CA Paris, 4e ch. A, 22 juin 1999, n° 1996-87801
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hachette Livres (SA)
Défendeur :
Editions Nathan (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP d'Autrac-Guizard, SCP Mira-Bettan
Avocats :
Mes Sage, Pintrand.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Editions Nathan a édité à partir de l'année 1986 la collection " nathan entraînement " composée de livres éducatifs parascolaires couvrant les différents niveaux de l'enseignement primaire.
Elle déclare avoir au cours de l'année 1993 rénové la présentation de sa collection en utilisant le format 27,5 x 19, en indiquant sur la page de couverture en haut à droite dans un pavé de couleur le niveau de l'ouvrage ainsi que son contenu.
Alléguant que la société Hachette Livres avait commercialisé au mois de mars 1994 des ouvrages concurrents qui reprenaient les caractéristiques principales de sa propre édition portant essentiellement sur leur format, l'emplacement en haut à droite de la couverture du niveau, le contenu de l'ouvrage, l'emploi du terme "Entraînement" sur une seule ligne précédée sur la ligne supérieure du nom de l'éditeur, le fond bleu en dominante, la même couleur pelliculée " façon glacée " de même épaisseur et résistance, l'utilisation d'un dessin différent par cahier, la société Editions Nathan l'a assignée le 9 décembre 1994 devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir notamment sa condamnation à lui payer la somme de 3.000.000 francs à titre de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et celle de 50.000 francs pour ses frais non compris dans les dépens.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 25 octobre 1996, le tribunal saisi, outre les habituelles mesures d'interdiction prononcées a :
- dit que la démarche de la société Hachette Livres consistant à créer un ouvrage associant, comme le fait la société Editions Nathan depuis des années, son nom d'éditeur au mot " entraînement " procède d'une volonté parasitaire de confusion constitutive de concurrence déloyale,
- condamné la société Hachette Livres à payer à la société Editions Nathan la somme de 15.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Hachette Livres qui a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe de la cour du 29 novembre 1996 soutient pour en demander son infirmation partielle qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Editions Nathan aux motifs que le terme "entraînement" s'appliquant à des ouvrages scolaires destinés à préparer les élèves à bien assimiler le programme scolaire est générique, banal et nécessaire, que ce terme a été repris dans de nombreux autres titres tels " L'Entraînement à la grammaire (ellipse), Entraînement à l'épreuve (technique plus), Entraînement suivi du nom de la classe (Albin Michel), Entraînement aux thèmes latins (Boutique), Entraînement à la traduction (Déviane) ou Entraînement comptable (Foucher) " et que le risque de confusion pour un consommateur même moyen n'existe pas dans la mesure où le terme " Entraînement " est précédé de manière visible de la dénomination sociale de chacune des deux maisons d'éditions.
Elle fait encore observer pour conclure à l'infirmation du jugement entrepris qu'il existe une contradiction à considérer comme l'ont fait les premiers juges que les actes de concurrence déloyale constitués ne sauraient être indemnisés par l'allocation de dommages et intérêts.
Elle sollicite en outre la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle ne l'a pas condamnée à des dommages et intérêts ainsi qu'à une astreinte et la condamnation de la société Editions Nathan à lui payer la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle d'un même montant pour ses frais hors dépens.
La société Editions Nathan poursuit la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société Hachette Livres coupables d'actes de parasitisme et de concurrence déloyale à son préjudice et a prononcé l'interdiction de vente des ouvrages intitulés " Hachette Entraînement ", mais de l'infirmer pour le surplus et de la condamner à lui payer à titre provisionnel la somme de 1.500.000 francs en réparation de son préjudice qui devra être déterminé par l'expert judiciairement commis, d'ordonner la publication de l'arrêt à venir dans le quotidien " Le Monde " et l'hebdomadaire " Livres Hebdo " et de condamner la société Hachette Livres à lui payer la somme de 50.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi, LA COUR
Considérant que la société Hachette Livres soutient que la société Editions Nathan qui ne pouvait prétendre avoir la propriété exclusive de l'entraînement et du soutien scolaire a naturellement dû limiter sa critique à la première page des ouvrages opposés ;
Qu'elle indique que le terme "entraînement" lequel est un nom commun ne pouvait être utilisé par la société Editions Nathan qui n'étant pas propriétaire de la marque " nathan entraînement " ne saurait lui reprocher le moindre acte de contrefaçon.
