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Décisions

CA Rouen, audience solennelle, 8 juin 1999, n° 9405071

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bacardi Imports Inc (Sté)

Défendeur :

Claude Bachet et Fils (SARL), Cave des Pises (Sté), Société d'Élevage et de Diffusion des Grands Vins (SA), Cusenier (SA), Vins de France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Brocart, Grégoire

Conseillers :

M. Pérignon, Mme Le Carpentier, M. Gallais

Avoués :

SCP Greff-Curat, SCP Hamel-Fagoo, Me Couppey

Avocats :

Mes Henry, Imbach, Roux, Szleper, Devers.

TGI Paris, du 3 mai 1989

3 mai 1989

La société Claude Bachet et Fils (Bachet) est titulaire de la marque semi-figurative Le Papillon, protégeant ces mots et le dessin de cet insecte, déposée le 22 juillet 1968 pour les produits des classes 32 et 33, régulièrement renouvelée depuis ;

La société Les Fils de Henri Ramel (Ramel) exploitait cette marque à compter de l'année 1968, en exécution, d'abord d'une autorisation verbale, puis d'une licence consentie à titre gratuit le 8 janvier 1985, enregistrée à I'INPI le 3 octobre 1985 ;

La société d'Élevage et de Diffusion des Grands Vins (SEDGV) avait, de son côté, déposé le 8 décembre 1977, dans la classe 33 , trois marques : Papillon, pavillon de la Reine, Papillon de la Reine, qu'elle cédait à la société Bacardi moyennant le prix de 5.000 F, selon un contrat des 11 janvier 1984 à Aloxe Corton et 5 mars 1984 à Miami, enregistré au Registre National des Marques le 14 septembre 1984

Bacardi renouvelait les enregistrements de ces trois marques le 7 décembre 1987 tandis qu'elle déposait, le 13 mars 1986, la marque Papillon pour la totalité des produits de la classe 33 ;

Des saisies-contrefaçon effectuées par Bachet et Ramel à compter du mois de juin 1986 révélaient que :

- Bacardi commercialisait sous ces marques des bouteilles de vin français aux États-Unis d'Amérique,

- les sociétés SVF SA, gérant de la SNC SVF et Compagnie, et Cusenier, filiale du Groupe Pernod Ricard l'approvisionnaient,

- la Socar fournissait des cartons portant les mentions Papillon et Papillon de la Reine, tandis que la société Gultig fabriquait les bouchons de bouteilles marqués "Papillon"

Les instances en contrefaçon introduites par Bachet et Ramel devant les tribunaux de Paris, Bordeaux, Libourne et Saverne étaient toutes renvoyées devant le Tribunal de grande instance de Paris et jointes ;

Par un jugement rendu le 3 mai 1989 et rectifié le 25 septembre 1989, cette juridiction statuait ainsi :

- dit les sociétés Bachet et Ramel bien fondées en leurs demandes de contrefaçon et imitation illicite de marque, usage illicite et concurrence déloyale, y faisant droit ;

- dit et juge que la marque Papillon dont le dépôt a été renouvelé le 7 décembre 1987 numéro enregistrement 1 .438.966 constitue une contrefaçon de la marque Le Papillon déposée par la société Bachet ;

- dit et juge que cette marque est nulle et de nul effet ;

- dit et juge que la marque Pavillon de la Reine déposée par la société Bacardi le 7 décembre 1987 numéro enregistrement 1 .438.965 constitue l'imitation illicite de la marque Le Papillon ;

- dit et juge que cette marque est nulle et de nul effet ;

- dit et juge que la marque Papillon déposée le 13 mars 1986 par la société Bacardi numéro enregistrement 134.645 constitue la contrefaçon de la marque Le Papillon déposée par la société Bachet ;

- dit et juge que cette marque est nulle et de nul effet ;

- valide les saisies contrefaçon pratiquées ;

- fait interdiction à toutes les sociétés défenderesses, à quelque titre que ce soit, de faire usage sur le territoire français des nominations Papillon, Papillon de la Reine et Pavillon de la Reine, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement ;

