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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 mars 1999, n° 1997-07042

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Girard, Giacomini (SA)

Défendeur :

Climatisation & Développement (GIE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

MM. Rosselo, Lachacinski

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Cussac, Greffe.

T. com. Paris, 4e ch., du 23 janv. 1997

23 janvier 1997

La SA Giacomini qui a notamment pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de climatisation, a conçu en 1995 un produit de chauffage et de rafraîchissement par le sol de l'habitat, dénommé Giacolima.

Elle a alors diffusé dans la presse et inséré dans ses documents commerciaux une publicité conçue par l'agence 3 J Publicité, comportant une illustration caractérisée par la reproduction d'un canapé aux deux extrémités duquel était assise la même jeune femme habillée de même manière, avec, en arrière fond, à gauche un paysage de neige barré de la mention : " Dehors - 10 ° " et à droite un paysage d'été et la mention : " Dehors + 31 ° ".

En juillet 1996, elle a constaté que le G.I.E. " Climatisation et Développement " diffusait à la télévision une campagne de publicité reprenant selon elle à l'identique l'illustration de sa propre campagne.

Une mise en demeure du 22 juillet 1996 étant restée vaine, la société Giacomini a, le 6 août suivant, assigné le GIE devant le tribunal de commerce de Paris à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- juger que le défendeur s'était livré à son préjudice à des actes caractérisés de concurrence déloyale,

- ordonner l'interdiction immédiate de la diffusion télévisée du film publicitaire en cause, sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée à compter du prononcé du jugement,

- condamner le GIE au paiement d'une indemnité d'un million de francs.

Elle a sollicité, en outre la publication de la décision à intervenir et l'attribution d'une somme de 30 000 F HT au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Société 3J Publicité est intervenue volontairement dans la procédure aux fins de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- constater que le film publicitaire diffusé par le GIE constituait la contrefaçon de l'œuvre créée par elle,

- prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte,

- condamner le GIE au paiement d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts.

Elle a également poursuivi la publication de la décision à intervenir et l'allocation d'une somme de 30 000 F HT pour ses frais hors dépens.

Le GIE " Climatisation et Développement " a conclu au rejet de ces prétentions et à la condamnation solidaire des sociétés Giacomini et 3J Publicité à lui verser une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 23 janvier 1997, le tribunal relevant que les deux publicités étaient différentes et excluaient toute contrefaçon ou concurrence déloyale a débouté les sociétés Giacomini et 3J Publicité de leurs demandes et les a condamnées à verser au GIE " Climatisation et Développement " la somme de 20 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Giacomini, la société 3J Publicité puis Me Claude Girard, ès-qualités de syndic à la liquidation des biens de celle-ci commis à cette fin par jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 février 1997 ont respectivement interjeté appel de cette décision les 7 février et 19 mars 1997.

Ils poursuivent l'infirmation dudit jugement et reprennent les demandes telles que formulées en première instance.

Le GIE " Climatisation et Développement " conclu à la confirmation de la décision déférée et sollicite l'attribution d'une somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce,

I - Sur la demande en contrefaçon

Considérant que Me Girard ès-qualités qui rappelle sans en être contesté que la publicité conçue par la société 3J Publicité constitue une œuvre originale, protégée par les dispositions des Livres I et III du Code de la Propriété Intellectuelle, allègue que le film diffusé à plusieurs reprises à la télévision par le GIE " Climatisation et Développement "est " constitué pour l'essentiel par la reprise à l'identique de l'illustration de la campagne Giacomini ".

Qu'il expose qu'on y retrouve, dans leurs dispositions, leurs combinaison et agencement, les éléments suivants :

- un canapé à contre-jour d'une baie vitrée,

- une baie vitrée au travers de laquelle apparaissent alternativement un paysage d'hiver avec un arbre puis un paysage d'été,

- une même jeune femme assise sur le canapé et vêtue de manière identique quelle que soit la saison.

Qu'il en déduit qu'eu égard à ces ressemblances, la contrefaçon est établie et justifie l'attribution d'une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts.

Considérant que le GIE " Climatisation et Développement " réplique que si " la caractéristique de l'affiche de Giacomini est, grâce à un montage photographique de faire apparaître la même jeune femme assise à la fois à droit et à gauche du canapé et, derrière la baie vitrée qui se trouve dans son dos, un paysage d'hiver à gauche et un paysage d'été à droite ", en revanche, son film télévisé est axé sur le comique d'une situation qu'il définit ainsi : " deux hommes à l'extérieur, une fois en été puis une autre fois en hiver dont l'un, admirateur de la jeune femme assise à l'intérieur, se heurte contre un arbre car son regard est attiré par le jeune femme (qui) se moque de ce personnage masculin à l'occasion des deux chutes ".

Considérant, ceci exposé, que s'il n'est pas contesté que la publicité conçue par la société 3J est une œuvre de l'esprit, protégeable à ce titre, son originalité tient comme l'a exactement relevé le tribunal , à la juxtaposition de deux images représentant le même personnage et créant une impression de dédoublement d'une part, et de deux paysages incompatibles simultanément d'autre part et non pas de la comparaison d'une température intérieure agréable et constante et d'une température extérieure excessive, laquelle comparaison est ainsi que le soulignent à juste titre les premiers juges " à la base même de la notion de climatisation de logements ".