Qu'elle précise que le mot " entraînement " appliqué à une collection d'ouvrages destinés à l'exercice et à l'entraînement de ceux pour ils sont édités à un caractère générique et banal qui le rend insusceptible d'une quelconque appropriation, alors surtout qu'il est utilisé par de nombreux autres éditeurs pour désigner des ouvrages destinés à l'entraînement de leurs lecteurs.
Qu'elle prétend également que la société Editions Nathan est si peu convaincue du bien fondé de sa demande qu'elle n'a pas agi sur le fondement de l'article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle.
Considérant que la société Hachette Livres qui se réfère à un litige l'ayant opposé à la société Editions Nathan judiciairement tranché en sa défaveur indique encore que s'il est prétendu que la couleur, le format et l'emplacement des titres constitueraient des actes de parasitisme, les différences existant entre les ouvrages opposés permettent au consommateur de les reconnaître sans risque de confusion.
Considérant que la société Editions Nathan reprend la motivation contenue dans le jugement déféré et soutient qu'en accolant le terme " entraînement " à Nathan, elle n'agit pas sur le fondement de la contrefaçon d'une marque qu'elle ne détient pas, mais sur celui de la concurrence déloyale.
Qu'elle indique encore qu'il convient de lier l'appréciation de l'utilisation du mot " entraînement " au contexte des ressemblances des couvertures mises en œuvre par la société Hachette Livre qui a sans nécessité associé son nom au terme " entraînement ".
Que le nom de l'éditeur n'assure plus son rôle distinctif pour le consommateur qui n'y attache plus qu'un rôle secondaire, le risque de confusion devant s'apprécier d'après les ressemblances examinées dans leur ensemble lesquelles en l'espèce sont nombreuses.
Considérant ceci exposé, que la société Hachette Livres ne saurait reprocher à la société Editions Nathan de l'avoir assignée en ignorant les dispositions du livre VII du Code de la propriété intellectuelle puisque tout demandeur est en droit de choisir le fondement juridique le mieux adapté à son action.
Considérant que si la compétition économique telle que caractérisée par l'offre de produits ou de services satisfaisant des besoins égaux ou proches par la conquête d'une clientèle ou d'une portion de marché est régie par le principe de la libre concurrence, celui-ci est tempéré par le fait que tout procédé déloyal employé dans la lutte concurrentielle, constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur et le contraint à réparer les conséquences dommageables de ses actes.
Considérant qu'en matière de concurrence déloyale, les ressemblances entre les produits en présence sont de nature à caractériser l'imitation ou l'attitude parasitaire, si les différences ne parviennent pas à supprimer l'effet résultant des similitudes.
Que ces ressemblances doivent en outre être la conséquence d'une volonté évidente qui doit être démontrée par celui qui l'allègue, de reproduire les aspects qui n'étant pas imposés par l'objet auquel il se rapporte, ont été recopiés dans le but soit d'engendrer une confusion entre les produits offerts à la vente, soit de profiter des efforts d'un compétiteur dont le produit bénéficie d'un succès que la concurrence cherche à s'approprier indûment et à moindres frais.
Considérant que les ressemblances entre les ouvrages opposés résultent du format, de la nature de la couverture à texture glacée, de l'utilisation de la couleur de fond bleue et du terme " entraînement " suivi du nom de l'éditeur et de l'indication sur la partie supérieure droite de la classe concernée (CP, CE1,...)
