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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 13 octobre 1999, n° 97-10393

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Emmanuel Jayet Organisation (SA)

Défendeur :

DEF International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Cossec, Me Huyghe

Avocats :

Mes Zerbib, Boccara

T. com. Paris, du 12 déc. 1995

12 décembre 1995

Par contrat à durée indéterminée du 1er janvier 1990, la DEF International ci-après DEF, a engagé Emmanuel Jayet en qualité de responsable de l'activité " communion visuelle événementielle " pour un salaire mensuel brut de 18 000 F sur 12 mois. Le 19 juillet 1993, Emmanuel Jayet a démissionné de ses fonctions. Le 5 août 1993, la société Emmanuel Jayet Organisation, ci-après EJO a été immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Nanterre. Reprochant à la société EJO d'avoir commis des actes de concurrence déloyale se traduisant par le débauchage massif du département communication et par une véritable désorganisation de l'entreprise, la société DEF l'a, par acte du 21 février 1995, assigné devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 19 mars 1997, a :

- débouté la société DEF de sa demande d'indemnisation en réparation du prétendu préjudice subi en matière de concurrence déloyale,

- condamné la société EJO à payer à la société DEF la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par le débauchage massif de personnel,

- rejeté la demande de publication,

- débouté la société EJO de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société EJO à payer à la société DEF la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La société EJO a relevé appel de cette décision. Poursuivant son infirmation, elle soutient que le Tribunal a excédé sa saisine en estimant que la concurrence déloyale n'était pas constituée et en entrant en voie de condamnation du chef de débauchage et qu'il a omis de rechercher l'existence d'agissements déloyaux de nature à caractériser la faute.

Elle conclut au rejet des demandes formées par la société DEF et demande de la condamner à lui payer la somme de 1 million de francs à titre de dommages et intérêts et celle de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La société DEF conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a constaté que la société EJO s'était rendue coupable de débauchage massif de personnel et à son infirmation pour le surplus.

Elle fait valoir que la société EJO a, en outre, détourné une grande partie de sa clientèle et a profité de manière abusive de ses connaissances et de son savoir-faire en matière de communication.

Elle demande de condamner la société EJO à lui payer la somme de 8 700 000 F en réparation de son préjudice, celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et de débouter celle-ci de l'ensemble de ses prétentions.

Sur quoi, la COUR,

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'appelante, le Tribunal de commerce n'a pas excédé sa saisine ; qu'en effet, dans ses écritures, la société DEF reprochait à la société EJO plusieurs agissements fautifs constitutifs de concurrence déloyale parmi lesquels le débauchage de personnel ; que c'est donc par suite d'une simple erreur matérielle que le Tribunal a, dans le dispositif de son jugement, débouté la société DEF du chef de concurrence déloyale alors qu'il l'indemnisait au titre des faits de débauchage ; que c'est donc par suite d'une simple erreur matérielle que le Tribunal a, dans le dispositif de son jugement, débouté la société DEF du chef de concurrence déloyale alors qu'il l'indemnisait au titre des faits de débauchage de personnel ;

- Sur la concurrence déloyale

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société DEF qui a pour activité essentielle le conseil et la formation permanente, l'évaluation, le diagnostic et la stratégie d'entreprises, a souhaité se diversifier en créant un département de conseil en communication, qu'elle a, pour se faire, engagé Emmanuel Jayet le 1er janvier 1990 en qualité de " responsable communication visuelle événementielle " ; que la société EJO dont Emmanuel Jayet est le gérant, a été immatriculée le 5 août 1993, le début d'exploitation remontant selon l'extrait Kbis produit aux débats au 21 juillet 1993 et a pour objet le conseil en communication, la réalisation d'études de marché, la publicité, l'organisation d'événements et toutes opérations de publicité ou de relations publiques ;

Que les deux sociétés se trouvent donc, dans l'activité de conseil en communication, en situation de concurrence ;

Considérant que la société DEF reproche, en premier lieu, à la société EJO d'avoir débauché 4 personnes sur les 6 composants le personnel du département conseil en communication ;

Considérant qu'il résulte du livre d'entrée et sortie du personnel de la société EJO, consulté par Maître Bego, huissier de justice, le 28 juin 1994, qu'y sont inscrits Nathalie Nyault, en qualité de consultante avec une date d'entrée du 1er septembre 1993, Emmanuel Jayet, en qualité de gérant, avec une date d'entrée du 1er septembre 1993 et Olivia Miray, en qualité de chargée de dossier, avec une date d'entrée du 18 octobre 1993 ; que ces salariés ont démissionné de la société DEF respectivement les 1er juillet 1993, 19 juillet 1993 et 19 août 1993 ;

