CA Bordeaux, 2e ch., 10 novembre 1999, n° 98-03744
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pouey International (SA)
Défendeur :
Dun et Bradstreet France (SA), S & W (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Melle Courbin, M. Ors
Avoués :
Me Le Barazer, SCP Casteja-Clermontel
Avocats :
Mes Dacharry, Bachelet.
La société Pouey International, qui exerce une activité de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux, a assigné les Sociétés Dun et Bradstreet France et S et W en concurrence déloyale pour avoir embauché Monsieur Ricard et Mademoiselle Antunes, qui avaient été ses salariés, malgré une clause de non concurrence, dont elles ont été informées.
Par jugement du 19 juin 1998, le Tribunal de Commerce de Bordeaux a mis hors de cause la société S et W, filiale de Dun et Bradstreet, mais non liée par un contrat de travail avec Monsieur Ricard et Mademoiselle Antunes, a débouté Pouey International de ses demandes dirigées contre Dun et Bradstreet, l'a condamnée à payer à chacune des deux sociétés 5.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Pouey International SA, le 6 juillet 1998, a interjeté appel à l'égard des deux sociétés et, le 25 septembre 1998, a conclu à la réformation du jugement ; elle soutient qu'en procédant à l'embauche de Monsieur Ricard et de Mademoiselle Antunes et en les maintenant à leurs effectifs en dépit de la clause de non concurrence, dont elle avaient été informées, les deux sociétés ont commis à son égard un acte concurrentiel déloyal ;
elle demande leur condamnation in solidum à lui payer 1 F de dommages et intérêts, à titre de mesure complémentaire à supporter les frais de publication d'un extrait de la décision à intervenir dans trois journaux, un local et deux nationaux, à son choix, et à lui payer 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La S et W SA, par conclusions du 28 janvier 1999, demande la confirmation du jugement qui l'a mise hors de cause, subsidiairement, le débouté de l'appelante ;
en tout état de cause, elle sollicite 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dun et Bradstreet France SA, par conclusions du 28 janvier 1999, demande également la confirmation du jugement et 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
elle précise qu'informée tardivement par Pouby International de l'existence d'une clause de non concurrence concernait Monsieur Ricard, elle a immédiatement licencié celui-ci pour faute grave ; en ce qui concerne Mademoiselle Antunes, elle conteste le débauchage invoqué par Pouey International, et le non respect de la clause de non concurrence laquelle était limitée à la Gironde, le secteur d'activité de Mademoiselle Antunes au sein de la société Dun et Bradstreet étant le département de la Dordogne et des Charentes.
Attendu qu'aux termes d'un contrat de travail du 1er août 1980, Monsieur Ricard exerçait les fonctions de Directeur des Ventes de la SA Pouey International à Bordeaux ; que par l'article XI, Monsieur Ricard s'interdisait, en cas de cessation du contrat, pour tout le territoire national et une durée de deux ans à compter de son départ, d'entrer au service de s'intéresser directement ou indirectement, de créer une entreprise ayant une activité ou une branche d'activité faisant directement concurrence à Pouey International ;
Que Mademoiselle Antunes a signé un contrat de travail, le 19 octobre 1992, avec la société Pouey International qui l'a engagée en qualité de technicienne de recouvrement; que l'article 12 de ce contrat stipule; "après la résiliation du contrat, pour quelque cause que ce soit et à quelque époque que ce soit, et à quelque époque qu'elle intervienne, la salariée s'engage a ne pas travailler sous quelque forme que ce soit, pour une entreprise ayant une activité concurrente à une telle entreprise, ceci pendant deux années à compter de la cessation du présent contrat, dans le département de la Gironde" ;
Que le 5 juillet 1995, Monsieur Ricard et Pouey International ont signé un protocole d'accord aux termes duquel, la société notifie son licenciement à Monsieur Ricard, le contrat devant être définitivement rompu le 5 novembre 1985, Monsieur Ricard étant cependant dispensé de l'exécution du préavis de 3 mois ; que l'article 3 du protocole est ainsi libellé : "la clause de non concurrence figurant à l'article 11 du contrat de travail de Monsieur Rigard en date du 1er août 1980, demeure exécutoire de plein droit" ;
Qu'aux termes d'un contrat du 20 février 1996, Dun et Bradstreet France, dont le siège social est à Nanterre, a engagé Monsieur Ricard à dater du 29 janvier 1996 en qualité de "chef des ventes" pour la région bordelaise, son lieu d'affectation étant "Division Risk Management basé à Bordeaux" ;
Que le 22 juillet 1996, Mademoiselle Antunes a démissionné de son poste au sein de la société Pouey, a demandé à être libre de tout engagement au 31 juillet 1996, demande acceptée le 27 juillet 1996 par Pouey dans un courrier au bas duquel a été noté : "l'article 12 de votre contrat de travail fait mention de la clause de non concurrence" ;
