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Décisions

CA Agen, 1re ch., 22 novembre 1999, n° 97-02001

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gaillard et Fils (SA)

Défendeur :

Golden Harvest Zelder (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

M. Certner, Mme Thibault

Avoués :

Mes Vimont, Brunet

Avocats :

Mes Roy, Ravina.

T. com. Agen, 28 nov. 1997

28 novembre 1997

Exposé du litige

Dans des conditions de régularité non discutées, la société anonyme Gaillard et Fils a interjeté appel d'un Jugement rendu le 28/11/97 par le Tribunal de Commerce d'Agen la déboutant de l'ensemble des demandes qu'elle dirigeait à l'encontre de la société à responsabilité limitée Golden Harvest Zelder ;

Les faits de la cause ont été relatés par les premiers Juges en des énonciations extrêmement complètes auxquelles la Cour se réfère expressément ;

En cause d'appel, la SA Gaillard et Fils soutient au principal que les parties n'ont jamais été liées par contrat dont l'établissement, souvent annoncé par courrier, n'a jamais été formalisé, que l'intimée s'est rendue coupable de concurrence déloyale parasitaire en détournant, par des procédés contraires aux usages et habitudes professionnelles, la clientèle qu'elle était parvenue à constituer, que sa responsabilité est dès lors engagée sur le fondement de l'art. 1382 du Code Civil en raison de la faute commise -détournement de clientèle, brusque rupture des relations commerciales, motifs subjectifs invoqués par l'adversaire pour justifier cette rupture- et du préjudice qui en est résulté, à savoir, frais de personnels et commerciaux divers exposés mais ne pouvant plus donner l'espoir d'un retour sur investissement et perte de bénéfice ;

Elle demande en conséquence :

- que l'intimée soit déclarée à l'origine d'un fait de concurrence déloyale,

- qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts et la somme de cinq millions de francs en remboursement des investissements réalisés par elle et en réparation de son préjudice commercial,

- subsidiairement la mise en œuvre d'une mesure d'expertise à l'effet d'évaluer ces deux points mais avec allocation immédiate d'une provision de 1,5 million de francs à valoir sur son indemnisation définitive ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où serait admise l'existence d'un contrat conclu entre parties, elle prétend que la responsabilité de l'intimée est engagée sur le terrain contractuel en vertu des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code Civil, celle-ci fondant la rupture :

1°) sur la non réalisation d'objectifs alors qu'il n'en avaient jamais été définis,

2°) un prétendu manque de motivation, qui n'est démontré par rien ;

Accusant l'intimée de lui avoir fourni des semailles aux performances insuffisantes et donc difficiles à vendre, l'appelante conclut aux mêmes fins qu'au principal et à l'allocation, en tout état de cause de la somme de 20.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

De son côté, la société à responsabilité limitée Golden Harvest Zelder estime que la demande fondée par l'appelante sur les dispositions de l'art. 1382 du Code Civil, non invoquées en première instance, est nouvelle et donc irrecevable en cause d'appel pour se heurter aux prescriptions des art. 564 et 565 du NCPC ; elle argue de ce que la recherche de la mise en œuvre de la responsabilité delictuelle tend à des fins différentes de celle résultant de la responsabilité contractuelle ;

A toutes fins, au cas où ce moyen serait tout de même accueilli, l'intimée fait valoir qu'aucun acte de concurrence déloyale ni une brusque rupture ne peuvent lui être reprochés et que l'appelante n'a subi aucun préjudice ni aucune perte, n'étant ni mono-produit, ni mono-marque, ayant perçu sa rémunération par la marge bénéficiaire appliquée à ses ventes et ne justifiant pas de ses réclamations exorbitantes et sans commune mesure avec l'activité qu'elle a pu déployer en sa faveur ;

L'intimée réclame en conséquence la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de l'appelante à lui verser les sommes de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 25.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

A cela, la SA Gaillard et Fils répond que le changement du fondement juridique principal de sa demande ne constitue pas une prétention nouvelle puisqu'elle tend devant la Juridiction du second degré aux mêmes fins que celles soumises aux premiers Juges; elle conclut en conséquence au rejet du moyen d'irrecevabilité adverse ;

Elle conteste avoir été rémunéré par l'application d'une marge bénéficiaire à la revente des produits mais pensait recevoir de l'intimée une rémunération en contrepartie de sa prestation ;

Motifs de la décision

Sur le moyen d'irrecevabilité

Les demandes formées devant les premiers Juges tendaient à l'allocation de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;

Les demandes faites présentement devant la Juridiction d'appel tendant toujours à l'allocation de dommages-intérêts mais sur le fondement principal de la responsabilité quasi-délictuelle et sur celui subsidiaire de la responsabilité contractuelle ;

Elles tendent donc très exactement aux mêmes fins et le fait que leur fondement juridique soit quelque peu différent est sans importance au regard des termes de l'art. 565 du NCPC ;

Il convient donc d'écarter le moyen d'irrecevabilité invoqué en filigrane par l'intimée qui, tout en l'abordant dans les motifs de ses écritures n'en tire pas de conséquences claires dans son dispositif ;