Que ces trois personnes possédaient une réelle qualification professionnelle dans le domaine de la communication, Olivia Miray étant employée en qualité d'assistance chargée de dossiers et non comme secrétaire, contrairement à ce que soutient la société EJO ;

Considérant que le départ, dans un délai d'un mois et demi, de ces trois salariés qualifiés, d'un département composé de 6 personnes, a indéniablement provoqué la désorganisation de la société DEF ; que si ces salariés n'étaient liés à la société DEF par aucune clause de non-concurrence, la concomitance de ces départs avec la création de la société EJO suffit à caractériser le débauchage ;

Considérant, en outre, que l'huissier instrumentaire a constaté la présence dans les locaux de la société EJO de Frédéric Sochard, graphiste, que ce dernier travaillait de manière régulière en qualité de graphiste free-lance pour la société DEF ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef ;

Considérant que la société DEF fait grief, en second lieu, à la société EJO d'avoir détourné une grande partie de sa clientèle, et notamment cinq clients importants comme Hachette, Matra, Gan, Eridania, Beghin Say et Axa ;

Considérant qu'il résulte du constat d'huissier du 28 juin 1994 que les sociétés Hachette, Gan, Matra font partie de la clientèle de la société EJO ;

Que celle-ci ne produit aucun document démontrant que ces clients étaient, comme elle le prétend " attachés à la personne et au savoir-faire de Emmanuel Jayet; que le seul curriculum-vitae d'Emmanuel Jayet faisant apparaître une collaboration antérieure avec le Groupe Hachette est insuffisant à rapporter la preuve de l'existence d'une clientèle personnelle

Qu'en traitant des affaires avec les clients de la société DEF, immédiatement après sa constitution, la société EJO a commis des actes de concurrence déloyale dont elle doit réparation;

Considérant que la société DEF reproche, enfin, à la société EJO d'avoir profité de manière abusive de ses connaissances et de son savoir-faire dans le domaine de la communication ;

Mais considérant qu'elle n'expose ni la spécificité, ni la teneur des méthodes de travail sur lesquelles elle revendique des droits privatifs; qu'en outre, elle n'établit pas leur emprunt par la société EJO étant relevé que le gérant de cette société avait acquis antérieurement à son emploi au sein de la société DEF une expérience en matière de communication et plus particulièrement d'organisations d'événements;

Qu'elle sera donc déboutée de sa demande de ce titre ;

- Sur le préjudice de la société DEF

Considérant que la société DEF relève que depuis la constitution de la société EJO le département communication a été vidé de sa substance et que son préjudice doit, selon les usages en ce domaine, être estimé à une année de chiffre d'affaires, soit 8 000 000 F ; qu'elle fait valoir que la formation d'un personnel de remplacement justifie l'allocation d'une indemnité complémentaire de 700 000 F ;

Que la société EJO réplique que la diminution du chiffre d'affaires de la société DEF est antérieure au départ d'Emmanuel Jayet ;

Considérant que si la société DEF est mal fondée à réclamer une indemnisation représentant le chiffre d'affaires généré par l'ensemble de son activité de communication, la désorganisation du service " communication visuelle événementielle " par le départ simultané de trois salariés et la perte de clients importants lui ont causé un préjudice financier qui, au vu des documents comptables produits aux débats, sera intégralement réparé par l'allocation de la somme globale de 800 000 F ;

- Sur la demande de la société EJO

Considérant que la société EJO soutient que l'action engagée par la société DEF était destinée à déstabiliser l'entreprise, en provoquant le départ d'un de ses salariés et que sur la base d'informations recueillies au cours des opérations de constat, la société DEF a démarché l'un de ses clients, la société Gan, en lui proposant des prix inférieurs ;

Mais considérant que l'action de la société DEF qui a été déclarée partiellement fondée ne saurait revêtir en elle-même un caractère abusif ; qu'en outre, la société EJO ne rapporte pas la preuve que les propositions de prix faites au Gan présentent un caractère illicite, dès lors que cette société faisait partie des clients de la société DEF ;

Qu'il convient donc de rejeter la demande de la société EJO ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile doivent bénéficier à la société DEF ; qu'il lui sera accordé à ce titre la somme de 40 000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la société EJO avait commis des actes de débauchage de personnel, en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société EJO en ce qu'il a alloué à la société DEF la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit que la société EJO a commis des actes de concurrence déloyale caractérisés par un détournement de clientèle, Condamne la société EJO à payer à la société DEF la somme globale de huit cents mille francs (800 000 F) à titre de dommages et intérêts et une indemnité complémentaire de quarante mille francs (40 0000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société EJO aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.