Que par une lettre du 2 juillet 1996, Mademoiselle Antunes avait adressé à Dun et Bradstreet à l'attention de Monsieur Ricard sa candidature pour un poste de consultante "dans les départements limitrophes de la Gironde" ;
Attendu que Pouey, par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 1996, a écrit au Président de S et W SA dont il a attiré l'attention sur l'embauche de Mademoiselle Antunes, dans son agence de Pessac dirigée par Monsieur Ricard, en violation de la clause de non concurrence liant Mademoiselle Antunes, puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 novembre 1996, a mis en demeure Mademoiselle Antunes de cesser immédiatement son activité concurrente ;
Que Dun et Bradstreet, faisant référence à la lettre adressée à S et W, par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 novembre 1996, a répondu que la clause de non concurrence liant Mademoiselle Antunes ne s'appliquait pas au secteur de la vente sur lequel elle intervenait pour Dun et bradstreet ; que Mademoiselle Antunes, par courrier de son conseil, a répondu le 9 novembre 1996 qu'elle n'était pas liée par un contrat de travail avec S et W et qu'elle était consciente de son obligation de respect de la clause de non concurrence qui ne concernait que le département de la Gironde pendant une durée de 2 ans ;
Que Pouey, le 20 novembre 1996, s'est indignée auprès de D et B de la réponse faite le 15 novembre 1996, a rappelé les termes de la clause de non concurrence liant Mademoiselle Antunes, et " l'obligation morale de non concurrence " liant Monsieur Ricard ;
Que Pouey a réitéré ses remarques le 19 décembre 1996, faisant cette fois-ci référence à une "clause de non concurrence" liant Monsieur Ricard ;
Que le conseil de Dun et Bradstreet France, par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 janvier 1997, a observée que la clause de non concurrence liant Mademoiselle Antunes n'avait pas pour conséquence de lui imposer de ne plus résider en Gironde, et a indiqué que Mademoiselle Antunes exerçait ses fonctions dans les départements de la Dordogne et de la Charente Maritime, non visés par la clause ;
Que Dun et Bradstreet a demandé en outre à Pouey, au vu des courriers des 20 novembre 1996 et 19 décembre 1996 faisant état d'une "obligation morale de non concurrence", puis d'une "clause de non concurrence", de lui communiquer le contrat de travail et la transaction ;
Que Pouey a adressé ces deux documents à Dun et Bradstreet le 22 janvier 1997, et souligné dans un courrier que la clause de non concurrence interdisait à Mademoiselle Antunes de travailler sous quelque forme que ce soit "pour une entreprise ayant une activité concurrente de la sienne dans le département de la gironde", qu'en conséquence, dés lors même qu'elle n'y serait présente physiquement dans ce département qu'une ou deux fois par mois et n'y accomplirait que des tâches sans rapport avec la prospection commerciale, elle violerait la clause, et pouvait transmettre sa connaissance de la clientèle de Pouey aux collaborateurs commerciaux de Dun et Bradstreet chargés de la Gironde ;
Attendu que, le 31 janvier 1997 Dun et Bradstreet a informé Pouey, qu'au vu des termes du contrat et de la transaction, elle cessait immédiatement toutes relations professionnelles avec Monsieur Ricard, qu'elle s'est étonnée de l'évocation par Pouey, dans un premier temps, d'une simple "obligation morale" ;
Que chacune des parties a maintenu sa position quant à Mademoiselle Antunes, Dun et Bradstreet disant que la clause n'interdisait pas à celle-ci, ni de résider dans le département de la Gironde et d'y disposer d'un bureau, dés lors que son secteur d'intervention et ses clients étaient situés hors du département, ni de recevoir les clients de ses secteurs de vente, hors département 33, suite à des invitations ; que Pouey répondait que le fait pour Mademoiselle Antunes d'être rattachée à l'agence de Pessac, en Gironde, impliquait nécessairement une présence et une animation sur place ;
Que Mademoiselle Antunes a démissionné par courrier du 23 juin 1997 ;
En ce qui concerne Monsieur Ricard
Attendu qu'il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté que Monsieur Ricard a exercé une activité concurrente de celle de Pouey International au sein de la société Dun et Bradstreet, les deux sociétés exerçant la même activité de renseignements commerciaux et de recouvrement de créances ;
Attendu que Pouey ne prouve pas, ni n'invoque, le débauchage de Monsieur Ricard par Dun et Bradstreet ; qu'elle n'établit pas davantage la connaissance par Dun et Bradstreet, quand cette société a embauché Monsieur Ricard, d'une clause de non concurrence liant celui-ci ;
Que Pouey est mal fondé, au vu de ses propres courriers, à invoquer la longueur du délai mis par Dun et Bradstreet à licencier Monsieur Ricard le 10 février 1997, alors qu'elle-même, le 20 novembre 1996, invoquait une "obligation morale de non concurrence" ; que c'est seulement à la réception du contrat d'embauche et de la transaction, adressés à sa demande par Pouey le 22 janvier 1997, que Dun et Bradstreet a eu une connaissance certaine de la clause de non concurrence ; qu'elle a donc rapidement tiré les conséquences de cette clause, en convoquant Monsieur Ricard le 31 janvier 1997 à un entretien préalable pour le 6 février 1997, avec mise à pied immédiate, et en le licenciant le 10 février 1997 pour non respect de la clause de non concurrence ;
