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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 12 juin 1999, n° 9506138

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Roedelsperger, Bijouterie La Tête d'Or (SARL)

Défendeur :

Kuhn, Bijouterie Horlogerie Roedelsperger (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

Mmes Bertrand, Schneider

Avocats :

Mes Perrad & associés, Mes Cahn & Associés.

Colmar, du 12 janv. 1989

12 janvier 1989

Selon acte de vente reçu par Maître Pfeiffer, notaire, les 27 et 31 janvier 1994, Monsieur Didier Kuhn a acquis de Monsieur Henri Roedelsperger, de son épouse Madame Hiff, de Madame Hélène Roedelsperger et de Madame Nicole Roedelsperger le fonds de commerce de bijouterie-horlogerie et orfèvrerie sis à Colmar, 23 rue des Clés, connu sous le nom de bijouterie-horlogerie Roedelsperger, moyennant paiement d'un prix de 4.190.000 francs HT.

L'exploitation du fonds de commerce à l'enseigne " Bijouterie-horlogerie Roedelsperger " a ensuite été transférée 42, rue des Têtes à Colmar.

Le protocole d'accord du 3 décembre 1990 et l'acte de vente ultérieur contiennent à l'encontre des vendeurs une clause de non-concurrence leur interdisant de se rétablir ou de s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à l'exploitation d'un fonds de commerce de même nature que celui vendu, ou s'en rapprochant, dans un rayon de 15 km à vol d'oiseau du lieu d'exploitation du fonds de commerce vendu, et pendant une durée de 10 années à compter du jour de la vente ; une exception a cependant été prévue et concerne le fonds de commerce de bijouterie connu sous l'enseigne La Tête d'Or, exploité à Colmar 21, rue des boulangers par la SARL Bijouterie Peterschmitt, laquelle s'est également engagée tant pour elle-même que pour le compte de ses associés à ne pas concurrencer les acquéreurs, et notamment à ne pas utiliser le nom de Roedelsperger, ni modifier sa " gamme de produits actuels (pièces en dessous de 10.000 francs et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs ", ces montants étant " indexés sur la valeur de l'or ".

Se fondant sur un procès-verbal de constat dressé par Maître Cassowitz, huissier de justice, le 11 août 1995 ainsi que le 16 octobre 1995 et se prévalant de l'activité concurrentielle à laquelle se livrait la société Peterschmitt, qui commercialisait des pièces d'une valeur supérieure à 10.000 francs, voire 20.000 francs, Monsieur Didier Kuhn et la S. à. R. L. Bijouterie-horlogerie Roedelsperger ont par requête du 8 novembre 1995 fait assigner Monsieur Henri Roedelsperger, Madame Marguerite Hiff épouse Roedelsperger, Madame Hélène Roedelsperger, Madame Nicole Roedelsperger, Mademoiselle Edith Roedelsperger, Madame Denise Roedelsperger épouse Hohl, Madame Madeleine Roedelsperger et la SARL Bijouterie La Tête d'Or devant la juridiction des référés commerciaux de Colmar, aux fins de voir :

- condamner les défendeurs à cesser immédiatement toute commercialisation de produits excédant la valeur de 20.000 francs,

- condamner les défendeurs à limiter leur gamme de produits vendus aux pièces en dessous de 10.000 francs, à la seule exception d'une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs,

- condamner les défendeurs à une peine d'astreinte de 50.000 francs par infraction constatée,

- condamner les défendeurs au paiement d'un montant provisionnel de 300.000 francs à valoir sur les dommages et intérêts,

- autoriser les requérants à communiquer la teneur de l'ordonnance à intervenir à la Guilde des Orfèvres, à la maison Chopard et à tout fournisseur, qui serait susceptible d'approvisionner la SARL Bijouterie Tête d'Or en produits d'une valeur supérieure à 10.000 francs,

- et condamner les défendeurs solidairement et conjointement aux entiers frais et dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 10.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les défendeurs concluaient à l'irrecevabilité de la requête pour cause de contestation sérieuse les clauses de non-concurrence nécessitant interprétation, et à l'action de 15.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ordonnance du 8 décembre 1995, le juge des référés commerciaux du tribunal de grande instance de Colmar a

- condamné les défendeurs à cesser immédiatement toute commercialisation de produits excédant la valeur de 20.000 francs (prix de vente) réactualisée au cours de l'or depuis le 3 décembre 1990, date du protocole d'accord,