Sur le fond

Les premiers Juges ont procédé à une analyse minutieuse et complète des faits à l'origine du litige et des prétentions et moyens des parties ;

Ils ont effectivement retenu l'existence d'un contrat - évident et du reste reconnu devant eux par la SA Gaillard et Fils elle-même- conclu entre parties sous la forme d'un courrier du 14/09/92, lequel constituait une offre comportant des obligations réciproques suffisamment claires pour avoir été acceptées par cette dernière de manière non équivoque puisqu'elle lui a donné exécution durant près de trois années ;

Ce contrat, que l'on peut qualifier de distribution exclusive sur une zone géographique déterminée par un grossiste multi-marques multi-produits, qui seul fait la Loi des parties, ne comportait ni objectifs précis, ni durée, ni terme, ni modalités particulières de rupture ;

Cette analyse des premiers Juges n'est nullement contestée utilement en cause d'appel par la société appelante qui invoque les mêmes arguments à l'appui des mêmes demandes qu'en première instance ;

Or, il lui a été répondu en des attendus justes et bien fondés auxquels on ne peut ajouter que les quelques considérations suivantes :

- s'agissant d'un contrat à durée indéterminé, il pouvait y être mis fin à tout moment à l'initiative de l'une ou l'autre des parties faute de stipulation d'un terme,

- la rupture n'avait pas à être fondée sur un motif particulier prédéfini,

- il n'y avait aucun préavis à respecter dès lors qu'il n'en avait pas été stipulé,

- il n'y a eu de la part de la société intimée aucune brusquerie dans le rupture contractuelle, la lettre mettant fin à la relation commerciale ayant été adressée le 14 août 1995, soit en fin de campagne 94/95 et donc plusieurs mois avant le début de la nouvelle ; cela laissait le temps à l'appelante de s'organiser, ce d'autant plus facilement qu'elle ne travaillait pas exclusivement à la commercialisation des produits de l'intimée mais distribuait des produits de plusieurs autres maisons importantes,

- l'appelante ne démontre pas que la force de vente mise en place par elle était spécialement affectée à la commercialisation des produits fournis par l'intimée ;

C'est en des attendus tout aussi pertinents que les premiers Juges ont relevé :

- d'une part que la qualité relative des produits fournis par l'intimée ne pouvait expliquer la médiocrité non discutée des résultats obtenus par l'appelante puisqu'aussi bien les dirigeants sociaux de cette dernière, dans leur rapport de gestion sur l'exercice clos le 31/07/96, reconnaissent que "la force de vente remaniée au cours du dernier exercice devrait être opérationnelle à partir de l'exercice 96/97 et monter en puissance par la suite", ce qui permet de déduire qu'elle n'a pas su dans la période précédente apporter à la commercialisation des produits Golden Harvest Zelder tout le soin nécessaire,

- d'autre part, que la SA Gaillard et Fils ne faisait pas la démonstration de l'existence d'un préjudice résultant de la cessation des relations contractuelles entretenues par elle avec l'intimée -compte tenu de la date de cette cessation, du fait qu'elle n'était ni mono-produit, ni mono-marque- d'autant que si le bilan de l'exercice arrêté au 31/07/96 fait apparaître une perte d'exploitation, le rapport de gestion correspondant ne l'explique à aucun moment par la rupture du contrat conclu avec l'intimé et que le bilan postérieur de l'exercice 97 fait ressortir un bénéfice ;

Enfin, s'il faut donc noter que l'appelante ne démontre pas de lien de causalité entre la rupture du contrat litigieux et la perte d'exploitation précitée, elle n'établit pas plus l'existence de ventes perdues dès lors qu'elle pouvait proposer des produits équivalents présents dans sa gamme en provenance d'une autre marque ;

Dans ces conditions, il convient d'adopter entièrement les motifs des premiers Juges, de rejeter les prétentions de l'appelante et de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Sur les demandes annexes

La démonstration du caractère incontestablement abusif de la procédure intentée par l'appelante n'est pas faite par l'intimée qui, dès lors, ne peut se voir allouer de dommages-intérêts de ce chef ;

L'équité commande en revanche d'allouer à cette dernière le remboursement des sommes exposées pour sa défense ;

Il convient de lui accorder la somme de 25.000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Les dépens suivent le sort du principal et seront supportés par l'appelante qui succombe ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la Loi, Vu les articles 564 et 565 du NCPC, Rejette le moyen d'irrecevabilité articulé par la société à responsabilité limitée Golden Harvest Zelder, Confirme le Jugement rendu entre parties le 28/11/97 par le Tribunal de Commerce d'AGEN en toutes ses dispositions, Déboute les parties de leurs plus amples demandes, Condamne la société Gaillard et Fils à payer à la société à responsabilité limitée Golden Harvest Zelder la somme de 25.000 francs soit 3 811,23 Euros par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la société Gaillard et Fils aux entiers dépens de l'instance d'appel, Autorise les Avoués de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.