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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 29 juin 1999, n° 97-01690

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Adic (SA)

Défendeur :

Lacme (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calle

Conseillers :

Mme Beuve, Mlle Cherbonnel

Avoués :

SCP Parrot, Lechevallier, Rousseau, Me Godet

Avocats :

Mes Pieuchot, Monegier du Sorbier.

TGI Alençon, du 13 mai 1997

13 mai 1997

- Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance d'Alençon en date du 13 mai 1997,

- Vu les conclusions de l'appelante, la société ADIC, en date du 21 mai 1999,

- Vu les conclusions de l'intimée, la société LACME, en date du 25 mai 1999,

- Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 mai 1999.

Sur ce,

Les pièces communiquées et les conclusions signifiées le 21 mai 1999 pour le compte de la société Adic sont recevables puisque, dès le 25 mai suivant, la société Lacme a pu y répondre en concluant au fond avant que ne soit prononcée l'ordonnance de clôture.

Dans le domaine des clôtures électriques pour animaux, la société Lacme a cherché à identifier ses produits par la couleur bleue. C'est dans cette optique qu'elle a déposé, le 7 octobre 1988 la marque Le Fil Bleu et la marque Le Ruban Bleu. De même, elle a déposé le 25 avril 1990 un modèle de bobine de ruban conducteur de couleur bleue alliée à la couleur blanche.

La société Adic, bien qu'elle situe simplement cela dans "de bons usages entre confrères" et non en raison d'une obligation légale, a elle-même reconnu, dans un courrier du 2 février 1990 envoyé à la société Lacme, que celle-ci s'était " fait une spécialité de cette couleur ", ajoutant qu'il " semblait peu courtois de faire de même "

Toutefois, la société Adic commercialise des conducteurs dans lesquels intervient la couleur bleue et la société Lacme se plaint à son encontre d'une contrefaçon des marques ci-dessus et d'une contrefaçon du modèle de bobine déposé. Elle retient aussi envers la société Adic une concurrence parasitaire qui lui serait préjudiciable.

1°) Sur la contrefaçon des marques

Les marques Le Fil Bleu et Le Ruban Bleu, déposées le 7 octobre 1988, ont été renouvelées suivant déclarations du 12 juin 1998.

Il convient de préciser que le débat concerne ici uniquement ces deux marques et n'oppose que les sociétés Lacme et Adic. Sont ainsi inopérants les développements de la société appelante sur d'autres marques qu'aurait déposées la société Lacme, et ceux portant sur les autres concurrents envers lesquels la société Lacme peut, le cas échéant, agir s'ils commercialisent le même produit depuis 1988.

La société Lacme n'a pas déposé une couleur, ce qui alors aurait nécessité la précision d'une nuance particulière pour entraîner la validité de ce dépôt, mais les marques Le Fil Bleu et Le Ruban Bleu, expressions désignant un " fil ou ruban conducteur souple alliant des brins plastiques et des brins métalliques, utilisés principalement pour réaliser des clôtures électriques, et de couleur bleue ".

Ce n'est pas non plus la structure même du produit qui est ici en cause.

Il résulte des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, applicable au moment du dépôt en 1988, que ne peuvent être considérés comme des marques générant protection, celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou sa composition.

Le droit en matière de marque est un droit d'occupation et non un droit de création. Il suffit, pour qu'une marque soit valable, que la dénomination soit distinctive du produit visé par celle-ci, c'est-à-dire permettant à la clientèle de le reconnaître. C'est le cas en l'espèce, peu important que chacun des termes employés soit emprunt de banalité.

En l'espèce, si les produits en cause sont bien soit un fil soit un ruban, les dénominations litigieuses n'incluent pas leur qualité essentielle qui est d'être conducteurs pour servir de clôture électrique. De plus, la couleur bleue, jointe aux mots fil ou ruban, n'est aucunement la couleur naturelle ou nécessaire de tels produits.

L'argument publicitaire vantant les mérites de la couleur bleue, tout comme d'ailleurs ceux de la couleur verte, non étayé scientifiquement, n'est pas de nature à caractériser cet aspect nécessaire.

