Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 1 juillet 1999, n° 9180/96

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kwadow, Kwadow (EURL)

Défendeur :

Arod Informatique (SARL), Fourmond, Vanduyvenboden

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Merle-Carena-Doron, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Thory, Petit.

T. com. Pontoise, 19 sept. 1996

19 septembre 1996

Faits et procédure

Par ordonnance rendue le 23 mai 1996 par le président du tribunal de commerce de Pontoise, la société Arod Informatique a été autorisée à assigner Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow à bref délai pour demander condamnation de Monsieur Arnold René Kwadow et de l'EURL Kwadow à lui payer la somme de 600.000 francs de dommages et intérêts, de faire défense à Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow de contracter avec les personnes physiques et morales visées à la liste du 06 juillet 1995, et ce, sous une astreinte définitive et liquidées de 50.000 francs par infraction constatée.

La société Arod Informatique sollicitait, en outre, condamnation solidaire de Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow à lui payer 30.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de sa demande, la société Arod Informatique qui commercialise des fournitures pour télécopieurs, photocopieurs, imprimantes et de la papeterie, et a pour clients des laboratoires et cabinets de radiologie, exposait qu'aux termes d'un acte sous seing privé en date du 06 juillet 1995, Monsieur Arnold René Kwadow avait cédé à Madame Odette Fourmond les 250 parts qu'il possédait dans la société Arod Informatique, moyennant le paiement d'un prix de 600.000 francs payé comptant.

Monsieur Kwadow ayant été l'animateur de la société Arod Informatique, il était précisé aux termes de l'acte que du fait de la cession de ses parts, il s'interdisait de solliciter directement ou indirectement la clientèle de la société Arod Informatique ayant fait l'objet d'un état signé le 06 juillet 1995, entre Madame Fourmond et lui-même afin de ne pas concurrencer la société Arod Informatique de quelque manière que ce soit, et ce, pendant une durée de trois ans à compter du 06 juillet 1995, sur toute l'étendue du territoire métropolitain.

Or, selon, la société Arod Informatique, il est apparu que Monsieur Kwadow a constitué une EURL dont la raison sociale est A. Kwadow qui, aux termes de l'extrait du registre du commerce et des sociétés, fait état d'un début d'exploitation au 02 octobre 1995 avec une immatriculation au 03 novembre 1995.

Le chiffre d'affaires de la société Arod Informatique qui était en augmentation, a chuté de façon très significative dès novembre 1995. Elle a notamment trouvé dans les locaux d'un radiologue expressément visé par la clause de concurrence un prospectus émanant de Monsieur Kwadow et faisant état de ses promotions et de ses prix.

Il ressortait encore d'une facture émise par l'EURL Kwadow à l'attention du Laboratoire du Docteur Amzallag, lui aussi expressément visé par la clause de non-concurrence, que Monsieur Kwadow ou I'EURL Kwadow démarchait la clientèle.

Dans ces conditions, la société Arod Informatique a été amenée à demander au président du tribunal de grande instance de Pontoise qu'un huissier puisse se rendre au siège de l'EURL Kwadow avec pour mission de se faire remettre les factures émises par Monsieur Kwadow depuis le 02 octobre 1995 et de rechercher au vu de la liste contresignée si des factures avaient été envoyées à des laboratoires ou médecin figurant à la liste et intéressés par la clause de non-concurrence.

Maître Rouzée avait en conséquence dressé, le 25 avril 1996, un procès-verbal de constat qui établit que Monsieur Kwadow par le biais de l'EURL Kwadow a systématiquement méconnu la clause de non-concurrence qu'il avait signée, qu'il a au contraire pillé la clientèle de la société Arod Informatique. Il est, en effet, établi au vu des factures que l'huissier a pu consulter que l'EURL Kwadow a traité avec 30 sociétés expressément visées à la clause de non-concurrence et que l'EURL Kwadow a émis au nom des clients de la société Arod Informatique 60 factures.

Ce démarchage correspond à un détournement d'environ 15 % du fichier clients médicaux de la société Arod Informatique. il correspond encore pour la période du 1er octobre 1995 au 24 avril 1996 à un détournement de chiffre d'affaires de 330.227,30 francs. De surcroît, voyant sa clientèle lui échapper, la société Arod Informatique a été contrainte de baisser ses prix.

Selon la société Arod Informatique, Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow ont, par leurs agissements, mis en péril son existence même.

Ils devront être condamnés solidairement à réparer son préjudice qui peut à ce jour être évalué à 600.000 francs.

La société Arod Informatique demandait, en outre, de faire défense à Monsieur Kwadow et à l'EURL Kwadow de contracter avec les personnes physiques ou morales visées à la liste du 06 juillet 1995, et ce, sous astreinte définitive et liquidée de 100.000 francs par infraction constatée.

Madame Odette Jeanne Fourmond, Messieurs Daniel et Jacques Vanduyvenboden sont intervenus à l'instance pour s'associer en tant que de besoin à la demande de la société Arod Informatique.

