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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 2 juin 1999, n° 1999-06567

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Synthelabo (SA)

Défendeur :

Yamanouchi Pharma (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Charoy, Cabat

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Annie Baskal

Avocats :

Mes Henriot-Bellangent, Gabizon.

T. com. Créteil, prés., du 10 mars 1999

10 mars 1999

Par ordonnance de référé du 10 mars 1999, le président du Tribunal de commerce de Créteil a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société Laboratoires Synthelabo, qui alléguant un trouble manifestement illicite constitué par une publicité émanant de la société Yamanouchi Pharma, sollicitait la cessation de la diffusion du dépliant publicitaire et son retrait,

- autorisé, toutefois, la société Laboratoires Synthelabo a assigner au fond à bref délai pour l'audience du 6 avril 1999 à 14 heures et dit que l'assignation devra être déposée au greffe au plus tard le 29 mars 1999, avec copie des pièces,

- rejeté toute autre demande.

La société Laboratoires Synthelabo a interjeté appel de cette décision.

Elle expose qu'elle commercialise sous la marque Xatral, un médicament dénommé alfuzosine, destiné à traiter certaines manifestations fonctionnelles de l'hypertrophie bénigne de la prostate, tout comme la tamsulosine, dont la société Yamanouchi Pharma est titulaire des droits d'exploitation et qui est commercialisée sous la marque Omix.

Elle indique que les médicaments alpha-bloquants agissent sur des récepteurs appelés alpha 1, divisés en trois sous-types : alpha 1a, alpha 1b et alpha 1d, tous présents dans la prostate, et sur lesquels l'alfuzosine agit avec la même puissance, tandis que la tamsulosine, intervient de façon sélective sur le sous-type de récepteur alpha 1a prédominant dans la prostate.

Elle soutient que le dépliant publicitaire de la spécialité Omix, comparant son produit la tamsulosine, avec l'alfuzosine et la térazosine sous forme de graphiques à l'image d'un " camembert " découpé uniquement en deux secteurs, vert (affinité alpha 1a) et rouge (affinité alpha 1b), sous une représentation d'un corps humain, avec la prostate colorée en vert et le système cardiovasculaire en rouge, comporte des allégations trompeuses sur les différents sous-types de récepteurs présents dans le corps humain au niveau cardiovasculaire et prostatique et sur la sélectivité de l'alfuzosine sur ces sous-types, de sorte qu'il constitue par sa présentation simplificatrice, lacunaire et dépourvue de toute objectivité, un dénigrement hautement déloyal de Xatral.

Elle affirme que la société Yamanouchi Pharma ne justifie pas de l'exactitude de la représentation de la sélectivité de l'alfuzosine et de la tamsulosine, telle que rapportée dans sa publicité, et agit de mauvaise foi, et que ces agissements sont constitutifs d'un trouble manifestement illicite, tombant sous le coup de plusieurs dispositions légales :

- elle engage la responsabilité de la société Yamanouchi Pharma sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- à défaut d'avoir été communiquée et procédant d'une comparaison qui ne porte pas sur des caractéristiques pertinentes et vérifiables, elle ne remplit pas les conditions posées par les articles L. 121-12 et L 12-8 du Code de la consommation, reprises dans les usages de l'industrie pharmaceutique,

- elle comporte des allégations fausses et mensongères au sens de l'article L. 121-1 du Code précité,

- elle méconnaît les dispositions des articles R. 551-1 et R. 5047-1 du Code de la santé publique, qui exigent, le premier, que le médicament soit présenté de façon objective et dans des conditions favorables à son bon usage, et le second, que toutes les informations soient " exactes, à jour, vérifiables et suffisamment complètes pour permettre au destinataire de se faire une idée personnelle sur la valeur thérapeutique du traitement ",

- elle méconnaît également les recommandations de l'Agence du médicament en matière de publicité exacte et loyale et en matière de publicité comparative.

L'appelante déclare son appel recevable et précise à cet effet qu'elle a intérêt à agir pour mettre fin au trouble manifestement illicite qu'elle subit, la délivrance tardive de la grosse de l'ordonnance ne lui ayant pas permis d'assigner au fond en temps utile.

