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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 26 novembre 1999, n° 1998-07159

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Prénatal (SA), Mandin (ès qual.)

Défendeur :

Martine Pinte Diffusion (SARL), Mathilde Criqui Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

M. Savatier, Mme Le Bail

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Huyghe

Avocats :

Mes Peirani, Pouillet.

T. com. Paris, 16e ch., du 21 nov. 1995

21 novembre 1995

La société Sodireg qui exploitait un réseau de distribution d'articles pour futures mamans, bébés et enfants jusqu'à l'âge de huit ans sous la marque Prénatal a concédé le 18 décembre 1989 à Madame Pinte en sa qualité de gérante de la société à responsabilité limitée Martine Pinte Diffusion (ci-après société MPD) et de la société à responsabilité limitée Mathilde Criqui Diffusion (ci-après MCD) deux contrats de franchise en renouvellement de deux contrats précédemment signés les 4 février 1988 et 23 août 1989, en vue d'exploiter en exclusivité deux magasins de vente de produits de prénatalité figurant au référencier Prénatal, l'un à Dunkerque, l'autre à Calais.

En novembre 1990 la société Sodireg a réalisé un apport partiel d'actif à la société anonyme Prénatal qui a repris à sa charge l'intégralité des obligations de franchise.

A partir de novembre 1981, les relations entre le franchiseur et le franchisé se sont détériorées; Madame Pinte s'est plainte à plusieurs reprises auprès du franchiseur du changement de politique commerciale opéré en 1991 par la société Prénatal consistant à mettre en place un système de commandes assistées en reprochant à cette méthode d'imposer une collection de produits au franchisé sans que celui-ci puisse choisir les articles correspondant aux besoins de sa clientèle.

Madame Pinte a indiqué que les difficultés d'exploitation rencontrées de ce fait entraînaient une baisse importante des chiffres d'affaires enregistrées dans l'un et l'autre magasin. Elle a en conséquence par courrier en date du 10 décembre 1992, informé la société Prénatal qu'elle résiliait les deux contrats et qu'elle procéderait au dépôt de l'enseigne Prénatal pour le 31 janvier 1993.

Ayant constaté qu'après avoir résilié les deux contrats, Madame Pinte poursuivait l'exploitation de ses deux magasins à Dunkerque et à Calais sous l'enseigne concurrente Bébé 9 et qu'elle restait lui devoir les sommes de 8.129,95 F et 3.084,17 F en paiement de marchandises qu'elle lui avait fournies, la société Prénatal a fait assigner par acte du 16 juin 1992 la société MPD et la société MCD pour obtenir d'une part paiement du prix des marchandises demeurées impayées et d'autre part la condamnation de chacune des sociétés à lui verser la somme de 500.000 F en réparation du préjudice subi pour non respect de la clause de non concurrence insérée dans les contrats de franchise.

Sur le litige ainsi né entre les parties, le tribunal de Commerce de Paris par jugement du 21 novembre 1995, a partiellement fait droit à la demande de la société Prénatal en condamnant la société MPD et la société MCD à lui payer respectivement les sommes de 3.084,17 F et 8.129,95 F majorées des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 1993. Les premiers juges ont en revanche débouté la société Prénatal de ses demandes de dommages-intérêts formées au titre de la rupture des contrats de franchise et de la violation de la clause de non-concurrence. Après avoir imputé à la société Prénatal à raison de l'évolution de ses pratiques commerciales, la responsabilité de la rupture des relations contractuelles, ils ont énoncé que cette attitude fautive a libéré Madame Pinte de son engagement de non concurrence lequel aurait abouti à priver le franchisé de son libre droit à l'exercice de sa profession.

La société Prénatal a interjeté appel de cette décision. Les parties ont conclu.

Par jugement du 17 septembre 1997 le tribunal de Commerce de Pontoise a prononcé la liquidation judiciaire de la société Prénatal et a nommé Maître Mandin en qualité de liquidateur de la société Prénatal.

L'instance s'est trouvée interrompue.

Maître Mandin ès qualités est alors intervenu volontairement à la procédure et a repris les conclusions de son administrée.

Les sociétés MP Diffusion et MC Diffusion ont demandé qu'acte leur soit donné du bénéfice de leurs écritures à l'encontre de Maître Mandin ès qualités.

Dans ses dernières conclusions auxquelles il est renvoyé, l'appelant conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné les société MPD et MCD à lui payer les sommes principales de 8.129,95 F et 3.084,17 F mais demande à la Cour de l'infirmer en les condamnant chacune à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture unilatérale et injustifiée par le franchisé des deux contrats de franchise et de la violation par Madame Pinte de la clause de non concurrence qui lui interdisait, ainsi qu'aux sociétés MPD et MCD d'exploiter un commerce sous une enseigne concurrente de celle de Prénatal après la rupture du contrat et ce pendant une année.

