CA Montpellier, 2e ch. B, 16 novembre 1999, n° 98-0004375
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Darres, SVIV (SARL)
Défendeur :
Locam (SARL), Etablissements Darres (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Plantard
Conseillers :
M. Baudouin, Mme Poli-Sonntag
Avoués :
SCP Touzery-Cottalorda, SCP Capdevila-Gabolde
Avocats :
SCP Camille-Sarhamon- Vincenti-Ruff, Me Loriot.
LA COUR statue sur l'appel relevé le 26 juin 1998 par M. Michel Darres et la SARL SVIV du jugement rendu par le tribunal de commerce de Rodez le 12 mai 1998 qui a dit que M. Darres a, par l'intermédiaire de la société SVIV, commis des actes de concurrence déloyale préjudiciables aux sociétés Darres et Locam, les a condamnés in solidum à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 220.000 F à la SARL Locam, celle de 30.000 F à la SARL Ets Darres et la somme globale de 8.000 F à ces deux sociétés au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les appelants demandent à la Cour de :
- déclarer irrecevable pour défaut d'intérêt à agir les prétentions de la société Etablissements Darres,
- subsidiairement constatant qu'ils n'ont commis aucun acte déloyal préjudiciable directement aux sociétés Locam et Darres, débouter purement et simplement les sociétés demanderesses de l'intégralité de leurs prétentions;
- en toute hypothèse, constatant que le comportement des associés de la SARL Locam et de la SARL Darres est constitutif à l'égard de M. Michel Darres d'une véritable révocation de ses mandats de gérant, condamner la société Locam à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts et condamner la SARL Darres à lui payer la somme de 440.000 F à titre de dommages et intérêts;
Sur l'appel incident,
- déclarer irrecevable toutes prétentions tendant à l'interdiction de M. Michel Darres d'utiliser ses nom et prénom dès lors que cette prétention est une demande nouvelle et irrecevable en cause d'appel; subsidiairement dire que cette prétention est injuste et en tout cas mal fondée;
- pour le surplus, débouter purement et simplement les sociétés intimées de leur appel incident;
- en toute hypothèse, condamner solidairement, la SARL Locam et la SARL Darres à payer à M. Michel Darres et à la société SVIV une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La SARL Locam et la SARL Etablissements Darres demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il constate les fautes de concurrence déloyale imputables tant à Michel Darres qu'à la société SVIV;
et à titre d'appel incident,
de condamner M. Michel Darres et la société SVIV sous le régime de la solidarité, à payer à la SARL Locam la somme de 500.000 F en réparation du préjudice subi;
- condamner M. Michel Darres et la société SVIV sous le régime de la solidarité à payer à la SARL Darres la somme de 200.000 à titre de dommages et intérêts;
- faire interdiction à Michel Darres d'utiliser sur tous documents publicitaires ou commerciaux ses nom et prénom et ce sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée;
- condamner solidairement M. Michel Darres et la société SVIV à payer à la société Locam et à la société Darres la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce :
Le jugement a parfaitement exposé les faits qui sont à l'origine du litige, il convient de s'y référer.
La société Etablissements Darres a un intérêt à agir manifeste compte tenu de son objet social.
La démission de M. Michel Darres de la gérance des sociétés Etablissements Darres et Locam, n'est pas à considérer comme une révocation abusive déguisée : les autres associés ont, au cours de l'assemblée générale du 27 septembre 1996, exercé de façon normale leur droit de critique et de contrôle sur le fonctionnement des sociétés et sur les décisions et projets du gérant, leur demande de réunion à tenir au plus tard le 30 novembre suivant pour permettre au gérant de répondre aux critiques, leur réponse écrite au rapport de gérance et leur volonté de nomination d'un co-gérant sont l'expression normale de leurs droits d'associés. M. Michel Darres n'apporte pas la preuve qu'il ait subi des pressions illégitimes pour lui faire prendre la décision de démissionner, comme il le prétend, démission qu'il a exprimée de manière claire et non équivoque.
