CA Paris, 25e ch. B, 7 mai 1999, n° 1997-08486
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Firme (SA)
Défendeur :
Wisas (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
Mmes Radenne, Collot
Avoués :
SCP Lecharny-Calarn, SCP Hardouin-Herscovici
Avocat :
Me Lebigre.
LA COUR statue sur l'appel formé par la société Firme contre le jugement rendu le 14 février 1997 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a :
- dit illicite la publicité comparative litigieuse de la société Firme,
- interdit le renouvellement de cette publicité,
- condamné la société Firme à payer à Wisas 50 000 F à titre de dommages-intérêts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit que la société Wisas pourra faire publier tout ou partie du jugement lorsque celui-ci sera devenu définitif, la société Firme étant tenue de lui rembourser les frais de publication, sur justificatifs et à concurrence de 30 000 F au maximum,
- ordonné l'exécution provisoire, moyennant fourniture par Wisas d'une caution,
- condamné la société Firme à payer à la société Wisas 15 000 F par application de l'article 700 du NCPC,
- mis les dépens à la charge de cette société.
Les faits de la cause et la procédure peuvent être ainsi résumés.
Les sociétés Firme et Wisas, devenue Wiseas Marketing Direct, exercent l'une et l'autre, en concurrence, une activité dite de " marketing direct " visant à la promotion commerciale de produits provenant de fabricants ou fournisseurs divers, regroupés autour d'un même thème ou de besoins similaires pour un public spécialisé et consistant à envoyer par voie postale des publicités comportant un ou des coupons que le destinataire peut remplir et retourner s'il désire une documentation plus complète sur un ou plusieurs des produits proposés, le nombre de coupons retournés permettant de mesurer le succès de l'opération.
La société Wisas a reproché à la société Firme d'avoir diffusé une publicité comportant un tableau qui faisait apparaître que, pour la diffusion destinée aux maires, administrations et collectivités locales, la société Firme avait obtenu de meilleurs résultats (un taux de retour des coupons plus élevé) que la société Wisas nommément désignée.
La société Wisas a donc, le 13 octobre 1995, fait assigner Firme devant le Tribunal de commerce de Paris pour voir déclarer cette publicité comparative illicite au regard des dispositions de l'article 10-1 de la loi du 18 janvier 1992, obtenir son interdiction, la publication de la décision à intervenir ainsi que l'allocation de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
La société Firme s'est opposée à ces demandes, affirmant avoir agi de manière loyale en donnant des chiffres exacts sans procéder à aucune sélection. Elle a sollicité reconventionnellement des dommages-intérêts.
C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée, qui retenu que les conditions auxquelles la loi subordonne la publicité comparative, en particulier la communication préalable à la société visée, n'avaient pas été remplies.
La société Firme, appelante, demande à la Cour, par infirmation du jugement, de :
- dire la société Wisas irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes en application des articles L. 121-8 et L. 121-12 du code de la consommation,
- condamner ladite société, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, à lui payer 100 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient pour l'essentiel :
- qu'elle s'est bornée à présenter objectivement, sans commentaire désobligeant, des chiffres dont la réalité n'est pas contestée, sans autre sélection que celle d'annonceurs que les deux sociétés avaient pour clients communs,
- que la publicité incriminée était donc loyale et véridique,
- que Wisas ne peut se prévaloir d'une absence de communication préalable alors qu'elle a eu connaissance de la publicité en cause de nombreux mois avant qu'elle ne se décide à assigner en référé, le 28 avril 1995,
- que, dès lors que, comme en l'espèce, la publicité comparative est licite sur le fond, l'absence de la communication préalable exigée par l'article L. 121-12 du code de la consommation est dépourvue de sanction,
- qu'en toute hypothèse Wisas n'établit pas le préjudice qu'elle invoque.
La société Wiseas Marketing Direct - nouvelle dénomination de la société Wisas Marketing Direct -, intimée, conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a fixé à 50 000 F le montant des dommages-intérêts dus par la société Firme.
Formant appel incident de ce chef, elle reprend sa demande initiale de 300 000 F de dommages-intérêts.