Ils demandent que leur soit "donné acte" de ce qu'ils s'associaient en tous points à toutes les demandes de la société Arod Informatique.

Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow soulevaient in limine litis une exception d'irrecevabilité de la procédure engagée par la société Arod au motif que Monsieur Kwadow n'ayant pas la qualité de commerçant, seul le tribunal de grande instance était compétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale.

L'EURL Kwadow invoquait de son côté l'exception de connexité, l'instance engagée contre Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow présentait un caractère indéniable d'indivisibilité. Les défendeurs faisaient ainsi valoir la plénitude de juridiction pour donner compétence pour le tout au bénéfice du tribunal de grande instance de Pontoise.

Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow exposaient de plus que, dans son exploit introductif d'instance, la société Arod Informatique se fondait sur la clause de non-concurrence insérée dans un acte de cession de parts sociales daté du 06 juillet 1995. Or, c'est Madame Fourmond, cessionnaire desdites parts, qui est bénéficiaire de cette interdiction de concurrence, dont elle pouvait donc seule se prévaloir.

C'est sur le seul terrain du droit commun qui régit les conditions de la concurrence déloyale, et non pas de l'application pure et simple d'une clause de non-concurrence, que pourrait agir la société Arod Informatique.

Le seul fait que des clients figurant dans la liste jointe à l'acte de cession puissent se retrouver dans le facturier de la nouvelle société de Monsieur Kwadow ne peut à l'évidence constituer l'acte déloyal réprouvé par les usages, qui ne correspond pas à un exercice sain et honnête du commerce.

La société Arod Informatique ne démontrait aucune violation délibérée et établie des usages commerciaux qui peuvent être considérés comme des actes de concurrence déloyale, mais se fondait uniquement non seulement sur la clause de non-concurrence, dont elle ne pouvait aucunement se prévaloir, et sur le seul fait que des clients, antérieurement référencés par la société Arod Informatique avaient préféré désormais travailler avec la nouvelle société de Monsieur Kwadow.

La société Arod Informatique ne pouvant faire la preuve d'agissements déloyaux ou de détournements de clientèle, de nature à justifier une action en concurrence déloyale, devait, selon les défendeurs, être déclarée mal fondée à se prévaloir de la clause de non-concurrence consentie au seul profit de l'associé cessionnaire.

Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow ajoutaient, subsidiairement, que la seule vue que des noms de clients visés par la liste et annexés à l'acte de cession figurent désormais sur le facturier de la nouvelle société de Monsieur Kwadow ne pouvait suffire à affirmer de manière péremptoire que Monsieur Kwadow aurait méconnu la clause de non-concurrence.

En effet, aux termes de cette clause il était interdit à Monsieur Kwadow de démarcher la clientèle, mais non pas de contracter avec elle.

Après son départ de la société Arod Informatique, la clause de non-concurrence n'interdisait certainement pas à Monsieur Kwadow de créer sa propre société dans le secteur géographique désigné. Quelques clients, tout au plus une vingtaine, déçus des prestations de cette société après la départ de Monsieur Kwadow l'avaient contacté préférant travailler avec lui.

Cette situation est tout à fait conforme et respectueuse de la clause de non-concurrence, puisque celle-ci interdisait de démarcher la clientèle, et non pas de contracter avec elle. Ce sont les clients eux-mêmes qui avaient fait la démarche de contacter Monsieur Kwadow et non pas le contraire.

De même, il est tout à fait erroné et excessif de dire que Monsieur Kwadow a pillé largement la clientèle de la société Arod Informatique, puisque le procès-verbal de constat d'huissier établi qu'une vingtaine de clients figuraient sur le facturier de la société Kwadow et sur la liste visée dans l'acte de cession laquelle comportait près de 480 noms.

La société Arod Informatique se bornait simplement à comparer pour octobre 1994 à avril 1996 les pertes de chiffre d'affaires pour la même période couvrant octobre 1995 à avril 1996 pour établir une perte de chiffre d'affaires de 280.129 francs.

A la vue de ces éléments, les défendeurs soulignaient, d'une part, la somme de 280.129 francs était loin du chiffre contradictoire des 600.000 francs avancés par la société Arod Informatique et d'autre part, que les états de TVA ne démontraient aucunement une quelconque activité déloyale de la part de Monsieur Kwadow, la perte du chiffre d'affaires pouvant être due à d'autres raisons.

Par le jugement déféré, en date du 19 septembre 1996, le tribunal de commerce de Pontoise a "donné acte à Madame Fourmond et Messieurs Daniel et Jacques Vanduyvenboden de leur intervention volontaire, dit les défendeurs irrecevables en leurs exceptions d'incompétence et de sursis à statuer et les a condamnés solidairement à payer à la société Arod Informatique la somme de 250.000 francs de dommages intérêts, Il a, par ailleurs, fait défense aux défendeurs de contracter de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, avec les personnes physiques ou morales visées à la liste du 5 juillet, sous astreinte de 50% du chiffre d'affaires HT réalisé en infraction à l'interdiction.