C'est à tort également qu'il soutient que la clause statutaire imposant au gérant démissionnaire un préavis lui serait inopposable au motif qu'elle restreindrait la libre faculté de mettre un terme à ses fonctions que lui reconnaît l'article 2007 du code civil. En effet s'il est exact que la loi du 24 juillet 1966 et le décret du 23 mars 1967 n'ont prévu aucune règle spéciale à cet égard, de telle sorte que le droit commun des articles 2003 et suivants du code civil est applicable, l'usage d'inscrire dans les statuts des sociétés à responsabilité limitée une clause prévoyant le respect d'un préavis en cas de démission du gérant ne porte aucunement atteinte à la liberté de démissionner à condition que ce délai soit d'une durée raisonnable, puisque ce préavis a précisément pour finalité de pallier les conséquences dommageables pour la société d'une démission intempestive. Il est à noter que l'article 2007 du code civil, qui consacre le principe de la libre renonciation à un mandat, envisage lui-même dans son alinéa 2 les limites de cette liberté.
En l'espèce, le préavis prévu par l'article 17 des statuts tant de la SARL Etablissements Darres que de la SARL Locam est d'une durée raisonnable : trois mois.
Au demeurant, quelle que soit l'interprétation qu'il faille donner aux termes de la clause prévoyant que : "tout gérant peut résigner ses fonctions, mais seulement trois mois après la clôture d'un exercice en prévenant les associés trois mois au moins à l'avance... ", qu'il s'agisse de la démission en tant que manifestation de volonté ou la fin effective des fonctions, ou encore la fin de la période de préavis, le fait déterminant a eu lieu en dehors de la période de trois mois suivant la clôture de l'exercice en cours (31 mars 1997-30 juin 1997), puisque Michel Darres a donné sa démission le 20 décembre 1996 et que la fin du préavis de trois mois est le 20 mars 1997.
A compter du 20 mars 1997, la société SVIV créée par M. Michel Darres pouvait donc (à condition que ce ne soit pas de manière déloyale) légitimement concurrencer les sociétés intimées. Or il résulte de l'extrait K bis du registre du commerce et des sociétés de Rodez que cette société a non seulement été créée le 20 février 1997 mais a commencé son exploitation (dont il n'est pas contesté qu'elle soit concurrente) à cette même date, même si elle n'a été enregistrée que le 24 mars 1997. Il y a donc lieu de considérer que M. Michel Darres a, de manière illicite, pendant le troisième mois de préavis (20 février-20 mars 1997), personnellement et en tant que gérant de la société SVIV, exercé une activité contraire à l'obligation de loyauté et de fidélité qu'il se devait de respecter pendant toute la durée du préavis à l'égard des sociétés Etablissements Darres et Locam.
Au delà du 20 mars 1997, il n'est pas démontré que l'activité de M. Michel Darres et de la SVIV soit une concurrence déloyale, à l'exception toutefois de l'usage abusif par M. Michel Darres de son nom patronymique dans les documents publicitaires alors qu'il n'exploite pas en nom personnel et que cet usage entretient une confusion insidieuse entre l'entreprise dont il est maintenant le gérant et la société Etablissements Darres.
La déloyauté manifestée au cours de la période de préavis, caractérisée par des motifs pertinents que la Cour adopte, et celle qui a perduré au delà du 20 mars 1997, sont constitutives de fautes qui ont directement causé aux sociétés intimées un préjudice qui est justifié par elles à hauteur de :
- 100.000 F pour la société Locam
- 20.000 F pour la société Etablissements Darres
tous chefs de préjudice réunis.
La demande des intimées de faire interdire l'utilisation par M. Michel Darres de son patronyme dans les documents publicitaires et commerciaux est recevable en application de l'article 566 du nouveau code de procédure civile et est bien fondée en ce qui concerne les documents publicitaires, y compris l'annuaire téléphonique.
L'équité commande de ne prononcer aucune condamnation au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs : la Cour, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel en la forme; Confirme le jugement au principal; Le réforme quant aux montants des condamnations; Condamne M. Michel Darres et la société SVIV in solidum à payer : - 100.000 F à la société Locam [selon arrêt rectificatif de la cour d'appel de Montpellier, du 12 septembre 2000, n° 99-0005799], - 20.000 F à la société Etablissements Darres; Y ajoutant, Fait interdiction à M. Michel Darres d'utiliser son nom dans tous documents publicitaires concernant l'activité de la société SVIV et ce, sous astreinte de 5.000 F par infraction constatée; Confirme le jugement sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en appel; Déboute pour le surplus; Condamne in solidum les appelants aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.