- dit et juge que les sociétés défenderesses sont responsables du préjudice subi du fait de l'exploitation des marques Papillon et Papillon de la Reine vis-à-vis du licencié la société Ramel ;

- condamne, en réparation de l'atteinte portée à ses droits de propriété sur la marque Le Papillon, à payer à la société Bachet, à titre de dommages-intérêts :

1°) les sociétés Cusenier, Bacardi et SEDGV la somme de 200.000 F ;

2°) la société Groupe Pernod Ricard, la somme de 30.000 F ;

3°) les Sociétés des Vins de France SVF et Société des Vins de France et Compagnie la somme de 100.000 F ;

4°) la société Gultig la somme de 50.000 F ;

5°) la société Socar la somme de 50.000 F ;

- condamne en réparation du préjudice consécutif à l'exploitation de la marque, à payer à la société Ramel à titre de dommages-intérêts :

1°) les sociétés Cusenier et Bacardi conjointement et solidairement la somme de un million de francs ;

2°) la société SEDGV et la société Bacardi conjointement et solidairement la somme de 750.000 F ;

3°) le Groupe Pernod Ricard la somme de 3.000 F ;

4°) les sociétés SVF et SVF et Compagnie la somme de 750.000 F ;

5°) la société Gultig la somme de 50.000 F ;

6°) la société Socar la somme de 50 000 F ;

- dit la société Ramel bien fondée en sa demande de concurrence déloyale à l'encontre de la société Cusenier ;

- condamne la société Cusenier à payer à titre de dommages-intérêts à la société Ramel la somme de 100.000 F ;

- déboute les sociétés Cusenier, Bacardi et SEDGV de leur demande en déchéance de la marque Le Papillon ;

- ordonne la publication du jugement dans trois journaux aux frais des défenderesses sans que le coût global de ces insertions puisse excéder 45.000 F ;

- déboute les parties de toutes autres demandes ;

- ordonne l'exécution provisoire de la mesure d'interdiction ;

- condamne les défenderesses aux dépens ;

- les condamne à payer aux demanderesses la somme de 30.000 F en application de l'article 700 du NCPC ;

- dit qu'outre les marques Papillon n° 1.438.966 Pavillon de la Reine n° 1.438.965 et Papillon n° 134.645 est également déclarée nulle et de nul effet la marque Papillon de la Reine déposée en renouvellement par Bacardi à l'INPI le 7 décembre 1987 sous le n° 1.438.964.

Ce jugement était frappé d'appel et, par un arrêt du 26 novembre 1991, la Cour d'Appel de Paris statuait en ces termes :

- confirme le jugement entrepris sauf :

- en ce qu'il a condamné la société anonyme Vins de France pour faits de contrefaçon de marque et concurrence déloyale ;

- en ce qu'il a condamné les sociétés Bacardi, Vins de France et Compagnie, Gultig, Socar et Groupe Pernod Ricard pour faits de concurrence déloyale ;

- en ce qui concerne le montant des indemnités allouées aux sociétés Bachet et Ramel ;

- le réformant de ces chefs et statuant à nouveau :

- met hors de cause la société anonyme Vins de France,

- déboute la Société Les Fils de Henri Ramel de sa demande en concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Bacardi, Vins de France et Compagnie, Gultig, Socard et Goupe Pernod Ricard,

- condamne, en réparation de l'atteinte portée à ses droits de propriété sur la marque Le Papillon à payer à la société Claude Bachet et Fils à titre de dommages-intérêts :

1°) in solidum les sociétés Cusenier, SEDGV, SVF et Cie, Gultig et Socar, la somme de 100.000 F ,

2°) la société Bacardi la somme de 50.000 F,

3°) la société Groupe Pernod Ricard la somme de 10.000 F,

- condamne en réparation l'atteinte portée à ses droits d'exploitation de la marque Le Papillon et du préjudice subi du faits des actes de concurrence déloyale à payer à la société Les Fils de Henri Ramel à titre de dommages-intérêts ;

1°) la société SEDGV la somme de 100.000 F,

2°) la société Cusenier la somme de 400.000 F et la somme de 100.000 F,

Y ajoutant,

- déboute les sociétés Vins de France, Vins de France et Cie, Socar et Gultig de leur demande en déchéance de la marque Le Papillon,

