CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 17 juin 1999, n° 7094-96
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Epoxy Technology Inc (Sté)
Défendeur :
Epotecny (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mme Laporte, M. Maron
Avoués :
SCP Lissaragues-Dupuis, associés, SCP Merle, Carena-Doron
Avocats :
Mes de Roquefeuil, Toulouse.
Faits et procédure :
La société de droit américain Epoxy Technology Inc. (ci-après désignée société Epoxy) est spécialisée dans la fabrication de colles de haute technologie utilisées notamment dans l'aéronautique et l'aérospatiale.
Pour la distribution de ses produits sur le territoire français, la société Epoxy s'est adressée, dans le courant de l'année 1978, à la SA Epotecny sans qu'aucun accord écrit ne vienne consacrer cette collaboration.
En 1984, la société Epoxy s'est portée acquéreur de 15 % du capital de la société Epotecny et les relations se sont poursuivies pendant de nombreuses années sur les bases précédemment décrites.
Par fax du 2 septembre 1992, confirmé par lettre du 29 septembre 1992, la société Epoxy a informé Epotecny de son intention de se retirer de son capital social et de vendre sa participation à une autre société américaine.
Par un courrier du 7 décembre 1992, la société Epoxy a, par ailleurs, informé la société Epotecny de sa décision de mettre fin à leur collaboration à compter du 31 décembre 1992 et de confier la distribution exclusive de ses produits sur le territoire français, à compter du 1er janvier 1993, à la société Polytec, tout en prévoyant une période transitoire de six mois durant laquelle la société Epoxy pourrait s'approvisionner en colles auprès du nouveau distributeur au même tarif de base que précédemment, majoré de 5 % pour frais administratifs.
Sur demande de la société Epotecny, la société Epoxy a cependant accepté de reporter d'un mois la date d'effet de la rupture, soit jusqu'au 1er février 1993.
Par la suite, des difficultés sont apparues entre le nouveau distributeur de la société Epoxy et la société Epotecny, notamment à propos d'une commande passée pour le compte de la société Schlumberger qui n'a pu être que partiellement honorée.
Prétendant avoir découvert, après ces incidents, que la société Epotecny aurait, sans son autorisation, manipulé la composition d'un certain nombre de colles de la gamme Epo-Teck et qu'il en serait résulté pour elle un important préjudice commercial, la société Epoxy a, par acte du 26 avril 1994, introduit à l'encontre de son ancien distributeur, une action en concurrence déloyale pour substitution de produits et falsifications d'informations et pour obtenir en réparation 30 millions de francs.
La société Epotecny a contesté la réalité des faits qui lui étaient imputés et elle a formé reconventionnellement une demande en dommages et intérêts pour rupture brutale des relations contractuelles qui liaient les parties depuis quatorze ans et pour refus de vente.
Par jugement en date du 26 janvier 1996 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de commerce de Versailles a rejeté l'ensemble des prétentions émises par la société Epoxy motif pris essentiellement que celle-ci ne rapportait pas suffisamment la preuve de ses allégations et, faisant droit partiellement à la demande reconventionnelle de la société Epotecny, il a condamné la société Epoxy à payer à cette dernière, pour rupture brutale du contrat de distribution, la somme de 543 413 F à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Appelante de cette décision, la société Epoxy fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les éléments de preuve qui leur étaient soumis et d'avoir dénaturé les faits de la cause. Elle soutient qu'il suffit de se référer aux nombreuses pièces qu'elle verse aux débats pour constater qu'elle n'a jamais autorisé la société Epotecny à modifier, de quelque façon que ce soit, les produits qu'elle fabrique et pour lesquels elle aurait concédé à l'intéressée un droit de distribution exclusif alors qu'il est établi de manière indiscutable, selon elle, que la société Epotecny a procédé à des manipulations desdits produits et qu'elle les a, par la suite, commercialisés sans informer sa clientèle, pas plus que sa cocontractante, de ces manipulations. Elle déduit de là que, en raison de ces graves manquements qui lui ont été dissimulés par la société Epotecny laquelle n'a pas hésité à recourir à des allégations mensongères tant à l'égard d'elle-même qu'à l'égard de la clientèle, elle était fondée à mettre fin aux relations existantes d'autant qu'elle a accepté d'aménager les conditions de la rupture, de sorte que celle-ci ne soit pas préjudiciable à sa cocontractante. Elle reproche par ailleurs à nouveau à la société Epotecny d'avoir, après la rupture, utilisé des manœuvres déloyales pour tenter de conserver le marché de distribution des colles. A cet égard, elle lui impute essentiellement un dépôt de marque frauduleux et des actes de dénigrement dont elle prétend encore établir la preuve.
