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Décisions

CA Douai, 1re ch., 26 avril 1999, n° 96-09399

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Grande Distillerie de Cambrai (SA)

Défendeur :

Konings Graanstokerij

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Corroller

Conseillers :

Mme Laplane, M. Méricq

Avoués :

Me Quignon, SCP Cocheme-Kraut

Avocats :

Me Villain, Cabinet Courtois Lebel, Associés.

TGI Cambrai, du 26 sept. 1996

26 septembre 1996

Procédure et prétentions des parties :

Par jugement du 26 septembre 1996 auquel référence expresse est faite quant à l'exposé du litige et des prétentions des parties, le Tribunal de grande instance de Cambrai a :

- dit que le dépôt effectué par Christian Parent et Marek Wejman le 7 octobre 1994 l'a été en fraude des droits de la société Konings et que la société Grande Distillerie de Cambrai a commis courant 1995 des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale au préjudice de la société Konings,

- fait défense à la Grande Distillerie de Cambrai de poursuivre ces actes sous astreinte définitive de 500 F par infraction constatée,

- ordonné la confiscation aux fins de destruction de tous supports portant la marque Vodka Rossia et l'étiquette contrefaisant l'étiquette dont le dépôt effectué par la société Konings a pris effet le 7 juillet 1994,

- ordonné la rétrocession au bénéfice de la société Konings du dépôt effectué le 7 octobre 1994 sous le n° 94 539 348,

- ordonné la publication dans cinq journaux au choix de la société Konings et aux frais de la société Grande Distillerie de Cambrai dans la limite de 1 000 F par insertion,

- condamné la société Grande Distillerie de Cambrai à payer à la société Konings les sommes de 300 000 F en réparation du préjudice causé par les contrefaçons et de 200 000 F en réparation du préjudice causé par la concurrence déloyale,

- ordonné l'exécution provisoire à concurrence de 200 000 F pour la première somme et de 100 000 F pour la concurrence déloyale,

- condamné la société Grande Distillerie de Cambrai à payer à la société Konings une indemnité procédurale de 20 000 F.

La SA Grande Distillerie de Cambrai qui a relevé appel du jugement conclut à l'infirmation du jugement, au débouté de la société Konings en toutes ses demandes.

Elle fait valoir que le dépôt de la société Konings n'a fait l'objet d'une extension en France que le 2 décembre 1994 soit postérieurement à son propre dépôt et que la protection de la marque a été refusée à la société Konings en Russie.

Elle conteste l'existence d'un préjudice subi par la société Konings du fait de la cession immédiate des expéditions en Russie, du retrait des étiquettes et de l'absence de commercialisation de vodka en Russie par la société Konings.

La société de droit belge Konings Graanstokerij sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la société Grande Distillerie de Cambrai au paiement d'une indemnité procédurale de 30 000 F.

Elle excipe du dépôt frauduleux de la marque Rossia par la société Grande Distillerie de Cambrai, de la reproduction servile de la marque figurative lui appartenant et de l'usage de la dénomination Rossia, du comportement parasitaire de la société Grande Distillerie de Cambrai lié à la vente des mêmes produits à des prix inférieurs et de l'absence de preuve de la cessation de la commercialisation frauduleuse.

Motifs :

Il est constant :

- que la société Grande Distillerie de Cambrai a acquis le 17 juin 1994 17280 bouteilles de vodka Rossia 40 % auprès de la société Konings en vue de la revente,

- que selon le procès-verbal de saisie contrefaçon du 19 mai 1995, la société Grande Distillerie de Cambrai a fait imprimer fin 1994, 576000 étiquettes Rossia Vodka par la société Guermonprez et conditionné 284000 bouteilles de vodka dont 126000 ont été vendues et expédiées à la société KUMM à Kritschew (Russie) courant avril et mai 1995.

Sur la contrefaçon :

Au vu de la publicité relative aux marques internationales, il est établi que la société Konings a déposé au Benelux :

- le 14 janvier 1994, la marque Vodka Rossia pour des boissons alcooliques qui a fait l'objet d'un enregistrement international sous le n° 622 480 le 7 juillet 1994 pour la Fédération de Russie, l'Ouzbékistan, la Pologne et l'Ukraine puis d'une extension territoriale à cinq pays dont la France avec effet dans ces pays au 22 décembre 1994,

- le 26 janvier 1994, la marque figurative représentant une étiquette aux couleurs blanc, rouge, bleu et or qui a fait l'objet d'un enregistrement international le 7 juillet 1994 sous le n° 622 478 le 7 juillet 1994 pour la Fédération de Russie, la France, l'Ouzbékistan, la Pologne et l'Ukraine avec effet dans ces pays au 22 septembre 1994.

