutient également qu'en ne respectant pas la clause la SNC Alessi et les époux Alessi lui ont effectivement fait une concurrence déloyale.

La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré, de dire le tribunal de commerce incompétent, subsidiairement de dire nulle la clause litigieuse et débouter Mme Ronda de toutes ses demandes et rejeter en conséquence l'appel en garantie, de rejeter les demandes en paiement faite par la SNC Alessi et les époux Alessi à leur encontre et les condamner à leur payer la somme de 6.000F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc- Roussillon et la société Méditerranée Immobilier soutiennent que l'interprétation et l'application éventuelle de la clause relevait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.

Elles soutiennent également que cette clause litigieuse est nulle puisque imposant des obligations perpétuelles de surcroît contraires à la liberté du commerce et de l'industrie.

Elles soutiennent enfin que les demandes de la SNC Alessi et des époux Alessi à leur encontre sont injustifiées et qu'il s'agit, de plus, de demandes nouvelles.

Discussion

Guylaine Ronda fondait exclusivement son action en concurrence déloyale sur le non respect d'une clause figurant dans un acte de vente immobilière, clause dont les défendeurs contestaient la validité ou l'opposabilité.

De plus, il y a lieu d'observer que l'obligation faite à l'acquéreur d'un fonds de l'affecter à un usage déterminé peut éventuellement revêtir le caractère d'une servitude établie par le fait de l'homme.

Il s'ensuit que l'action relevait, puisqu'il devait y avoir étude de cette clause, de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Béziers.

Toutefois la Cour, saisie de l'appel du jugement est compétente tant comme juridiction d'appel du tribunal de commerce de Béziers que comme juridiction d'appel du tribunal de grande instance de Béziers qui aurait été compétent et, conformément aux dispositions de l'article 79 du nouveau code de procédure civile, elle se doit de statuer au fond.

Il convient tout d'abord de constater qu'aucun des documents concernant le lotissement, et notamment la délibération du conseil municipal de la commune de Montady, l'arrêté de lotissement du sous-préfet de Béziers du 11 décembre 1980, le règlement du lotissement ou le cahier des charges de ce lotissement, ne prévoient l'affectation des lots à un usage commercial déterminé et spécifique.

Cette affectation à un usage commercial déterminé n'apparaît que comme condition particulière dite "sine qua non" lors des ventes entre la commune et l'acquéreur de chaque lot.

Il n'apparaît pas nécessaire en l'espèce de se prononcer sur le point de savoir si l'existence de cette clause dans chaque vente au premier acquéreur a été en réalité une création d'une servitude par la volonté de l'homme, puisque cette servitude, à la supposer existante, n'a pas été publiée au fichier immobilier et se trouve donc inopposable aux tiers.

L'action en concurrence déloyale nécessite la démonstration d'une faute. Or, en l'espèce, les époux Alessi n'avaient pas connaissance de l'existence de la clause imposée à la Caisse d'Epargne du Languedoc-Roussillon puisque l'acte de vente du 3 juin 1997 dressé par Me Gondard n'y fait aucune mentionet, bien plus, fait état, en sa page 9, de la déclaration du vendeur, la société Méditerranée Immobilier, selon laquelle il n'existe de son chef aucune restriction légale ou contractuelle à la libre disposition de l'immeuble vendu.

De même, les époux Alessi ont reconnu avoir eu connaissance des documents relatifs au lotissement mais comme il a été précisé ci-dessus aucun de ces documents ne mentionne l'affectation spéciale de chaque lot dont il est seulement dit qu'il doit être affecté au commerce ou à l'usage de bureaux.

Il ne peut donc être reproché aux époux Alessi une faute consistant au non respect d'une clause qu'ils ignoraient et qui ne leur a pas été imposée.

Guylaine Ronda ne reproche aux époux Alessi et à la SNC Alessi aucune autre faute que le non respect de la clause "sine qua non". Elle doit donc être déboutée de son action en concurrence déloyale, celle-ci ne pouvant pas être constituée par le seul fait d'exercer un commerce identique.

En revanche, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon avait une obligation contractuelle qu'elle devait respecter.

C'est vainement sur ce point que la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc- Roussillon et la société Méditerranée Immobilier soutiennent que la clause litigieuse dite "sine qua non" serait nulle comme étant perpétuelle et contraire à la liberté du commerce et de l'industrie. En effet, cette clause d'affectation spéciale doit être analysée comme une clause de non concurrence laquelle pour être valable ne doit pas être limitée à la fois dans l'espace et dans le temps mais doit seulement comporter l'une ou l'autre de ces limitations, et, en l'espèce, la limitation géographique existait, étant par ailleurs remarqué que la zone d'interdiction créée par le cumul des différentes clauses sur les différents lots se limitait sur le seul lotissement en cause.

En ne faisant pas respecter cette clause la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Languedoc-Roussillon a commis une faute à l'égard des acquéreurs des autres lots, mais force est de constater que Guylaine Ronda n'a pas dirigé son action contre elle et ne lui demande rien.

L'appel en garantie de la SNC Alessi et des époux Alessi est sans objet.

Les demandes de la SNC Alessi et les époux Alessi sont nouvelles en cause d'appel et doivent à ce titre être déclarées irrecevables puisque la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon et la société Méditerranée Immobilier soulèvent, certes de façon ambigus et uniquement dans les motifs de leurs dernières conclusions, cette irrecevabilité en notant que les demandes n'avaient pas été formulées en première instance et que au stade où en est la procédure, elles ne peuvent prospérer (pages 9 et 10 des conditions).

La présente procédure est due uniquement à la faute de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon qui n'a pas, dans le traité d'apport du lot n°7 à la société Méditerranée Immobilier, fait état de la clause "sine qua non", laquelle n'a donc pu, par la suite, être imposée aux acheteurs de ce lot n°7.

En conséquence, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon doit être tenue à l'intégralité des dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en outre de condamner la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon à payer au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 5.000F à Guylaine Ronda et la somme de 5.000F à la SNC Alessi et aux époux Alessi.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme reçoit l'appel ; Au fond ; Reforme le jugement déféré et statuant à nouveau ; Déboute Guylaine Ronda de ses demandes à l'encontre de la SNC Alessi et des époux Alessi ; Déboute la SNC Alessi et les époux Alessi de leur appel en garantie formé à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon et de la société Méditerranée Immobilier ; Dit irrecevables les demandes formées par la SNC Alessi et les époux Alessi formées en cause d'appel à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon et de la société Méditerranée Immobilier ; Condamne la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon à payer au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 5.000F à Guylaine Ronda et celle de 5.000F à la SNC alessi et aux époux Alessi ; Condamne la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle - Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.