- valide les saisies contrefaçon réalisées selon exploits de Maître Clermontel et Bocchio les 24, 29 novembre et 11 décembre 1989,

- dit que, postérieurement à la signification du jugement entrepris, la société Cusenier a porté atteinte à la propriété de la société Claude Bachet sur la marque Le Papillon et a commis vis-à-vis de la société Les Fils de Henri Ramel des actes de concurrence déloyale,

- dit que la mesure de publication ordonnée mentionnera la confirmation du jugement sous les modifications apportées par le présent arrêt,

- ordonne la confiscation et la remise à la société Bachet en vue de leur destruction devant huissier et aux frais des sociétés défenderesses de toutes étiquettes, cartons, bouchons, prospectus, catalogues, documents publicitaires portant les dénominations Papillon, Papillon de la Reine ou Pavillon de la Reine se trouvant entre les mains de ces dernières et, ce, sous astreinte de 100 F par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

- déclare la société Bacardi irrecevable en son appel en garantie,

- condamne in solidum les sociétés Bacardi, Cusenier, SEDGV, Vins de France et Cie, Gultig, Socar, Pernod Ricard à payer aux sociétés Bachet et Fils de Henri Ramel au titre de l'article 700 du NCPC une somme supplémentaire de 25.000 F,

- rejette toutes autres demandes plus amples ou contraire,

- condamne les sociétés appelantes aux dépens d'appel.

Par un arrêt du 18 octobre 1994, la Cour de Cassation cassait et annulait cet arrêt "mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Bachet et Ramel tendant à faire constater que les sociétés Bacardi et SEDGV avaient, en cédant et acquérant des marques contrefaisant la marque Le Papillon, commis une contrefaçon, en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés Bachet et Ramel tendant à faire constater que les sociétés Cusenier, SEDGV, Bacardi et SVF avaient fait usage des marques contrefaites, en ce qu'il a mis hors de cause la société SVF et en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation du préjudice résultant de ces actes de contrefaçon et d'usage de marque contrefaite, l'arrêt rendu le 26 novembre 1991, entre les parties, par la Cour d'Appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit", les renvoyait devant la Cour d'Appel de Rouen ;

La société Bacardi a saisi la Cour, désignée pour statuer sur renvoi après cassation, par une déclaration au greffe du 25 novembre 1994 ;

Elle demande à la Cour de :

- dire et juger qu'en acquérant des marques contrefaisant la marque "Le Papillon", la société Bacardi-Martini USA Inc. n'a commis aucun acte de contrefaçon ;

- dire et juger que la société Bacardi-Martini USA Inc. n'a commis aucun acte d'usage de marque contrefaite ;

- constater qu'en tout état de cause, les sociétés Claude Bachet et Fils et Caves des Pises (anciennement "Les Fils de Henri Ramel") n'ont subi aucun préjudice en l'espèce ;

- en conséquence, rejeter les demandes d'indemnisation formées par les sociétés Claude Bachet et Fils et Cave des Pises ;

- condamner in solidum les sociétés Claude Bachet et Fils et Cave des Pises à payer à la société Bacardi-Martini USA Inc. la somme de 100.000 F en application de l'article 700 du NCPC ;

- condamner solidairement les sociétés Claude Bachet et Fils et Cave des Pises, aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les sociétés Bachet et Cave des Pises, anciennement Les Fils de Henri Ramel, concluent ainsi :

- constater, au besoin, dire et juger que les sociétés Bacardi et SEDGV ont, en cédant et acquérant des marques contrefaisant la marque "Le Papillon", commis des actes de contrefaçon,

- constater, au besoin, dire et juger que les sociétés Cusenier, SEDGV, Bacardi et SVF et Cie ont fait usage de marques contrefaisantes ;

- dire et juger que la société SVF SA a commis des actes de contrefaçon et d'usage illicite ;

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 3 mai 1989, en ce qu'il a dit et jugé que les sociétés Bachet et Ramel (nouvellement Cave des Pises) étaient bien fondées en leur demande de contrefaçon, imitation illicite de marque et usage illicite ;

