Livv
Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 2 novembre 1999, n° 9503729

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hoechst Marion Roussel (SA), Agrevo Prodetech (SA)

Défendeur :

Lavallart (és qual.), Sodep (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mechiche

Conseillers :

Mme Braud, Mlle Lafon

Avoués :

SCP Paille-Thibault, SCP Landry-Tapon, SCP Musereau-Drouineau Rosaz-Musereau

Avocats :

Mes Desmazières de Séchelles, Bloch-Moreau, Teboul, Ravina-Thulliez.

TGI Saintes, du 11 juill. 1995

11 juillet 1995

Faits, procédure et prétentions des parties

La société anonyme Roussel Uclaf aux droits de laquelle se trouve actuellement la société anonyme Hoechst Marion Roussel qui l'a absorbée est propriétaire d'une marque française de produits antiparasitaires " Decis " couvrant la totalité des produits des classes 1 à 5,

Cette marque a fait l'objet d'un dépôt auprès de l'institut National de la propriété industrielle au profit de la société Roussel Uclaf sous le numéro 114705 et a été enregistrée sous le numéro 819608 puis a fait l'objet de renouvellement de dépôts le 7 mai 1991 enregistré sous le n° 1169424 et le 8 mars 1991 enregistré sous le n° 1646032,

La société Roussel Uclaf a accordé à la société Procida, actuellement dénommée Agrevo Prodetech, une licence d'exploitation de la marque qui a fait l'objet d'une publication à l'INPI le 27 mars 1991,

Parallèlement, la société Roussel Uclaf a signé un contrat de licence exclusive relatif à la marque Decis au profit de la société brésilienne Quimio en date du 10 mai 1982 comportant en outre un avenant en date du 6 mai 1983 prévoyant en son article 8 " le présent contrat ne comporte aucune restriction quant à la fabrication, la commercialisation et l'exportation des produits couverts par la marque accordée en licence ",

La marque Decis a fait l'objet d'un enregistrement auprès de l'institut National de la propriété industrielle brésilien,

Arguant du fait que la société Phytheron International aurait importé sans son consentement un insecticide de marque Decis, produit par la société brésilienne Quimio, provenant directement du Brésil, puis dans un second temps après un transit par la Belgique, après avoir fait procéder à deux saisies contrefaçons les 18 et 19 décembre 1990, puis le 28 novembre 1991, dans les locaux de la société anonyme Sodep, vendeur de produits, la société Roussel Uclaf, propriétaire de la marque Decis et la société Procida, concessionnaire de la licence de cette marque et titulaire d'une licence exclusive du brevet, ont assigné la société Phytheron International importateur de produit et la société Sodep en contrefaçon ou usage illicite de marque et concurrence déloyale après avoir assigné dans un premier temps Monsieur Lavallart, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Phytheron Holding,

Par jugement en date du 11 juillet 1995, le tribunal de grande instance de Saintes, a

- déclaré irrecevable l'exception de nullité des procès verbaux de saisies contrefaçon des 18 et 19 décembre 1990 formée par la société Phytheron International,

- rejeté l'exception de nullité du rapport d'expertise judiciaire formée par la société Phytheron International,

- rejeté les demandes de la société Roussel Uclaf relatives à l'existence d'actes constitutifs de contrefaçon de marque,

- déclaré recevable l'action en concurrence déloyale engagée par la société Procida,

- dit que les agissements de la société Phytheron International et de la société Sodep constituent des faits de concurrence déloyale à l'égard de la société Procida,

- condamné in solidum la société Phytheron International et la société Sodep à payer à la société Procida la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts,

- rejeté le surplus des demandes de la société Procida,

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

- mis hors de cause la liquidation judiciaire de la société Phytheron et Maître Lavallart en sa qualité de mandataire liquidateur de cette société,

La société Roussel Uclaf et la société Agrevo Prodetech anciennement dénommée Procida ont relevé appel de ce jugement,

A l'appui de cet appel, la société anonyme Hoechst Marion Roussel aux droits de la société Roussel Uclaf et la société Agrevo Prodetech demandent à la Cour, aux termes de leurs dernières écritures récapitulatives signifiées le 25 mai 1999 auxquelles il convient de se référer expressément de

- déclarer la société Phytheron International irrecevable en son exception de nullité du procès verbal de saisie,

- déclarer la société Phytheron International irrecevable en son exception de nullité du rapport d'expertise de Monsieur Brusset,