Que les dissemblances ont pour origine :
- le nom de l'éditeur qui précède le terme " entraînement ",
- la nuance bleue différente et différemment utilisée (bleu turquoise dégradé vers le bas recouvrant toute la couverture pour les ouvrages Hachette Livres, bleu plus soutenu dégradé vers le bas mais laissant apparaître une importante fenêtre de forme rectangulaire sur fond beige clair granité pour les Editions Nathan),
- inscription Nathan en rouge et logo caractéristique Hachette Education écrit en bleu,
- représentation systématique d'un enfant issu du même trait, garçon ou fille, dans une attitude de jeu par rapport à l'apprentissage chez Hachette, rectangle figuratif divers illustrant le sujet traité entouré des instruments utiles à l'apprentissage (crayon, ciseau, taille-crayon, surligneur...) chez Nathan,
- mention du titre disposée différemment, " Hachette Entraînement " en haut à droite et " nathan entraînement " en haut pleine page,
- indication d'un titre introductif chez Nathan " Cycle des approfondissements ", absence de toute indication chez Hachette,
- thèmes traités (orthographe dictées, lecture, maths ou numération opérations...) inscrits dans le rectangle figuratif pour Nathan directement sous la mention " nathan entraînement ", en haut à gauche chez Hachette,
- inscription de la classe en épaisses lettres bâton blanches dans un cadre à fond coloré (vert, rose...) chez Nathan, systématiquement en fines lettres bâton de couleur rose avec en dessous le thème traité dans l'ouvrage (français, maths) écrit à l'aide de lettres découpées et " désalignées " chez Hachette,
- indication chez Nathan des mentions suivantes : " Tout le programme de l'année, avec 15 séquences d'exercices. 5 bilans des connaissances. des corrigés et des conseils ", et chez Hachette : " Le programme de l'année en 50 fiches Tests et bilan Corrigés détachables ",
- utilisation de trois couleurs (blanc, noir et rouge) chez Nathan, de cinq (jaune, rose, blanc, bleu violet et bleu plus clair) chez Hachette.
Considérant qu'il résulte de cette comparaison que les ouvrages opposés présentent chacun des caractéristiques essentielles propres et personnelles qui les rendent aisément identifiables pour un consommateur d'attention moyenne qui aurait les deux ouvrages sous les yeux sur un même linéaire et qui attribuera aisément à chaque ouvrage l'éditeur désigné sur la couverture, quand bien même le nom de celui-ci comme le souligne pertinemment la société Editions Nathan ne revêt pas dans l'acte d'achat une importance primordiale.
Que si le substantif " entraînement " utilisé par d'autres éditeurs comme le reconnaît la société intimée constitue l'élément commun figurant sur les couvertures opposées, le fait qu'il soit immédiatement précédé du nom de l'éditeur n'engendre pas le risque de confusion allégué par la société Editions Nathan qui dans le cadre d'une action en concurrence déloyale ne peut se prévaloir d'un quelconque droit sur l'utilisation de ce terme qui ne lui appartient pas.
Que le sens de ce terme " préparation méthodique à certaines tâches " qu'en donne le dictionnaire Le Robert correspond à la vocation des ouvrages opposés destinés à permettre aux enfants de poursuivre ou de compléter par un apprentissage adapté l'enseignement qui leur est dispensé à l'école.
Qu'il convient en outre d'observer que le titre " nathan entraînement " écrit en lettres épaisses de couleur blanche sur la partie supérieure de la couverture est davantage perceptible que celui de " Hachette Entraînement " de couleur bleue visuellement altéré par les lettres de même hauteur de couleur jaune destinées à définir le thème de l'ouvrage.
Considérant enfin que si les ouvrages " nathan entraînement " sous leur nouvelle présentation ont été commercialisés à partir du mois de janvier 1994 et que la société Hachette Livres a fait paraître les siens " Hachette Entraînement " au mois de décembre 1994, la société Editions Nathan ne prouve pas que la société appelante par une attitude parasitaire a cherché à bénéficier de la notoriété de son produit.
Que la société Editions Nathan ne peut donc soutenir que la société Hachette Livres a profité du succès de ses ouvrages et s'est placée dans leur sillage afin d'en bénéficier à moindre frais.
Que le jugement déféré sera par conséquent réformé en toutes ses dispositions.
Qu'il y a lieu de débouter la société Nathan Editions de l'ensemble de ses demandes.
Considérant que la société Editions Nathan qui a pu de bonne foi se méprendre sur la valeur et sur la portée de ses droits ne saurait être condamnée à payer à la société Hachette Livres les dommages et intérêts que celle-ci lui réclame.
Considérant qu'il apparaît en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société Hachette Livres la totalité des frais qu'elle a du engager tant en première instance qu'en cause d'appel et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 30.000 francs.
Par ces motifs : Reforme le jugement rendu le 25 octobre 1996 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ; Déboute la société Editions Nathan de l'ensemble de ses demandes présentées contre la société Hachette Livres ; Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Hachette Livres ; Condamne la société Editions Nathan à payer à la société Hachette Livres la somme de 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Editions Nathan aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de SCP d'avoués Bernabe et Ricard dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.