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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 14 avril 1999, n° 1999-04598

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Inter Face Communication (SARL)

Défendeur :

Editions Albert René (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Charoy, Cabat

Avoués :

SCP Bernabe-Ricard, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Mes Pichon, Henriot Bellargent.

T. com. Paris, prés., du 19 févr. 1999

19 février 1999

La cour statue sur l'appel interjeté par la société Inter Face Communications d'une ordonnance rendue, le 19 février 1999, par le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, qui : lui a fait interdiction de vendre, directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit, le lot constitué de l'opuscule " Il était une fois les Gaulois " et d'une vidéocassette d'Astérix, et ce, sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée, avec un maximum de 300.000 francs, courant 48 heures après la signification de l'ordonnance, lui a enjoint d'informer tout partenaire commercial, y compris les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, de l'interdiction de vente frappant les lots litigieux et de l'obligation de procéder au rappel des lots, en justifiant des demandes adressées à cette fin par télécopies et lettres recommandées AR, sous astreinte de 10.000 francs par jour de retard courant 48 heures après la signification de l'ordonnance, pendant 30 jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit, a ordonné de justifier, sans délai, sur toute demande qui lui sera faite par les éditions Albert René, de l'envoi dans le délai fixé des télécopies et lettres recommandées AR prévues ci-dessus, sous astreinte de 10.000 francs par jour de retard courant 48 heures après la demande qui lui sera faite par les éditions Albert René, pendant 30 jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit, l'a condamnée à payer aux éditions Albert René une indemnité de 5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Inter Face Communications expose que la société Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo, titulaire des droits d'adaptation audiovisuelle de trois albums des aventures d'Astérix intitulés " Astérix chez les Bretons ", " Astérix et le Coup du Menhir " et " Astérix et la Surprise de César " et éditeur de trois cassettes vidéos correspondantes, l'a autorisée à commercialiser un " pack " réunissant, outre l'une des trois vidéocassettes des aventures d'Astérix, un opuscule qu'elle édite sous le titre " Il était une fois les Gaulois ", ainsi qu'un jeu intitulé " La course des Gaulois ".

Elle prétend que la société Albert René, qui dispose des droits d'auteur sur le personnage d'Astérix, ne peut se prévaloir d'un quelconque droit sur l'univers de celui-ci, ce qui reviendrait, selon elle, à interdire toute utilisation de cet univers alors qu'elle ne conteste pas les droits de la société Gaumont Columbia Tristar Home Video sur les éditions vidéos de la cassette d'Astérix ; que le n°1 de " Il était une fois les Gaulois ", qui traite des Gaulois, de leur religion, de la guerre des Gaules et présente un nombre d'informations sur l'histoire des Gaulois, présente un intérêt didactique et pédagogique historique sans nullement se référer à Astérix ; qu'on se demande dans ces conditions, en vain, quels droits seraient troublés de façon illicite et quelle serait la nature du préjudice invoqué.

Elle soutient que le fondement de l'action initiale de la société éditions Albert René est incertain en droit, que la pratique dénoncée comme hautement déloyale et parasitaire n'est pas caractérisée et que le fondement juridique de celle-ci n'est pas donné, que l'événement susceptible de déclencher une action sur le fondement de l'article L. 122-1 du Code de la consommation n'est pas constaté.

Se prévalant de l'autorisation de la société Gaumont, elle prétend qu'aucun élément de nature à démontrer l'existence d'une concurrence parasitaire et déloyale n'a été apporté par la société Albert René; que la demande en interdiction repose sur un simple jugement de valeur que la société d'éditions Albert René porte sur l'opuscule qu'elle qualifie de médiocre, mais qu'un tel jugement n'est en aucun cas susceptible de caractériser une pratique parasitaire ; que la surévaluation artificielle, prétendue mais non avérée, du prix de l'opuscule ne peut lui être opposée au titre d'un acte parasitaire ; que la société d'éditions ne peut, changeant le fondement de son action, valablement prétendre au retrait des lots de la vente par application de l'article L. 122-1 précité sans rapporter la preuve qu'elle n'a pu obtenir la vente de l'opuscule et de la cassette séparément.

Elle soutient enfin que la nature du préjudice allégué est incertaine.

Concluant à l'infirmation de la décision entreprise, elle demande à la cour de constater l'absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent et de dire et juger le juge des référés " incompétent ".

La société Editions Albert René prétend en réplique que la mise en vente de l'opuscule conjointement avec la vidéocassette, effectuée sous le nom d'Astérix caractérise une pratique " hautement déloyale et parasitaire " portant gravement atteinte à ses droits.

Elle soutient en outre que la mise en vente du lot contrevient aux dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation.

Elle précise que l'autorisation de Gaumont est inopérante, s'agissant de l'utilisation de l'univers d'Astérix pour vendre un opuscule qui, mis en vente isolément, ne trouverait pas acquéreur, que la société Gaumont qui a reçu licence des droits cinématographiques afférents à Astérix n'est pas habilitée à concéder à un tiers le droit d'utiliser l'univers d'Astérix pour les besoins de la promotion de marques ou produits.

