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Décisions

Cass. com., 23 mars 1999, n° 96-21.039

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Coopérative développement innovation Leclerc Devinlec (SA), Valdis (SA), JMC Créations (SARL)

Défendeur :

Jourdan (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Poullain

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Thomas-Raquin, Benabent, SCP Tiffreau.

T. com. Romans, du 27 avr. 1994

27 avril 1994

LA COUR : - Donne acte à la société Coopérative développement innovation Leclerc Devinlec de son désistement du pourvoi n° 96-21.039 à l'égard de la société JMC Créations ; - Statuant tant sur le pourvoi n° 96-21.039, formé par la société Devinlec que sur le pourvoi n° 96-21.316, formé par la société Jourdan, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 4 septembre 1996), que par arrêt du 30 novembre 1994, la cour d'appel de Grenoble a déclaré que les sociétés Coopérative développement et innovation Leclerc Devinlec (la société Devinlec), Valdis et JMC Créations se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon d'un modèle de bague créé par la société MD Jourdan Joaillier (la société Jourdan) et d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette société et a ordonné une expertise pour recueillir les éléments nécessaires à l'évaluation de ses préjudices ; que l'expert a déposé son rapport et que la cour d'appel a statué sur les réparations dues à la société Jourdan ; que la société Devinlec s'était engagée à garantir la société Valdis de toute condamnation éventuelle ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches du pourvoi n° 96-21.039 : - Attendu que la société Devinlec reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée, in solidum avec les Sociétés Valdis et JMC Créations, à payer, à la Société Jourdan, certaines sommes en réparation du "préjudice résultant de la contrefaçon "et" constitué des gains manqués par le titulaire des modèles contrefaits," alors, selon le pourvoi, d'une part, que le préjudice né du gain manqué n'est constitué qu'autant que le demandeur à l'action en réparation rapporte la preuve de ce qu'il aurait pu réaliser un gain, qu'il n'a manqué que par le fait d'autrui ; qu'en l'espèce, il incombait donc à la société Jourdan de prouver que les ventes contrefaisantes se seraient certainement reportées sur ses modèles protégés ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 et 1149 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'elle faisait valoir dans ses conclusions en lecture du rapport d'expertise que la masse contrefaisante était constituée des seules 874 bagues effectivement vendues par elle ; que, par ailleurs, l'enquête réalisée par la Sofres montrait que 5,6 % seulement de sa clientèle pouvaient être considérés comme une clientèle potentielle de la société Jourdan ; que, sur ce point, la cour d'appel a constaté qu'il "est certain, comme le montre partiellement l'étude réalisée par la Sofres, que les acheteurs qui fréquentent les "manèges à Bijoux" ne sont pas pour la plupart, ceux qui achètent chez des horlogers-bijoutiers-joailliers" et qu'il "est très loin d'être certain que ces acheteurs se seraient adressés à un autre type de fournisseur si la société Devinlec n'avait pas vendu ces articles contrefaits" ; que dès lors, en déclarant que "la société Jourdan ne pouvait manquer que 40 % environ des ventes réalisables par la société Devinlec", la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 et 1149 du Code civil ; alors, en outre, que le préjudice né du gain manqué n'est constitué qu'autant que le demandeur à l'action en réparation rapporte la preuve de ce qu'il aurait pu réaliser un gain, qu'il n'a manqué que par le fait d'autrui ; qu'en l'espèce, en déclarant que le préjudice subi par la société Jourdan, et qu'elle a évalué à la somme de 850 000 francs, aurait été constitué par le bénéfice net après impôt sur les sociétés que celle-ci aurait réalisé si elle avait fabriqué et commercialisé elle-même les bijoux contrefaits, sans s'être expliquée sur les éléments constitutifs des coûts de fabrication et de commercialisation correspondants, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 et 1149 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir pris en considération la masse des produits contrefaits, les capacités industrielle et commerciale de la société Jourdan dont les produits sont distribués par les horlogers-bijoutiers-joailliers, le fait qu'il existait déjà une certaine concurrence sur les bijoux à motifs floraux avant la diffusion du catalogue Devinlec, à la fin de l'année 1992 et les comportements d'achat des clients des "manèges à bijoux" à qui les bagues de contrefaçon étaient offertes à des prix relativement modiques, ce dont il a déduit qu'en l'absence de ces contrefaçons, la société Jourdan n'aurait manqué qu'environ 40 % des ventes correspondantes, l'arrêt a calculé le préjudice en résultant en appliquant aux ventes manquées ainsi déterminées la "marge bénéficiaire" moyenne réalisée sur les trois versions du modèle "justement fixée par l'expert", renvoyant ainsi au rapport qui expose les éléments constitutifs des coûts qui sont déduits des prix de vente pour aboutir à cette marge ; que, par cette appréciation, dûment motivée, du volume des ventes manquées, et par les éléments d'évaluation de ses conséquences ainsi visés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard des textes régissant la responsabilité délictuelle ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 96-21.039 : - Attendu que la société Devinlec fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer, in solidum avec les sociétés Valdis et JMC Créations, une certaine somme en réparation du préjudice indirect subi du fait de l'atteinte à l'image de marque de la société Jourdan, alors qu'en statuant ainsi, sans avoir constaté en fait que les détaillants faisant partie du réseau de distribution de la société Jourdan auraient réduit leurs achats en raison des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qui lui étaient imputés la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147 et 1149 du Code civil ;

