Cass. com., 6 avril 1999, n° 96-21.635
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Maniwaki Ventures Europe (SARL), Ritvik Toys Inc (Sté)
Défendeur :
Kirkbi A-S (Sté), Lego A-S (Sté), Lego (SA), Byggis (Sté), Unica (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Delaporte, Briard, Me Roué-Villeneuve, SCP Thomas-Raquin, Benabent
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt, partiellement confirmatif attaqué (Versailles, 26 septembre 1996), que la société Lego commercialise en France depuis 1959 des jeux de construction constitués essentiellement de briques conçues et fabriquées par les entreprises du "groupe" Lego, notamment les sociétés danoises Kirkbi A/S et Lego A/S ; que concurremment la société Ritvik Toys commercialise également en France des produits créés et fabriqués par les sociétés du "groupe" Ritvik, principalement par une société de droit canadien portant le même nom, ces entreprises étant spécialisées dans les jeux et jouets pour enfants conçus en vue de l'assemblage de "briques" en matère plastique ; qu'enfin, la société de droit suédois Byggis et la société de droit belge Unica importent en France et y commercialisent des jeux de construction ; que la société de droit danois Kirkbi A/S a déposé le 18 janvier 1989 au registre des marques de l'INPI, la brique Lego, marque enregistrée sous le numéro 1 526 777 pour désigner les produits et services des classes 1 à 42 de la nomenclature internationale des marques ; que cette entreprise et la société Lego ont assigné en 1992 devant le tribunal de grande instance, en contrefaçon et en concurrence déloyale, les sociétés Byggis et Unica ainsi que les sociétés du "groupe Ritvik" ; que par deux jugements distincts le Tribunal a notamment prononcé la nullité de la marque n° 1 526 777 déposée le 18 janvier 1989 par la société Kirkbi A/S et rejeté les demandes des sociétés Kirkbi et Lego fondées sur des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale dirigées tant à l'encontre des sociétés Ritvik que contre les sociétés Byggis et Unica ; que les sociétés Kirkbi et Lego ont fait appel de ces deux jugements ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Maniwaki Ventures Europe aux droits de la société Ritvik Toys Europe et la société de droit canadien Ritvik Toys font grief à l'arrêt de les avoir condamnées pour concurrence déloyale en joignant, dans le même arrêt, l'instance opposant les sociétés Lego aux sociétés Byggis et Unica, alors, selon le pourvoi, qu'en vertu de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer le principe de la contradiction ; qu'il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, les sociétés Ritvik n'étaient pas représentées à l'audience de mise en état au cours de laquelle l'ordonnance de jonction des procédures Byggis-Unica, d'une part, et Ritvik d'autre part, a été rendue ; que cette ordonnance ne leur a pas été notifiée ; que la procédure antérieure, et donc les conclusions d'appel échangées dans la procédure Byggis-Unica contre Lego avant l'ordonnance de jonction ne leur ont pas été dénoncées ; que dès lors, l'arrêt qui a pris en considération des conclusions sur lesquelles les sociétés Ritvik n'avaient pas été à même de débattre contradictoirement a méconnu les droits de la défenses de ces dernières violant ainsi l'article 16 susvisé ;
Mais attendu qu'il résulte de l'examen des pièces de procédure qu'un bulletin signé le 24 novembre 1994 par le conseiller de la mise en l'état et par le greffier a été adressé aux parties leur faisant connaître la date à laquelle l'ordonnance de clôture serait rendue et la date des plaidoiries, ce bulletin faisant référence au numéro d'enregistrement au greffe des deux procédures avec la mention du nom de toutes les parties accompagnée de l'indication que ces affaires seraient jointes ; que les sociétés Byggis et Unica ayant fait signifier leurs conclusions aux sociétés Ritvik celles-ci avaient la possibilité d'y répondre si elles estimaient qu'elles contenaient des éléments pouvant porter atteinte à leurs droits ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen pris en sa première branche : - Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que, pour déclarer les sociétés Ritvik coupables de concurrence déloyale et les condamner au paiement de dommages et intérêts, l'arrêt relève que par leurs formes et leurs dimensions les briques Ritvik et Byggis sont des copies quasi serviles des briques Lego ; qu'après ouverture de l'emballage, il apparait immédiatement que la différence essentielle réside dans les nuances des couleurs et surtout dans la qualité des produits, l'élément Lego, comparé aux blocs des autres fabricants étant rigide et solide, si bien que les briques Ritvik et Byggis semblent être des imitations ou des sous-marques du produit Lego ; que les sociétés intimées n'établissent pas le caractère impératif des dimensions et des proportions de l'élément de construction " qu'elles ont reproduit servilement au millimètre près, tant de la petite brique Lego que la grosse brique Duplo " ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté dans sa motivation concernant la nullité du dépôt de la marque n° 1 526 777 relative aux briques fabriquées et commercialisées par les sociétés Kirkbi, que la forme, la taille et les proportions de la brique ou des tenons de la brique Lego était liée à sa fonction pratique liée à la taille des mains des enfants et à leur force et que s'agissant d'une forme nécessaire en raison de sa fonction technique elle ne pouvait constituer le signe distinctif d'une marque, la cour d'appel, qui s'est contredite a violé le texte susvisé ;
Et sur la deuxième branche du second moyen : - Vu l'article 1382 du Code civil : - Attendu que, pour déclarer les sociétés Ritvik coupables de concurrence déloyale et les condamner au paiement de dommages et intérêts, l'arrêt énonce que par leurs formes et leurs dimensions les briques Ritvik sont des copies quasi-serviles des briques Lego mais qu'après ouverture de l'emballage " il apparait immédiatement que la différence essentielle réside dans les nuances de couleurs et surtout dans la qualité des produits, l'élément Lego comparé au bloc des autres fabricants étant rigide et solide, si bien que les briques Ritvik et Byggis semblent être des imitations ou des sous-marques du produit Lego ", les produits " imitants " étant au surplus nettement moins chers à l'achat pour le consommateur ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir qu'il pouvait exister pour l'acheteur un risque de confusion entre les produits Lego et ceux fabriqués et commercialisés par les sociétés Ritvik, la cour d'appel a violé le texte susvisé;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les quatre dernières branches du second moyen : casse et annule, mais seulement en ce qui concerne les dispositions concernant le litige opposant les sociétés Lego et Kirkbi aux sociétés Ritvik relatives aux condamnations prononcées à l'encontre de ces dernières pour concurrence déloyale et parasitaire, l'arrêt rendu le 26 septembre 1996, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.