CA Paris, 14e ch. A, 10 novembre 1999, n° 1999-21282
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Artem (Sté), Simba Toys GMBH & Cie (Sté)
Défendeur :
Mattel INC (Sté), Mattel France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Charoy, M. Pellegrin
Avoués :
SCP Monin, SCP Valdelièvre-Garnier
Avocats :
Mes Wolfer, Miche-Arnaud, Chapoullie.
Vu l'appel interjeté le 18 octobre 1999 par les sociétés Artem et Simba Toys d'une ordonnance de référé prononcée le 12 octobre 1999 par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui a notamment ordonné, par décision exécutoire sur minute, le retrait du marché de poupées commercialisées par les appelantes sous la dénomination Steffi Love Baby Sitter, dans un délai de huit jours à compter du prononcé de l'ordonnance et sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée ;
Vu les conclusions signifiées le 3 novembre 1999 par les sociétés Simba Toys et Artem qui demandent notamment à la cour :
* de déclarer le tribunal de commerce de Paris territorialement incompétent au profit du Landgericht de Munich (Allemagne) pour connaître des demandes des sociétés Mattel,
* de constater que les sociétés Mattel ne rapportent pas la preuve que la poupée qu'elle commercialise sous l'appellation Skipper Baby Sitter a été diffusée en France antérieurement à la poupée Steffi Love Baby Sitter,
* de constater que la société Simba Toys rapporte la preuve de l'antériorité de cette poupée Steffi Love Baby Sitter,
* de constater en conséquence l'inexistence du trouble manifestement illicite invoqué par les sociétés Mattel et de débouter celles-ci de leurs demandes ;
* subsidiairement de constater l'absence de risque de confusion entre les poupées et de débouter les sociétés Mattel de leurs demandes,
* à titre infiniment subsidiaire d'ordonner sous astreinte, la cessation de la commercialisation en France par Mattel des poupées Skipper Baby Sitter,
* en toute hypothèse, de dire n'y avoir lieu au retrait des poupées déjà vendues à des tiers et de dire que l'astreinte ne peut courir qu'à compter de la notification de la décision,
* de condamner les sociétés Mattel à payer à chacune des appelantes la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées le 3 novembre 1999 par les sociétés Mattel INC. et Mattel France qui demandent notamment à la cour :
* de rejeter l'exception d'incompétence,
* de constater l'antériorité de la poupée Skipper Baby Sitter,
* de constater les actes de concurrence déloyale et parasitaire imputables aux appelantes,
* de débouter en conséquence celles-ci de leurs prétentions et de confirmer l'ordonnance,
* ajoutant à celle-ci, d'interdire sous astreinte aux sociétés Simba Toys et Artem la poursuite des agissements litigieux sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement par toute personne interposée,
* d'ordonner, sous astreinte, aux appelantes de communiquer tous éléments de nature à permettre aux intimés de connaître l'étendue de leur préjudice,
* de condamner in solidum les appelants à leur payer la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Sur la compétence
Considérant que les sociétés appelantes font valoir que des conventions conclues entre les parties en 1989 et 1991 quant au conditionnement et au type de tête des poupées qu'elles fabriquent respectivement contiennent une clause attributive de juridiction au profit du Landgericht de Munich impliquant l'incompétence du tribunal français saisi par les sociétés Mattel ;
Considérant cependant que cette clause ne saurait recevoir application dans un litige mettant en cause des faits distincts, liés non à une exploitation abusive ou illicite des éléments décrits à ces conventions mais à la diffusion sur le marché en France et notamment à Paris en 1999, dans des conditions qui seraient constitutives de concurrence déloyale ou parasitaire, de poupées empruntant, indépendamment des éléments susvisés, les caractéristiques d'un nouveau produit des sociétés Martel, la poupée Skipper Baby Sitter ; que l'exception d'incompétence ne peut en conséquence être accueillie ;
Sur le bien fondé des prétentions
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la poupée Skipper Baby Sitter a été présentée au mois de février 1998 au salon du jouet à New-York sous une forme et avec des accessoires comparables pour l'essentiel à ceux qui sont actuellement présentés sur le marché français, qu'elle apparaît dans les films publicitaires aux États-Unis ou en Allemagne et a fait l'objet de commandes à partir du mois de juin 1998 de la part de revendeurs américains, allemands et français, qu'elle apparaît aussi dans des catalogues de nouveautés déposés au mois d'octobre 1998 entre les mains d'un huissier de justice à Paris ;
Considérant qu'à ces éléments d'appréciation, qui démontrent que le produit Skipper Baby Sitter a été créé et a fait l'objet d'un début de commercialisation dès le premier semestre 1998, les sociétés appelantes opposent des documents internes à leur groupe montrant qu'au mois de juin 1998 la poupée Steffi Love Baby Sitter n'était qu'un projet non encore formalisé, cette poupée n'apparaissant sous sa présentation actuelle que dans le catalogue 1999 de la société Simba ; que ces circonstances établissent manifestement l'antériorité de la création du produit Skipper Baby Sitter ;