Mais attendu que pour apprécier le préjudice subi par la société Jourdan du fait de l'atteinte portée à son image de marque l'arrêt relève que ses produits de très grande qualité constituent des articles de luxe et que la diffusion du catalogue "Le manège à bijoux E Leclerc", juste avant les fêtes de fin d'année, a été mal ressentie par des distributeurs du réseau de la société Jourdan ; qu'ayant ainsi mis en évidence que la confusion créée entre ses bijoux et ceux distribués dans des hypermarchés E Leclerc, diminuait l'attrait des produits de la société Jourdan et lui causait tant un préjudice moral qu'une perte de chances de réalisations commerciales à venir, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard des textes régissant la responsabilité délictuelle ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 96-21.039 : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour fixer la réparation due in solidum par la société Devinlec et les autres sociétés défenderesses au titre du dommage constitué par le "manque à gagner" résultant pour la société Jourdan de la concurrence déloyale portant sur les articles de la ligne florale non fabriqués par la société Jourdan, l'arrêt retient que si elle n'a pas fabriqué des articles identiques à ceux portant les numéros précités, elle "avait la capacité de développer cette ligne" ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, qui ne suffisent pas à établir que les actes de concurrence déloyale sanctionnés ont effectivement empêché la société Jourdan de réaliser des ventes , la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 96-21.316 : - Attendu que la société Jourdan reproche à l'arrêt d'avoir limité la condamnation prononcée contre les sociétés Valdis et Devinlec au titre de la concurrence déloyale à la somme de 600 000 francs, alors, selon le pourvoi, que la circonstance que les articles portant les numéros 8 et 18 aient été réalisés par la société René Thévenot et que cette société ne soit pas dans la cause, n'est pas de nature à justifier l'exclusion de ces articles de la masse des articles visés par la concurrence déloyale commise par les sociétés Valdis et Devinlec résultant de la commercialisation desdits articles; qu'en excluant néanmoins dans le calcul de l'indemnité due par ces deux dernières sociétés, la commercialisation desdits articles portant les numéros 8 et 18, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cassation fondée sur le défaut de base légale de la condamnation au titre de la concurrence déloyale qui doit intervenir sur le deuxième moyen du pourvoi de la société Devinlec et qui profitera à la société Valdis garantie par elle rend inopérante la critique de la société Jourdan quant à l'absence de prise en compte de faits illicites commis par ces deux sociétés ; que le moyen ne peut être retenu ;

Par ces motifs : casse et annule mais seulement en ce qu'il a condamné la société Devinlec et la société Valdis, qu'elle garantit à indemniser la société Jourdan d'un préjudice subi au titre de la concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 4 septembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.