- confirmer ledit jugement en ce qu'il a dit et jugé les sociétés appelantes responsables du préjudice subi par les sociétés Bachet et Ramel (nouvellement Cave des Pises) ;

- condamner les sociétés à verser à la société Bachet, outre les indemnités déjà allouées :

- pour les sociétés Cusenier, Bacardi et SEDGV, chacune la somme de 300.000 F avec intérêts au taux légal à compter de chaque assignation jusqu'au complet paiement,

- 200.000 F à la charge des sociétés SVF et Cie et SVF SA ;

- condamner les sociétés à verser à la société Cave des Pises, outre les indemnités déjà allouées :

- pour les sociétés Cusenier et Bacardi, solidairement ou conjointement la somme de 1.500.000 F avec les intérêts au taux légal à compter de chaque assignation jusqu'au complet paiement ;

- pour les sociétés SEDGV et Bacardi, solidairement ou conjointement la somme de 1.000.000 F avec les intérêts au taux légal à compter de chaque assignation jusqu'au complet paiement ;

- pour les sociétés SVF et Cie et SVF SA, solidairement ou conjointement la somme de 1.000.000 F avec les intérêts au taux légal à compter de chaque assignation jusqu'au complet paiement ;

- condamner solidairement ou conjointement les sociétés Bacardi, SEDGV, Cusenier, SVF et Cie, et SVF SA, à payer à chacune des sociétés Cave des Pises et Bachet la somme de 100.000 F, en application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

- les débouter de leurs conclusions et de toutes leurs fins et prétentions ;

- les condamner aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel sur renvoi après cassation.

La SEDGV conclut ainsi :

- vu les articles L. 422-1 et L. 422-2 du Code Pénal et l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 ;

- dire et juger la SEDGV recevable et bien fondée dans ses écritures

- dire et juger que, en cédant et en acquérant les trois marques " Papillon ", "Papillon de la Reine" et "Pavillon de la Reine", la SEDGV et la société Bacardi n'ont pas commis d'acte de contrefaçon ;

- dire et juger qu'en conséquence, les sociétés Bachet et Fils et Les Fils de Henri Ramel (Cave des Pises) n'ont subi aucun préjudice du fait de la cession ;

- dire et juger que la SEDGV et la société Bacardi n'ont pas commis d'actes d'usage illicite de marques contrefaisantes ou imitantes sur le territoire français ;

- dire et juger qu'il n'en est résulté aucun préjudice pour les sociétés Bachet et Fils et Les Fils de Henri Ramel (aujourd'hui Cave des Pises) et qu'en tout état de cause, aucune preuve d'un quelconque préjudice complémentaire n'est rapportée ;

- débouter, en conséquence, les sociétés Bachet et Cave des Pises de leurs demandes d'indemnisations non fondées ;

- condamner in solidum les sociétés Bachet et Fils et Cave des Pises à payer à la SEDGV la somme de 100.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

- débouter les sociétés Bachet et Cave des Pises de leurs conclusions, fins et prétentions ;

- condamner conjointement et solidairement les sociétés Bachet et Fils et Les Fils de Henri Ramel (Cave des Pises) en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Couppey, Avoué à la Cour.

La société Cusenier conclut en ces termes :

1- constater que l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris, en date du 26 novembre 1992 :

- a exactement retenu que Cusenier était responsable de la confection et de l'apposition de la marque "Papillon" sur des bouteilles de vin, et de la vente en France à destination des États-Unis de bouteilles portant ainsi la marque contrefaite,

- a condamné Cusenier à payer à Bachet et à Ramel, en réparation du préjudice causé par les faits dont Cusenier a été reconnu responsable à Bachet une indemnité pour le préjudice causé à son droit de propriété de la marque, et à Ramel en réparation du préjudice porté à son droit d'exploitation de ladite marque,

- que l'arrêt de Paris, dans ses dispositions non critiquées et non censurées, et passées en force de chose jugée, a été exécuté,

