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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 1 avril 1999, n° 95-4952

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sacasac (Sté), De Saint Rapt (ès qual), Rafoni

Défendeur :

Maison Arnaud (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Semeriva

Avoués :

Me Jauffres, SCP Sider

Avocats :

Mes Karouby, Parmakszian.

T. com. Aix-en-Provence, du 9 janv. 1995

9 janvier 1995

Expose du litige :

Le 2 mai 1991, la société Maison Arnaud a vendu à la société Sacasac un fonds de commerce de maroquinerie, à l'exception de l'enseigne (Maison Arnaud), situé à Aix en Provence 52-54, rue des Cordeliers pour un prix de 1.000.000,00 francs. L'acte de vente stipulait à la charge du vendeur une interdiction de rétablissement durant cinq ans dans un rayon de 100 mètres à vol d'oiseau et précisait que la poursuite par le vendeur de l'exploitation de son autre fonds de commerce de maroquinerie situé à Aix en Provence, 10, rue Fabrot, ne contreviendrait pas à cette clause de non concurrence.

Reprochant à la société Maison Arnaud d'avoir détourné sa clientèle en ouvrant, le 11 avril 1992, un nouveau magasin, 14, rue Méjanes à Aix en Provence, la société Sacasac l'a poursuivie en réparation de son préjudice. Par jugement du 9 janvier 1995, le tribunal de commerce D'Aix en Provence l'a déboutée de ses demandes.

Le 10 février 1995, la société Sacasac a interjeté appeI de cette décision. Elle sollicite son infirmation et la condamnation de la société Maison Arnaud à lui payer la somme de 1.000.000,00 francs à titre de dommages intérêts, celle de 460.446,72 francs coût du crédit contracté pour l'achat du fonds et de 30.000,00 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Elle reproche à son adversaire, en ouvrant un nouveau magasin dans une rue distante de 77 mètres de celle où se situe le sien, d'avoir violé ses obligations de vendeur et détourné sa clientèle, faisant perdre au fonds vendu toute valeur.

Maître Rafoni, représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Sacasac et Maître De Saint Rapt, administrateur provisoire de l'étude de Maître Mariani, administrateur au redressement judiciaire de cette société puis commissaire au plan, font leur les écritures prises par ladite société.

La société Maison Arnaud conclut à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de la société Sacasac à lui payer la somme de 50.000,00 francs de dommages-intérêts ainsi que celle de 30.000,00 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Tout d'abord, elle prétend que la société Sacasac, qui a vendu son fonds de commerce, n'a plus qualité pour agir.

Ensuite, elle soutient que la vente du fonds de commerce n'empêche pas le vendeur de se rétablir, que sa réinstallation était implicitement prévue à l'acte de vente et qu'elle a eu lieu en respectant la distance de 100 mètres prévue.

En outre, elle allègue que la preuve de manœuvre de concurrence déloyale et de l'existence d'un préjudice n'est pas rapporté.

Enfin, elle invoque l'irrecevabilité de l'intervention de Maître Rafoni et le défaut d'intérêt de celles de Maître Mariani et de Maître De Saint Rapt.

Motifs de la décision :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la cour à la décliner d'office.

L'éventuelle entrée dans le patrimoine de la société Sacasac de la créance qu'elle prétend détenir contre la société Maison Arnaud, permettra de désintéresser créanciers et aura, par là, une incidence sur l'exécution du plan de continuation.

Aucun élément n'établit que l'achèvement de la vérification des créances, qui met fin aux fonctions du représentant des créanciers, soit intervenu.

Ainsi doivent être maintenus à l'instance, Maître Rafoni et Maître De Saint Rapt.

La vente d'un fonds de commerce, qui, élément de l'actif d'une société commerciale, constitue une universalité de fait, n'exerce aucune influence sur la capacité juridique de cette société et ne l'empêche pas d'agir en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi dans l'exploitation de ce fonds.

Une attestation rédigée par le géomètre Flippe établit que la distance à vol d'oiseau entre le magasin de la société Sacasac et la nouvelle boutique de la société Maison Arnaud s'élève à 267 mètres.

Ainsi le commerce de la société Arnaud, rue Méjanes, respecte l'éloignement imposé par la clause de non concurrence.

Mais outre l'obligation contractuelle de non concurrence, pèse sur la société Maison Arnaud, en sa qualité de vendeur du fonds de commerce, l'obligation légale de garantie de l'éviction qui lui impose le devoir de s'abstenir de tout acte de nature à diminuer l'achalandage et à détourner la clientèle du fonds cédé.

Contrairement à ce que soutient la société Maison Arnaud, aucune stipulation de l'acte de vente ne prévoit sa réinstallation sous réserve de la poursuite de l'exploitation de son autre magasin, rue Fabrot. L'absence de cession de l'enseigne, qui s'explique par la continuation du commerce dans cette boutique, interdit à la société Sacasac de l'utiliser pour son activité mais ne montre pas l'intention de la société Maison Arnaud d'ouvrir un nouveau magasin.

Le commerce exploité par la société Maison Arnaud, rue Méjanes :

- est situé à environ 300 mètres par les voies de circulation usuelles, du fonds vendu et se trouve dans la même partie du centre ville d'Aix en Provence, les deux magasins appartenant à la même zone d'achalandage.

- vend, ainsi que l'établit le constat de l'huissier Dupla du 23 mars 1994, des articles des mêmes marques et de la même gamme de prix que la société Sacasac,

- présente un aménagement intérieur qui, quoique non original, rappelle celui de son acien magasin,

- utilise comme enseigne le nom " GiIbert Arnaud ", semblable à celte "Maison Arnaud" de son ancienne boutique.

La société Maison Arnaud, en ouvrant un magasin en parfaite concurrence avec le fonds cédé et en utilisant une enseigne semblable à celle qui désignait auparavant ledit fonds de nature à indiquer à la clientèle qu'elle poursuivait son activité en un nouveau lieu, a commis des actes tendant à diminuer l'achalandage et à détourner la clientèle de son ancien magasin.

Elle a manqué à sa garantie d'éviction.

Le chiffre d'affaires de la société Sacasac qui, pour la première année d'exploitation (mai 1991 - avril 1992) s'est élevé à 2.230.134,00 francs est passé pour la même période suivante (1992-1993), qui correspond à l'ouverture du magasin de la société Maison Arnaud, à 1.738.347,00 francs et pour l'exercice 1993-1994 à 1.384.312,00 francs.

Alors que le fonds de commerce avait été acheté 1.000.000,00 de francs, il a été revendu en 1996 pour un prix de 450.000,00 francs.

Il convient, compte tenu de ces éléments de fixer le préjudice subi par la société Sacasac du fait des agissements de son adversaire à la somme de 250.000,00 francs.

Le coût du crédit n'est que la conséquence du prêt contracté pour l'achat du fonds de commerce et ne peut être supporté par la société Maison Arnaud.

Succombant à l'instance, la société Maison Arnaud, doit être déboutée de ses demandes accessoires et condamnée à payer à son adversaire la somme 10.000,00 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce d'Aix en Provence du 9 janvier 1995 ; Statuant à nouveau ; Condamne la société Maison Arnaud à payer à la société Sacasac la somme de deux cent cinquante mille francs (250.000,00 francs) (38.112,25 euros] de dommages intérêts ; Déboute la société Maison Arnaud de ses demandes en dommages intérêts et au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Maison Arnaud à payer à la société Sacasac la somme de dix mille francs (10.000 francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Maison Arnaud aux dépens et autorise Maître Jauffres, avoué à recouvrer directement ceux d'appel dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.