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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 8 septembre 1999, n° 99-00653

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Jambon des Friands Société C. Marion (SA)

Défendeur :

Aubret (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Me Bazille & Genicon, Me Castres Colleu & Perot

Avocat :

Me Baron.

T. com. Nantes, du 22 déc. 1997

22 décembre 1997

Faits et procédure

La société Marion et la société Aubret sont toutes deux des sociétés de salaisons, commercialisant dans les Antilles, par des canaux de la grande distribution, pendant la saison des fêtes un "jambon de Noël".

En 1993 la société Marion a en effet lancé un produit Panizo, jambon fumé désossé d'un poids approximatif de 2,5 kg, moulé de forme trapézoïdale conditionné sous vide, un filet rouge permettant de rabattre les oreilles plastiques débordantes du fait du mode d'ensachage choisi, avec un étiquetage à dominante rouge.

Lors de la campagne de Noël 1997, la société Marion a postulé, toujours dans les Antilles, à partir de juin auprès de différentes enseignes, dont la société Reynoir du groupe Cora, pour la vente de son propre produit, un jambon désossé d'un poids fixe de 2,5 kg, conditionné sous film thermorétractable. Celle-ci lui a demandé son accord pour une participation financière à l'édition de son dépliant Corascope à paraître à partir du 15 décembre. Aussi la société Marion lui a-t-elle envoyé des échantillons de produit pour les photos de parution, dans la perspective d'une commande prévisionnelle de 40 tonnes.

La commande a en définitive été passée, par la société Reynoir, à la société Aubret, celle-ci ayant offert son produit à un prix inférieur.

C'est dans ces conditions de fait que la société Marion a assigné la société Aubret à date fixe le 3 décembre 1997 en concurrence déloyale et parasitisme pour voir retirer de la vente avant Noël les produits litigieux.

Par un jugement en date du 22 décembre 1997, le Tribunal de Commerce de Nantes a déclaré la société Marion recevable mais mal fondée en ses demandes et l'a condamnée, avec exécution provisoire, à payer à la société Aubret 100.000 francs pour procédure abusive ainsi que 10.000 francs au titre de l'article 700 NCPC.

La société Marion a formé appel de cette décision le 13 février 1998.

Moyens des parties

La société Marion soutient que les agissements parasitaires et déloyaux de la société Aubret sont caractérisés par le lancement d'un produit en tout point similaire dans sa consistance et la retenu un filet rouge et un étiquetage dans les mêmes dominantes de couleur; elle prétend que ce filet est fonctionnel pour le produit Panizo mais inutile pour le jambon de la société Aubret, sauf à vouloir créer la confusion auprès du consommateur, familier de la présentation adoptée par la société Marion du fait de l'important travail promotionnel réalisé depuis plusieurs années.

Elle critique la décision déférée pour avoir considéré que la confusion ne saurait s'établir entre les deux marques et les deux produits en raison de la seule couleur rouge des étiquettes et des seuls filets décoratifs, après avoir cependant noté l'identité de la décoration créée par un léger filet plastique rouge. Elle considère qu'un tel filet est un élément caractéristique visuel extrêmement important, inusité et nouveau pour un jambon de Noël, contrairement à d'autres salaisons nécessitant d'être suspendues pour une bonne conservation, et que la société Aubret, en se mettant dans son sillage, n'avait comme objectif que d'évincer du marché un précurseur sans engager ni les frais de mise au point du produit et de son concept d'emballage, ni ceux de publicité, se contentant de vendre à moindre prix un produit copié.

Elle critique en outre les premiers juges d'avoir considéré la procédure engagée comme abusive pour avoir été "judicieusement intentée en pleine période de livraisons de ce type de produits visant à déstabiliser un concurrent", alors que, si elle a bien eu connaissance dès septembre 1997 de la perte de ce marché, elle ne pouvait connaître les caractéristiques visuelles des produits de substitution choisis par les acheteurs de l'enseigne et déterminer leur motivation qu'après arrivée des produits concurrents en linéaire et qu'on ne peut donc pas considérer son action comme tardive et engagée dans l'intention de nuire à un concurrent.

Elle prétend que le comportement parasitaire de la société Aubret a porté gravement atteinte à son activité commerciale et elle chiffre provisoirement son préjudice à 1.500.000 francs, sauf à parfaire à dire d'expert.