- condamné les défendeurs à limiter leur gamme de produits vendus aux pièces en dessous de 10.000 francs (prix de vente) à la seule exception d'une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs, lesdites valeurs devant être réactualisées au cours de l'or depuis le 3 décembre 1990, date du protocole d'accord,

- assorti les condamnations précitées d'une astreinte de 25.000 francs par infraction constatée,

- autorisé Monsieur Didier Kuhn et la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger à communiquer la teneur de l'ordonnance à la Guilde des Orfèvres, à la maison Chopard et plus généralement à tout fournisseur, qui serait susceptible d'approvisionner la SARL Bijouterie La Tête d'Or en produits d'une valeur supérieure à 10.000 francs, ladite somme devant être réactualisée au cours de l'or depuis le 3 décembre 1990, date du protocole,

- déclaré irrecevable la demande de provision à valoir sur l'indemnisation définitive du préjudice des requérants,

- constaté que les dispositions, qui précèdent sont immédiatement exécutoires de plein droit par provision,

- condamné enfin les défendeurs conjointement et solidairement à payer à Monsieur Didier Kuhn et à la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger, la somme de 6.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Selon déclaration du 12 décembre 1995, les consorts Roedelsperger et la SARL Bijouterie La Tête d'Or ont interjeté appel.

Par assignation postérieure les demandeurs ont sollicité la désignation d'un expert aux fins de vérification de la comptabilité de la bijouterie La Tête d'Or mais leur requête a été rejetée par ordonnance du 26 janvier 1996.

Parallèlement et par demande introductive d'instance datée du 12 mars 1996, Monsieur Didier Kuhn et la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger ont fait assigner les consorts Roedelsperger et la SARL Bijouterie La Tête d'Or devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Colmar concluant à voir :

- condamner les défendeurs à cesser immédiatement toute commercialisation de produits excédant la valeur de 20.000 francs,

- condamner les défendeurs à limiter leur gamme de produits vendus aux pièces en dessous de 10.000 francs, à la seule exception d'une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs,

- condamner les défendeurs à une peine d'astreinte de 50.000 francs par infraction constatée,

- autoriser les requérants à communiquer la teneur de la décision à intervenir à la Guilde des Orfèvres, à la maison Chopard et plus généralement à tout fournisseur qui serait susceptible d'approvisionner la SARL Bijouterie Tête d'Or en produits d'une valeur supérieure à 10.000 francs,

- condamner solidairement et conjointement les défendeurs à payer aux demandeurs un montant provisionnel de 1.000.000 francs à valoir sur le préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- désigner tel expert qu' il plaira avec mission

- de chiffrer le préjudice subi par les requérants du fait de la violation par les défendeurs de la clause de non-concurrence convenue dans le protocole du 3 décembre 1990 et les actes de vente de fonds de commerce des 27 et 31 janvier 1994 reçus par Maître Pfeiffer, notaire,

- dire qu'à cette fin, l'expert pourra remettre par les défendeurs à la requête, ou par tout comptable qui les détiendrait, les bilans, documents annexes aux bilans, liasses fiscales comptabilités fournisseurs, comptabilité clients, factures d'achats fournisseurs, factures de vente, ainsi que tout document comptable ou non, de toute nature, qui lui serait nécessaire pour sa mission,

- dire que l'expert recherchera en premier lieu, toutes les ventes de pièces supérieures à 20.000 francs (ce montant étant indexé sur la valeur de l'or) pratiquées depuis la date du protocole du 3 décembre 1990,

- dire que par ailleurs l'expert recherchera pendant toute la période considérée, la présence dans les stocks de la défenderesse de plus de 15 pièces d'une valeur de vente supérieure à 10.000 francs, montant indexé sur la valeur de l'or, et déterminera les périodes pendants lesquelles cette présence aura été constatée,

- dire que l'expert relèvera l'ensemble des achats de pièces supérieures à 10.000 francs (prix de vente) en tenant compte des coefficients habituellement pratiqués par la SARL Bijouterie Tête d'Or,

- dire que l'expert chiffrera le préjudice subi par la SARL Roedelsperger en tenant compte notamment de la marge réalisée par la SARL Roedelsperger, requérante, sur ses propres ventes,

- dire que l'expert fera toutes observations de nature à éclairer la juridiction qui sera saisie au fond, sur l'importance et la nature des actes de violation de la clause de non-concurrence qu'il constatera,

- dire que l'expert fera toutes observations de nature à éclairer la juridiction qui sera saisie au fond, sur l'importance et la nature des actes de violation de la clause de non-concurrence qu'il constatera,

- dire que l'expert déposera son rapport dans un délai de trois mois à compter de la communication du dossier,

- donner acte aux requérants de ce qu'ils entendent avancer les frais de l'expertise,

- déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision,

- condamner solidairement les défendeurs en tous frais et dépens, ainsi qu'au paiement d'un montant de 30.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils reprochent aux défendeurs la commercialisation par la SARL Peterschmitt " La Tête d'Or " de pièces d'une valeur supérieure à 10.000 francs, respectivement à 20.000 francs ainsi que la distribution de produits référencés par la Guilde des Orfèvres et la Maison Chopard et font état d'un important préjudice.