Elle ajoute enfin que le moyen tiré de l'absence d'élément chiffré du préjudice qu'elle subit, ou pourrait subir, est inopérant, s'agissant de mettre un terme au trouble manifestement illicite qu'elle invoque.

Elle sollicite, en conséquence, la confirmation de la décision entreprise et demande paiement d'une somme de 10.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel.

La société Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) s'en rapporte à justice sur le mérite de l'appel et demande que lui soit donné acte de ce qu'aucune réclamation n'est formée à son encontre.

Sur ce:

Considérant que par lettre du 26 janvier 1998, la société Gaumont a confirmé à la société Inter Face Communications le contrat de distribution kiosque concernant les vidéocassettes en cause, précisant que le fascicule que se proposait d'y associer la société Inter Face Communications quel que soit son format et la nature de son rédactionnel, ne pourrait en aucun cas revendiquer le graphisme, les personnages ou l'histoire d'Astérix et qu'un fascicule de type " Les gaulois, leur vie, leurs habitudes, leur histoire.... " serait de nature à être un bon complément de la cassette vidéo ;

Considérant, ainsi qu'il résulte des pièces versées aux débats devant la cour, que la société Inter Face Communications, ensuite de cette autorisation, a mis sur le marché un produit comportant, sous un emballage blister de façon à former un lot:

une vidéocassette d'Astérix intitulée " Astérix et la Surprise de César " produite par Gaumont, Dargaud et Production René Goscinny,

un tapis de jeu cartonné intitulé la " Course des Gaulois ",

un opuscule portant le titre " Il était une fois les Gaulois ", n°1, constitué de fiches réalisées sur le thème des gaulois et désignées sous le terme Mag/Fiches,

le tout réuni sous emballage dont la rigidité est assurée par un fond en carton où figure, " en accroche ", le texte suivant:

Astérix et la surprise de César 79 F

La K7 + le jeu " La Course des Gaulois "

+ Un fabuleux Mag/Fiches!,

Considérant qu'il est constant que ce produit, présenté comme le premier d'une série, devait être suivi de la mise en vente annoncée de lots identiques associant les vidéocassettes " Astérix chez les Bretons " (n° 2) et " Astérix et le Coup du Menhir " (n° 3), l'ensemble de ces lots étant distribué par les NMPP pour être vendu dans des librairies kiosques;

Considérant que la présentation des lots litigieux telle que ci-dessus décrite, traduit la volonté arrêtée, exempte de toute ambiguïté, de la société Inter Face Communications d'associer l'opuscule et le jeu qu'elle édite à l'imagerie, notoirement connue du grand public, d'Astérix le Gaulois et à son univers spécifique, tel que voulu par ses auteurs;

Qu'une telle présentation n'a nullement vocation, nonobstant les termes de l'autorisation donnée par Gaumont, à assurer la simple promotion de la vidéocassette, mais a d'évidence pour finalité de permettre la vente des propres produits de la société Inter Face Communications;

Que le fond carton, qui met en exergue le nom d'Astérix sous la dénomination duquel le " pack " est présenté, manifeste, de manière non équivoque, la volonté arrêtée et déterminée de la société Inter Face d'utiliser la notoriété du célèbre personnage pour vendre un opuscule et un jeu qui n'ont d'autre lien avec ce dernier que l'époque à laquelle ils se réfèrent;

Que cette volonté parasitaire évidente est d'autant plus grave que le lot critiqué, tel que présenté, laisse accroire, dans l'esprit d'un public moyennement attentif, qu'il bénéfice de l'aval et résulte d'une initiative des titulaires des droits d'auteur sur le célèbre gaulois et ce qui l'entoure, et est de nature à tromper le public sur la teneur exacte de son contenu

Que l'appelante ne peut, compte tenu de ce qui précède et justement relevé par le premier juge, prétendre sans mauvaise foi qu'elle n'aurait pas recherché à utiliser la valeur économique qui s'attache d'évidence au seul nom Astérix ni s'inscrire dans le sillage de son renom;

Que l'autorisation donnée par Gaumont dans les termes précités pour la diffusion de la vidéocassette ne la dispensait manifestement pas de solliciter l'autorisation des titulaires de droits sur le personnage dès lors qu'elle entendait l'utiliser, en soi, pour promouvoir ses produits;

Qu'un tel acte de parasitisme suffit amplement à caractériser le trouble manifestement illicite que la mise en vente d'un tel lot occasionne à la société d'éditions Albert René et à justifier les mesures que, par une exacte appréciation des données du litige, le premier juge a, pertinemment et à bon droit, ordonnées;

Que la décision entreprise doit, de ce seul fait, être confirmée sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des parties inopérants sur la solution adoptée;

Considérant qu'il convient par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile d'allouer à la société intimée l'indemnité qu'elle réclame au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est vue contrainte d'engager devant la cour;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Condamne la société Inter Face Communications à payer à la société éditions Albert René la somme de 10.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, Mets les entiers dépens à la charge de la société Inter Face Communications et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.