2- dire et juger en conséquence que Bachet et Ramel ont été indemnisés de l'entier préjudice causé par les faits dont Cusenier était reconnu responsable,

- dire et juger que, de façon inadmissible, Bachet et Ramel demandent à la Cour de renvoi des indemnités supplémentaires, qui ne sont aucunement justifiées,

- dire et juger, en conséquence, que la société Claude Bachet et Fils et la société Les Fils de Henri Ramel sont irrecevables et mal fondées en toutes leurs demandes présentées à la Cour de renvoi, et doivent en être déboutées,

3- condamner conjointement et solidairement Bachet et Ramel à payer à la société Cusenier, en remboursement des frais non taxables de la procédure devant la Cour de renvoi en application de l'article 700 du NCPC, la somme de 100.000 F,

et de

- dire et juger particulièrement que la société Claude Bachet et Fils et la société Cave des Pises (anciennement les Fils de Henri Ramel), sont irrecevables et mal fondées à demander à la Cour de renvoi de modifier les dispositions passées en force de chose jugée, de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 26 novembre 1991 et d'y ajouter des dispositions complémentaires et les condamner en tous les dépens de première instance et d'appel qui comprendront également les frais exposés devant la Cour de Paris, et accorder à Maître Couppey, Avoué, le droit de recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

La Société des Vins de France, société anonyme, soulignant que la Société des Vins de France, société en nom collectif n'est pas en cause devant la Cour de renvoi demande à la Cour de :

1 - dire et juger qu'aucun fait quelconque de contrefaçon de la marque Papillon de Bachet et Ramel n'est établi à l'égard de la société anonyme Société des Vins de France SVF établie à Chateauneuf-les-Martigues,

- dire et juger, en conséquence, que la société anonyme Société des Vins de France SVF doit être mise hors de cause ;

2 - dire et juger que les seuls faits de contrefaçon établis à l'encontre de la société en nom collectif Société des Vins de France et Compagnie de Bordeaux, agissant pour le compte de Cusenier, ne constituent pas en droit un usage de marque contrefaite ;

- dire et juger que le préjudice causé par les faits de contrefaçon imputables à la société en nom collectif Société des Vins de France et Compagnie de Bordeaux a été définitivement évalué par l'arrêt de Paris, non cassé sur ce point ;

- dire et juger que le préjudice ainsi réparé est strictement identique au préjudice imputé à Cusenier ;

3 - en conséquence, dire et juger que les sociétés Bachet et Ramel sont irrecevables et mal fondées en leurs demandes à l'égard de la société anonyme Société des Vins de France SVF et de la société en nom collectif Société des Vins de France et Compagnie, les en débouter ;

- condamner conjointement et solidairement les sociétés Bachet et Ramel à payer à la société Vins de France SVF, en remboursement des frais non récupérables de l'instance devant la Cour de renvoi, en application de l'article 700 du NCPC, la somme de 30.000 F.

Vu les conclusions de :

- la société Bacardi des 28 septembre 1995, 2 mars 1998, 2 avril 1998, 4 décembre 1998, 18 mars 1999,

- des sociétés Bachet et Cave des Pises des 3 janvier et 13 mai 1997, 26 mars 1998, 31 mars 1998, 30 novembre 1998, 18 mars 1999,

- la SEDGV des 7 janvier 1997, 16 janvier 1998, 27 mars 1998, 3 avril 1998, 13 octobre 1998, 2 décembre 1998, 8 avril 1999,

- la société Cusenier des 9 janvier 1997, 16 janvier 1998, 11 et 27 mars 1998, 22 avril 1999,

- de la société SVF, société anonyme des 9 janvier 1997, 16 janvier 1998, 11 et 27 mars 1998 ;

Sur ce,

Attendu que la société Bacardi n'a pas intimé la SVF et Compagnie, société en nom collectif, qu'aucune des parties ne l'a mise en cause,

Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer à son égard,

Qu'ainsi sont irrecevables tant les prétentions formées à son encontre par les sociétés Bachet et Cave des Pises que les demandes formulées pour son compte par la SVF SA, laquelle n'est pas recevable à agir en justice à sa place ;