Il a, enfin, condamné les défendeurs à sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de leur appel contre cette décision, Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow réitèrent les moyens soulevés en première instance pris de l'absence de violation de la clause de non-concurrence et font, en outre, valoir qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la violation alléguée de la clause de non-concurrence et le préjudice invoqué par la société Arod Informatique.

Sur les quelque 480 noms qui figuraient dans la liste de cession invoquée par les intimés, seule une vingtaine figurait au facturier examiné par huissier.

Le départ de Monsieur Kwadow - très apprécié des clients - de la société Arod Informatique et les circonstances qui l'ont entouré - plainte pour abus de biens sociaux contre Madame Fourmond - n'ont pu qu'avoir des répercussions sur la fidélité de la clientèle et explique la baisse du chiffre d'affaires d'Arod Informatique.

Il en est de même des circonstances économiques et du retrait d'agrément du Gardif.

Subsidiairement, les appelants soulignent, sur le quantum du préjudice qui aurait été subi que, compte tenu de la marge commerciale, il ne saurait être que de 68.400 francs.

Ils demandent condamnation des intimés à leur payer 25.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Arod Informatique et Madame Fourmond et Messieurs Daniel et Jacques Vanduyvenboden soulignent qu'aux termes d'un acte du 6 juillet 1995, Monsieur Kwadow s'interdisait de solliciter directement ou indirectement la clientèle d'Arod Informatique et n'a pas tenu cet engagement. Ils estiment que le préjudice qui en est résulté est largement supérieur à l'évaluation qui en a été faite par le jugement déféré, ils demandent condamnation de Monsieur Kwadow et de I'EURL Kwadow à leur payer 600.000 francs de dommages intérêts. Ils demandent, en outre, que soit confirmée et liquidée l'astreinte ordonnée par les premiers juges à la somme de 469.406,24 francs et 40.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour frais irrépétibles d'appel.

Sur ce LA COUR

Attendu que, pour s'opposer aux demandes d'Arod Informatique et de Madame Fourmond et Messieurs Daniel et Jacques Vanduyvenboden, Monsieur Kwadow et l'EURL Kwadow font seulement valoir en cause d'appel que la clause de non-concurrence ferait seulement interdiction de démarcher la clientèle visée et non de simplement contracter avec elle ;

Attendu que la clause litigieuse est ainsi rédigée "du fait de la cession de ses parts de la société Arod Informatique, Monsieur Arnold Kwadow s'interdit de solliciter directement ou indirectement la clientèle de la société Arod Informatique, répertoriée et ayant fait l'objet d'un état signé ce jour par les soussignés aux présentes, afin de ne pas concurrencer ladite société de quelque manière que ce soit dans ladite clientèle, et ce, pendant une durée de trois ans à compter de ce jour sur toute l'étendue du territoire métropolitain" ;

Attendu que cette clause nécessite interprétation ;

Attendu que, compte tenu de la présence des adverbes "directement ou indirectement" et de la précision "afin de ne pas concurrencer ladite société de quelque manière que ce soit", l'interprétation qui doit être donnée à la clause implique que le cessionnaire s'est obligé non seulement de démarcher positivement, mais aussi, de ne pas le faire même passivement, ce qui serait une sollicitation indirecte et une concurrence d'une manière certes moins agressive que le démarchage, mais effective ;

Attendu, surabondamment, que comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, la présence d'un prospectus de l'EURL Kwadow contredit les affirmations des appelants selon lesquelles ils n'auraient eu qu'une attitude passive ;

Attendu en conséquence que, sur le principe, le jugement déféré doit dès lors être confirmé ;

Attendu, sur le quantum du préjudice subi par les intimés, que l'appréciation qui en a été faite par les premiers juges doit être confirmée, les calculs purement abstraits proposés par les appelants ne reposant sur aucune donnée sérieuse ;

Attendu que les intimés demandent à la cour de liquider l'astreinte prononcée par les premiers juges; que cependant ils ne justifient pas de ce que les appelants auraient méconnu la décision déférée, nonobstant le fait que les appelants ont refusé de verser aux débats les copies de factures postérieures au 25 avril 1996 que le conseiller de la mise en état leur avait fait injonction de communiquer ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de Monsieur Kwadow et de l'EURL Kwadow à payer aux intimés la somme de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement déféré et statuant plus avant, déboute la SARL Arod Informatique, Madame Odette Fourmond et Messieurs Daniel et Jacques Vanduyvenboden de leur demande en liquidation de l'astreinte prononcée par les premiers juges, condamne les appelants à leur payer la somme de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, les condamne aux dépens, admet la SCP d'avoués Lambert-Debray-Chemin au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.