Contestant l'argumentation de la société Yamanouchi Pharma, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance et de :

- ordonner à la société Yamanouchi Pharma de cesser de diffuser, directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit, le dépliant intitulé " Omix hypersélectivité & 1 a prostatique " ou tout document reprenant la représentation du corps humain et les graphiques découpés en secteurs, contenus dans ledit dépliant, et ce sous astreinte définitive de 20 000 F par infraction constatée quarante huit heures après signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner à la société Yamanouchi Pharma de procéder au rappel des dépliants distribués, en justifiant des instructions données à cette fin à ses visiteurs médicaux, sous astreinte définitive de 20 000 F par jour de retard courant après l'expiration de ces quinze jours,

- rejeter les prétentions de la société Yamanouchi Pharma,

- la condamner à lui payer la somme de 50 000 F pour ses frais irrépétibles.

La société Yamanouchi Pharma, intimée, fait d'abord valoir que l'appel de la société Laboratoires Synthelabo est irrecevable puisque, ayant été autorisée à plaider au fond à bref délai, elle a renoncé expressément à faire appel et n'a plus d'intérêt légitime à poursuivre son action en référé.

Elle déclare ensuite que la tamsulosine agit d'une manière sélective sur les sous-récepteurs alpha 1a, pour lesquels elle a une affinité particulière, n'ayant qu'un effet très limité sur les autres sous-récepteurs, et notamment les alpha 1 b, particulièrement impliqués dans le contrôle des phénomènes tensionnels vasculaires, et que c'est cette sélectivité qui est mise en exergue par la plaquette publicitaire critiquée et non l'efficacité des molécules au niveau prostatique, comme tente de le faire accroire la société Laboratoires Synthelabo.

Elle soutient que les informations contenues dans ces documents sont exactes quant à l'affinité sélective de la tamsulosine sur les sous-récepteurs alpha 1a et quant au caractère prépondérant des sous-récepteurs alpha 1 B dans les phénomènes d'hypertension, et critique les graphiques présentés par la société Laboratoires Synthelabo sur la sélectivité de l'alfuzosine et de la tamsulosine à l'égard des 3 types de sous-récepteurs, et dont le sous-récepteur alpha 1d, qu'elle déclare " mathématiquement et pharmacologiquement mensongers ". Elle souligne le caractère schématique de l'illustration de la plaquette " support de visite " qui ne peut couvrir tous les aspects d'un débat scientifique complexe, les affirmations cliniques de la dernière page permettant de mettre en lumière les aspects essentiels pour assurer prescriptions et suivi du patient.

Elle reproche d'ailleurs à la société Laboratoires Synthelabo sa propre publicité sur l'urosélectivité de son produit et la diffusion de fausses informations et ajoute que la réalité de l'hypersélectivité de la tamsulosine, pour dérangeante qu'elle soit pour les intérêts commerciaux de l'appelante, ne constitue pas un trouble manifestement illicite au regard des textes visés.

Elle conclut, en conséquence, à l'irrecevabilité de l'appel, à la confirmation de l'ordonnance et au rejet des demandes de la société Laboratoires Synthelabo et réclame paiement d'une somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Discussion :

La société Laboratoires Synthelabo n'a accompli aucun acte démontrant qu'elle a acquiescé à l'ordonnance entreprise. Bien au contraire, elle a en interjeté appel le 29 mars 1999. Son intérêt à agir en référé est d'autant plus évident qu'elle n'a pu assigner au fond dans les délais fixés par le premier juge. L'exception d'irrecevabilité d'appel ne peut qu'être rejetée.

Le dépliant publicitaire, destiné au corps médical, comporte :

1) une représentation schématique du corps humain avec l'utilisation de deux couleurs :

- la couleur verte désigne la prostate et la couleur rouge le système cardiovasculaire,

- une indication fléchée de couleur verte signale, à hauteur de la prostate, la présence de sous-récepteurs alpha 1a, tandis qu'une flèche de couleur rouge, au niveau du coeur, indique la présence de sous-récepteurs alpha 1b,

- il est indiqué à droite que 60 à 75 % des récepteurs alpha 1 prostatiques sont de type 4a, avec renvoi à l'étude Price visée au dos du document,

2) trois graphiques ronds, type camembert, découpés, en deux secteurs colorés représentant l'affinité respective de la tamsulosine, l'alfuzosine et la térazosine pour les sous-récepteurs de type alpha 1a et alpha 1b :

- les couleurs reprennent celles utilisées pour figurer la présence des sous-récepteurs alpha 1a (vert) et alpha 1b (rouge) dans le schéma du corps humain,

- pour la tamsulosine, le secteur vert est très grand et le secteur rouge tout petit, alors que pour l'alfuzosine et la térazosine, la couleur verte représente un quart de la figue et la couleur rouge les trois quarts,

3) un titre, dans lequel le O du nom Omix, reproduit le " camembert " concernant la tamsulosine.