Attendu, en l'état de la cassation partielle de l'arrêt de la Cour de Paris, que la société Cusenier est mal fondée à soutenir qu'il aurait été définitivement statué à son égard sur la totalité des prétentions des sociétés Bachet et Cave des Pises,

Que, certes, l'arrêt du 16 novembre 1991 a définitivement tranché, par des dispositions non atteintes par la cassation, quant aux "actes de contrefaçon et de concurrence déloyale postérieures à la signification du jugement" et de concurrence déloyale imputables à la société Cusenier et arrêté diverses indemnités de ces chefs, mais que le litige subsiste quant à la contrefaçon, l'imitation et l'usage illicites de marques objet de la cassation partielle ;

Attendu que les demandes des sociétés Bachet et Cave des Pises tendant à obtenir des indemnités pour des montants beaucoup plus élevés qu'en première instance ne sont pas irrecevables comme nouvelles dès lors qu'elles procèdent directement de la demande originaire et tendent aux mêmes fins ;

Attendu que la cession par SEDGV des marques contrefaisantes Papillon, Pavillon de la Reine et Papillon de la Reine et l'acquisition de celles-ci par Bacardi s'analysent en une contrefaçon s'agissant d'actes d'exploitation de ces marques alors même qu'aucune action en contrefaçon n'était en cours ;

Attendu que l'action civile en contrefaçon n'exige pas la démonstration de la mauvaise foi de ses auteurs, qu'au demeurant les premiers juges ont exactement retenu qu'il appartenait tant à Bacardi qu'à SEDGV de vérifier avant la vente l'antériorité des marques, s'agissant surtout de sociétés importantes disposant de tous les moyens pour procéder aux recherches incombant à tout professionnel, même moyennement diligent, que la société Bacardi n'est pas, en particulier, fondée à prétendre que les affirmations de la SEDGV quant à la propriété et au dépôt des marques cédées la dispensaient de ces vérifications ;

Attendu que, pour échapper aux poursuites en contrefaçon de ce chef, Bacardi soutient vainement que son acceptation de la cession consentie par SEDGV s'est réalisée hors du territoire français, à savoir à Miami, le 5 mars 1984, car, en exécution de l'article 4 du contrat et selon les conventions des deux parties à l'acte, celui-ci a été enregistré, le 14 septembre 1984, au Registre National des Marques, et donc rendu public, ce qui caractérise bien une contrefaçon en France ;

Attendu que, suivant un contrat du 26 octobre 1979, SEDGV fournissait en exclusivité à Bacardi des vins provenant de France sous la marque Papillon de la Reine, que les procès-verbaux de saisie contrefaçon montrent que cette société était en possession d'étiquettes portant les mentions Le Papillon de la Reine pour des vins rouge, blanc de blancs et rosé de France,

Qu'il est constant qu'elle a exporté, de 1984 à 1986, des bouteilles de vin étiquetées par elle Papillon de la Reine vers le Canada et l'Extrême-Orient, et vendu des bouteilles semblables à Bacardi pour leur vente aux USA ;

Attendu qu'en exécution d'un contrat de fourniture exclusive conclu avec Bacardi le 3 février 1984, Cusenier a produit dans son usine de Saint André de Cubzac des bouteilles de vin marquées Papillon, étiquetées et emballées par elle dans des cartons fournis par la Socar ;

Attendu que les pièces annexées au procès-verbal de saisie contrefaçon du 4 mars 1987 démontrent que la SA SVF a conditionné des vins en bouteilles magnum marquées " Le Papillon de la Reine ", les mentions "le" et "de la Reine" figurant en très petits caractères sur les étiquettes,

Que ces vins étaient destinés à Cusenier ;

Attendu que le rapport du conseil d'administration de cette dernière société démontre que celle-ci a notablement développé sa production pour Bacardi ;

Attendu que les actes ci-dessus des sociétés SEDGV, Cusenier et de la SA SVF caractérisent des contrefaçons commises sur le territoire français où les vins étaient conditionnés et les bouteilles marquées ;