Elle conteste par ailleurs, pour ce qui la concerne, avoir commis la moindre faute, tant dans l'exécution du contrat que lors de la rupture ou postérieurement, et estime ne pouvoir se voir imputer un refus de vente. Elle demande, en conséquence à la Cour de rejeter l'ensemble des prétentions de la société Epotecny, de dire que celle-ci a engagé sa responsabilité civile en se livrant à des actes de concurrence déloyale et de tromperie, de la condamner à lui payer la somme de 8 millions de francs du fait des falsifications opérées sur les produits, ainsi que celle de 22 millions en réparations des actes de concurrence déloyale par dénigrement et atteinte à son image de marque, de dire que les intérêts sur ces condamnations pourront être capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154, d'ordonner, pour le cas où son argumentation serait suivie, la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux de son choix et ce, aux frais de la société Epotecny et dans la limite de 100 000 F TTC. Enfin, elle réclame à la société Epotecny une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Epotecny fait valoir en réplique que les allégations de la société Epoxy n'ont aucune réalité et elle conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté ladite société de sa demande de dommages et intérêts des chefs de concurrence déloyale et tromperie. Elle sollicite également la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu le caractère brutal et abusif de la rupture des relations contractuelles mais, estimant la réparation qui lui a été allouée à ce titre insuffisante, elle sollicite, dans le cadre d'un appel incident, les sommes ci-après :
- 7 148 111 F au titre de la rupture ;
- 784 880 F au titre du coût des licenciements auxquels elle a été contrainte de procéder ;
Elle reproche également au premier juge d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation pour refus de vente et elle réclame de ce chef la somme de 655 000 F.
Enfin, elle sollicite une indemnité complémentaire de 75 000 F en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour.
Motifs de la décision :
- Sur la rupture des relations contractuelles :
Considérant qu'il est constant et non contesté que la société Epoxy a concédé pendant quatorze années la distribution exclusive, sur le territoire français, de colles de sa fabrication à la société Epotecny, même si aucun accord écrit n'est venu consacrer cette collaboration ; qu'il est également acquis aux débats que, par lettre du 9 septembre 1992, la société Epoxy a informé la société Epotecny de son intention de mettre fin aux relations contractuelles à compter du 1er janvier 1993, invoquant la réorganisation de ses activités en France et que, après discussion, la date d'effet de la rupture a été reportée au 1er février 1993 avec des modalités permettant à la société Epotecny de continuer à s'approvisionner auprès du nouveau distributeur à des conditions préférentielles et ce jusqu'au 1er août 1993 ;
Considérant qu'il est de principe que lorsqu'un contrat de concession a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties est en droit de le résilier sans indemnité et sans avoir à fournir de motifs, sous réserve toutefois de respecter un préavis suffisant et sauf le cas d'un abus de droit imputable à l'auteur de la rupture;
Considérant que la société Epoxy tente en l'espèce de justifier a posteriori la rupture en imputant à la société Epotecny un comportement déloyal consistant notamment à avoir modifié, à son insu, la composition de colles de sa fabrication et à avoir ainsi trompé non seulement la clientèle mais également sa cocontractante, ce qui a généré pour elle un important préjudice commercial tant en France que sur les marchés internationaux et porté atteinte à son image ;
Mais considérant que les griefs allégués par la société Epoxy ne sont pas suffisamment étayés et résultent essentiellement des affirmations du dirigeant de ladite société, lesquels ne peuvent être pris en compte eu égard au contexte litigieux qui oppose les parties ; qu'il apparaît au contraire au vu des nombreuses pièces versées aux débats dont le premier juge a fait une exacte analyse que, si dans le courant de l'année 1983, la société Epoxy n'a pas donné une suite défavorable à la demande formulée à cette époque par la société Epotecny consistant, en partie pour des raisons douanières, à se voir adresser directement par le fabricant (Epoxy) les différents ingrédients entrant dans les compositions des colles et ce, afin d'effectuer elle-même les différents mélanges pour sa clientèle française, il n'en reste pas moins qu'il apparaît que différentes adaptations techniques ont été rendues nécessaires sur les produits finis pour les rendre compatibles avec les exigences de la clientèle, comme cela est attesté par M. Lambert, ingénieur en retraire, et comme le montrent surtout clairement les différents échanges de correspondances, ces simples adaptations techniques du produit fini ayant permis d'améliorer celui-ci puisque aucune doléance n'a, pendant la durée du contrat, été émise à l'encontre de la société Polytec et qu'au contraire des difficultés sont apparues lorsque ladite clientèle a été directement livrée par la société Epoxy ;