Le bleu n'est pas non plus la couleur unique, ni même habituelle, de ces produits, loin s'en faut. La société Adic a elle-même déposé un modèle de cordelettes tricolores fibro-métalliques pour clôture électrique en spécifiant textuellement que celles-ci sont caractérisées en ce que leurs trois torons sont respectivement soit orange, vert et noir, soit jaune, vert et orange, et en ajoutant que ces trois couleurs sont l'élément caractéristique de ces différentes catégories de cordelettes. Il en résulte, d'une part, que la couleur peut être le signe fort d'un tel produit, d'autre part, que dans les couleurs ainsi expressément retenues par la société Adic ne figure pas le bleu.

La couleur pouvant servir d'emblème n'est pas la qualité essentielle de ces fils ou rubans pour clôtures électriques.

Les marques Le Fil Bleu et Le Ruban Bleu ne peuvent être considérées comme purement descriptives, puisqu'elles ne font pas allusion à la qualité essentielle des produits qui est d'être conducteurs et de servir pour réaliser des clôtures électriques, mais elles ont pour but de distinguer, par évocation, ceux-ci de produits concurrents.

Etant précisé qu'il n'est pas prouvé que les deux marques en cause violeraient des droits antérieurs en France tant d'autres concurrents que de l'appelante, celles-ci, parfaitement valables, doivent être protégées et cette protection, contrairement à ce que prétend la société Adic, est une exception légale à la liberté du commerce.

Les deux marques en cause étant valables, il convient de rechercher s'il y a eu contrefaçon.

La propriété d'une marque régulièrement déposée et reconnue valable est absolue. Elle confère à celui qui en est investi une action contre tous ceux qui y portent atteinte, de bonne ou de mauvaise foi, sous quelque mode ou de quelque manière que ce soit, par reproduction ou imitation.

Loin de revendiquer un monopole sur la couleur bleue, comme le soutient à tort la société Adic, la société Lacme cherche à faire protéger ses marques de l'utilisation de l'emblème leur correspondant, à savoir la couleur dominante bleue dans les fils et rubans conducteurs pour clôtures électriques.

Si, comme il a été dit plus haut, la couleur bleue n'est pas la qualité essentielle des fils et rubans conducteurs, en revanche, la couleur bleue est un élément déterminant et distinctif des marques déposées par la société Lacme, soit Le Fil Bleu et Le Ruban Bleu.

Or, il résulte des pièces produites que la société Adic commercialise des fils et des rubans conducteurs dont la couleur dominante est le bleu, alors que par ailleurs l'essentiel de sa gamme de produits de ce type est de couleur rouge, de couleur blanche ou de ces deux couleurs associées.

L'adjonction d'une autre couleur avec la couleur bleue, dans le cas où elle ne fait pas perdre le caractère dominant de cette dernière, n'empêche pas qu'il y ait contrefaçon de la part de la société Adic.

A l'inverse, plusieurs exemples de produits concurrents commercialisés par d'autres entreprises montrent que la couleur bleue peut très bien être associée à d'autres couleurs sans pour autant devenir la couleur dominante de ces produits et que, dans ces cas, malgré la présence du bleu, il n'y a pas contrefaçon.

Ainsi, s'il n'y pas contrefaçon de la part de la société Adic par reproduction à l'identique ou par utilisation des termes mêmes des marques en cause, il y a contrefaçon sur l'emblème de ces marques par imitation de nature à créer une confusion au sens de l'article L. 713-3 du Code de la Propriété intellectuelle, laquelle confusion s'apprécie par rapport à l'acheteur d'attention moyenne qui n'aurait pas sous les yeux simultanément les deux produits, d'usage identique, fabriqués par les sociétés Lacme et Adic.

Cette dernière, qui a pu écrire que la société Lacme s'était fait une spécialité de cette couleur, ne justifie d'aucune antériorité de sa part sur l'utilisation du bleu dominant dans cette gamme de produits.

Le jugement mérite, de ce chef, entière confirmation, les premiers juges ayant pertinemment retenu que la désignation des produits de couleur bleue de la société Adic amène inévitablement à employer les appellations "Le Fil Bleu" ou "Le Ruban Bleu" correspondant aux marques déposées.

2°) Sur la contrefacon de modèle

Le 25 avril 1990, la société Lacme a déposé à l'INPI le modèle d'une " bobine de ruban souple pour clôture électrique de couleur bleue alliée à la couleur blanche ". Au delà de cette description et du dessin qui l'accompagne, c'est le modèle lui-même, c'est-à-dire l'objet déposé, qui mérite protection.

