CA Paris, 4e ch. B, 17 septembre 1999, n° 1996-84742
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Orga Distribution (SA)
Défendeur :
Tous Services et Fournitures (SARL), Fountain Industries France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Bernabe-Richard-Chardin-Cheviller, SCP Bommart-Forster, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet
Avocats :
Mes Hecker, Tition, Henriot-Bellargent
La société Orga Distribution (ci-après ORGA) a interjeté appel d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Créteil le 4 juin 1996 dans un litige l'opposant à la société Tous Services et Fournitures (ci-après TSF) qui avait appelé en garantie la société Fountain Industries France (ci-après Fountain).
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent. Fountain avait depuis de nombreuses années confié à Orga la commercialisation de distributeurs de boissons chaudes et froides, des produits consommables et des pièces détachées de marque Fountain. Un litige étant né entre ces deux sociétés, Fountain a mis fin à leur relations commerciales à la fin de l'année 1993 pour les machines, et en mai 1994 pour les produits consommables et les pièces détachées. Les conditions de la rupture font l'objet de litiges entre ces deux sociétés, toujours en cours. Estimant que les liens étaient rompus avec Orga , Fountain a conclu un contrat de franchise avec TSF le 8 février 1994 avec effet à compter du 15 mars 1994 pour cinq ans sur le territoire des Hauts de Seine, secteur précédemment confié à Orga, puis étendu à la vente des produits Fountain sur plusieurs arrondissements de Paris (les 3ème, 4ème, 5ème, 6ème, 7ème, 14ème, 15ème et 16ème), secteur également précédemment accordé à Orga.
Orga qui continuait une même activité de distributeur de machines de boissons chaudes et de produits consommables, estimant que TSF prenait à tort contact avec la clientèle qui était sur son secteur et procédait à des actions qui portaient atteinte à son image de sérieux et de compétence, l'a, par acte du 1er mars 1995, fait citer devant le Tribunal de commerce de Créteil pour concurrence déloyale afin d'obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
TSF a conclu au débouté, soutenant n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale, le litige opposant Fountain à son ancien concessionnaire lui étant extérieur et exposant qu'elle n'a eu aucun comportement déloyal à l'encontre d'un concurrent. Elle a appelé en garantie Fountain et a sollicité la condamnation d'Orga au paiement de la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Fountain estimant que cet appel en garantie était injustifié en raison du contrat de franchise qui excluait toute recherche de responsabilité du franchiseur, a sollicité la condamnation de TSF au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Par le jugement entrepris, le tribunal a :
- rejeté les demandes formées par Orga,
- condamné Orga à payer à TSF la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
- condamné TSF à payer à Fountain la somme de 3 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Appelante de ce jugement, Orga, par écritures récapitulatives en date du 27 mai 1999, en poursuit la réformation en toutes ses dispositions. Elle prie la Cour de :
- dire et juger que TSF s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à son préjudice,
- condamner TSF à faire cesser immédiatement tous agissements de concurrence déloyale sous peine d'une astreinte définitive de 10 000 F par infraction constatée,
- la condamner à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts avec les intérêts légaux à compter du prononcé de l'arrêt,
- ordonner la publication de l'arrêt dans les quotidiens " Le Monde ", " Le Figaro " et le " Parisien " aux frais de la société TSF,
- la condamner au paiement d'une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
aux motifs que :
- les deux sociétés sont bien en situation de concurrence, contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges,
-elle ne reproche pas à TSF de commercialiser les produits Fountain mais d'avoir commis des agissements déloyaux à son encontre par l'envoi de lettre-circulaires diffusant des affirmations inexactes, mensongères, voire injurieuses sur son compte auprès de la clientèle commune qu'elle était en droit de contacter, n'étant liée par aucune clause de non-concurrence, pour proposer des produits concurrents de ceux diffusés par Fountain ou par ses franchisés,
- TSF a enlevé sur le matériel qui était en place " les papillons " qui comportaient ses coordonnées pour mettre les siennes à leur place,
- son préjudice commercial a été très important, ayant en raison de ces actes de dénigrement, perdu une partie de sa clientèle.
