Livv
Décisions

CA Montpellier, 1re ch. A, 23 novembre 1999, n° 98-0005239

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Polack, Becton Dickinson (SA)

Défendeur :

Greiner Und Sohne GMBH Austria (Sté), Greiner Labortechnik (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fossorier

Conseillers :

M. Coulougnon, Mme Besson

Avoués :

Me Rouquette, SCP Salvignol-Guilhem-Delsol, SCP Argellies-Travier

Avocats :

Mes Blanc, Veron, Stasi.

TGI Montpellier, du 22 sept. 1998

22 septembre 1998

Vu le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Montpellier, le 22.09.1998,

Vu les conclusions déposées au greffe de cette Cour le 14 Octobre 1999, par le Docteur Benoit Polack, par lesquelles il demande de déclarer les Sociétés Greiner irrecevables à le poursuivre pour acte de dénigrement personnel devant les tribunaux judiciaires, le texte litigieux ayant été publié dans la revue Thrombosis et Hemostatis, au nom de tous les médecins du laboratoire d'hématologie du CHU de Grenoble ;

juger que la preuve n'est pas rapportée d'une faute résultant d'un acte de dénigrement, ni dans l'exposé oral qu'il a fait lors du symposium du 14 octobre 1996, ni dans la publication du texte dans la revue sus-visée en mai 1997 ;

débouter les sociétés Greiner et les condamner chacune à lui rembourser la somme de 15.000 francs versée à titre de dommages et intérêts ensuite de l'exécution provisoire assortissant le jugement critiqué, outre intérêts à compter des conclusions, juger que les procédures engagées par les Sociétés Greiner à son encontre, constituent un abus de droit, source de préjudice moral justifiant de les condamner chacune à lui payer la somme de 100.000 francs à titre de dommages et intérêts outre 50.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour l'ensemble des frais irrépétibles subis ;

Vu les conclusions déposées par la Société Becton Dickinson France, le 18 Octobre 1999, par lesquelles elle demande de : réformer le jugement du 22 septembre 1990, débouter les sociétés Greiner de toutes leurs demandes, juger que, sa lettre du 5 août 1997 ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale, condamner les sociétés Greiner in solidum, à lui payer la Somme de 200.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens ;

Vu les conclusions déposées le 14.10.1999 par les Sociétés Greiner und Sohne GMBH Austria et Greiner Labortechnik, qui sollicitent la confirmation du jugement entrepris outre la condamnation solidaire de Benoit Polack et de la Société Becton Dickinson à les garantir, à titre de dommages et intérêts complémentaires, des condamnations aux dépens et au titre de l'article 700 du NCPC accordées à Mmes Soula, Echevet et à la Société Schattauer par le jugement dont appel, ainsi qu'à leur payer les sommes de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts en application de l'article 559 du NCPC et de 30.000 francs en application de l'article 700 du NCPC au titre des frais non répétibles.

Sur quoi :

Sur l'exception d'incompétence :

Le Docteur Polack maintient que l'action engagée à titre personnel à son encontre relève de la juridiction administrative, en raison de sa qualité et de la nature non détachable du service des actes critiqués.

En 1996, le Docteur Polack était responsable de l'unité fonctionnelle d'Hémostase au laboratoire d'hématologie du Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble. Le CHU est un établissement public et il n'est pas contesté qu'il gère son unité fonctionnelle d'hémostase. L'action en réparation d'un préjudice né de la faute non détachable du service d'un agent d'établissement public, en l'espèce praticien hospitalier, relève de la compétence de la juridiction administrative.

Or, le Docteur Polack est intervenu publiquement lors d'un symposium et a fait publier l'article incriminé dans le cadre de sa mission, sans que cette action en soit détachable.

En effet, d'une part, bien que l'analyse à l'origine de l'intervention et de la publication en cause ait été directement financée par un fabriquant de tubes à prélèvement, puisque faite par un laboratoire privé auquel l'avait commandée la société Becton Dickinson, ceci ressort de pratiques habituelles et admises en raison des ressources limitées dont disposent, en matière de recherche, les services hospitaliers ou universitaires, ainsi amenés à travailler avec le monde industriel. La publicité donnée au résultat de cette analyse est en relation directe avec l'activité du laboratoire d'hématologie en matière de techniques pré-analytiques dans le domaine de l'hémostase et se justifie par la nécessité d'apporter à la communauté scientifique hospitalière notamment, la connaissance des conclusions et recommandations en découlant. Si le Docteur Polack était seul présent au symposium de Montpellier et a répondu personnellement aux lettres de la société Greiner envoyées au CHU, la communication orale autant que la publication de l'article dans la revue Trombosis et Haemostasis, ont eu lieu sous le nom des membres de l'unité d'hémostase (ce que mentionnent les conclusions du transparent projeté le 14.10.1996 et le résumé diffusé par la société Becton Dickinson), sans qu'il soit démenti que ce fut sous le contrôle et à l'initiative du laboratoire d'hématologie.