Attendu que si Bacardi commandait les produits portant la marque contrefaite depuis son siège aux États-Unis d'Amérique elle a néanmoins commis sur le territoire français des contrefaçons dès lors que la marchandise était achetée et payée en France d'où elle lui était expédiée aux risques de l'acheteur ;

Attendu qu'aucune des sociétés SEDGV, Cusenier et SVF SA ne saurait justifier ses actes de contrefaçon par les ordres donnés par Bacardi ou Cusenier pour échapper à une responsabilité qui leur incombe personnellement ;

Attendu que, même si les vins ainsi conditionnés étaient destinés à l'exportation et n'étaient pas vendus en France, ils appartenaient à la même catégorie des produits que ceux commercialisés en France par Ramel à savoir des sirops et vins essentiellement servis dans les cafés, restaurants et collectivités ;

Attendu qu'aucune pièce ne démontre que la brochure en langue anglaise "french wine is french art", comportant le nom de Bacardi et deux bouteilles marquées Papillon, aurait été distribué en France, que la contrefaçon ne doit donc pas être retenue de ce chef ;

Attendu que SEDGV est régulièrement titulaire de la marque Papillon de France déposée par elle depuis le 27 juin 1946, qu'il ne saurait lui être reproché de l'avoir exploitée ;

Attendu, au vu du libellé du dispositif du jugement entrepris "ordonne la transcription du présent jugement au Registre des Marques sur réquisition de notre greffier" qu'il n'appartenait ni à Bacardi ni à SEDGV de faire elles-mêmes procéder à ladite transcription mais bien aux sociétés Bachet ou Ramel qui bénéficiaient de cette disposition ;

Attendu que Bacardi n'a pas procédé au renouvellement des inscriptions des marques litigieuses ;

Attendu qu'il convient, au vu des contrefaçons caractérisées dans les conditions ci-dessus, d'évaluer les préjudices en résultant s'agissant de ceux antérieurs à la signification du jugement entrepris, la Cour de Paris ayant définitivement statué pour les faits postérieurs à celle-ci, avec cette précision que ledit jugement a été signifié à Cusenier le 13 juillet 1989 ;

Attendu, article 14 de la loi du 31 décembre 1964, que toute modification au droit portant sur une marque n'est opposable que par mention au registre national des marques,

Que si Ramel bénéficiait d'une autorisation verbale d'utiliser la marque Papillon, sa licence n'a été inscrite au registre national des marques que le 3 octobre 1985, qu'ainsi cette société n'est recevable et fondée à obtenir réparation des faits de contrefaçon que pour ceux postérieurs à cette date ;

Attendu que Bachet, qui n'exploite pas la marque Le Papillon et a donné gratuitement licence à Ramel de le faire, n'a vocation à obtenir que la réparation du préjudice d'ordre moral résultant pour elle de l'atteinte à son droit de propriété sur la marque, étant précisé quant aux qualités respectives des vins commercialisés qu'aucun indice ne permet de retenir un avilissement de ladite marque ;

Attendu, considérant l'importance des volumes de vins et le nombre de bouteilles visées dans les procès-verbaux de saisie des 19 juin 1986 (SEDGV : 1.060.020 litres en 1983) et 18 juin 1986 (Cusenier : 3.414.273 litres du 1er janvier 1985 au 30 mai 1986) et le rôle plus limité de la société SVF SA, laquelle travaillait pour Cusenier, qu'il convient d'allouer à Bachet les indemnités suivantes :

- 200.000 F à la charge de Bacardi,

- 100.000 F à la charge de Cusenier,

- 50.000 F à la charge de SEDGV,

- 30.000 F à la charge de la SA SVF ;

Attendu, s'agissant des préjudices subis à raison des atteintes à la marque protégée par Ramel, après l'enregistrement de sa licence le 30 octobre 1985, que l'office des brevets et marques des États-Unis a, le 23 septembre 1988, rejeté la requête de Bachet en annulation de la marque Papillon déposée par Bacardi dans ce pays où cette société exploitait donc régulièrement ladite marque,

