Cass. com., 16 janvier 2001, n° 99-11.044
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP)
Défendeur :
Société osnyssoise de distribution (SA), Sodios (SA), Procureur général près de la cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Tiffreau.
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 1998), que la Société osnyssoise de distribution (société Sosnydis) exploite, dans la galerie marchande d'un hypermarché à l'enseigne Leclerc, un espace de vente de produits cosmétiques, d'hygiène et diététiques ; qu'estimant que la présentation de cet espace de vente, comprenant notamment l'utilisation du terme de pharmacien, était constitutive de concurrence déloyale, de parasitisme et de publicité mensongère, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP) a assigné la société Sosnydis et la société Sodios, propriétaire du fonds de commerce, aux fins qu'elles soient condamnées à cesser de faire état de la qualité de pharmacien et à lui payer des dommages-intérêts ;
Attendu que le CNOP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel était invitée à vérifier si la multiplication par la société Sosnydis, pour promouvoir la vente de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, des signes extérieurs s'apparentant à ceux qui sont utilisés par les pharmaciens (l'agencement du mobilier, le mode d'exposition des produits, les couleurs blanche et verte prédominantes, le logo, l'utilisation des vocables "parapharmacie", "pharmacien conseil", l'apposition sur les blouses blanches des vendeurs du mot "pharmacien") ne constituait pas un faisceau d'indices démontrant que le Centre Leclerc cherchait à la fois à s'approprier la réputation de qualité et de sécurité attachée au monopole de la distribution des médicaments confié par le législateur aux pharmaciens et à tirer profit du rattachement à la spécificité de l'activité de ces derniers ; que la cour d'appel était ainsi invitée à porter un jugement concret sur l'ensemble des éléments invoqués pour apprécier le comportement parasitaire et concurrentiel du Centre Leclerc ; qu'en procédant néanmoins à l'examen de chacun de ces éléments pris isolément pour débouter le CNOP de l'ensemble de ses demandes, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; 2°) qu'en invoquant les contrats de distribution sélective conclus entre les fabricants des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et la société Sosnydis pour expliquer la multiplication par cette dernière des signes extérieurs s'apparentant à ceux qui sont utilisés par les pharmaciens, et justifier à l'égard des tiers le comportement de ladite société, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ; 3°) qu'après avoir constaté que les contrats de distribution sélective commandaient, "selon des critères précis, l'aménagement et l'installation des points de vente : espace fermé, soigné, identifiable par le consommateur et suffisamment éloigné des zones achalandées susceptibles d'apporter des nuisances", et après avoir constaté aussi que ces contrats exigeaient "la présence sur les lieux de vente d'un personnel compétent, apte à remplir une mission de conseil du consommateur et, plus particulièrement, une personne spécialisée dans le domaine de la santé, dotée de connaissances en cosmétologie, biologie, dermatologie ou pharmacie, sanctionnées par un diplôme universitaire à caractère scientifique", la cour d'appel, qui ne précise pas en quoi ces spécifications imposaient au Centre Leclerc de ne recourir qu'à des signes extérieurs s'apparentant à ceux qui sont utilisés par les pharmaciens, prive sa décision de toute base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; 4°) que nul ne peut exercer la profession de pharmacien, et, par le fait même, se présenter comme pharmacien, s'il ne remplit les conditions prévues par l'article L. 514 du Code de la santé publique, relatives au diplôme exigé, à la nationalité de l'intéressé et à la nécessité d'être inscrit à l'ordre des pharmaciens ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que, pour présenter et vendre ses produits, la société Sosnydis faisait apposer à l'entrée de l'espace surnommé "parapharmacie" un panneau portant l'inscription "pharmacien conseil" et faisait inscrire sur les blouses des salariés le terme "pharmacien" ; qu'en estimant que l'usage de ce terme par ladite société et ses salariés était régulier sous prétexte que les titulaires d'un diplôme de pharmacien, "qui n'exercent pas la profession de pharmacien consistant à préparer et à dispenser des médicaments ou produits assimilés, ne sont pas soumis aux dispositions du Code de la santé publique régissant cette profession, et notamment à l'obligation d'inscription à l'ordre des pharmaciens", ce qui induit nécessairement que ces mêmes personnes pourraient se présenter et être présentées comme des "pharmaciens", la cour d'appel viole l'article L. 514 du Code de la santé publique ; 5°) qu'en admettant la possibilité de l'existence d'une catégorie de personnes pouvant se présenter au public en tant que "pharmaciens" et qui, sous le seul prétexte qu'elles ne préparent ni ne dispensent des médicaments ou produits assimilés, "ne sont pas soumises aux dispositions du Code de la santé publique régissant la profession" de pharmacien, ce qui signifie qu'elles ne sont assujetties à aucune des obligations imposées aux pharmaciens par ce Code et relatives, notamment, aux garanties de moralité professionnelle, aux diplômes, à la nationalité, à la possibilité de conclure certaines conventions entre pharmaciens et membres de certaines professions et à la réglementation de la publicité, la cour d'appel viole les dispositions d'ordre public des articles L. 511 et suivants du Code de la santé publique, ensemble l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que le mode d'agencement et les couleurs choisies par l'espace de vente critiqué n'étaient pas réservés exclusivement aux pharmacies et relève que les aménagements spécifiques aux officines ont évolué vers une présentation de type "grandes surfaces" dans lesquels la couleur verte n'est pas prédominante, que le logo incriminé, en forme de L de couleur blanche sur fond vert, qui évoque pour le consommateur l'appartenance au circuit de grande distribution Leclerc, ne présente aucune similitude avec la croix verte, marque collective dont est titulaire le CNOP, que le terme de pharmacien et celui de docteur en pharmacie correspondent à un même diplôme ; que l'arrêt retient que cet environnement, dépourvu d'originalité, est impropre par sa banalité à caractériser le cadre-type d'une officine et que l'emploi du terme de pharmacien n'est pas de nature à induire en erreur le client sur la qualification de celui qui le renseigne ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il ressort qu'aucun des signes de rattachement invoqués par le CNOP n'était de nature à tromper la clientèle, excluant que leur cumul puisse produire cet effet, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et troisième branches du moyen ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'article L. 514-1 du Code de la santé publique, qui régit les conditions d'exercice de la profession de pharmacien, ne comporte aucune réglementation du titre de pharmacien ; qu'il en résulte que la cour d'appel a pu retenir que la mention de pharmacien apposée sur les panonceaux et sur les blouses des salariés correspondait à l'indication du diplôme de pharmacien équivalent à celui de docteur en pharmacie, sans méconnaître l'article L. 514-1 du Code de la santé publique précité ;
Attendu, en troisième lieu, qu'ayant constaté qu'il n'était pas démontré que la société Sosnydis proposait des produits relevant du monopole des pharmaciens, la cour d'appel, qui énonce à bon droit que les personnes titulaires d'un diplôme de docteur en pharmacie ou de pharmacien peuvent, sans être inscrits à l'ordre des pharmaciens, exercer un emploi consistant à vendre des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, lesquels ne relèvent pas de ce monopole, et que l'usage sur les panonceaux et sur les blouses des salariés du terme "pharmacien" au lieu de "docteur en pharmacie", dès lors qu'il correspond à un même diplôme, n'est pas de nature à induire en erreur le client sur la qualification de celui qui le renseigne, n'a violé aucun des textes visés à la cinquième branche du moyen ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.