Subsidiairement,

- l'y déclarer mal fondée,

- déclarer recevables et bien fondées les sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech en toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- constater que sont concernés par le présent litige d'une part, des produits " Decis " importés directement du Brésil en France par Phytheron International, d'autre part, des produits " Decis " importés du Brésil via la Belgique, à l'exclusion de tous autres,

- constater qu'il résulte du rapport définitif d'expertise de Monsieur Brusset, expert, que le produit " Decis " d'origine brésilienne et de composition chimique différente du produit " Decis " pour lequel la société Procida est titulaire d'une homologation qui lui a été accordée sous le numéro 77 002 04,

- homologuer le rapport d'expertise de Monsieur Brusset, expert, en toutes ses dispositions,

- dire et juger

1. que l'arrêt à intervenir sera opposable à la société Phytheron en liquidation ainsi qu'à son liquidateur Maître Lavallart, ès qualités,

2. qu'en important en France et sans l'autorisation de la société Roussel Uclaf les produits brésiliens considérés comme portant la marque Decis, les sociétés Phytheron International et Sodep ont commis des actes de contrefaçon de la marque française Decis numéro 164 90 32 dont la société Hoechst Marion Roussel est titulaire,

3. que les sociétés Phytheron International et Sodep se sont rendues coupables de concurrence déloyale et de pratiques contraires aux règles du commerce,

4. fixer la créance de la société Hoechst Marion Roussel à l'encontre de la société Phytheron International à la somme de 1.000.000 de francs, sauf à parfaire, en réparation du préjudice par elle subi du fait des agissements de contrefaçon de marque, imitation frauduleuse et illicite, apposition et usage de marque contrefaite, contrefaçon et tromperie en matière d'étiquetage dont les défenderesses se sont rendues coupables,

5. fixer la créance de la société Agrevo Prodetech à l'encontre de la société Phytheron International à la somme de 2.000.000 de francs sauf à parfaire en réparation du préjudice par elle subi du fait des agissements de concurrence déloyale et des pratiques contraires aux règles du commerce dont les défenderesses se sont rendues coupables,

6. dire et juger que la société Sodep sera tenue in solidum au paiement des sommes susvisées à savoir 1.000.000 de francs à la société Hoechst Marion Roussel et 2.000.000 de francs à la société Agrevo Protetech,

- ordonner la confiscation de tous les documents et produits contrefaisant pour être remis aux demanderesses aux fins de destruction en présence de tel huissier qu'il plaira à la Cour de désigner,

7. interdire sous astreinte de 3000 francs par infraction constatée la poursuite desdits agissements à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

8. subsidiairement, surseoir à statuer et déférer à la Cour de justice des communautés Européennes la question préjudicielle suivante :

les articles 28 à 30 nouveaux du Traité de Rome (ensemble les articles 5 chiffre 3 lettre C et 7 chiffre 1 de la Première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations sur les marques) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'une licence pour le Brésil d'une marque brésilienne (à l'exclusion de tout autre territoire et de toute autre marque) constitue de la part du titulaire de cette marque un consentement à la mise dans le commerce dans la Communauté et sous cette marque des produits fabriqués au Brésil en exécution de cette licence, étant précisé

- que ce contrat de licence stipule dans un de ses articles qu'il " ne comporte aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits ouverts par la marque accordée en licence "

- que cet article, qui n'avait pas été stipulé à l'origine sous cette forme par les parties, l'a été dans un avenant à la licence, à la demande expresse de l'institut National de la Propriété industrielle brésilien, Direction des contrats de transfert de technologie et contrats connexes, aux fins d'enregistrement obligatoire (sous peine d'invalidité) de ce contrat de licence auprès de ses services

- que le titulaire de cette marque brésilienne est aussi titulaire dans les Etats membres de l'Union Européenne (Communauté Européenne) des droits de marques qui protègent le même signe que ladite marque brésilienne (marques parallèles)"

et dire qu'une expédition de l'arrêt à intervenir sera transmise, à la diligence de Monsieur le Greffier en Chef, au greffe de la Cour de Justice des Communautés Européennes, L 2925 Luxembourg, Grand Duché de Luxembourg,

9. ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix des sociétés Hoechst Marion Roussel et Agrevo Prodetech, aux frais in solidum des sociétés Phytheron International et Sodep et ce, au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires, sans que la valeur globale puisse être supérieure à 50.000 francs,

