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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 29 septembre 1999, n° 1997-05506

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'Etudes et de Réalisations Métalliques Serem (SA)

Défendeur :

Altrad Equipement Mefran (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP d'Auriac Guizard, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Schermann, Anahory.

T. com. Paris, 15e ch., du 13 déc. 1996

13 décembre 1996

Faits et procédure

La société d'Etudes et Réalisations Métalliques, ci-après la société Serem, fabrique et commercialise du mobilier à structure tubulaire destiné aux collectivités, et notamment des tables démontables pourvues sur les côtés de leurs pieds d'un dispositif permettant leur raccordement, tandis que la société Altrad Equipement Mefran ci-après dénommée la société Mefran met en œuvre une gamme de produits à base de tubes démontables et notamment des échafaudages, des podiums, des stands...

Estimant que la société Mefran exposait au salon Expo Mairie à Paris un modèle de table identique au sien, la société Serem a fait constater par huissier le 14 novembre 1995 que les tables destinées à la vente qui s'y trouvaient étaient composées de piètement constitué de deux tubes métalliques de couleur grise façonnée en forme de U renversé, qu'à la verticale, de part et d'autre de chaque pied, deux "noeuds" c'est-à- dire deux tubes sectionnés sont fixés en hauteur, que dans chacun de ces noeuds, des entretoises métalliques sont emboîtées permettant de supporter un plateau rectangulaire constituant ainsi une table, qu'une deuxième table est juxtaposée à la première par le jeu du même emboîtage d'une entretoise dans les pieds de la table précédente et d'un plateau supporté par celle-ci et un pied à la suite.

A la suite de ce constat, la société Serem a assigné le 9 janvier 1996 la société Mefran devant le tribunal de commerce de Paris en lui reprochant des actes de concurrence déloyale fondés sur la fabrication et la commercialisation de modèles de tables entraînant des risques de confusion avec le produit qu'elle même fabrique et vend.

Elle sollicitait, outre les habituelles mesures sous astreinte d'interdiction, de retrait et de destruction des publicités afférent aux modèles litigieux, notamment la désignation d'un expert avec mission d'évaluer le préjudice qu'elle subit du fait de la société Mefran qui devra être condamnée à lui payer la somme de 25.000 francs pour ses frais hors dépens.

La société défenderesse concluait au rejet de l'ensemble des demandes formées par la société demanderesse laquelle devra être condamnée à lui verser la somme de 25.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 13 décembre 1996, le tribunal saisi a débouté la société Serem de l'ensemble de ses demandes et dit n'y avoir lieu à application au profit de l'une ou de l'autre des parties des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Serem a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 28 février 1997.

Elle reprend en cause d'appel l'ensemble de ses demandes contenues dans son acte introductif de première instance.

En réponse, la société Mefran a sollicité la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et la condamnation de la société Serem à lui payer, outre la somme de 20.000 francs HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme d'un même montant à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, la décision à venir devant être publiée dans deux journaux professionnels de BTP de son choix aux frais de la société appelante.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que la société Serem indique que si le brevet qu'elle a déposé le 5 avril 1971 pour les tables démontables et modulaires, objet du litige, est arrivé à échéance et que par conséquent le concept original des tables peut être repris par ses concurrents à l'expresse condition qu'ils utilisent des formes ou des techniques de réalisation différentes des siennes afin d'éviter tout risque de confusion, la société Mefran a au contraire adopté pour ses tables, à l'exception du diamètre de l'entretoise inférieure de 5mm, une forme de réalisation absolument identique à la sienne dans le but de les commercialiser auprès d'une même clientèle constituée de collectivités, d'associations et de sociétés de restauration.

Que la commercialisation d'un modèle de table identique au sien qui crée une confusion dans l'esprit du public constitue de la part de la société Mefran un comportement déloyal lui ayant permis de profiter sans frais de sa notoriété et des efforts de commercialisation qu'elle a réalisés depuis de nombreuses années.