Les défendeurs ont fait valoir des moyens d'irrecevabilité de l'action à l'égard de certains d'entre eux et conclu en tout cas au débouté de la demande, invoquant que la clause contenue dans le protocole d'accord du 3 décembre 1990 est nulle car illimitée dans le temps et dans l'espace et que celle contenue dans l'acte notarié n'est pas opposable à Edith Roedelsperger, Denise Roedelsperger, Madeleine Roedelsperger, ni surtout à la SARL Peterschmitt exploitant la bijouterie-horlogerie " La Tête d'Or ", non signataire de l'acte, et qu'en ce qui concerne les autres parties, d'une part le problème de sa validité est posé en raison de son imprécision et de son ambiguïté, et d'autre part la preuve des actes de concurrence déloyale n'est pas rapportée.

Par jugement du 18 août 1997, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Colmar a :

- déclaré la demande recevable et bien fondée,

- condamné les défendeurs à cesser immédiatement toute commercialisation de produits excédant la valeur de 20.000 francs,

- condamné les défendeurs à limiter leur gamme de produits vendus aux pièces en dessous de 10.000 francs, à la seule exception d'une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs,

- condamné les défendeurs à une peine d'astreinte provisoire de 50.000 francs par infraction constatée après la signification du jugement,

- débouté les demandeurs de leur demande de communication du jugement à la Guilde des Orfèvres, à la Maison Chopard et à tout fournisseur susceptible d'approvisionner la SARL Bijouterie La Tête d'Or en produits d'une valeur supérieure à 10.000 francs,

- condamné solidairement les défendeurs à payer aux demandeurs un montant provisionnel de 250.000 francs à valoir sur le préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- ordonné une expertise comptable afin de déterminer l'ampleur du préjudice subi,

- déclaré le jugement exécutoire par provision,

- condamné solidairement les défendeurs au paiement d'un montant de 8.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et,

- réservé les dépens.

Selon déclaration reçue au greffe le 3 septembre 1997, les consorts Roedelsperger et la SARL Bijouterie " La Tête d'Or " ont interjeté appel.

Par arrêt du 9 septembre 1997, cette Cour a ordonné la jonction des dossiers relatifs à l'ordonnance de référé et au jugement sous le n° 95-6138.

Par assignation en référé, les appelants ont sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire de ce jugement en faisant valoir que le paiement d'une somme de 250.000 francs aurait des conséquences manifestement excessives et ce alors qu'il s'agit d'un montant arbitraire, qui n'est justifié par aucun élément chiffré.

Monsieur Didier Kuhn et la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger s'y opposaient en faisant valoir que les consorts Roedelsperger et la bijouterie La Tête d'Or ont continué leurs agissements frauduleux malgré l'ordonnance de référé du 8 décembre 1995, et ils réclamaient paiement d'une indemnité de procédure de 5.000 francs. Par ordonnance de référé du 23 décembre 1997, l'exécution provisoire du jugement a été arrêtée en tant que le montant de la provision excédait un montant de 150.000 francs et la demande fut rejetée pour le surplus.

Par mémoires reçus au greffe les 16 avril 1996, 16 janvier et 16 mai 1997, les appelants ont conclu à l'infirmation de l'ordonnance entreprise, au rejet de la demande de Monsieur Kuhn et de la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger ainsi qu'à leur condamnation à supporter les dépens et à leur payer une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils ont fait valoir que le litige excédait la compétence du juge des référés, lequel a dû compléter la clause de non-concurrence par son ordonnance, en précisant que les valeurs devaient s'entendre comme prix de vente, alors que la clause ne faisait nulle référence à la notion de vente ; qu'en outre l'interprétation des termes de " une quinzaine de pièces " rapproché de celui de " gamme de produits ", et de l'adverbe " exceptionnellement " n'est pas de la compétence d'une juridiction des référés.