Que le grief tenant à une tromperie tant du concédant que de la clientèle est d'autant moins étayé que la société Epotecny n'a jamais dissimulé qu'elle se livrait à des adaptations techniques du produit comme le montre un courrier adressé le 7 mars 1991 à un important client espagnol qui s'est à son tour adressé par la suite, faute d'avoir trouvé un accord commercial avec la société Polytec, directement au fabricant américain, de sorte que celui-ci ne peut prétendre avoir ignoré les adaptations en question ; que cela est d'autant moins vraisemblable qu'il ressort, toujours des pièces des débats, que les deux sociétés en cause se sont à la même époque rapprochées pour tenter de mettre en commun leur savoir-faire, ce qui montre encore, si besoin était, que même si la société Epoxy s'était réservé la fabrication exclusive du produit et surtout des colles H. 20, elle admettait cependant que l'adaptation du produit fini pourrait être parachevée par son distributeur français dont le rôle ne se limitait par conséquent, au pur domaine commercial ;
Que les griefs dont tente encore de se prévaloir l'appelante, à partir de contrôles ou de visites effectuées chez les clients après la rupture, ne sont pas davantage probants d'un comportement déloyal dès lors que, comme l'a relevé le tribunal, ces contrôles émanent de la société Epoxy elle-même et que les constatations effectuées chez les clients ont été directement influencés par le nouveau distributeur de la société Epoxy, étant observé de surcroît, que les modifications relevées ne relevant encore que d'une adaptation du produit dont il a été dit précédemment qu'il n'était pas établi qu'elle avait été faite en fraude des droits de la société Epoxy et de la clientèle ;
Considérant qu'il suit de là que la société Epoxy n'établit pas l'existence de fautes imputables à la société Epotecny lui permettant de mettre fin brutalement au contrat de concession qui liait les parties depuis de nombreuses années;
Or considérant qu'à cet égard, il apparaît que, comme l'a relevé le tribunal par de justes motifs que la Cour s'approprie, le délai de quelques semaines même prorogé d'un mois dont a bénéficié le concessionnaire, ne saurait constituer un préavis suffisant, eu égard à la durée de relation, permettant audit concessionnaire de réorienter ses activités et de trouver des débouchés de substitution; que les conditions préférentielles d'approvisionnement auprès du nouveau concessionnaire, obtenues après négociation et qui ont été de surcroît source de difficultés, ne sauraient valoir comme le soutient l'appelant, prorogation d'un contrat permettant, comme il a été dit, au concessionnaire de réorganiser ses activités ; que le tribunal a également fait une exacte analyse du préjudice qui en est résulté pour la société Epotecny qui ne justifie en rien de son appel incident ; que le jugement sera confirmé dès lors encore de ces chefs par adoption de motifs ainsi qu'en ce qui concerne le prétendu refus de vente qui n'est nullement étayé et qui n'émane pas directement de la société Epoxy mais du nouveau revendeur qui n'a pas été mis en cause par l'intimé ;
- Sur les faits de concurrence déloyale alléguée par l'appelante postérieurement à la rupture des relations contractuelles :
Considérant qu'il sera rappelé que la société Epotecny a constitué en France pendant de nombreuses années une clientèle dont il n'est pas contesté qu'elle est sa propriété ; que n'étant pas liée envers la société Epoxy par une clause de non-concurrence, la société Epotecny était libre, aussitôt après la date d'effet de la rupture, de proposer à sa clientèle des produits concurrents;
Que la prétendue diffusion de fausses informations par la société Epoxy est par ailleurs insuffisamment étayée comme résultant de témoignages indirects ou d'attestations émanant de personnel ayant quitté la société Epotecny et qui, de ce fait, ne peuvent revêtir un crédit suffisant ; qu'il n'est pas davantage de surcroît justifié d'une quelconque incidence de ces prétendues divulgations sur l'image de marque et le chiffre d'affaires réalisées de la société Epoxy, étant observé qu'il ne peut être reproché à la société Epotecny d'avoir infirmé sa clientèle qu'elle ne représentait plus la société Epoxy qui, de surcroît, a pris l'initiative de la rupture à ses risques et périls ; que ne saurait davantage être pris en compte le dépôt frauduleux par la société Epotecny de la marque Epotek sauf à aboutir à double réparation, étant précisé que ce litige a fait l'objet d'un jugement rendu le 23 juin 1998 par le Tribunal de commerce de Nanterre (dont il n'est pas justifié du caractère fautif) sanctionnant directement sur ce point la société Epotecny ; que la Cour ne saurait en conséquence, dans le cadre de la présente instance, se saisir de ce litige qui ne lui est régulièrement déféré ; qu'il s'ensuit que, en l'état la société Epoxy ne justifie pas du caractère déloyal du comportement de la société Epotecny postérieurement à la rupture et qu'elle sera déboutée de l'indemnité en dommages et intérêts qu'elle forme de ce chef ;
- Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Epotecny les frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; que la société Epoxy sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant par ailleurs que la société Epoxy, qui succombe dans l'exercice du recours qu'elle a initié, supportera les entiers dépens exposés jusqu'à ce jour ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société Epoxy Technology Inc. en son appel principal et la société Epotecny en son appel incident ; Dit ces appels mal fondés et les rejette ; Confirme en conséquence en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant, Condamne la société Epoxy Technology Inc. à payer à la société Epotecny une indemnité complémentaire de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà allouée au même titre par le premier juge ; Condamne également la société Epoxy Technology Inc. aux entiers dépens exposés jusqu'à ce jour et autorise la SCP d'avoués Merle et Carena-Doron, à poursuivre le recouvrement de la part la concernant comme il est dit à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.