Qu'aucune faute pour non respect de la clause de non concurrence n'est caractérisée à l'encontre de Dun et Bradstreet qui a réagi rapidement ;
En ce qui concerne Mademoiselle Antunes
Attendu que Pouey invoque un plan concerté de débauchage de Mademoiselle Antunes, qui a adressé sa candidature à Dun et Bradstreet le 2 juillet 1996, soit près de 6 mois après l'embauche par cette société de Monsieur Ricard ;
Que Pouey produit le témoignage d'une des ses employées, directrice informatique, disant que Mademoiselle Antunes a fait établir de septembre 1995 à juillet 1996 des états informatiques concernant la clientèle de la société, lesquels ne sont jamais parvenus au Directeur Commercial de Pouey, qu'elle aurait donc conservés ;
Que le Directeur Commercial de Pouey atteste avoir constaté une "hémorragie inhabituelle et incompréhensible des résiliations [des] clients sur les départements 33, 17 et 24 sur l'année 1995/1996, et s'être rendu compte de ce que "beaucoup de ces clients résiliés étaient visités par un de nos concurrents la société DUN/S et W dont le siège régional est à pessac (33)", dirigée par Monsieur Ricard ; que le Directeur Commercial décrit également le comportement de Mademoiselle Antunes avant sa démission et concomitamment à celle-ci ; qu'en tout état de cause, en admettant même que Mademoiselle Antunes a préparé son départ, notamment en rassemblant le plus de renseignements susceptibles de servir à Dun et Bradstreet, aucun élément du dossier n'établit que Dun et Bradstreet est à l'origine du comportement de Mademoiselle Antunes et l'a débauchée ;
Attendu que Dun et Bradstreet avait connaissance de la clause de non concurrence liant Mademoiselle Antunes ; que cette clause était limitée géographiquement au département de la Gironde, soit hors du secteur géographique attribuée à Mademoiselle Antunes par Dun et Bradstreet ;
Que cette société qui, a son siège social à Nanterre, n'a pas d'établissement à Bordeaux, que S et W, dont le siège social est à Lyon, et qui exerce la même activité de renseignements commerciaux et recouvrement de créances, a un établissement secondaire à Pessac ; qu'il ressort d'un rapport de gestion du conseil d'administration de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 3 mai 1996 de Dun et Bradstreet que celle-ci contrôlait S et W à 99,99 % ;
Qu'il n'est pas contesté par Dun et Bradstreet que Mademoiselle Antunes, employée par elle, disposait d'un bureau dans l'établissement de S et W à Pessac ;
Qu'un employée de Pouey, Nicole Sicaire atteste avoir, le 30 octobre 1996, téléphoné à la société S et W à Pessac demandant à s'entretenir avec Mademoiselle Antunes ; qu'il lui a été répondu que Mademoiselle Antunes "était en clientèle" ; qu'il ne peut en être déduit nécessairement que Mademoiselle Antunes recevait ou rendait visite à des clients de Gironde et non de son secteur ;
Que deux employés de Pouey, Nicole short, Pascal Marchesseau attestent avoir, le 22 avril 1997, à la Cité Mondiale du Vin à Bordeaux, à l'occasion d'une manifestation "1ère rencontre régionale de la gestion du risque client", vu Mademoiselle Antunes au stand de S et W, en conversation avec deux visiteurs ; que les départements de la Gironde, des Charentes et de Dordogne appartiennent à la même région ; que ces témoignages ne démontrant pas que Mademoiselle Antunes exerçait une activité commerciale à Pessac ; que Monsieur Veillerot, directeur des ventes de Dun et Bradstreet, a certifié que Mademoiselle Antunes n'a jamais été affectée au département de la Gironde qui était confié à Monsieur Lampiere, qu'elle était chargée des départements de la Dordogne et de la Charente ;
Que les attestations produites par Pouey n'établissent pas que Mademoiselle Antunes "travaillait" à Bordeaux pour l'entreprise Dun et Bradstreet, concurrent de Pouey ; que Pouey ne peut déduire de l'expression "ne pas travailler sous quelque forme que ce soit", trop générale, l'interdiction pour Mademoiselle Antunes de disposer d'un bureau, dés lors qu'il n'est pas démontré qu'elle y exerçait une activité de démarchage ou de prospection auprès des clients du département de la Gironde ;
Que Pouey n'établit pas la preuve d'une faute imputable à Dun et Bradstreet.
Attendu que le jugement est confirmé y compris en ce qu'il a mis hors de cause S et W, qui n'a pas embauché ni Monsieur Ricard, ni Mademoiselle Antunes ;
Attendu que Pouey, qui succombe, doit supporter les entiers dépens ; qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais irrépétibles de procédure ;
Par ces motifs : LA COUR, - dit Pouey International mal fondée en son appel ; - Confirme le jugement ; y ajoutant ; - condamne Pouey International à payer sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; - 5.000 F à Dun et Bradstreet ; - 5.000Fà S et W ; - condamne Pouey International aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.