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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 25 juin 1999, n° 1997-09100

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Europe 1 Télécompagnie (SA)

Défendeur :

Prisma Presse (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Verdun, SCP Jobin

Avocats :

Mes Marchais, Llop.

TGI Paris, 3e ch., du 21 mars 1997

21 mars 1997

Prisma Presse regroupe diverses publications parmi lesquelles le magazine mensuel intitulé : " ca m'intéresse ". Elle a déposé depuis l'année 1980 et jusqu'au 11 juin 1996 les quatre marques suivantes :

- la marque dénominative " ça m'intéresse " n° 1.574.812 pour désigner des produits de la classe 16,

- la marque semi-figurative " ça m'intéresse " n° 1.619.921 pour désigner divers produits et services des classes 9, 16, 28 et 41 parmi lesquels les journaux, magazines et les programmes radiophoniques,

- la marque dénominative " c'est fort, c'est clair, ça m'intéresse " n° 92.436565 pour viser des produits et services des classes 16, 25, 38 et 41,

- la marque " ça m'intéresse - l'esprit curieux " n° 96.629234 pour désigner des produits et services des classes 16, 35 et 41.

Prisma Presse a pris connaissance au mois de novembre 1996 d'une campagne de publicité dans la presse écrite au profit d'Europe 1 et d'une de ses nouvelles émissions intitulée (d'après sa grille de programmes diffusée en septembre 1996) " ça nous intéresse " et dont l'accroche publicitaire déclinait le slogan " ça m'intéresse, ça nous intéresse, ça vous intéresse ".

C'est dans ces conditions quelle a fait assigner Europe 1 à jour fixe, par acte du 27 novembre 1996, pour voir constater la contrefaçon de ses quatre marques et voir prononcer des mesures d'interdiction. Elle faisait également valoir que son adversaire avait commis des actes de parasitisme commercial en poursuivant une campagne publicitaire directement inspirée de l'image qu'elle donnait habituellement à son magazine. Elle réclamait qu'Europe 1 soit condamnée à lui payer les sommes de 500 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Europe 1 a conclu au débouté des demandes de Prisma Presse et à la déchéance de la marque " ça m'intéresse " n° 1.619.921 déposée sous une calligraphie particulière pour les produits et services autres qu'un magazine de la presse écrite.

Le juge des référés saisi par Prisma Presse a, par ordonnance du 12 décembre 1996, donné acte à Europe 1 de ce qu'elle déclarait avoir supprimé de la grille de ses programmes, la locution " ça nous intéresse " et lui a fait défense d'utiliser à nouveau la marque " ça m'intéresse ".

Le jugement déféré a :

- déclaré Prisma Presse déchue à compter du 9 octobre 1995 de ses droits sur la marque " ça m'intéresse " enregistrée sous le n° 1.619.921 pour les produits et services suivants : " divertissements radiophoniques et par télévision, production de films, Jeux - Jouets - Éducation - Divertissements clichés - Films Cassettes enregistrées - papeterie matériel d'instruction ou d'enseignement - caractères d'imprimerie ",

- dit que la société Europe 1 en faisant paraître dans l'hebdomadaire " Paris Match " notamment, une publicité déployant les locutions suivantes : " ça m'intéresse, ça nous intéresse, ça vous intéresse " avait commis des actes de contrefaçon par reproduction des quatre marques dont Prisma Presse était titulaire (n° 1.574.812 - 1.619.921 - 96.29234 et 92.36565),

- dit qu'Europe 1 avait commis des actes de parasitisme commercial,

- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte,

- condamné Europe 1 à payer à Prisma Presse les sommes de 200 000 F en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon, 60 000 F en réparation des actes de parasitisme commercial et 12 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Europe 1 poursuit la réformation de cette décision sauf en ce qu'elle a déclaré Prisma Presse déchue à compter du 9 octobre 1995 de ses droits sur la marque " ça m'intéresse " enregistrée sous le n° 1.619.921 pour les services ci-dessus énumérés. Elle fait valoir pour débouter Prisma Presse de sa demande en contrefaçon qu'elle a utilisé une simple accroche publicitaire et non un signe distinctif et qu'il n'y a pas de similarité entre une émission radiophonique et un magazine de la presse écrite. Elle conclut également à l'absence de parasitisme commercial et subsidiairement à l'absence de préjudice de son adversaire. Reconventionnellement elle prie la Cour de :

- condamner Prisma Presse à lui payer la somme de 100 000 F, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts pour procédure intempestive et brutale ayant entraîné le blocage abrupt et non fondé d'une campagne de publicité très importante pour elle et déjà planifiée,

- dire que Prisma Presse a commis une faute engageant sa responsabilité en publiant prématurément à l'échelle nationale un communiqué de presse concernant le jugement du 21 mars 1997 donnant en outre une relation partiale et tronquée de ce jugement,

- condamner cette dernière à lui payer la somme de 260 000 F à titre de dommages-intérêts et à titre de réparation complémentaire d'ordonner des mesures de publication.

Prisma Presse conclut à la confirmation. Subsidiairement et pour le cas où la Cour ne retiendrait pas la contrefaçon de ses marques, elle invoque la protection de sa marque " ça m'intéresse " sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle qui vise la notoriété de la marque.

Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré Prisma Presse déchue sur une partie des produits et services de sa marque " ça m'intéresse " n° 1.619.921, aucun appel n'étant relevé de ce chef ;

Sur la contrefaçon

Considérant que les documents publicitaires incriminés diffusés notamment dans des hebdomadaires (Paris-Match du 28 novembre 1990) pour assurer la promotion de nouvelles émissions radiophoniques, font apparaître dans la partie supérieure de cette publicité la locution " ça m'intéresse " en dessous de laquelle figurent les locutions " ça nous intéresse " et " ça vous intéresse " ; que le centre de cette page est occupée par une représentation photographique de la moitié du visage de l'animateur de l'émission en question ; qu'à l'autre moitié est substituée la photographie d'une loupe ; que la partie inférieure comporte en caractères plus faibles les termes suivants : " Europe 1, Yves Calvi 9 H 00 - 10 H 30 " et " Europe 1 réinvente Europe 1 " ;

Considérant que la locution " ça m'intéresse ", placée en tête de la publicité incriminée, se détache visuellement et prend un relief particulier à l'effet d'interpeller le lecteur ; que dépourvue de toute adjonction, cette locution conserve toute son individualité qui n'est pas altérée par les autres locutions situées en dessous, déclinaisons de la précédente ; que l'utilisation qui en est faite pour promouvoir une émission radiophonique non autrement dénommée l'est à titre de signe distinctif et non comme un élément du langage courant qui se trouverait intégré dans un message publicitaire à l'intérieur duquel il se fondrait ;

Considérant que les deux marques " ça m'intéresse " ont été déposées pour la désignation des produits d'imprimerie et d'édition (journaux périodiques magazines, revues, livres...) ;

Considérant que l'usage des marques précitées a été effectué dans le cadre de la promotion des produits d'une émission radiophonique d'une station qui programme des émissions d'information et de divertissement ;

Considérant qu'à juste titre les premiers juges ont retenu qu'étaient similaires les services d'édition de revues, livres et magazines et les émissions radiophoniques ; qu'ils ont noté sans être utilement contredits par l'appelante que ces services et ces émissions étaient complémentaires, des partenariats fréquents étant mis en œuvre entre presse écrite et radiophonique pour la réalisation d'émissions ;

Considérant qu'il en résulte qu'en utilisant la locution " ça m'intéresse " pour désigner une émission de radio, Europe 1 a commis des actes de contrefaçon des marques " ca m'intéresse " n° 1619.921 et 1.578.812, peu important que le graphisme particulier de la première marque n'ait pas été repris par Europe 1 ; qu'un tel usage entraîne en effet un risque de confusion dans l'esprit du public qui sera amené à penser que Prisma Presse est partie prenante à ces émissions radiophoniques ;

Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte les premiers juges ont également retenu que les deux autres marques de Prisma Presse, étaient contrefaites par la publicité incriminée sur le fondement de l'article L. 713-3 b) du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il en résulte que la demande reconventionnelle d'Europe 1, qui est condamnée pour contrefaçon, fondée sur de prétendus actes de dénigrement, non établis par ailleurs, sera rejetée ;

Sur le parasitisme

Considérant que l'intimée fait grief à Europe 1 de s'être placée dans le sillage du magazine " ça m'intéresse " en utilisant ses procédés d'identification afin de bénéficier de sa notoriété pour " accrocher " auprès des auditeurs une nouvelle émission et la leur faire connaître rapidement et à moindre frais ;

Considérant que plus particulièrement Prisma Presse reproche à l'appelante d'avoir diffusé des publicités ou des dossiers de presse déclinant le titre " ça m'intéresse " et/ou de poursuivre au fil des années, les variations autour de sa marque, les slogans utilisés faisant écho à la forme interpellative et impersonnelle " CA " (1997 et 1998 " ce qui fait notre époque, ça m'intéresse " ou encore de décliner autour du titre " ça m'intéresse ", les slogans tels que " ça me démange ", ça me convainc, ça m'étonne, ça me fascine, ça m'intrigue, ça m'éclaire, ça m'interpelle " ;

Mais considérant qu'Europe 1 fait valoir sans être démentie que la méthode de promotion qui lui est reprochée a été épisodique et qu'elle est depuis longtemps terminée ; qu'elle ajoute qu'elle se place d'autant moins dans le sillage de Prisma Presse que c'est elle et non son adversaire qui peut se targuer d'une exceptionnelle notoriété et qu'elle a réalisé de très importants investissements pour la campagne de publicité de 1996 ;

Considérant en tout état de cause que la marque " ça m'intéresse " ne protège que l'expression en elle-même et non toute forme de déclinaison autour de ladite locution ; que ne constituent donc pas des agissements distincts de la contrefaçon par ailleurs retenue, le fait d'employer la locution " ca m'intéresse " et ses déclinaisons " ça nous intéresse " etc... sauf à démontrer, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, une utilisation massive et fautive de ces slogans; que l'utilisation du terme interpellatif " CA " qui appartient au langage parlé courant ne peut non plus être reproché à faute à Europe 1 ; que celle-ci fait justement valoir qu'elle " s'est contentée d'utiliser une campagne de communication classique, avec des procédés d'une grande banalité, consistant à promouvoir ses émissions radiophoniques avec une accroche descriptive, qui de plus est axée sur l'interactivité, notion phare de la radio Europe 1 et inconnue de la presse écrite " ;

Considérant que la demande formée par Prisma Presse sur le fondement du parasitisme sera, par réformation du jugement, rejetée ;

Sur le préjudice

Considérant qu'eu égard à l'importance de la diffusion publicitaire (dans au moins deux hebdomadaires à grand tirage) les premiers juges ont exactement réparé le préjudice subi par Prisma Presse du fait de la contrefaçon à la somme de 200 000 F ;

Considérant que les mesures d'interdiction sous astreinte seront confirmées ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Prisma Presse une indemnité complémentaire de 12 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf du chef de la concurrence déloyale ; Réformant de ce chef et ajoutant : Dit n'y avoir lieu à condamnation de la société Europe 1 du chef de la concurrence déloyale et parasitaire ; Condamne la société Europe 1 à payer à la société Prisma Presse la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; La condamne aux dépens ; Admet la SCP Jobin au bénéficie des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.