Or considérant que le film du GIE se fonde sur un scénario dont l'idée directrice traitée sur un mode anecdotique comique est que la climatisation permet une température ambiante, agréable et constante en toutes saisons comme le révèle l'attitude d'un personnage féminin unique qui, tourné vers l'extérieur, manifeste son amusement au spectacle d'une chute et, de ce fait, adopte une attitude totalement différente de celle du double personnage de la publicité Giacomini, qui tourné vers l'intérieur n'exprime que la satisfaction du confort procuré par le produit.

Que le jugement qui a rejeté la demande en contrefaçon de Me Claude Girard ès-qualités, sera donc confirmé.

II - Sur la demande en concurrence déloyale

Considérant que la société Giacomini allègue que le concept mis au point par la société 3J Publicité qu'elle utilise est " susceptible d'appropriation sur le terrain de la concurrence déloyale ", au motif que la copie d'une idée publicitaire peut constituer un acte répréhensible s'il existe un risque de confusion entre les publicités et si le concept revendiqué n'est pas nécessaire pour promouvoir les produits en cause.

Considérant que le GIE réplique que ces conditions ne sont pas réunies.

Considérant, ceci exposé, que si le Livre I° du Code de la Propriété Intellectuelle ne protège que l'exécution d'une forme et exclut ainsi une simple idée, la concurrence déloyale peut résulter de la confusion qu'un commerçant crée volontairement avec l'industrie ou le commerce d'un concurrent, dans le but de profiter de la notoriété, des travaux, des efforts, du dynamisme ou de l'esprit d'entreprise de celui-ci.

Que cette exploitation, pour être répréhensible au sens de l'article 1382 du Code Civil, doit s'accompagner de faits ou de manœuvres susceptibles de créer une confusion de nature à détourner la clientèle du concurrent.

Considérant, en l'espèce, qu'il ne saurait être contesté que si le GIE a pour activité la " mise en œuvre d'actions à l'effet de promouvoir la climatisation " alors que la société Giacomini fabrique et commercialise des produits de climatisation le public peut confondre leurs activités et attribuer au GIE non point seulement la promotion d'un procédé de régulation thermique mais aussi la vente des produits adéquats, et ce, d'autant plus que ledit GIE représente les intérêts de fabricants de ces produits.

Qu'utiliser pour une opération publicitaire la comparaison d'une température intérieure constante et d'une température extérieure variable par l'attitude d'un personnage situé à l'intérieur n'est pas nécessaire en soi, ainsi que l'établissent les diverses publicités produites aux débats par la société appelante telles que Multibeton (un enfant représenté assis sur un dispositif de chauffage et rafraîchissement), Thermacome (illustré par un château), Solterm (une famille jouant sur le sol) Satel (un intérieur en duplex), Climasol (une villa).

Qu'il en résulte que la référence à la comparaison susvisée, de nature à susciter une confusion dans l'esprit de la clientèle, suffit à caractériser le grief de concurrence déloyale invoqué par la société Giacomini.

III - Sur la réparation du préjudice

Considérant que la société Giacomini fait valoir que le détournement de sa publicité lui a causé un dommage considérable tenant notamment au fait qu'il l'a empêchée eu égard à l'importante diffusion de l'annonce du GIE de " décliner son idée pour les différents supports qui étaient initialement prévus (dont) la télévision " et ce, alors que la campagne en cause avait représenté pour elle un investissement très important qu'elle évalue à la somme de 2 762 710,733 F TTC.

Considérant que la Cour trouve dans les différents éléments d'information versés aux débats la justification d'un préjudice dont la réparation sera évaluée à la somme de 200 000 F.

Qu'il sera, en outre, fait droit à la demande d'interdiction de diffusion du film incriminé, et de publication dans les conditions précisées au dispositif.

IV - Sur les frais non taxables

Considérant que le GIE et Me Girard ès-qualités succombant, seront déboutés des demandes par eux fondées sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Qu'il est, en revanche, équitable de condamner le GIE à verser de ce chef à la société Giacomini une somme de 20 000 F.

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Me Claude Girard, ès-qualités de syndic à la liquidation des biens de la société 3J Publicité, de sa demande en contrefaçon, Le réforme pour le surplus, et statuant à nouveau, Dit la demande en concurrence déloyale de la société Giacomini bien fondée, Condamne le GIE " Climatisation et Développement " à payer à la société Giacomini les sommes de : - Deux Cent Mille Francs (200 000 F) à titre de dommages-intérêts - Vingt Mille Francs (20 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Fait interdiction au GIE " Climatisation et Développement " de diffuser le film publicitaire incriminé sous astreinte de trente mille francs (30 000 F) par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt et pendant une durée de trois mois à l'expiration de laquelle la Cour qui se réserve expressément ce pouvoir, fera à nouveau droit, Autorise la société Giacomini à publier le dispositif du présent arrêt en son entier dans trois périodiques de son choix aux frais du GIE " Climatisation et Développement " dans la limite d'un coût de vingt mille francs HT (20 000 F HT) par insertion, Rejette toutes autres demandes, Condamne le GIE " Climatisation et Développement " et Me Claude Girard ès-qualités aux dépens de première instance et d'appel par moitié, Admet la SCP Teytaud, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.