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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 décembre 1999, n° 1997-14382

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Décathlon (SA)

Défendeur :

Carrefour France (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Hardouin-Herscovici, SCP Monin

Avocats :

Mes Escande, Lenoir.

T. com. Bobigny, 8e ch., du 23 mai 1997

23 mai 1997

La société Décathlon commercialise dans ses magasins depuis 1994, un modèle de chaussures de tennis en cuir blanc, portant la référence TS 300.

Reprochant à la société Carrefour d'avoir mis en vente un modèle de chaussures reproduisant de manière quasi-servile les caractéristiques du modèle TS 300, la société Décathlon l'a, par acte du 7 novembre 1995, assigné devant le tribunal de commerce de Bobigny aux fins de constatation d'actes de concurrence déloyale.

Elle a demandé, outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction et de publication, la condamnation de la société Carrefour à lui payer la somme de 500.000 F en réparation de son préjudice, au besoin après expertise, et celle de 30.000 F sur le fondement de 1' article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 23 mai 1997, le tribunal a:

- dit qu'en détenant, offrant à la vente et vendant des chaussures de tennis imitant le modèle TS 300 de la société Décathlon, la société Carrefour s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et a engagé sa responsabilité envers la société Décathlon,

- dit que la société Carrefour ne peut détenir, offrir à la vente et vendre des chaussures de tennis imitant le modèle TS 300 de la société Décathlon,

- ordonné aux frais de la société Carrefour, sous contrôle d'huissier, la destruction de la totalité des stocks de chaussures imitant le modèle 15 300 de la société Décathlon et de tous documents commerciaux et publicitaires reproduisant ledit modèle,

- dit qu'à défaut pour la société Carrefour de s'exécuter dans le délai de sept jours à compter de la signification du jugement, cette décision sera assortie d'une astreinte provisoire de 5.000 F par infraction constatée et par jour de retard et ce, pendant un délai de trente jours au delà duquel il sera à nouveau fait droit,

- condamné la société Carrefour à payer à la société Décathlon la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

La société Décathlon a relevé appel de cette décision.

Elle conclut à sa confirmation sauf en ce qui concerne les dispositions afférentes à la réparation de son préjudice qu'elle demande de fixer à la somme de 500.000 F sauf à parfaire après expertise et sollicite, en outre, une mesure de publication, et l'allocation d'une somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Carrefour conclut à l' infirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale, faisant valoir que les similitudes retenues sont inhérentes au genre des chaussures en présence et qu'il est impossible à un consommateur d'attention moyenne de confondre les deux modèles commercialisés par les sociétés Décathlon et Carrefour.

Elle demande de lui allouer une somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur quoi, la Cour

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Décathlon revendique un modèle de chaussures de tennis présentant les caractéristiques suivantes:

" - un renfort arrière cousu de forme arrondie couvrant le talon,

- un renfort avant cousu couvrant la pointe de la chaussure au-dessus de la semelle et se prolongeant vers l'arrière, des deux côtés de la chaussure, jusqu'à l'aplomb du quatrième oeillet de la boutonnière en partant de l'avant et présentant une forme ondulée se creusant à l'aplomb du premier oeillet, mouvement reproduit par la semelle elle-même,

- les deux renforts sont cousus sur des bandes latérales de part et d'autre de la chaussure, également cousues, qui, de l'arrière vers l'avant de la chaussure, bordent la semelle jusqu'à l'aplomb du quatrième oeillet, puis suivent le mouvement du renfort avant en remontant vers la boutonnière qu'elles rejoignent entre le premier et le deuxième oeillet, le côté situé vers l'avant de la chaussure de la partie ascendante de ces bandes formant une courbe entre la boutonnière et le renfort précité,

- à mi-chemin de la courbe du renfort arrière prend naissance une couture traversant la chaussure en diagonale jusqu'à la boutonnière, a hauteur du dernier oeillet, en dessous de laquelle apparaît une seconde couture qui reproduit le mouvement général, sauf dans sa partie supérieure où elle s 'incurve pour rejoindre la bande latérale parallèlement à la courbe dessinée par le renfort arrière,

- la boutonnière est renforcée par une bande de cuir qui en fait le tour, et dont le bord inférieur se caractérise par une incurvation à l'aplomb de l'avant-dernier oeillet,