Considérant que la société Serem conteste l'absence de risque de confusion entre les produits opposés laquelle résulterait de la différence de couleur des tubes ou de leur aspect peint ou brut de peinture, de leurs modes de commercialisation différents par agents commerciaux ou par catalogues et de la quantité vendue, ensemble d'éléments qui selon elle ne permettent pas en présence d'une copie servile de réfuter l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Mefran.

Qu'elle ajoute encore que quand bien même il n'y aurait pas de risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, le fait de s'approprier des éléments de forme des produits concurrents ainsi que les efforts et du travail d'autrui constitue une attitude parasitaire fautive qui permet de réaliser des économies de temps et d'argent.

Considérant que la société Mefran réplique qu'elle n'a commis aucune faute en utilisant le procédé breveté de la société appelante lequel est tombé dans le domaine public.

Que les côtes des tables n'étant pas identiques à celles de la société concurrente, la société intimée réfute le grief de surmoulage qui lui est opposé et soutient que quand bien même il existerait une compatibilité entre les produits opposés, celle-ci ne saurait constituer des actes de concurrence déloyale dans la mesure où la normalisation des produits constitue une recherche légitime qui exclut toute idée de faute.

Qu'il n'existe par ailleurs aucun risque de confusion objective visuelle entre les produits qui, outre qu'ils présentent des caractéristiques générales banales, sont différenciables par la nature de leurs revêtements respectifs, couleur verte des structures métalliques pour le modèle Serem, électro-zingage pour le sien.

Considérant que la société Mefran soutient encore que la société Serem ne saurait lui reprocher de s'adresser à la même clientèle qu'elle constituée de collectivités, de mairies ou de sociétés de restauration et que la présentation des produits opposés dans leurs catalogues respectifs ou dans celui de la société Sedi n'engendre aucun risque de confusion puisque sont différents leurs appellations Mairietable et Table Infinie, le nom des sociétés qui les commercialisent Serem et Mefran ainsi que les prestations complémentaires offertes.

Que la société intimée qui conteste les actes de parasitisme qui lui sont imputés reproche enfin à la société Serem de ne pas démontrer le préjudice qu'elle prétend avoir subi.

Considérant ceci exposé que si la compétition économique telle que caractérisée par l'offre des produits ou de services satisfaisant des besoins égaux ou proches par la conquête d'une clientèle ou d'une portion de marché, est régie par le principe de la liberté de concurrence, celui-ci est tempéré par le fait que tout procédé déloyal, employé dans la lutte concurrentielle, constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur et le contraint à réparer les conséquences dommageables de ses actes.

Considérant que s'il résulte de la comparaison des modèles de table commercialisés par la société Mefran avec ceux de la société Serem qu'à l'exception de la section des tubes utilisés, diamètre 25 pour Mefran et 30 pour Serem, les côtes des tables opposés sont strictement identiques, (longueur de l'entretoise 1135, hauteur de l'entretoise 280, largeur des pieds 650, écart entre le sommet des pieds de table et les éléments de juxtaposition 280, hauteur desdits éléments 135) et leur donnent une apparence générale semblable que les revêtements de couleur verte pour le modèle Serem ou électro-zingué pour celui Mefran distinguent, il convient cependant d'observer que les tables opposées présentent une extrême banalité d'aspect et de forme.

Considérant qu'en vertu du principe de liberté du commerce et de l'industrie, la copie, même servile d'un modèle non protégeable en raison de sa banalité, de son caractère exclusivement utilitaire ou de son appartenance au domaine public, n'est pas en elle même un fait de concurrence déloyale.

Considérant que l'utilisation par la société Serem de son procédé de table breveté en 1971 tombé dans le domaine public et l'absence d'autres droits privatifs de propriété intellectuelle ne lui permettent pas de s'opposer à la libre disposition d'une table aux caractéristiques banales dans la mesure où tout fabricant a le droit d'exercer ses activités dans le domaine et les conditions qui lui paraissent les plus favorables tant à ses intérêts qu'à ceux des consommateurs auxquels ils s'adressent.