Il réclame la condamnation solidaire des sociétés MPD et MCD à lui payer la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est renvoyé, les sociétés MPD et MCD intimées concluent à la confirmation du jugement déféré, s'estimant libérées de l'engagement de non-concurrence du fait de l'attitude fautive de la société Prénatal et font valoir qu'elles ont offert la restitution des marchandises invendues à la société Prénatal qui ne les a pas reprises.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que Madame Pinte ès qualités de gérante des sociétés MPD et MCD soutient que la modification de la politique commerciale du franchiseur intervenue à partir de 1991 a constitué une violation grave et répétée des obligations contractuelles et l'a conduite à résilier le 10 décembre 1992 les deux contrats de franchise,

Considérant qu'elle fait valoir à juste titre que selon l'article 5-1 du contrat, le franchisé choisit son assortiment dans la collection de marchandises présentées par le franchiseur et que si selon ce même article " le franchiseur se réserve d'implanter d'office dans les magasins du franchisé tous articles qui lui paraîtraient cadrer avec le marché d'évolution des goûts des consommateurs ", ce même article précise que " cette implantation sera soumise au franchisé avant l'exécution par tous moyens avec faculté pour le franchisé de modifier cette proposition sous 48 heures ", qu'il ressort de cette clause que le franchisé peut choisir un assortiment de marchandises correspondant aux besoins de la clientèle de son magasin.

que de même si la clause 8 du contrat donne au franchisé le droit de décider de son assortiment, certes de façon à ce que celui-ci soit le plus représentatif de la gamme Prénatal ; cet article prévoit que les commandes faites par le franchisé doivent correspondre aux articles demandés par la clientèle en vue de limiter les invendus.

Considérant que dans les nombreux courriers mis aux débats qu'elle a adressés à la société Prénatal, notamment les 6 mai 1992 et 22 octobre 1992 Madame Pinte a indiqué de manière détaillée et circonstanciée qu'en fonction des besoins de sa clientèle les quantités de marchandises livrées devraient être modifiées sous peine d'augmenter de manière considérable les invendus; qu'elle a dans le courrier du 14 septembre 1992 précisé que du fait du nouveau système d'approvisionnement et de réassortiment, son chiffre d'affaires dans les rayons layette et enfant avait, pour l'année en cours, enregistré par rapport à l'année précédente une baisse de 20% pour le magasin de Dunkerque et de 40 % pour celui de Calais.

Considérant que pour justifier les manquements aux obligations édictées aux articles 5 et 8 du contrat à juste titre relevées par Madame Pinte, le franchiseur prétend que la modification du système de passation des commandes est apparue nécessaire à la société Prénatal pour augmenter le volume des ventes et procurer aux franchisés un assortiment permettant à tout magasin Prénatal de réaliser un chiffre d'affaires satisfaisant; que cette argumentation qui se place sur le terrain économique, ne fait pas disparaître le fait que le franchisé a apporté des modifications substantielles à ses engagements contractuels; qu'elle n'est d'ailleurs pas pertinente, les résultats en baisse des deux sociétés gérées par Madame Pinte et l'évolution de la société Prénatal qui en dépit d'un plan de continuation mis en place en mars 1994 se trouve depuis le 17 septembre 1997 en liquidation judiciaire, apportant la preuve contraire.

Considérant que Madame Pinte a également relevé le fait que la société Prénatal a méconnu l'obligation essentielle qui pèse sur le franchiseur de respecter les normes de qualité des produits livrés au franchisé; que ce manquement fautif et caractérisé a été admis en termes explicites par Monsieur Macgary Président Directeur Général de la société Prénatal ;

qu'en réponse à Madame Pinte qui pour démontrer le bien fondé de ses critiques, lui avait adressé un colis contenant un échantillonnage de produits divers de mauvaise qualité ; Monsieur Macgary lui a répondu par un courrier en date du 31 août 1992 mis aux débats : " Bien reçu votre colis. Je suis horrifié! Nous relançons actuellement des fabrications sur certains produits à livrer en septembre " ; que le non-respect des normes de qualité reconnu en ces termes frappants est ainsi caractérisé.

Considérant dans ces conditions qu'après avoir vainement proposé à son partenaire de cesser à l'amiable leurs relations, et s'étant heurtée au refus de la société Prénatal qui s'est bornée dans son courrier du 28 octobre 1992 à répondre à Madame Pinte que celle-ci devait purement et simplement s'adapter à la nouvelle politique commerciale, Madame Pinte a été fondée à résilier de manière unilatérale les contrats , qui ouvrent cette possibilité en cas de non-respect, par l'une partie, de l'une quelconque des clauses du contrat ;

Considérant en revanche que la société Prénatal se prévaut à bon droit de l'article 19 alinéa 1 du contrat de franchise intitulé " clause de non-concurrence " ainsi rédigé :

" Dans tous les cas de rupture des relations contractuelles quelle qu'en soit la cause et compte tenu du savoir-faire particulier et original apporté par le franchiseur le franchisé s'interdit, pendant un an à compter de la cessation des relations contractuelles, de s'affilier, d'adhérer ou de participer directement ou indirectement à un réseau de distribution concurrent, semblable ou similaire à Prénatal, national ou régional, ou d'en créer un lui-même et ce, dans la zone franchisée et celles ou d'autres franchisés ou magasins pilote sont implantés ".