Elle précise qu'elle n'a interjeté appel à l'encontre de la société Fountain qu'en raison de la demande en garantie soutenue par TSF mais qu'elle ne forme dans le cadre de cette procédure aucune demande dirigée à l'encontre de Fountain. TSF conclut à la confirmation du jugement, exposant à nouveau qu'elle n'est pas en situation de concurrence et qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale. Formant appel incident, elle sollicite de la Cour la condamnation d'Orga au paiement de la somme de 30 000 F pour appel abusif et dilatoire ainsi que celle de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Fountain, estimant que sa mise en cause devant la Cour d'appel de Paris n'est pas justifiée dès lors que TSF n'a pas contesté la décision des premiers juges, prie la Cour de condamner Orga à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, la COUR :
Considérant qu'Orga fait reproche à TSF, nouveau concessionnaire des produits Fountain, d'avoir eu à son égard un comportement déloyal par la diffusion de propos mensongers et injurieux auprès de la clientèle commune et par la suppression de papillons comportant ses coordonnées qui étaient apposés sur le matériel de distribution de boissons ;
Considérant que le tribunal ne l'a pas suivie ; qu'il a :
- d'une part, écarté les attestations versées aux débats par Orga en retenant que :
. les attestations faisaient état du fait qu'Orga ne pouvait plus livrer des produits de la marque Fountain, ce qui était conforme à la réalité,
. les attestations faisaient état du fait que les produits distribués par Orga n'étaient pas de bonne qualité ou que cette société souffrait de difficultés économiques et financières, que cependant rien ne prouvait que les agents commerciaux de TSF aient été à l'origine de ces dires,
. à ces attestations étaient joints onze rapports de visite effectuées par des agents de la société Orga et que rien ne démontrait que le tribunal puisse considérer ces rapports comme prouvant que l'action commerciale de TSF est poursuivie de manière déloyale,
- d'autre part, estimé qu'Orga n'apportait pas la preuve de ce que par son comportement ou ses agissements, TSF l'aurait empêchée de vendre à ses clients traditionnels qu'elle commercialise aujourd'hui ;
Qu'il a en outre relevé ;
- que TSF dont la présence n'apparaît sur le marché qu'à compter du 8 février 1994, ne peut être responsable ni complice des faits qui sont à l'origine de la rupture des relations commerciales intervenues en 1993 entre la société Orga et Fountain,
- que TSF et Orga ne sont pas en concurrence pour la vente des produits Fountain ;
Considérant qu'Orga ne conteste pas que TSF ait le droit de vendre des produits Fountain alors qu'elle-même n'en a plus le droit et qu'elle ne reproche nullement à son adversaire d'avoir eu une responsabilité dans la rupture ; qu'elle remarque cependant à juste titre, que si elle n'a plus le droit de commercialiser les produits Fountain, elle a la liberté de proposer des produits concurrents ; que les deux sociétés sont donc, contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges, en situation de concurrence ;
Considérant que l'appelante soutient que les lettres circulaires et les démarches entreprises auprès d'un clientèle commune n'ont pas été effectués de manière loyale ; que, selon elle, il ne s'agissait pas seulement de lettre d'information sur l'existence du nouveau concessionnaire mais que des propos malveillants auraient été tenus à son encontre afin de la discréditer auprès de la clientèle ; qu'elle verse ainsi de nouveau en appel les lettres circulaires et attestations de divers clients produites en première instance ;
Considérant que si deux des trois lettres circulaires mises aux débats (en date des 2 mai 1994) et 1er juin 1994) ne comportent aucun propos répréhensible ne donnant que des informations légitimes sur l'existence d'un nouveau concessionnaire, par la troisième circulaire, TSF n'avise pas seulement la clientèle de ce qu'elle n'est responsable que des produits diffusés par Orga par la mention suivante : " il apparaît donc que si la société Orga continue de vous approvisionner, il ne s'agit pas de produits en provenance de nos usines. Nous déclinons toute responsabilité sur ces produits, sur le plan de la qualité, de la quantité conditionnée, ou des conditions sanitaires de fabrication : il ne s'agit pas de produits Fountain.