D'autre part, les sociétés Greiner objectent que les propos litigieux n'avaient aucune justification scientifique et visaient le but exclusivement mercantile de faire prévaloir les produits Becton Dickinson sur les leurs. Néanmoins, il n'est pas démontré qu'il s'agirait d'une faute personnelle détachable de la fonction du Docteur Polack. Ceux-ci ne révèlent pas, au regard des pratiques administratives, une malveillance particulière et une imprudence majeure caractéristique d'une faute lourde détachable.

En effet, quant à l'intervention orale du Docteur Polack lors d'un colloque scientifique, s'il a été question des tubes fabriqués par la société Greiner dans la mesure où les tableaux projetés mentionnent les résultats d'analyses de ces tubes quant à leurs paramètres physico-chimiques, la teneur des commentaires qui ont pu être faits n'est pas rapportée en toute certitude. La conclusion portée sur le dernier tableau, d'ordre purement technique, est énoncée en termes ne révélant aucune invective, comparaison malveillante, appel au boycott, transmission erronée des résultats de l'analyse, susceptible de traduire une volonté de nuire caractérisée ou un but d'intérêt personnel, étrangers à la fonction exercée.

Quant à la publication après visa d'un comité de lecture dans la revue scientifique Trombosis and Hemostasis, de l'article visant précisément le Tube CTAD de Greiner, la relation des résultats exprimant des différences par rapport à une valeur théorique (valeur nominale, ou sans perte de vide) différente des normes officielles, et suivant les "recommandations" données par Contant, auxquelles il est renvoyé expressément, ne pouvait induire en erreur des scientifiques, au surplus spécialistes avisés, auxquels elle s'adresse. Le caractère faux des résultats n'est au demeurant ni invoqué, ni démontré. Les lots examinés doivent être tenus pour valables jusqu'à la fin du mois indiqué comme date de péremption. A supposer que les conclusions de l'article constituent un dénigrement, il ne, présenterait donc pas la gravité attachée à la faute détachable du service. En conséquence, les sociétés demanderesses sont renvoyées à mieux se pourvoir. Elles doivent être condamnées à rembourser les sommes de 15.000 francs payées à chacune d'elles par le Docteur Polack, ensuite du jugement assorti de l'exécution provisoire, outre intérêts au taux légal à compter du 14.10.1999.

Sur les demandes dirigées contre la société Becton Dickinson :

Sa lettre du 5 Août 1997 qui expose l'évolution de ses fabrications dont les tubes à prélèvement sanguin, en plastique, de marque Vacutainer Plus, souligne aussi pour ces derniers toutes les limitations et interrogations existant quant à leur utilisation. Elle conclut que ces limites impliquent pour chaque laboratoire de valider les tubes, en fonction des méthodes utilisées, afin de se conformer aux recommandations du Guide de Bonne Exécution des Analyses (publié au J.O. le 4.l2.l994). Elle émet de nombreuses critiques quant à ce type de tubes en se référant à des études, dont l'analyse sus-visée du laboratoire Soula, qui montrent une perte de vide pour les tubes CTAD Greiner et une valeur moyenne du volume d'additif inférieure à la valeur théorique, suivant les chiffres figurant sur l'étude Soula jointe, ainsi que la modification des résultats des analyses hématologiques et de la vitesse de sédimentation.

Il revient à la demanderesse en dommages-intérêts qui invoque l'article 1382 du code civil, de démontrer l'existence d'une faute, du préjudice et du lien de causalité.