- condamner in solidum Maître Lavallart ès qualités et la société Sodep à payer aux sociétés Roussel Uclaf et Agrevo Prodetech, la somme de 60.000 francs en faisant application devant la Cour de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- condamner in solidum Maître Lavallart ès qualités et la société Sodep aux entiers dépens d'appel,

Maître Hubert Lavallart ès qualités de liquidateur de la société Phytheron Holding et de commissaire à l'exécution du plan de cession ayant clôturé la procédure de redressement judiciaire de la société Phytheron est intervenu aux termes de conclusions signifiées le 23 septembre 1998 reprenant des conclusions signifiées le 25 octobre 1996 auxquelles la Cour se réfère expressément et sollicite

- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation dirigée à son encontre, ès qualités, du chef de contrefaçon,

- la réformation du jugement au titre de la condamnation prononcée à son encontre sur le fondement d'actes de concurrence déloyale,

- le rejet de la demande de condamnation de ce chef,

- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a refusé d'ordonner la publication du dispositif du jugement sollicitée par les appelantes,

- la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Phytheron International au paiement de la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la liquidation judiciaire Phytheron Holding et Maître Lavallart ès qualités,

- l'allocation d'une somme de 5.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

La Société Sodep indique

- qu'il est établi qu'elle s'est bornée à acquérir auprès de la société Phytheron International l'insecticide "Decis" et à la revendre auprès de sa clientèle dans des quantités peu importantes,

- qu'elle a cessé leur commercialisation en fin d'année 1991,

- qu'il est faux de prétendre qu'un simple examen du conditionnement des produits, des étiquettes et des documents d'origine, ainsi que de leur prix d'achat permettait de percevoir le caractère illicite de ceux-ci,

- que d'ailleurs les tribunaux ne sont pas unanimes sur cette question,

- qu'en tout état de cause, les demandes d'indemnisations dirigées à son encontre sont parfaitement démesurées compte tenu de la faible quantité de marchandises qu'elle a écoulée,

Elle sollicite

- la confirmation du jugement entrepris,

- l'allocation d'une somme de 20.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre 15.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 17 juin 1999 ;

Motifs :

Attendu préalablement qu'il convient pour la Cour de prendre en compte les évolutions qui se sont produites en cours de procédure ; qu'il y a lieu notamment de constater que du fait de l'absorption intervenue à l'égard de la Société Roussel Uclaf celle-ci est désormais suppléée par la société Hoechst Marion Roussel qui se trouve à ses droits ;

Attendu par ailleurs que la société anonyme Phytheron International a été admise au bénéfice du redressement judiciaire simplifié ; que Maître Lavallart a été nommé représentant des créanciers; qu'il convient de lui donner acte de son intervention dans le cadre de la présente instance ;

Attendu que la société Hoechst Marion Roussel et la société Agrevo Prodetech justifiant avoir déclaré leurs créances dans le cadre de la procédure collective relative à la société Phytheron International, il y a lieu de considérer que la procédure a été valablement reprise à son encontre ;

I. Sur l'origine des produits concernés par la présente instance

Attendu qu'il n'est pas contesté que les produits insecticides visés par le premier procès-verbal de saisie contrefaçon des 18 et 19 décembre 1990 proviennent d'un lot de 22080 litres de produit de marque Decis acquis par la société Phytheron International auprès de la société Sunny Coast, exportateur l'ayant acquis auprès de la société Quimio suivant trois factures en date du 12 octobre 1990 ;

Attendu par ailleurs que le raisonnement du Tribunal l'ayant conduit à considérer qu'il n'existait ni d'importations par Phytheron International, ni de revente par celle-ci à Sodep, portant sur des produits brésiliens Decis importés en Belgique par la société Phytochem et revendus à Phytheron International, ne saurait être sérieusement remis en cause dès lors qu'il résulte d'une analyse approfondie des documents produits aux débats qui lui a permis de remonter la chaîne du circuit commercial des produits concernés par le second procès-verbal de saisie contrefaçon du 28 novembre 1991 et d'affirmer qu'ils provenaient d'une fabrication réalisée par Procida Roussel Uclaf (facture Sidaco Neederland BV du 3 octobre 1991 - bons de transport pièces 34 et 35) ; que les énonciations contraires des parties même si elles émanent de Phytheron International elle- même ne sauraient remettre en cause ledit raisonnement dès lors qu'elles ne reposent sur aucun élément de preuve pertinent ;