L'article L. 511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle applique cette protection à " tout dessin nouveau, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle ".

Or, la société Adic ne justifie pas de l'antériorité à son profit du dépôt d'un modèle de bobine de même type. Ni le brevet d'invention concernant des lignes de clôtures électriques en fibres associées à plusieurs métaux, ni le dépôt du modèle de cordelettes tricolores fibro-métalliques évoqué plus haut ne constituent cette antériorité alors que le modèle dont se prévaut la société Lacme concerne une bobine de ruban conducteur aux couleurs bleue et blanche selon une combinaison bien déterminée.

Il est sans effet de détailler chacun des éléments de ce modèle pour en conclure qu'ils sont tous emprunts de banalité la forme de la bobine, le ruban conducteur souple, la couleur bleue, la couleur blanche, l'emballage sous film transparent, l'étiquette. C'est en réalité l'ensemble qu'il convient d'examiner, et notamment la présentation générale de ce ruban dont les couleurs bleue et blanche alternent de manière précise.

Les comparaisons faites par la société Adic avec des produits similaires chez les autres fabricants n'est pas probante. En écartant ce qui concerne des fils et non des rubans, les produits des sous-traitants de la société Lacme, les produits figurant dans des catalogues non datés ou postérieurs au dépôt du modèle en cause et les bobines dont les rubans ne contiennent pas de couleur bleue, il ne subsiste aucune comparaison qui puisse être retenue.

En l'absence de preuve indiscutable d'antériorité d'un produit similaire chez les concurrents et chez l'appelante, cet ensemble présente la nouveauté nécessaire exigée par le texte et doit bénéficier de la protection s'attachant aux modèles valablement déposés.

Or, il résulte de l'examen comparé des bobines de rubans conducteurs commercialisés par les sociétés Lacme et Adic que cette dernière a mis sur le marché un produit de présentation similaire, selon les caractéristiques suivantes

EMPLACEMENT TABLEAU

A ces caractéristiques présentant de fortes ressemblances, il faut ajouter, ce qui résulte des photographies prises par Maître Lebrun, huissier de justice à Mortagne, jointes à son procès-verbal du 14 avril 1994, une importante similitude de l'ensemble, même si la bobine ADIC est légèrement plus haute que la bobine Lacme.

Il y a, en conséquence, en l'espèce contrefaçon de modèle, même s'il en s'agit pas d'une imitation servile à l'identique.

Le jugement, doit, là encore, être confirmé.

3°) Sur la concurrence déloyale par parasitisme

Le principe de la libre concurrence suppose l'emploi de moyens loyaux pour capter la clientèle potentielle.

La concurrence devient déloyale par parasitisme lorsqu'une société se nourrit de l'effort intellectuel et économique déployé par une autre, en se bornant à copier ses produits et à profiter de sa réputation, sans qu'il y ait nécessairement risque de confusion entre ces deux sociétés concurrentes.

L'action en concurrence déloyale ne saurait concerner les faits retenus au titre de la contrefaçon. Si la contrefaçon de marques ou de modèles sanctionne la violation de droits privatifs, la concurrence déloyale réprime le manquement aux usages du commerce et les abus de la liberté commerciale.

Il ne saurait donc en l'espèce, en dehors de circonstances particulières s'y rattachant, être agi en concurrence déloyale en ce qui concerne les marques Le Fil Bleu et Le Ruban Bleu et le modèle de bobine de ruban détaillé plus haut.

Les autres produits pour lesquels la société Lacme se plaint de suivisme par la société Adic sont des rubans de clôture à liseré sombre, des électrificateurs à variateur, des isolateurs. Toutefois, le suivisme allégué n'est pas caractérisé faute de précisions, malgré les pièces versées, sur les dates de première commercialisation de ces produits tant par la société Lacme que par la société Adic. Il y a lieu d'ajouter que les rubans à liseré sombre sont un produit fort commun et les électrificateurs à variateur sont un produit ancien et répandu.Quant aux isolateurs àvis pour fixer les clôtures électriques sur des piquets en bois, il résulte des pièces produites que la société Lacme s'est elle-même inspirée d'un produit de la société étrangère Red Snap'r et qu'un différend oppose sur ce point ces deux sociétés.