Elle sollicite encore 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Cela étant exposé :
Considérant que la publicité litigieuse a été diffusée par Firme en mars 1995 ; qu'y est présenté un tableau comparatif faisant apparaître, pour dix annonceurs, les résultats (les retours) obtenus par Wisas et par MSD (Firme), la différence - dans tous les cas en faveur de Firme - entre les deux sociétés concurrentes, exprimée en pourcentage et le coefficient d'écart de performance de MSD par rapport à Wisas ; que ces éléments sont donnés séparément pour chaque annonceur, puis en moyenne au bas du tableau ; que le tableau fait ressortir, en faveur de MSD (Firme) un résultat moyen supérieur de 212 % et un coefficient comparatif moyen de performance de 2,89 ;
Considérant qu'il résulte de l'article 10-1 alinéa 1er de la loi du 18 janvier 1992, devenu l'article 121-8 du Code de la consommation, que la publicité comparative n'est licite que si elle est loyale, véridique, n'est pas de nature à induire en erreur le consommateur et porte sur des caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables de biens ou services de même nature ;
Considérant que le tableau en cause reprend, pour dix annonceurs, les chiffres mentionnés par Wisas dans une plaquette recensant les 1 800 meilleurs rendements obtenus par Wisas dans la période 1984-1994 pour chaque édition spécialisée, dont l'édition " mairies, administrations, collectivités " ;
Que le document comparatif diffusé par Firme ne précise par à quelle année ou période se rapportent les résultats cités; que Firme ne prouve aucunement que les siens n'aient été obtenus dans la même période que ceux repris de la plaquette Wisas, ce qui ôte déjà toute signification à la comparaison;
Que l'édition " Mairie... " de la société Wisas comprend plusieurs centaines de références ; que dès lors, le choix de dix d'entre elles apparaît un échantillonnage très insuffisant pour que la moyenne dégagée, d'évidence afin de généralisation, puisse avoir une valeur significative en ce qui concerne les performances respectives des deux concurrents dans le segment considéré; qu'à supposer que, dans ce segment, les deux sociétés n'aient effectivement que dix clients communs, ce que la société Firme n'établit pas, il n'en demeurerait pas moins qu'une comparaison portant sur un nombre de références aussi restreint, non réellement représentatif de l'activité des deux sociétés dans le secteur des mairies, administrations et collectivités locales, ne pourrait être regardé comme pertinente, alors de surcroît que la présentation tend à la généralisation par l'énoncé d'une moyenne, faisant apparaître le service rendu par Wisas comme étant d'une qualité nettement inférieure à celui rendu par MSD (Firme) ;
Considérant, de surcroît, que, contrairement à ce qu'exige l'article 10-1 alinéa 5 de la loi du 18 janvier 1992, devenu l'article L. 121-12 du Code de la consommation, la publicité comparative litigieuse n'a pas été communiquée, avant toute diffusion, à la société Wisas, qu'elle visait pourtant directement; qu'il n'importe pas que Wisas en ait eu connaissance plusieurs mois avant d'agir en justice, dès lors que la communication préalable n'a pas été faite ;
Considérant que c'est donc avec raison que les premiers juges ont estimé que la publicité litigieuse était illicite et constituait un acte fautif de dénigrement en même temps qu'une concurrence déloyale, ouvrant droit à réparation, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au profit de la société Wiseas;
Considérant que la publicité litigieuse, en faisant apparaître la société Wisas comme comparativement peu performante, a porté atteinte à sa réputation commerciale et à son image de marque ; que Wisas produit en outre une lettre d'une client ayant annulé un ordre à la suite de la diffusion de cette publicité mais ne démontre pas d'autres pertes de clientèle ; que l'indemnité de 50 000 F allouée par les premiers juges réparera suffisamment le préjudice ainsi subi, dès lors que s'y ajoutera la réparation complémentaire adéquate que constitue la publication de la décision de condamnation, aux frais de Firme, dans la limite de 30 000 F ;
Considérant que, la demande principale de Wiseas étant accueillie dans son principe, la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par Firme ne pouvait qu'être rejetée ;
Considérant que les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du NCPC méritent d'être confirmées ;
Que l'appelante, qui succombe dans son appel, devra supporter les dépens d'appel et ne peut qu'être déboutée de sa demande en cause d'appel fondée sur l'article 700 du NCPC ;
Qu'il est au contraire équitable de la condamner en application de ce texte, à payer à l'intimée 12 000 F pour les frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs, Donne acte à la société Wisas Marketing Direct de ce qu'elle a changé de dénomination sociale pour prendre celle de Wiseas Marketing Direct, Confirme le jugement attaqué, Condamne la société Firme à payer à la société Wiseas Marketing Direct, par application de l'article 700 du NCPC, la somme de 12 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel, Déboute la société Firme de sa demande en cause d'appel fondée sur l'article 700 du NCPC, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Hardouin Herscovici, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.