La société Yamanouchi reconnaît dans ses écritures que les récepteurs alpha 1 se subdivisent en plusieurs types (alpha 1a, alpha 1b, alpha 1d) et se repartissent dans des proportions différentes notamment au niveau du système cardiovasculaire d'une part et de la sphère urogénitale d'autre part.

L'étude Price à laquelle se réfère la publicité litigieuse expose, en effet, que ces sous-récepteurs se répartissent dans la prostate de la manière suivante :

Alpha 1a : 63 à 74 %,

Alpha 1b : 1 à 6 %,

Alpha 1d : 25 à 31 %.

La plaquette litigieuse, intitulée " l'hypersélectivité alpha et la prostatique ", ne se réfère qu'à un autre sous-récepteur, alpha 1b, ce qui laisse entendre au lecteur du document que seuls ces deux sous-récepteurs sont à prendre en compte, les alpha 1b étant le seul complément des alpha 1a, réputés, selon la plaquette, constituer 60 à 75 % des récepteurs alpha 1.

En cantonnant sur la représentation du corps humain les alpha 1a dans la prostate, en faisant des sous-récepteurs alpha 1b une spécificité cardiovasculaire, et en limitant sa représentation graphique à ces deux sous-récepteurs, la société Yamanouchi Pharma occulte donc tant l'existence des sous-récepteurs alpha 1d que l'action, sur ces sous-récepteurs, des produits qu'elle compare.

Elle tend à faire croire que ce n'est que ce qui est vert qui a l'affinité voulue pour agir sur la prostate, d'où la supériorité de la tamsulosine, alors que, si la sélectivité de cette molécule sur les alpha 1a n'est pas contestée, il n'en demeure pas moins que l'alfuzosine a, pour sa part, une affinité à peu près identique pour les trois sous-récepteurs alpha 1 (étude Foglar), présents dans la prostate dans les proportions précitées.

Ce seul fait, sans qu'il soit besoin d'examiner les effets des deux molécules litigieuses sur le système cardiovasculaire, suffit à constituer un trouble manifestement illicite, dès lors qu'il est de nature à induire en erreur le corps médical sur les sous-récepteurs à prendre en compte et, par suite, sur l'efficacité des produits analysés dans le traitement des affections prostatiques et notamment l'alfuzosine.

L'argumentation de la société Yamanouchi sur la sélectivité de la tamsulosine, - que la société Laboratoires Synthelabo ne conteste pas - et sur la véracité des affirmations cliniques de la dernière page de le plaquette - déposée régulièrement auprès de la commission de la publicité de l'Agence du médicament qui n'a formulé aucune réserve sur son contenu - ne lui permet pas de justifier les illustrations reproduites par sa publicité.

Celle-ci, porte à gauche du corps humain, la mention :

Hypertrophie,

Bénigne de la

Prostate,

n'en fait pas moins une représentation dénigrante, parce que incomplète, des effets de l'alfuzosine dans le traitement de cette affection.

Il convient, dans ces conditions, d'ordonner la cessation de la publicité litigieuse et le retrait des documents distribués, et ce sous astreinte, la destruction du stock, qui ne devra pas être utilisé, n'apparaissant pas comme nécessaire.

Il y a lieu d'allouer à l'appelante une somme de 50 000 F pour ses frais irrépétibles, la solution du litige emportant le rejet de la demande formée de ce chef par l'intimée.

Décision :

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Rejette l'exception d'irrecevabilité d'appel, Infirme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Ordonne à la société Yamanouchi Pharma de cesser de diffuser, directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit, le dépliant intitulé " Omix hypersélectivité & la prostatique " ou tout document reprenant la représentation du corps humain et les graphiques découpés en secteurs, contenus dans ledit dépliant, et ce sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée à l'expiration d'un délai de huit jours après la signification de l'arrêt, Ordonne à la société Yamanouchi Pharma de procéder au rappel des dépliants distribués, en justifiant des instructions données à cette fin à ses visiteurs médicaux, sous astreinte de 20 000 F par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours après signification de l'arrêt, Condamne la société Yamanouchi à payer à la société Laboratoires Synthelabo la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Yamanouchi aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.