A titre " très subsidiaire " ils ont ajouté que la prétention à allocation d'une provision (objet de l'appel incident) est dénuée de tout fondement, à défaut de toute pièce justificative, relevant

- que l'annexe n° 8 au procès-verbal de constat dressé le 3 novembre 1995 par Maître Cassowitz fait apparaître qu'entre le 7 janvier 1994 et le 18 janvier 1995 seul 18 articles excédant 10.000 francs ont été vendus, de sorte qu'il s'agit là d'opérations exceptionnelles, révélatrice du caractère fantaisiste du montant de la provision réclamée,

- que la " Guilde des Orfèvres " à laquelle la Bijouterie La Tête d'Or s'est affiliée, suite à la sortie de Monsieur Kuhn, offre en majorité des articles d'un prix d'achat et de vente conseillés inférieurs à 10.000 francs,

- enfin que les parties adverses auraient pu préciser que par l'intermédiaire d'une société, Monsieur Kuhn a acquis le fonds de commerce bijouterie-horlogerie Roedelsperger (pour 4.198.052 francs) mais aussi les locaux d'exploitation de ladite bijouterie, sise 23, rue des Clés à Colmar et qu'il a revendu les locaux d'exploitation au prix de 3.000.000 francs, tout en cédant le droit au bail pour 6.750.000 francs, s'installant ensuite 42, rue des Têtes vis-à-vis de la bijouterie La Tête d'Or qui y était déjà implantée.

Par mémoire ultérieur reçu au greffe le 18 décembre 1997 et " conclusions modificatives " datées du 14 mai 1998, les appelants ont conclu à l'infirmation du jugement déféré, à voir interpréter comme suit, par application de l'article 1162 du code civil, la clause de non-concurrence litigieuse :

" - par prix de 10.000 francs et 20.000 francs, il faut entendre prix d'achat et non pas prix de vente,

- par une quinzaine de pièces entre 10.000 francs et 15.000 francs, il faut entendre une quinzaine de pièces vendues, un nombre supérieur pouvant en être détenu en magasin,

- par exceptionnellement, il faut entendre mensuellement ",

au rejet des prétentions de Monsieur Didier Kuhn et de la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger et à la condamnation in solidum des parties en tous les dépens de première instance et d'appel.

Ils invoquent à nouveau l'ambiguïté de la clause de non-concurrence litigieuse, soutenant qu'elle ne peut être dissipée, ni par une recherche d'intention des parties, ni par une interprétation selon l'usage, de sorte, qu'il y a lieu à application pure et simple des dispositions de l'article 1162 du Code Civil et que cette clause doit être interprétée en leur faveur, dès lors qu'ils l'ont contractée, et qu'en conséquence,

- par prix de 10.000 francs et 20.000 francs, il faut entendre prix d'achat et non du prix de vente,

- par une quinzaine de pièces, il faut entendre les pièces vendues, un nombre supérieur pouvant être détenu en magasin, et,

- par exceptionnellement, il faut entendre mensuellement.

A titre subsidiaire ils réitèrent leur argumentation relative à la provision.

Par mémoires reçus au greffe le 15 novembre 1996 et le 20 mars 1997, Monsieur Didier Kuhn et la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger ont conclu au rejet de l'appel des consorts Roedelsperger et de la SARL Bijouterie La Tête d'Or contre l'ordonnance de référé, tant comme irrecevable que mal fondé, formant appel incident, sollicitant paiement d'une indemnité provisionnelle de 30.000 francs ainsi que d'une indemnité de procédure de 10.000 francs.

Par mémoire daté du 20 mars 1998 et conclusions complémentaires reçues au greffe le 18 septembre 1998, ils ont conclu au rejet de l'appel principal, à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation des appelants au paiement de 30.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils font valoir que le prononcé du jugement au fond rend sans objet la contestation sérieuse soulevée par les appelants, de sorte que l'ordonnance ne pourra qu'être confirmée et soutiennent :

- que la clause litigieuse est claire et précise et qu'elle ne souffre aucune discussion,

- que s'agissant d'une clause relative à l'interdiction de concurrence, les prix mentionnées sont à l'évidence les prix pratiqués à la vente auprès de la clientèle,

- que d'ailleurs le catalogue de la Tête d'Or comporte des pièces dont la valeur peut atteindre 200.000 francs, de sorte que la discussion concernant le prix d'achat ou de vente est dépourvu de pertinence,