Pour les motifs sus-visés, il n'est pas démontré que cette lettre qui renvoie à l'analyse Soula se référant aux valeurs moyennes et aux spécifications, comporte des allégations erronées. La société Greiner ne produit aucune contre analyse dont il ressortirait au moins un commencement de preuve de ce que les chiffres invoqués sont faux. L'étude invoquée se réfère à des critères en cours, connus par le ou les laboratoires destinataires, scientifiques qui ne sont pas sans ignorer l'absence de normes quant aux dosages de CTAD. Elle ne concerne pas que les tubes Greiner, étant également fait état des tubes de la société LES utilisés par la société Biomérieux. Elle ne vise pas la seule analyse Soula, mais diverses études de Pinkowski, de Gottfried et Peterson, de Yvert, de Liefooghe et Forzy. Le caractère critique de sa lettre ne dépasse pas la liberté de tout fabriquant d'un produit médical d'informer les consommateurs professionnels, en l'état d'un débat scientifique réel démontré par la teneur des articles qu'elle produit et de l'obligation des responsables de laboratoires de s'assurer qu'e l'instrumentation utilisée est adaptée à l'évolution des connaissances scientifiques et des données techniques.

Les appréciations émises en termes modérés ne révèlent pas une intention de dénigrement, alors que la société Becton Dickinson produit elle-même des tubes en plastique dont elle ne prétend pas qu'ils soient meilleurs, et dont rien n'exclut pour tout lecteur critique, qu'ils fassent l'objet des mêmes interrogations. Rappelant l'obligation de, précaution, sans prétendre à des effets dangereux du produit Greiner, elle souligne la possibilité d'utiliser les tubes plastique : sous réserve de les valider, faute de pouvoir affirmer la reproductibilité des résultats entre eux et ceux en verre. Elle ne manifeste pas ainsi une volonté caractérisée de s'emparer de la part de marché des tubes plastiques aux détriments de la société Greiner, attirant seulement l'attention sur la réflexion qu'impliquerait la décision de remplacer tous les tubes en verre par des tubes en plastique.

L'attitude de la société Greiner elle-même démontre le caractère normal de la communication aux laboratoires hospitaliers, d'études sur les produits concurrents.Elle a en effet elle aussi diffusé, ainsi que cela résulte des diverses attestations concordantes produites par la société Becton Dickinson, deux expérimentations réalisées par le Loyola University Medical Center de Chicago en 1997 et par le centre hospitalier de Martigues, versées aux débats. Il en ressort une comparaison entre les tubes citrates Vacuette de Greiner et les tubes citrates Vacutainer en verre de Becton Dickinson.

Il n'est invoqué qu'une "tentative" de publicité comparative, en page 7 de la lettre, non caractérisée en ce qu'elle ne porte que sur le caractère préférable, des tubes en verre BD par rapport au tubes Vacuette Greiner lorsqu'il y a nécessité de stockage, mentionné par l'étude de Pinkowski. En conséquence, le jugement déféré sera réformé en l'absence de preuve suffisante d'une faute.

Le Docteur Polack ne justifie pas à l'appui de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral né d'un abus de droit, que l'action adverse a été exercée devant la juridiction civile avec la volonté de nuire, une intention malicieuse ou une erreur équivalente, au dol et qu' il a subi un préjudice. Dès lors, ce chef de demande est rejeté.

Les entiers dépens doivent être mis à la charge des société Greiner und Sohne et Greiner Labortechnik qui succombent au principal, en application de l'article 696 du nouveau code de procédure civile. Il est équitable de les condamner à payer chacune au Docteur Polack la somme de six mille francs au titre des frais et honoraires non compris dans les dépens qu'il a exposés pour se défendre devant une juridiction incompétente, ainsi qu'à payer in solidum la somme de douze mille Francs à la société Becton Dickinson, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR ; Statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort ; Reçoit les appels de monsieur Benoit Polack et de la société Becton Dickinson en la forme ; Infirme la décision dont appel dans toutes ses dispositions ; Déclare bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par monsieur Benoit Polack et statuant à nouveau de ce chef, renvoie les sociétés Greiner à mieux se pourvoir ; Au fond, déboute les sociétés Greiner und Sohne et Greiner Labortechnik de toutes leurs demandes dirigées contre la société Becton Dickinson ; Les condamne chacune à rembourser au Docteur Polack la somme de Quinze Mille francs qu'il a versé à chacune en exécution du jugement, outre intérêts au taux légal à compter du 14.10.1999 ; Les condamne in solidum à payer à la société Bectom Dickinson la somme de Douze Mille francs et les condamne chacune à payer au Docteur Polack la somme de Six Mille francs, à titre de frais et honoraires d'avocats non compris dans les dépens ; Rejette la demande en dommages-intérêts du Docteur Polack ; Condamne les sociétés Greiner und Sohne et Greiner Labortechnik aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Salvignol et maître Rouqette, Avoués, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.