Qu'à compter de la cession de 1984 et la mise en œuvre de la production des vins Papillon par Cusenier l'activité de SEDGV concernant cette marque s'est limitée à des chiffres d'affaires de 600.000 F avec Bacardi, 120.000 F environ avec le Canada, 370.000 F pour l'Extrême Orient, qu'ainsi qu'examiné plus haut le rôle de SVF SA a été limité, surtout après 1985 ;

Attendu que les défenderesses soutiennent inexactement qu'il n'y avait pas situation de concurrence avec le licencié de la marque protégée s'agissant de vins, qu'importe peu leur provenance de France ou de la Communauté Européenne ;

Attendu, par contre, considérant l'importance des moyens mis en œuvre de manière concertée par Bacardi et Cusenier pour produire et exporter de très importantes quantités de bouteille vers les USA que Ramel ne peut prétendre avoir manqué de conclure la totalité des marchés correspondant alors surtout que Bacardi disposait de la marque Papillon dans ce pays ;

Attendu cependant que les agissements ci-dessus ont déprécié la valeur de la licence dont bénéficiait Ramel dont les préjudices doivent être ainsi arrêtés :

- 400.000 F à la charge de Bacardi,

- 200.000 F à la charge de Cusenier,

- 50.000 F à la charge de SEDGV,

- 20.000 F à la charge de SVF SA ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à chacune des sociétés Bachet et Cave des Pises la charge de leurs frais irrépétibles de procédure à concurrence de :

- 5.000 F à la charge de Bacardi,

- 2.500 F à la charge de Cusenier,

- 2.000 F à la charge de SEDGV,

- 2.000 F à la charge de SVF SA,

pour les frais exposés devant la présente Cour dès lors que l'arrêt de la Cour de Paris du 26 novembre 1991 n'a pas été cassé s'agissant de l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Vu les arrêts de la Cour de Cassation et de la Cour d'Appel de Paris des 18 octobre 1994 et 26 novembre 1991, Constate que la Société des Vins de France et Compagnie (SNC) n'est pas dans la cause et que les demandes dirigées contre elle sont irrecevables, Réformant et statuant dans les limites de sa saisine ; Outre les indemnités déjà allouées pour les actes de concurrence déloyale et ceux de contrefaçon et de concurrence déloyale postérieurs à la signification du jugement, condamne pour les actes retenus ci-dessus de contrefaçon : - la société Bacardi Imports Inc. à payer à la société Claude Bachet et Fils deux cent mille francs (200.000 F) de dommages et intérêts et cinq mille francs (5.000 F) en application de l'article 700 du NCPC ainsi que quatre cent mille francs (400.000 F) de dommages et intérêts et cinq mille francs (5.000 F) en application de l'article 700 du NCPC à la société Cave des Pises, - la société Cusenier à payer à la société Claude Bachet et Fils cent mille francs (100.000 F) de dommages-intérêts et deux mille cinq cents francs (2.500 F) en application de l'article 700 du NCPC ainsi que deux cent mille francs (200.000 F) de dommages et intérêts et (2.500 F) en application de l'article 700 du NCPC à la société Cave des Pises, - la société d'Élevage et de Diffusion des Grands Vins (SEDGV) à payer à la société Claude Bachet et Fils cinquante mille francs (50.000 F) de dommages et intérêts et deux mille francs (2.000 F) en application de l'article 700 du NCPC ainsi que cinquante mille francs (50.000 F) de dommages et intérêts et deux mille francs (2.000 F) en application de l'article 700 du NCPC à la société Cave des Pises, - la Société des Vins de France SA à payer à la société Claude Bachet et Fils trente mille francs (30.000 F) de dommages et intérêts et deux mille francs (2.000 F) en application de l'article 700 du NCPC ainsi que vingt mille francs (20.000 F) de dommages et intérêts et deux mille francs (2.000 F) en application de l'article 700 du NCPC à la société Cave des Pises, Déboute les autres parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du NCPC, Constate que l'arrêt du 26 novembre 1991 n'a pas été cassé en ses dispositions relatives à l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC, Met les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à l'arrêt partiellement cassé, à la charge des sociétés Bachet, Cusenier, SEDGV et SVF SA et reconnaît à la SCP Hamel-Fagoo, Avoués, le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.