La société Marion conclut à la réformation de la décision entreprise, demande à la Cour de condamner en conséquence la société Aubret à lui payer 1.500.000 francs à titre de dommages intérêts provisionnels pour concurrence déloyale et parasitisme, de désigner tel expert qu'il plaira pour en chiffrer le montant définitif, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans 3 journaux de son choix, de faire interdiction à la société Aubret sous astreinte de 5.000 francs par infraction constatée d'offrir à la vente un jambon de Noël présentant les caractéristiques litigieuses, de condamner la société Aubret à lui payer 50.000 francs au titre de l'article 700 NCPC.

La société Aubret, intimé, a constitué avoué mais n'a pas conclu.

Discussion

Considérant que le jambon sans os, conditionné sous vide et commercialisé par la société Marion, est d'une grande banalité ; qu'il s'agit d'un produit de grande consommation ; qu'il ne présente aucune originalité ; que la société Marion et la société Aubret sont des concurrents intervenant dans un secteur soumis à la libre concurrence ;

Considérant que le prix est un facteur déterminant ; que l'écart particulièrement sensible des offres concurrentes (24,90 francs/kg pour le produit de la société Aubret au lieu de 54,90 francs/kg pour celle de la société Marion) explique à lui seul le choix, en faveur des produits de la société Aubret, des centrales d'achat évoluant dans le secteur de la distribution moderne ; que la seule utilisation d'un accessoire de décoration et d'un mode d'étiquetage présentant des similitudes n'est pas déterminante du choix du magasin ou du consommateur;

Considérant en effet que l'emballage de produits de salaison sous filet, fût-il en plastique et de couleur rouge, est d'une telle banalité qu'il ne saurait constituer un critère de différenciation déterminant pour une marque; que, de même, le recours à un fond rouge (d'une grande banalité durant les Fêtes de Noël) pour les étiquettes ne saurait à lui seul constituer une tentative de parasitisme dès lors que ni le graphisme général ou le logo, seules caractéristiques constitutives d'une signature de l'entreprise (attestant de la créativité de ses équipes publicitaires) aux yeux d'un consommateur clairvoyant et averti, ne font l'objet d'une copie servile ou malicieuse; que le filet rouge ne présente lui non plus aucune originalité et ne correspond à aucun effort de créativité ni à l'engagement de frais de mise au point ;

Considérant que le consommateur antillais ne se fonde pas, lors de l'achat d'un jambon de Noël, sur la couleur de son étiquette ou de son filet décoratif, "accessoire banal et dérisoire" ; que le consommateur moyen est à même de faire la différence entre des jambons qui, comme c'est le cas en l'espèce, ne se ressemblent ni par leur forme, ni par leur poids, ni par l'étiquetage, ni par la finition thermorétractée du film d'emballage;

Considérant que, selon les propres écritures de la société Marion, le produit de son concurrent faisait l'objet d'un "conditionnement différent sous vide par lequel les oreilles plastiques résiduelles entourant le produit étaient entourées par un procédé de rétractation par la chaleur" ; que cette différence est importante et modifie l'aspect du produit;

Considérant qu'il n'existait en réalité aucune confusion possible dans l'esprit du consommateur antillais entre deux produits dépourvus de toute originalité et de surcroît différents dans leur présentation, étant observé en outre que la confusion (du consommateur) alléguée et non établie ne se référait qu'à des produits qui n'auraient pu être achetés que l'année précédente;

Considérant que les frais publicitaires engagés par la société Marion sont à la mesure de l'importance des ventes ; que celles-ci ont en effet porté, selon ses propres écritures, sur 77.960 kilos en 1994, 111.751 kilos en 1995 et 163.074 kilos en 1996 ; qu'ils correspondent à d'importantes ventes promotionnelles, et non à des frais d'investissement ou de lancement;

Considérant ainsi que la société Aubret n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, ni aucun acte parasitaire ; que les demandes présentées par la société Marion seront rejetées comme ne reposant sur aucun fondement; que l'action engagée est en réalité abusive ; que cette action n'avait d'autre but que de nuire à la société Aubret et visait à la déstabiliser en pleine période de livraisons ; que le jugement a justement fixé le préjudice subi par la société Aubret, en raison de cette action abusive, à 100.000 francs ;

Considérant ainsi que la décision déférée sera confirmée en toutes ses dispositions, y compris en ce qu'elle a alloué à la société Aubret 10.000 francs de frais irrépétibles;

Considérant que la société Marion, qui échoue, supportera l'ensemble des dépens;

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement; Confirme le jugement déféré; Condamne la société Marion aux dépens d'appel.