Que la société Serem ne peut revendiquer le procédé fonctionnel "douille-baillonnette" de liaison entre les tables que la société Mefran utilise également dans le montage de ses échafaudages comme le démontrent les documents versés aux débats.

Que tant la différence de couleur ou d'apparence des pieds de tables des produits opposés que les mentions du nom des fabricants sur les catalogues qu'ils éditent ou sur ceux diffusés par des tiers qui commercialisent leur produits sont de nature à éviter le risque de confusion allégué, les consommateurs qui sont en l'espèce, ce qui n'est pas contesté, essentiellement des collectivités qui effectuent des achats importants après avoir procédé à un examen comparatif approfondi des articles proposés qui peuvent rattacher lesdits produits avec certitude à l'une ou à l'autre des sociétés.

Considérant que la compatibilité ou l'adaptabilité des produits opposés alléguée par la société Serem qui caractériserait la volonté de la société Mefran de se placer dans son sillage, outre qu'elle n'est pas démontrée, ne constitue pas en soi une faute dans la mesure où lors de leur commercialisation, il n'est fait aucune référence susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit de l'acheteur moyen sur l'origine des produits respectifs.

Qu'en raison de l'absence de différenciation possible entre ces tables et celles qu'elle commercialise par l'intermédiaire du catalogue de la société Sedi, la société Serem ne peut se prévaloir dudit catalogue pour conclure à l'existence d'actes de concurrence déloyale imputable à la société Mefran dans la mesure où le consommateur d'attention moyenne peut légitimement croire que les produits représentés dans ledit catalogue sont fabriqués par elle-même ou par la société Sedi.

Que la société Serem qui ne démontre pas que la société Mefran a reproduit son modèle de table dans le but de tromper le public sur l'origine de la marchandise et de détourner ainsi à son profit la clientèle d'un concurrent ou de profiter indûment des investissements, des efforts de recherche et de création de celui-ci ne saurait donc reprocher à la société Mefran d'avoir commis les actes de concurrence déloyale allégués.

Considérant également que le moyen présenté par la société Serem selon lequel en l'absence même de tout risque de confusion entre les produits, la société Mefran aurait eu à son encontre un comportement parasitaire n'est pas fondé dans la mesure où elle ne démontre pas que le modèle de table qu'elle commercialise bénéficie d'une réputation ou d'une notoriété telle que la société intimée en mettant sur le marché un produit similaire a cherché à se placer dans son sillage.

Que le jugement déféré qui a considéré que le modèle de table commercialisé par la société Serem était banal, fonctionnel, strictement identifiable sera par conséquent confirmé.

Considérant que la société Mefran sollicite outre la publication du présent arrêt, la condamnation de la société Serem à lui payer la somme de 20.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Mais considérant que la société Serem ayant pu de bonne foi se méprendre sur l'étendue et sur la portée de ses droits ne saurait se voir reprocher un comportement fautif qui justifierait sa condamnation à des dommages et intérêts ou la mise en œuvre des mesures de publication sollicitées.

Considérant qu'il apparaît en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Mefran la totalité des frais qu'elle a dû engager tant en première instance qu'en cause d'appel qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 30.000 francs.

Que le jugement déféré qui a rejeté la demande de la société Mefran de ce chef sera réformé en conséquence.

Par ces motifs : Confirme le jugement rendu le 13 décembre 1996 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles qui ont rejeté la demande formée par la société Mefran au titre de ses frais hors dépens; Statuant de ce dernier chef, Condamne la société d'Etudes et Réalisations Métalliques Serem à payer à la société Altrad Equipement Mefran la somme de 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette les autres demandes formées par la société Altrad Equipement Mefran; La condamne aux entiers dépens d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avoués Fisselier Chiloux Boulay dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.