Attendu que par voie de conséquence, c'est également à bon droit que le Tribunal, dès lors qu'il a constaté qu'il n'avait à apprécier aucune opération d'importation d'un produit brésilien ayant transité par la Belgique, a considéré que les nombreux développements contenus dans les écritures des parties relatives aux conséquences de l'application des règles de la Communauté Economique Européenne au regard de l'application du droit des marques étaient inopérants ;

Attendu que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a estimé que la présente procédure ne concernait que du produit brésilien de marque Decis importé en 1990 du Brésil par Phytheron International et revendu par Sodep tout au long de l'année 1991 ;

II. Sur l'existence d'une contrefaçon de marque

Attendu que certes le principe de la territorialité des marques énoncé par l'article 6-3 de la Convention de l'Union de Paris du 20 mars 1883 et le caractère protecteur de la propriété d'une marque française régulièrement déposée autorisent celui qui en est investi à agir contre tous ceux qui y portent atteinte sous quelque forme que ce soit ;

Attendu néanmoins qu'en l'espèce il y a lieu de relever qu'il est établi que l'insecticide litigieux importé du Brésil a été fabriqué en application d'un contrat de licence exclusive portant sur la marque Decis concédé par la société Roussel Uclaf elle-même au profit de la société de droit brésilien Quimio ; qu'il convient de souligner qu'après la signature du contrat initial intervenue le 10 mai 1982 qui prévoyait en son article 8142 que la convention ne comportait " aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence sous réserve des droits acquis par des concessionnaires exclusifs du concédant dans d'autres pays ", la société Roussel Uclaf a accepté au profit de la société Quimio un avenant en date du 6 mai 1983 qui comportait une nouvelle rédaction de l'article 8 mentionnant " le présent contrat ne comporte aucune restriction quant à la fabrication, commercialisation et exportation des produits couverts par la marque accordée en licence " ;

Attendu que la signature de cet avenant est certes intervenue pour assurer la mise en conformité du contrat de licence avec la loi brésilienne afin de permettre son enregistrement par l'INPI brésilien qui s'y refusait ; que néanmoins, la société Hoechst Marion Roussel aux droits de la société Roussel Uclaf ne saurait sérieusement prétendre qu'elle a agi dans ce cadre sous l'effet d'une contrainte ayant vicié son consentement dès lors que les exigences de I'INPI brésilien ont été formulées avant l'enregistrement du contrat de licence et qu'elle s'est accordée un délai de réflexion de près d'une année qui lui a permis après les études approfondies qu'elle n'a pas manqué d'entreprendre compte tenu de sa dimension d'entreprise internationale, d'asseoir sa décision s'inscrivant à l'évidence dans une politique commerciale à vocation mondialiste de transferts de technologie bénéficiant de moindres coûts de fabrication mais dont la contrepartie réside dans la volonté de développement des échanges commerciaux émanant des pays émergents qui accueillent lesdits transferts ;

Attendu que dès lors il y a lieu de considérer qu'en acceptant la commercialisation et l'exportation du Decis brésilien, dans tous pays y compris la France, la société Roussel Uclaf a implicitement mais nécessairement renoncé aux termes du contrat de licence concédé à la société Quimio, à bénéficier des principes d'indépendance et de territorialité des marques et à s'opposer à la commercialisation sur le territoire français du produit brésilien ;

Attendu en conséquence que c'est à bon droit que le Tribunal a jugé que l'importation de Decis brésilien en France ne pouvait à elle seule être constitutive de faits de contrefaçon de marque et d'usage illicite de marque contrefaite imputables à Phytheron International et Sodep ;

III. Sur l'existence d'une concurrence déloyale et son imputabilité

Attendu que la société Agrevo Prodetech anciennement dénommée Procida articule à l'appui de son action en concurrence déloyale trois griefs qu'il convient d'examiner successivement ;

- Sur l'usage illicite du numéro d'homologation du Decis français :

Attendu qu'il est établi que les produits de marque Decis d'origine brésilienne, saisis dans les locaux de la société Sodef mentionnaient sur leur étiquette le numéro d'homologation du Decis français Procida,