Pour ce qui concerne la marque figurative, la société Grande Distillerie de Cambrai n'a effectué aucun dépôt et ne peut prétendre à protection. L'imitation de la marque - étiquette composée d'un motif central ayant la forme d'une bannière bordée de godions de couleur dorée, surmonté d'un drapage de couleur rouge et d'une couronne dorée et bleue - est patente. Les étiquettes saisies sont la reproduction à l'identique de tous les éléments en leur forme et leur couleur. Même le texte inscrit au milieu de la bannière ne comporte qu'une seule modification, le nom " Konings " étant remplacé par le mot " Original " écrit également en bleu.

La bonne foi étant inopérante en matière de contrefaçon, il importe peu que ce soit à la demande et sur les indications d'un client estonien que la société Grande Distillerie de Cambrai ait commandé et fait apposer ces étiquettes. Par ailleurs, la contrefaçon a été matériellement réalisée en France et il n'est justifié d'aucun refus des autorités russes pour la protection de la marque figurative n° 622 478.

Pour ce qui concerne la marque Vodka Rossia - non protégeable en Russie depuis le refus des autorités russes du 15 août 1995 - la contrefaçon par usage en France est établie par l'inscription de la marque sur les étiquettes contrefaisantes, mais aussi les contre-étiquettes et les collerettes constituant l'habillage des bouteilles vendus par la société Grande Distillerie de Cambrai.

En vertu de l'article 4 alinéa 2 de l'arrangement de Madrid, toute marque qui a été l'objet d'un enregistrement international jouit du droit de propriété établi par la Convention de Paris en son article 4. En conséquence, la société Grande Distillerie de Cambrai ne saurait se prévaloir du dépôt de la marque Rossia effectué à l'INPI le 7 octobre 1994 soit à l'intérieur du délai de priorité de 6 mois.

Quant à l'absence de préjudice invoqué par la Grande Distillerie de Cambrai, le dépôt des marques fait par la société belge démontre qu'à l'évidence que lors du dépôt, elle avait déjà ou allait exporter de la vodka dans les pays visés dans sa requête et en particulier la Fédération de Russie. La commercialisation de bouteilles par la Grande Distillerie de Cambrai au prix de 1 DM au lieu de 3,94 FF l'a privée d'un gain équivalent au bénéfice qu'elle aurait réalisé sur ce marché pour la même quantité de bouteilles. Compte tenu du nombre des ventes mais aussi du fait que la société Grande Distillerie de Cambrai ne justifie nullement de la destruction des étiquettes et du reconditionnement des bouteilles en stock, il y a lieu de fixer le préjudice subi du fait de la contrefaçon à la somme de 200 000 F en réformation du jugement entrepris.

Sur la concurrence déloyale :

La société Grande Distillerie de Cambrai, elle-même cliente de la société belge ne pouvait ignorer que les étiquettes commandées par son client estonien étaient la copie conforme de celles de la société belge. En acceptant de répondre à la demande et d'exporter des bouteilles qu'un consommateur moyen balte ou russe ne pouvait que confondre avec les produits de la société Konings, la société Grande Distillerie de Cambrai a sciemment profité sans bourse délier de l'attrait de la marque figurative mis au point par son concurrent belge et des efforts commerciaux qu'il avait déployés dans les pays de l'Est.

Ce parasitisme du travail et de la notoriété d'autrui constitue des actes de concurrence déloyale générateurs d'un préjudice distinct de celui résultant de la contrefaçon, à savoir la perte d'une chance de développement commercial notamment dans les lieux où ont été diffusées les bouteilles prêtant à confusionIl y a lieu cependant de ramener à 100 000 F la somme allouée de ce chef à la société Konings eu égard à l'absence d'éléments précis sur des ventes déjà conclues par cette dernière dans cette partie de l'Europe.

Eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à la société intimée la somme globale de 30 000 F.

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en son principe, Le réformant quant au quantum des condamnations, Condamne la SARL Grande Distillerie de Cambrai à payer à la société Konings Graanstokerij la somme de 200 000 F au titre de la contrefaçon et la somme de 100 000 F au titre de la concurrence déloyale, ce avec intérêts au taux légal à compter du jugement, Y ajoutant, Porte à 30 000 F l'indemnité procédurale globale due par la société Grande Distillerie de Cambrai à la société Konings Graanstokerij, Condamne la société Grande Distillerie de Cambrai aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Cocheme Kraut, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.