CA Douai, 2e ch., 1 avril 1999, n° 97-00663
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Somatec (SARL)
Défendeur :
Somatair (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gosselin
Conseillers :
Mmes Schneider, Fontaine
Avoués :
Me Cocheme-Kraut, Quignon
Avocats :
Mes Desespieghelaere, Ledieu.
Par jugement du 9 octobre 1996, le tribunal de grande instance de Bethune, statuant commercialement, a rejeté l'exception de connexité soulevée par la SARL Somatair, l'a condamnée à payer à la SARL Somatec la somme de 18.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a rejeté le surplus des demandes.
La SARL Somatec a interjeté appel par déclaration du 28 janvier 1997 et demande à la Cour de :
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté la concurrence déloyale ;
- pour le surplus la réformer :
- condamner la SARL Somatair à lui payer 300.000 F pour perte de chiffre d'affaires et 100.000 F pour préjudice commercial par désorganisation de clientèle et atteinte à l'image de marque ;
- à titre subsidiaire, ordonner la condamnation à 150.0000 F à titre provisionnel et nommer expert ;
- condamner la Somatair à lui payer 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle expose qu'elle a embauché par contrat du 1er mai 1992 M. T. Lecousin en qualité de technico-commercial pour la représentation de tous les matériels de traitement de surface, application de peinture -colle- divers produits, et pour un secteur d'activité précis ; qu'il a cessé ses activités le 11 octobre 1994 après avoir démissionné le 10 septembre 1994 ; qu'il est désormais employé par la Somatair, qui commercialise les mêmes produits qu'elle ; que par décision du 8 janvier 1995, le conseil de prud'hommes d'Halluin a reconnu que M. Lecousin n'avait pas respecté la clause de non-concurrence à laquelle il était astreint.
Elle fait valoir que dès le 29 novembre 1994 la Somatair était informée de la situation, qu'elle n'a pourtant pas licencié M. Lecousin, que c'est celui-ci qui a démissionné au cours du premier trimestre 1995, que la violation de la clause de non-concurrence a été constatée par une décision judiciaire opposable à Somatair, que sa baisse de chiffre d'affaires pour la période septembre 1994-mars 1995 a été établie à 609.461 F.
La SARL Somatair conclut à la réformation du jugement entrepris, au débouté de la Somatec, à la condamnation de celle-ci à lui payer 100.000 F de dommages-intérêts et 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; à titre subsidiaire, à la fixation au franc symbolique du préjudice de la Somatec ; à titre infiniment subsidiaire à la confirmation de la décision déférée.
Elle indique qu'elle a une activité de " matériel air comprimé ", qu'elle ne pouvait être condamnée sur le fondement de l'article 1382 du code civil puisque les premiers juges ont relevé l'absence de comportement fautif de sa part, qu'elle a été démarchée par M. Lecousin, que dès réception de la lettre recommandée avec avis de réception du 16 décembre 1994 de la Somatec elle a procédé à la rupture amiable du contrat de travail.
Elle ajoute qu'en tout état de cause l'intéressé exerçait chez elle une activité différente de celle pratiquée pour Somatec ; qu'aucune confusion n'était possible puisque sa dénomination est devenue Geexso SA Somatair depuis le 1er février 1994.
Elle souligne que M. Lecousin n'a travaillé pour elle que quarante cinq jours, que le conseil de prud'hommes d'Halluin avait bien analysé les variations du chiffre d'affaires de la Somatec.
La SARL Somatec réplique que le jugement du conseil des prud'hommes est aujourd'hui définitif, M. Lecousin ayant réglé les sommes mises à sa charge et elle-même s'étant désistée de son appel ; que la faute de la Somatair pour avoir employé un salarié astreint à une clause de non concurrence est donc établie ; qu'il résulte de l'attestation de M. Lecousin que celui-ci démarchait ses clients pour des matériels concurrents des siens ; que l'activité de la Somatair dans la peinture est indéniable.