- le bord supérieur de la chaussure est lui-même de forme ondulée à la manière d'une vague se creusant fortement sous la cheville,

- la chaussure est percée de nombreux orifices de petite taille, disposés de part et d'autre des deux bandes latérales précitées "

Considérant que la société Carrefour ne conteste pas les similitudes existant entre le modèle référencé 15 300 de la société Décathlon et son propre modèle mais réplique que ces ressemblances, qui sont inhérentes aux chaussures de sport, se retrouvent sur de nombreux modèles et que les caractéristiques invoquées sont dénuées de toute originalité et sont fonctionnelles ;

Mais considérant que la société Décathlon invoquant des faits de concurrence déloyale, il n'y a pas lieu d'apprécier si le modèle est ou non original ;

Qu'au surplus, si l'examen des catalogues versés aux débats révèle que les chaussures de tennis présentent toutes des renforts sur le talon, à l'avant sur la pointe et sur les côtés de manière à maintenir le pied durant l'effort ainsi que des orifices pour permettre l'aération de celui-ci, éléments d'ordre purement fonctionnel, aucun des modèles présentés ne reproduit tant la forme des renforts que leur agencement par rapport aux bandes latérales et aux oeillets de la boutonnière et le positionnement précis des orifices d'aération tel que revendiquées par la société Décathlon; que le modèle figurant sur le catalogue Royer Printemps-Eté 1988, sous la référence 10920 ACE, ne comporte pas les bandes latérales sur lesquelles sont cousus les renforts avant et arrière ; que les orifices d'aération y sont différemment disposés;

Considérant que le modèle de chaussures revendiqué et commercialisé par la société Décathlon est donc parfaitement identifiable par rapport aux autres modèles offerts sur le marché;

Considérant qu'il ressort de l'examen des deux modèles de chaussures que les similitudes liées à la découpe des renforts et des bandes latérales, à leur positionnement et à la forme de la boutonnière de fermeture créent une impression d'ensemble telle qu'il existe un risque certain de confusion pour l'acheteur d'attention moyenne; que les quelques différences secondaires (nombre d'oeillets et d'orifices d'aération, forme et couleur intérieure de la languette, couleur de la partie basse de la semelle) et la présence sur le talon des deux modèles d'une part de la marque "Décathlon", d'autre part, du logo de la société Carrefour sont insuffisantes pour l'éviter, eu égard à l'aspect général quasi identique des deux modèles;

Considérant qu'en reproduisant le modèle commercialisé par la société Décathlon, la société Carrefour a commis des actes de concurrence déloyal;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que l'existence d'un préjudice s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés; que ce modèle qui connaît depuis l'année 1995 un réel succès auprès du public, comme le démontrent le montant du chiffre d'affaires réalisé, a subi du fait de la mise sur le marché d'un modèle quasi-identique une dépréciation préjudiciable à la société Décathlon; qu'en outre, la société Carrefour a ainsi, tenté de détourner une partie de la clientèle de son concurrent direct, tirant profit sans bourse délier, des investissements publicitaires de celui-ci sur ce modèle phare ;

Qu'au vu de ces éléments, le préjudice de la société Décathlon sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 150 000 F, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise;

Considérant que les mesures d'interdiction et de destruction prononcées par les premiers juges sont justifiées ;

Qu'il sera en outre fait droit à la demande de publication dans les conditions précisées au dispositif;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société Décathlon; qu'il lui sera accordé à ce titre la somme complémentaire de 30 000 F ;

Que l'appel ayant été déclaré fondé, la société Carrefour sera débouté de sa demande sur ce même fondement;

Par ces motifs, confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts et de publication de la société Décathlon, l'infirmant sur ces points et statuant à nouveau, condamne la société Carrefour à payer à la société Décathlon la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, autorise la société Décathlon à faire publier le dispositif du présent arrêt dans trois revues ou journaux de son choix, aux frais de la société Carrefour dans la limite d'une somme de 20 000 F HT par publication, condamne la société Carrefour à payer à la société Décathlon la somme complémentaire de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, déboute les parties du surplus de leurs demandes, condamne la société Carrefour aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.