Considérant que l'examen comparé des deux produits révèle notamment que les deux modèles ont la même taille, des cheveux blonds et lisses, portent un vêtement à rayures de couleurs vives, qu'ils portent également deux bébés dans un porte-bébé, deux autres bébés étant placés dans un couffin à maille ajourée, bordé de dentelles et avec deux anses, ces couffins étant posés sur une table à langer de couleur rose, que chaque boîte d'emballage comporte aussi des accessoires de toilette et, en médaillon, l'image en buste de la poupée ;
Considérant qu'il importe peu que les produits proposés à la vente présentent certaines différences, le bien fondé d'une action en concurrence déloyale engagée en raison de la similitude des produits s'appréciant d'après leurs ressemblances ; qu'à cet égard il apparaît avec l'évidence requise en référé que les analogies relevées entre les deux poupées créent une impression d'ensemble de nature à établir une confusion dans l'esprit de la clientèle quant à la nature et à l'origine du produit commercialisé sous l'appellation " Steffi Love Baby Sitter ", dont les éléments caractéristiques empruntent davantage aux poupées de la gamme " Skipper " qu'à celle de la série " Steffi " commercialisées au cours des années antérieures ;
Considérant qu'en offrant à la vente des marchandises susceptibles de constituer une copie servile des poupées " Skipper Baby Sitter ", qu'en commettant des actes pouvant caractériser une appropriation illégitime des fruits d'une création dont le mérite incombe aux intimées, les sociétés appelantes ont causé à celles-ci un trouble manifestement illicite qu'il incombe au juge des référés de faire cesser;
Considérant qu'à cet égard, c'est par une juste appréciation des circonstances de l'affaire et sans commettre d'excès de pouvoir que le premier juge a pu ordonner le retrait du marché des produits litigieux ; qu'une telle mesure implique au moins, sans préjudice des droits régulièrement acquis par les tiers, que les sociétés Simba Toys et Artem prennent toutes dispositions pour assurer le retour en leurs locaux des produits non encore vendus au public, l'appréciation des efforts ainsi accomplis et des difficultés rencontrées dans l'exécution de la mesure incombant au juge de la liquidation de l'astreinte ; qu'il convient cependant, pour garantir l'efficacité de l'intervention de la juridiction des référés, de compléter la mesure prononcée par l'interdiction de poursuite de commercialisation spécifiée au dispositif du présent arrêt et de désigner un huissier de justice pour contrôler son exécution ;
Considérant que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à critiquer les modalités de fixation de l'astreinte par le premier juge, celui-ci tenant des articles 489 et 491 du Nouveau code de procédure civile le pouvoir, d'une part d'ordonner l'exécution de sa décision au seul vu de la minute et sans signification préalable, d'autre part d'assurer l'efficacité de la mesure prononcée par une telle astreinte ;
Considérant, sur la demande complémentaire présentée par les sociétés intimées, que celles-ci justifient d'un intérêt légitime, en vue de la préparation d'une éventuelle procédure d'indemnisation contre les sociétés appelantes, d'obtenir des éléments d'information nécessaires à l'évaluation de leurs préjudices ;
Considérant que les sociétés appelantes, qui succombent en leur appel, doivent être condamnées aux dépens et au paiement au profit des sociétés intimées d'une indemnité pour les frais de procédure non compris dans les dépens qu'elles ont supportés ;
Par ces motifs Confirme la décision déférée, Y ajoutant : Interdit aux sociétés Simba Toys et Artem de vendre ou de mettre en vente les produits de la gamme Steffi Baby Sitter sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, Commet Maître Avalle, huissier-audiencier, pour contrôler, aux frais avancés des sociétés Mattel, l'exécution des mesures prononcées et dresser rapport de ses constatations, Fait injonction aux sociétés Simba Toys et Artem de communiquer aux sociétés Mattel, sous le contrôle de l'huissier commis, tous documents, notamment comptables, permettant d'établir la liste des points de vente en France des poupées Steffi Baby Sitter et de déterminer le chiffre d'affaires réalisé sur la vente de ces produits, Dit que cette communication devra intervenir dans les 15 jours de la signification du présent arrêt, sous astreinte passé ce délai de 1 000 F par jour de retard, Rejette les autres demandes, Condamne in solidum les sociétés Simba Toys et Artem à payer aux sociétés Mattel, ensemble, la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne les sociétés Simba Toys et Arterm aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.