Considérant qu'en outre, et contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, les nombreuses attestations versées aux débats émanant de clients d'Orga qui s'adressaient à cette société lorsqu'elle distribuait les produits Fountain, ne sauraient être écartées des débats alors qu'elles portent des témoignages précis sur les agissements fautifs de TSF qui, d'une part, faisait croire que son concurrent avait déposé son bilan et qui, d'autre part, indiquait que les produits ne répondaient pas aux conditions d'hygiène (notamment attestations de Madame Ricault et de Madame Le Wahidi du 9 novembre 1995, de Madame Rossi et de Madame Renaudin en date du 14 novembre 1995, de Monsieur Delamare en date du 10 novembre 1995) ; qu'Orga a d'ailleurs dû faire procéder à une analyse des produits qu'elle diffusait pour apporter la preuve de leur bonne qualité comme le démontre notamment la lettre envoyée à la société Yves-Saint-Laurent, le 19 janvier 1995 ;
Considérant qu'en revanche, il ne résulte d'aucun document que TSF aurait de manière fautive retiré des papillons comportant les coordonnées d'Orga, aucune des attestations ne précisant que ces coordonnées auraient dû être ôtées du matériel distribué par Orga ; que ce grief n'est pas fondé ;
Considérant en définitive qu'en laissant croire de manière non justifiée que les produits commercialisés par Orga ne répondaient pas à des critères d'hygiène alimentaires et en indiquant également qu'Orga était dans une situation de dépôt de bilan, TSF n'a pas agi de manière loyale à l'encontre de son concurrent; qu'en raison des fautes ainsi commises, TSF doit réparation du préjudice ; que le jugement sera donc réformé en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale ;
Considérant qu'en appel, Orga ne donne pas de détail sur la baisse de son chiffre d'affaires qui serait liée aux actes de concurrence déloyale retenus ; qu'il convient en outre de relever que plusieurs des clients ainsi approchés par TSF sont restés fidèles à Orga ; qu'il en résulte que le préjudice ne saurait avoir l'importance alléguée par l'appelante ; qu'elle a subi un trouble commercial certain qui sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 50 000 F ;
Considérant que la mesure d'interdiction sollicitée apparaît nécessaire pour éviter tout nouvel acte de concurrence déloyale ;
Considérant que les publications sollicitées n'apparaissent pas nécessaires, le préjudice étant suffisamment réparé par les dommages intérêts ci-dessus alloués ;
Considérant qu'il ne saurait être fait droit à l'appel incident formé par TSF ; que la décision qui lui avait alloué une somme à titre de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile sera réformé de ces chefs ;
Considérant qu'aucune demande en garantie n'étant formée à l'encontre de Fountain, la décision sera de ce chef confirmé ;
Considérant que Fountain fait grief à Orga d'avoir été appelée dans la procédure d'appel ;
Mais considérant que l'appel a été interjeté non pas de manière fautive mais parce que TSF avait formé en première instance un appel en garantie à l'encontre du franchiseur, Fountain ; que la présence de cette dernière était ainsi justifiée par la mise en cause initiale ; que sera également rejetée la demande en paiement d'une indemnité formée par Fountain sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge d'Orga les frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel ; qu'il convient de lui allouer à ce titre la somme de 20 000 F à la charge de TSF ;
Par ces motifs Confirme le jugement en ce qu'il a dit non fondé l'appel en garantie, Le réforme pour le surplus ; Statuant à nouveau ; Condamne la société Tous Services et Fournitures à payer à la société Orga Distribution la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour les actes de concurrence déloyale ; interdit à la société Tous Services et Fournitures de poursuivre les actes incriminés sous astreinte de 500 F par infraction constatée passé le délai de quinzaine de la signification du présent arrêt ; Condamne la société Tous Services et Fournitures à payer à Orga Distribution la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Tous Services et Fournitures aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés, pour ces derniers, le cas échéant par la SCP Berbabe-Ricard et la SCP Taze-Bernard-Belfayol, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.