- qu'il n'y a pas de problème généré par les termes de " pièce " rapproché de " gamme de produits " car il résulte de la lecture de la clause que la gamme des produits proposés à la vente par la bijouterie La Tête d'Or qui ne devait pas être modifiée se composait lors de la conclusion de l'acte authentique de produits dans lesquelles les pièces de bijouterie ne dépassaient pas 10.000 francs chacune et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu' à 20.000 francs,

- que l'huissier a, dans ses constats des 11 août 1995 et 16 octobre 1995, relevé que les vitrines de la bijouterie comportait de nombreux articles d'un prix supérieur et que le catalogue de vente portait sur de nombreux articles d'un prix supérieur à 10.000 francs et même à 20.000 francs, ce qui caractérise le manquement à la clause de non-concurrence ;

Que deux nouveaux constats établis les 4 février et 16 septembre 1997 prouvent que le nombre de pièces excédant 10.000 francs dépasse la quinzaine ;

Que l'inventaire des pièces du magasin auquel Maître Cassowitz a procédé le 21 octobre 1997 révèle l'importance des manquements des appelants.

SUR CE, Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;

1. Sur l'ordonnance de référé du 8 décembre 1995 : - Attendu que les appelants font valoir que la clause litigieuse nécessite interprétation et qu'il existe en l'espèce une contestation sérieuse, excédant la compétence du juge des référés ;

Attendu que l'existence d'une contestation sérieuse doit s'apprécier au jour où le juge des référés rend sa décision et qu'une Cour d'Appel saisie d'un appel contre une ordonnance de référé ne dispose que des pouvoirs conférés par la loi à ce magistrat ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte du protocole d'accord en date du 3 décembre 1990 relatif à la vente du fonds de commerce de la bijouterie-horlogerie Roedelsperger que les associés de la SARL Peterschmitt (soit les consorts Roedelsperger) se sont engagés tant en leur nom personnel qu'au nom de la société à ne pas concurrencer la SARL Roedelsperger, s'interdisant et interdisant à cette dernière :

" - d'utiliser le nom de Roedelsperger,

- de modifier leur gamme de produits actuels (pièces en dessous de 10.000 francs et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs ; ces montants sont indexés sur la valeur de l'or) "

Que l'acte notarié de vente du fonds des 27 et 31 janvier 1995 a expressément rappelé la clause de non-concurrence imposée au vendeur, précisant qu'il " s'interdit le droit de se rétablir ou de s'intéresser directement ou indirectement l'exploitation d'un fonds de commerce de même nature que celui vendu dans un rayon de 15 km à vol d'oiseau du lieu d'exploitation du fonds pendant une durée de 10 années à compter du jour de la vente à l'exception uniquement du fonds de commerce de bijouterie-horlogerie connu sous l'enseigne "la Tête d'Or" exploitée à Colmar, 21 rue des Boulangers par la SARL Bijouterie Peterschmitt " ;

Attendu en conséquence que si le principe d'interdiction de concurrence découlant de cette clause est incontestable, il comporte une exception au profit de la bijouterie La Tête d'Or, exploitée par la SARL Peterschmitt mais toutefois avec interdiction pour celle-ci de modifier sa " gamme de produits actuels (pièces en dessous de 10.000 francs et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs " étant précisé que " ces montants sont indexés sur la valeur de l'or " ;

Attendu que l'examen de la demande en référé impose donc à l'évidence l'interprétation de cette clause d'interdiction et notamment de ses termes " gammes de produits ", surtout que la mention des prix, ne comportait aucune autre précision (prix de vente ou d'achat) ;

Attendu que c'est donc à bon droit que les appelants ont fait valoir la contestation sérieuse et il y a lieu d'infirmer l'ordonnance déférée et statuant à nouveau, de débouter les demandeurs des fins de leur demande ;

2. Sur le jugement du 18 août 1997 :

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la clause de non-concurrence litigieuse nécessite interprétation ;

Attendu que toutes les conventions s'interprètent les unes par rapport aux autres, notamment en rapprochant le protocole d'accord, de l'acte notarié ultérieur ;

Attendu qu'il en résulte que les parties venderesses se sont engagées selon une clause d'interdiction limitée dans le temps (10 ans à compter de l'acte de vente) et dans l'espace (15 km à vol d'oiseau) a, ne pas concurrencer la SARL Roedelsperger et notamment à ne pas se rétablir, une exception étant cependant prévue au profit de la bijouterie-horlogerie " La Tête d'Or " exploitée à Colmar, 21 rue des Boulangers par la SARL Peterschmitt ;