Attendu cependant que les investigations de Monsieur le Professeur Brusset désigné par une ordonnance du juge de la mise en état de Saintes font apparaître que le produit Decis d'origine brésilienne comporte des différences de composition notoires par rapport au produit Decis homologué en France; que ces dernières résident dans une présence nettement moins importante d'hydrocarbures aromatiques (réduction de 320 grammes dans le produit Decis brésilien), la présence dans le produit brésilien de 270 grammes par litre d'huile de coton qui n'existe pas dans le produit français et enfin l'absence dans le Decis brésilien d'un des constituants majeurs du système émulgateur du Decis Procida ;

Attendu que l'expert indique que du fait de ces différences de composition, les propriétés du Decis brésilien sont différentes de celles du Decis français spécialement, au regard de leur action sur la matière vivante, puisque sous l'effet de la vaporisation qui affecte le produit en présence de l'atmosphère, celui-ci évolue vers un résidu plus de quatre fois plus abondant en ce qui concerne le Decis brésilien par rapport au Decis français ;

Attendu que les différences de propriété du produit brésilien, dès lors qu'elles résultent de modifications dans la composition physique, chimique ou biologique par rapport au produit français déjà homologué doivent nécessairement faire l'objet d'une nouvelle demande d'homologation conformément aux dispositions de l'article 8 de la loi du 2 novembre 1943 ;

Attendu que par voie de conséquence, c'est à bon droit que le Tribunal a estimé qu'en important le produit brésilien sous couvert du numéro d'homologation exclusivement accordé au Decis français, la société Phytheron International avait commis un acte de concurrence déloyale ;

- Sur l'existence d'une copie servile de l'étiquette :

Attendu que les caractéristiques permettant d'établir l'existence de la copie servile d'une étiquette s'apprécient par rapport aux ressemblances qui peuvent être constatées et non par rapport à leurs différences ;

Attendu que dès lors la Cour ne peut que faire sienne l'appréciation du Tribunal qui a considéré que " la comparaison entre l'étiquette Procida et le surétiquettage en français apposé par Phytheron International sur les bidons de Decis formulés par Quimio, fait apparaître que Phytheron s'est contenté de procéder à la copie pure et simple d'une partie de texte de Procida en se bornant à modifier l'ordre de quelques membres de phrases ou en supprimant des paragraphes entiers " qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que compte tenu de sa nature le surétiquettage réalisé ne résultait nullement d'un travail de traduction de l'étiquette rédigée en langue portugaise, ni d'une volonté de satisfaire aux prescriptions de textes réglementaires du code de la santé publique au regard des mentions obligatoires devant être apposées sur des produits de cette nature, mais traduisait en revanche la volonté de composer une étiquette au moindre coût en tirant indûment profit de travail réalisé à ce titre par son concurrent, comportement constitutif d'un acte de concurrence déloyale ;

- Sur le prix de vente :

Attendu qu'il est constant que la fixation du prix de vente du Decis brésilien à un niveau nettement inférieur à celui du Decis français ne peut être assimilée à un acte de concurrence déloyale en tant que telle ;

Attendu qu'en revanche, il convient de relever ainsi que l'a fait le Tribunal, " qu'en évitant le coût et les délais d'une procédure d'homologation et en s'affranchissant du coût de la conception et de la réalisation de l'étiquette Phytheron International a bénéficié d'un produit à moindre coût qu'elle a pu rapidement commercialiser sur le marché français afin de détourner, au moyen d'un prix moins élevé, la clientèle potentielle de Procida " ;qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que les circonstances ayant permis l'élaboration d'un prix réduit du produit Decis brésilien constituaient également des actes de concurrence déloyale imputables à la société Phytheron International ;

- Sur l'imputabilité des actes de concurrence déloyale

Attendu que s'il est indéniable que les actes de concurrence déloyale ci-dessus caractérisés sont imputables à la société Phytheron International importatrice de Decis brésilien, il n'en demeure pas moins que la société Sodep qui l'a revendu sur le territoire français en sa qualité de professionnelle de la vente de produits phytosanitaires a commis une faute constitutive de concurrence déloyale en poursuivant la commercialisation de l'insecticide litigieux pendant toute l'année 1991 alors même que par l'effet de la délivrance à son égard de l'acte d'assignation introductif de la présente instance intervenue le 30 décembre 1990 elle ne pouvait ignorer les griefs formulés à son encontre ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société Sodep s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Agrevo Prodetech, et devait être tenue à réparation ;