Par ailleurs, la société Lacme ne démontre pas sa notoriété particulière sur les matériels litigieux, notoriété que la société Adic aurait selon elle captée.

Enfin, le fait d'indiquer sur les catalogues ou prospectus être le " numéro 1 des produits d'élevage " n'est pas constitutif de concurrence déloyale alors que cet argument publicitaire, banal et sans réelle portée, est utilisé par plusieurs entreprises, dont la société Lacme elle-même.

Adoptant pour le surplus ses motifs de ce chef, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu qu'il n'y avait pas de faits de concurrence déloyale pouvant être reprochés à la société Adic.

4°) Sur le préjudice de la société Lacme

Il résulte de ce qui précède que seul est indemnisable le préjudice subi par les contrefaçons de marques et de modèle.

Le préjudice peut être de deux ordres le préjudice commercial et l'atteinte à la propriété et à la valeur de la marque.

Le premier résulte des éventuelles ventes manquées en raison de la contrefaçon. Sur ce point, la société Lacme ne produit aucun document, d'ordre comptable, qui permettrait de relever l'existence, même de manière imprécise, d'un préjudice. Comme les ventes faites par le contrefacteur ne sont pas nécessairement manquées par le propriétaire des marques, il appartient à celui-ci d'apporter un commencement de preuve de son préjudice commercial, tel une baisse de ses ventes, ce que ne fait nullement la société Lacme. Le premier juge a parfaitement écarté la demande d'expertise en rappelant qu'il n'appartient pas au juge de pallier la carence en preuve de la partie demanderesse de dommages et intérêts.

Le second type de préjudice résulte d'une part de l'atteinte au droit de propriété lui-même sur les marques et le modèle. Ce préjudice est indemnisable même s'il n'est justifié d'aucun préjudice commercial. Il y a d'autre part une atteinte à la valeur des marques et modèle du fait même de l'imitation. Toutefois, cette atteinte est d'autant plus sensible que les marques ou modèle contrefaits sont utilisés pour des objets de moindre qualité. Or, il n'est aucunement allégué que les produits Adic en cause soient de moins bonne qualité que les produits Lacme qui ont fait l'objet d'un dépôt de marque ou de modèle.

Ainsi, l'indemnisation de 50.000 Frs pour chacune des contrefaçons de marques et de modèle sera retenue sauf à ajouter que le montant total sera de 150.000 Frs, soit

- 50.000 Frs pour la contrefaçon de la marque Le Fil Bleu,

- 50.000 Frs pour la contrefaçon de la marque Le Ruban Bleu,

- 50.000 Frs pour la contrefaçon du modèle de bobine.

Les interdictions de poursuivre toute contrefaçon des produits visés, la destruction sous astreinte, et la publication d'un extrait du jugement, telles que fixées par le premier juge, doivent être confirmées. Il sera simplement ajouté que les publication décidées feront mention du présent arrêt.

Même s'il n'est que partiellement fait droit aux demandes de la société Lacme, il doit être fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à son profit en cause d'appel pour un montant qu'il convient de fixer à 12.000 Frs, la somme déjà allouée au même titre par le premier juge étant confirmée.

La société Adic, appelante déboutée de ses demandes, doit conserver la charge de ses propres frais irrépétibles et celle des entiers dépens. Il ne saurait, dans ces conditions, être fait droit à sa demande pour procédure abusive.

Par ces motifs, déclare recevables l'appel principal de la société Adic et l'appel incident de la société Lacme contre le jugement rendu le 13 mai 1997 par le Tribunal de Grande Instance d'Alencon, déclare recevables toutes les pièces communiquées et toutes les conclusions signifiées, réforme partiellement ce jugement en condamnant la société Adic à payer à la société Lacme, à titre de dommages et intérêts - 50.000 Frs pour la contrefaçon de la marque Le Fil Bleu, - 50.000 Frs pour la contrefaçon de la marque Le Ruban Bleu, - 50.000 Frs pour la contrefaçon du modèle de bobine, confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, y ajoutant, dit que les publications autorisées par le Tribunal feront mention du présent arrêt, condamne la société Adic à verser à la société Lacme la somme de 12.000 Frs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel, déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes, condamne la société Adic aux entiers dépens, de première instance et d'appel, et dit qu'il sera fait application des dispositions de 1'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de Maître Godet, avoué.