Considérant que Madame Pinte prétend à tort que la résiliation unilatérale des contrats a entraîné leur extinction dans tous leurs effets y compris la clause de non-concurrence; que la clause de non-concurrence est insérée dans les contrats de franchise pour régir les rapports post contractuels, notamment en cas de résiliation de contrat, afin que le franchiseur protège son réseau et son savoir-faire et que l'ancien franchisé ne puisse profiter ou faire profiter les concurrents directs du franchiseur des connaissances acquises, étant précisé que cette clause est valide dans la mesure où elle est limitée dans le temps, dans l'espace et dans le secteur d'activité du franchisé.

Considérant que contrairement aux énonciations erronées du tribunal, Madame Pinte ne s'est pas, du fait de cette clause à laquelle elle s'est engagée, trouvée privée de son libre droit à l'exercice de sa profession; que cette disposition contractuelle ne lui a interdit que l'exploitation d'un commerce sous une enseigne concurrente de celle de Prénatal, après la rupture du contrat, et ce pendant un an, dans le territoire donné en exclusivité.

Considérant que Madame Pinte a violé cette obligation, qu'elle ne conteste pas avoir exploité ses deux magasins de Dunkerque et Calais sous l'enseigne Bébé 9 directement concurrente de l'enseigne Prénatal, ainsi que l'établissement deux constats d'huissier dressés les 12 et 13 mars 1993, soit moins de deux mois après la résiliation des contrats.

Qu'il est également établi que Madame Pinte a méconnu les obligations prévues par l'article 20 du contrat; qu'en dépit des promesses contenues dans son courrier du 10 décembre 1992 annonçant l'abandon de l'enseigne Prénatal pour ses deux magasins au 31 janvier 1993, elle a continué d'utiliser des éléments de décoration et du matériel appartenant à la société Prénatal plus de deux ans après la cessation des contrats, un constat dressé le 1er octobre 1995 ayant permis de constater que la moquette des magasins était striée au logo Prénatal et que les tickets de caisse remis pour l'achat de marchandises à la clientèle portaient encore le logo Prénatal.

Considérant que le comportement fautif de Madame Pinte et des deux sociétés MPD et MCD qu'elle gère qui ont détourné à leur profit l'enseigne de la société Prénatal et abusivement utilisé des signes distinctifs caractéristiques de son image de marque, a causé à la société Prénatal un préjudice dont celle-ci est fondée à réclamer réparation.

Considérant qu'au vu des circonstances de la cause, la Cour dispose des éléments lui permettant de fixer le montant du préjudice subi par la société Prénatal à la somme de 50.000 F pour chacun des magasins exploités respectivement à Dunkerque et à Calais par les sociétés MP Diffusion et MC Diffusion.

Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer la décision des premiers juges et de condamner la société MPD et la société MCD à payer chacune la somme de 50.000 F à Maître Mandin ès qualités de mandataire liquidateur de la société Prénatal.

Considérant que s'agissant de la réclamation présentée par la société Prénatal pour obtenir paiement par la société MPD de la somme de 8.129,85 F et par la société MCD de la somme de 3.084,17 F selon un relevé de compte non contesté, les sociétés intimées se bornent à prétendre qu'elles se sont toujours offertes à restituer ces marchandises invendues ; que cette argumentation est inopérante dès lors que la société Prénatal n'a aucune obligation de reprendre des marchandises remises à sa disposition par les sociétés intimées; que celles-ci doivent en conséquence être condamnées à en payer le prix ainsi que l'ont à juste tire décidé les premiers juges dont la décision sur ce point est confirmée.

Considérant que ni l'équité ni la situation économique des parties ne commandent de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel de la société Prénatal, Donne acte à Maître Mandin de son intervention volontaire en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Prénatal ; Statuant à nouveau, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Condamne la société Martine Pinte Diffusion et la société Mathilde Criqui Diffusion à payer chacune la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts à Maître Mandin ès qualités de liquidateur de la société Prénatal, Condamne la société Martine Pinte Diffusion à payer à Maître Mandin ès qualités la somme de 8.129,85 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 1993, Condamne la société Mathilde Criqui Diffusion à payer à Maître Mandin ès qualités la somme de 3.084,17 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 1993. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Condamne solidairement la société Martine Pinte Diffusion et la société Mathilde Criqui Diffusion au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.