Attendu également que le jugement entrepris ne saurait être critiqué en ce qu'il a décidé la mise hors de cause de Monsieur Lavallart, ès qualités de liquidateur de la société Phytheron Holding, dès lors qu'il n'est justifié d'aucun élément permettant de considérer qu'elle ait participé à la commission des actes de concurrence déloyale précités ;

IV. Sur l'indemnisation du préjudice :

Attendu que le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale ci-dessus retenus n'est pas sérieusement contestable ;que toutefois sa réparation doit être appréciée dans la limite des volumes de produits concernés par les actes de concurrence déloyale ;

Attendu que c'est à bon escient que le Tribunal a considéré que ces actes de concurrence déloyale ne concernaient au vu des pièces justificatives produites (procès-verbaux de saisie contrefaçons et factures) que la commercialisation en date du 27 mars 1991 d'une partie du Decis d'origine brésilienne facturée à Sodep, le 9 novembre 1990 à concurrence de 2500 litres ;

Attendu par ailleurs qu'il y a lieu de souligner que les actes de concurrence déloyale précités s'inscrivent dans un secteur d'activité très fortement concurrentiel au fort potentiel de créativité qui entraîne la création de nouveaux produits concurrençant eux-mêmes ceux élaborés antérieurement tels le Decis ;

Attendu dès lors que la société Agrevo Prodectech ne saurait être suivie dans le calcul du préjudice qu'elle présente à la Cour dès lors qu'il intègre des pertes de marchés qui ne peuvent résulter des seuls actes de concurrence déloyale commis par ses adversaires ;

Attendu qu'il convient donc, compte tenu des éléments précités de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité l'indemnisation due à la société Agrevo Prodetech à la somme de 50.000,00 francs ;

Attendu également que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que dès lors qu'aucune pièce ne venait établir que les intimées auraient poursuivi leurs actes de concurrence déloyale postérieurement à la seconde saisie contrefaçon intervenue le 28 novembre 1991, il n'y avait pas lieu de leur interdire sous astreinte la poursuite de tels agissements ;

Attendu en revanche que la nature du litige impose qu'à titre de dommages et intérêts complémentaires, il soit ordonné la publication au dispositif du présent arrêt dans cinq journaux au choix de la société Agrevo Prodetech sans que le coût maximal de cette publication puisse excéder la somme globale de 50.000,00 francs aux frais avancés de la procédure collective de la société Phytheron International et de la société Sodep ; que le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef ;

Attendu que l'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties en cause d'appel une quelconque indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Attendu enfin que l'appel principal n'étant accueilli que dans une faible limite, et compte tenu de la nature de l'instance, il convient de décider que les dépens d'appel seront assumés dans la proportion des 3/4 par la société Hoechst Marion Roussel et la société Agrevo Prodetech d'une part et d'1/4 par la société Phytheron International prise en la personne de Monsieur Lavallart commissaire à l'exécution du plan de cession ayant clôturé la procédure de redressement judiciaire dont elle a fait l'objet et la société Sodep.

Par ces motifs, la Cour, constate que du fait de l'absorption de la société Roussel Uclaf à laquelle elle a procédé, la société anonyme Hoechst Marion Roussel se trouve aux droits de cette dernière et intervient volontairement dans la présente procédure, donne acte à Monsieur Hubert Lavallart de son intervention ès- qualités de commissaire à l'exécution du plan de cession ayant clôturé la procédure de redressement judiciaire de la société Phytheron International, réforme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de publication de la décision judiciaire à intervenir à titre de dommages et intérêts complémentaires, y substituant, ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans cinq journaux au choix de la société Agrevo Prodetech sans que le coût maximal de cette publication puisse excéder la somme globale de 50.000,00 francs aux frais avancés in solidum de la procédure collective de la société Phytheron International et de la société Sodep, confirme pour le surplus le jugement entrepris, y ajoutant, rejette toutes demandes plus amples ou contraires, dit que les dépens d'appel seront assumés dans la proportion des 3/4 in solidum par la société Hoechst Marion Roussel et la société Agrevo Prodetech et dans la proportion de 1/4 par la société Sodep et Maître Hubert Lavallart ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession ayant clôturé la procédure de redressement judiciaire dont a fait l'objet la société Phytheron International et autorise les avoués de la cause à recouvrer ceux dont ils ont fait l'avance conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.