Par arrêt avant dire droit du 10 décembre 1998, la Cour a ordonné la réouverture des débats pour production par l'intimée d'éléments justifiant de sa situation et sa dénomination exacte (SARL Geexso Somatair ou SARL Somatair?).
Dans des conclusions du 8 février 1999, ladite société a précisé qu'il n'y avait pas eu de transformation juridique et qu'il s'agissait d'une enseigne commerciale.
MOTIFS
Attendu que M. Lecousin avait conclu avec la Somatec un contrat de technico-commercial exclusif le 1er mai 1992 ; qu'il a démissionné le 10 septembre 1994 et a effectué son préavis du 12 septembre au 11 octobre 1994 inclus ; que la clause de non-concurrence (article 16) de son contrat de travail lui fut rappelée par la Somatec dans sa lettre recommandée avec avis de réception du 13 septembre 1994.
Attendu que M. Lecousin a été embauché par la Somatair par contrat du 12 octobre 1994, avec une période d'essai de trois mois, renouvelable pour un mois ;
Attendu que les catégories des produits placés par M. Lecousin pour les deux sociétés-telles qu'elles peuvent être analysées au vu des quelques documents fournis-ne sont pas totalement identiques mais peuvent inclure des outils, des machines ou des accessoires de même type ou de même usage ;
Qu'ainsi la Somatair distribue des matériels à air comprimé pour notamment les professionnels de la peinture ;
Que le contrat du 1er mai 1992 de M. Lecousin visait " tous les matériels de traitement de surfaces, application de peinture... , tous les matériels de production d'air comprimé et installation réseau... "
Attendu que le secteur géographique d'intervention de M. Lecousin pour la Somatair englobait son secteur d'activité pour la Somatec ;
Attendu que la Somatair a été informée de la nature de l'emploi précédent de ce salarié et de l'existence de son obligation de non-concurrence indirectement par le constat du 29 novembre 1994 et directement par la lettre recommandée avec avis de réception du 16 décembre 1994 (réceptionné le 19 décembre 1994).
Qu'il n'est pas démontré -ni même allégué- qu'elle en ait eu connaissance auparavant ;
Qu'il n'est pas argué de manœuvres déloyales commises par elle pour " débaucher " M. Lecousin ;
Que la violation de la clause de non-concurrence jugée par le conseil de prud'hommes d'Halluin vise le comportement personnel de M. Lecousin et non celui de la Somatair ;
Attendu qu'il est établi que la Somatair a mis fin à ses relations contractuelles avec ce salarié après réception de la mise en demeure puisque celui-ci a cessé ses fonctions au 31 janvier 1995 ;
Attendu qu'il n'est pas prouvé que la persistance de l'emploi de M.Lecousin par la Somatair pendant ces quarante deux jours ait occasionné un préjudice à la Somatec ;
Que dans son jugement du 8 novembre 1995 -auquel elle était partie, qui lui est opposable et aujourd'hui définitif le conseil de prud'hommes d'Halluin a rejeté sa demande relative à la perte réelle du chiffre d'affaires, en la jugeant non prouvée ;
Attendu que l'atteinte à son image de marque et la désorganisation de clientèle sont alléguées par l'appelante et ne sont étayées par aucune pièce ;
Attendu qu'il n'est établi ni que la dénomination de Somatec Somatec soit antérieure à celle de Somatair ni que cette dernière ait été utilisée sciemment par cette société pour créer une confusion ;
Attendu que la Somatair ne prouve pas l'existence du préjudice que lui aurait causé la procédure diligentée par la Somatec ;
Qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
Attendu qu'au vu des circonstances de la cause, de la situation des parties, des éléments produits, il est équitable d'allouer à la Somatair la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs : Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bethtune en ce qu'il a rejeté la demande de la Somatair en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Bethune en toutes ses autres dispositions ; En conséquence, déboute la Somatec de l'ensemble de ses demandes ; Condamne la Somatec à payer à la Somatair la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la Somatec aux dépens de première instance et d'appel et autorise Me Quignon, avoué, à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.