Attendu que selon le protocole d'accord auquel l'acte notarié des 27 et 31 janvier 1995 se réfère, les associés de la SARL PETERSCHIvIITT se sont interdit et ont interdit à cette dernière :

" - d'utiliser le nom de Roedelsperger,

- de modifier leur gamme de produits actuels (pièces en dessous de 10.000 francs et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs ; ces montants sont indexés sur la valeur de l'or) " ;

Attendu qu'il convient d'examiner cette exception en se référant à l'esprit de la non-concurrence que les parties ont instituée entre elles, la SARL Peterschmitt ne devant pas toucher la même gamme de produits, ni viser la même clientèle que la SARL Roedelsperger ;qu'il en résulte que le prix de référence des pièces de la gamme de produits doit s'entendre par prix de vente car c'est par rapport à la clientèle, dont elle interdit la captation que la clause doit être comprise ;

Attendu que, selon la convention, la " Tête d'Or " ne peut donc proposer à sa clientèle qu'une gamme de produits conforme à celle qu'elle vendait à la date de conclusion de la convention à savoir " des pièces en dessous de 10.000 francs et exceptionnellement une quinzaine de pièces jusqu'à 20.000 francs " ;

Attendu que ceci implique qu'elle ne peut offrir à sa clientèle plus de 15 pièces d'un prix supérieur à 10.000 francs et inférieur à 20.000 francs mais qu'elle peut en permanence proposer 15 bijoux de ce prix, en procédant au remplacement d'une telle pièce, dès la vente de celle-ci ;

Attendu qu'il résulte des procès-verbaux de constat dressés par Maître Cassowitz qu'aux dates suivantes étaient exposés dans les vitrines de la bijouterie-horlogerie " La Tête d'Or ",

- le 11 août 1995, 51 pièces d'un prix supérieur à 10.000 francs, dont 13 d'un montant supérieur à 20.000 francs,

- le 16 septembre 1997, 31 pièces d'un prix supérieur à 10.000 francs, et, le 21 octobre 1997, 12 pièces d'un prix supérieur à 10.000 francs ;

Attendu qu'il en résulte donc qu'aux deux premières dates, les consorts Roedelsperger ont manifestement violé les dispositions de la clause d'interdiction litigieuse, de sorte que la demande de Monsieur Kuhn et de la SARL Bijouterie-horlogerie Roedelsperger tendant à condamner les défendeurs à cesser immédiatement toute commercialisation de produits excédant la valeur de 20.000 francs et à limiter leur gamme de produits vendus aux pièces en dessous de 10.000 francs à la seul~ exception d'une quinzaine de pièces sous astreinte provisoire de 50.000 francs par infraction constatée s'avérait bien fondée et il y a lieu de confirmer lesdites dispositions du jugement ;

Attendu qu'il convient aussi de confirmer le jugement déféré en tant qu'il a ordonné une expertise pour pouvoir chiffrer selon des bases comptables le préjudice direct subi par les demandeurs ;

Attendu qu'en l'état actuel du dossier, à défaut d'éléments précis permettant d'évaluer le préjudice subi par les demandeurs mais au vu des deux constats d'huissier dressés les 11 août 1995 et 16 septembre 1997, soit à deux ans d'intervalle, il y a lieu d'allouer aux demandeurs une indemnité provisionnelle qui au vu de ces circonstances doit être fixée à 150.000 francs ;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celle relative au montant de la provision à valoir sur le préjudice pour statuer en ce sens ;

Attendu qu'il y a lieu de condamner les appelants qui succombent à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer aux intimés une somme de 5.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de débouter les intimés du surplus de leur demande.

PAR CES MOTIFS : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré, Déclare les appels interjetés par les consorts Roedelsperger et la SARL Bijouterie La Tête d'Or contre l'ordonnance prononcée le 8 décembre 1995 et le jugement prononcé le 18 août 1997 réguliers et recevables en la forme ; Infirme l'ordonnance prononcée le 8 décembre 1995 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Dit que la demande se heurte à une contestation sérieuse ; Déboute les demandeurs des fins de cette demande ; Confirme cependant le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celle relative au montant de la provision allouée et statuant à nouveau sur ce seul point ; Condamne les défendeurs et appelants à payer aux demandeurs et intimés une indemnité provisionnelle de 150.000 (cent cinquante mille francs) aux lieu et place de 250.000 (deux cent cinquante mille francs) ; Condamne les appelants aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux intimés une somme de 5.000 (cinq mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs conclusions plus amples et contraires.