CA Paris, 4e ch. A, 3 mars 1999, n° 1997-04916
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Benetton Sport System France (Sté)
Défendeur :
Pole Position (SA), Jamgotchian
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP Annie Baskal
Avocats :
Me Benoit, SCP Nataf Fajgenbaum.
Patrick Jamgotchian est titulaire :
- d'une marque dénominative " Pole Position ", déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 27 novembre 1986 sous le numéro 825.802, enregistrée sous le numéro 1.381.705 dans les classes de produits ou services 35,38 et 41 pour désigner notamment les services suivants :
" Publicité distribution de prospectus, d'échantillons, location de matériel publicitaire, aide aux entreprises industrielles et commerciales dans la conduite de leurs affaires "
et dont le dépôt a été renouvelé le 29 octobre 1996,
- d'une marque dénominative " Pole Position ", déposée le 30 novembre 1987 sous le numéro 891.044, enregistrée sous le numéro 1.437.903 dans les classes 9, 14, 16, 30, 32.
Il a en outre, par contrat du 25 mai 1987 inscrit au Registre National des Marques le 9 janvier 1989 sous le numéro 34.698, concédé la licence exclusive d'une marque Pole Position déposée par lui le 22 novembre 1985 sous le numéro 768.741 et enregistrée sous le numéro 1.331.967 dans la classe 35, à la SA Pole Position dont il est le président Directeur Général et dont l'activité porte sur " la publicité dans toutes ses formes, dans tous les domaines et par tous supports tels que presse, radio, télévision, cinéma, manifestations publiques ou privées... "
Le 20 juin 1995, Patrick Jamgotchian et la société Pole Position, alléguant qu'en dépit d'une mise en demeure du 27 décembre 1995, la SARL Benetton Sport System France (ci-après Benetton) ex Nordica France, utilisait le terme " Pole Position " dans le cadre de campagnes publicitaires nationales sans leur autorisation, ont assigné celle-ci devant le Tribunal de Grande Instance de Paris à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- juger que les faits incriminés constituaient une contrefaçon des marques dont Patrick Jamgotchian est titulaire et un acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Pole Position,
- ordonner une mesure d'instruction pour établir les préjudices de tous ordres subis par les demandeurs,
- condamner la défenderesse à verser à chaque demandeur les sommes de 500 000 F à titre de provision et de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- ordonner les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication.
Par conclusions des 6 novembre 1995 et 30 janvier 1996, la société Benetton a invoqué la nullité et l'inopposabilité du terme " Pole Position ", l'absence de concurrence déloyale et sollicité reconventionnellement l'attribution des sommes de 200 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 20 000 F pour ses frais hors dépens.
Par jugement du 20 novembre 1996, le tribunal relevant notamment que :
- l'expression Pole Position revêtait le caractère distinctif exigé par la loi pour constituer une marque valable et était utilisée par la défenderesse non pas pour désigner ses produits mais à titre de slogan publicitaire,
- la société Pole Position qui exploitait la marque Pole Position dans le cadre de son activité d'agence de publicité et l'employait à titre de dénomination sociale était recevable et bien fondée à agir en réparation du préjudice subi du fait de l'utilisation de cette expression,
a :
- dit les demandes en contrefaçon de la marque n° 1.381.705 et en concurrence déloyale bien fondées,
- prononcé les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, assorties de l'exécution provisoire,
- condamner la société Benetton à verser à :
- Patrick Jamgotchian, les sommes de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- la société Pole Position, les sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes.
La Société Benetton a, le 30 janvier 1997, interjeté à l'encontre de cette décision un appel aux termes duquel elle poursuit le rejet pur et simple des prétentions des intimés ou " à titre infiniment subsidiaire ", la réduction du montant des dommages et intérêts alloués par le jugement à une somme symbolique.
Elle sollicite reconventionnellement l'allocation des sommes de 200 000 F pour procédure abusive et dilatoire et de 40 000 F pour ses frais hors dépens.
Patrick Jamgotchian et la société Pole Position concluent à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demandent en outre la condamnation de l'appelante à verser à chacun d'eux une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce,
I - Sur la demande de Patrick Jamgotchian
Considérant que si celui-ci a, dans son assignation invoqué la contrefaçon des marques numéros 1.437.903, 1.331.967 et 1.381.705, le tribunal a jugé que " des publicités organisées par la société Benetton Sport System (constituaient) des contrefaçons par reproduction de la marque numéro 1.391.705 qui protège les services de publicité " (motifs page 6) et sanctionné la défenderesse pour l'atteinte portée à cette marque (dispositif pages 7 et 8).
Que Patrick Jamgotchian ayant conclu à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, la demande en contrefaçon ne sera examinée que sur le fondement de la marque numéro 1.381.705.
Considérant que la société Benetton oppose à ce grief l'absence de distinctivité et d'opposabilité de la dénomination en cause.
Sur le caractère distinctif de la marque
Considérant que la société appelante soutient que le terme Pole Position, introduit dans le Petit Larousse 1986 (édité en juin 1985 et mis sur le marché en juillet suivant), se définit comme " la position en première ligne et à la corde au départ d'une course automobile " ou " la meilleure place de tête détenue par quelqu'un " et que " bien qu'étant un terme étranger, il est rentré dans le langage français et fait partie du domaine public ", où il a acquis un caractère laudatif.
Qu'elle fait valoir " qu'on ne peut interdire l'usage d'un terme usuel et banal, susceptible de priver la généralité des entreprises du libre usage d'un mot pouvant leur être utile pour la diffusion de leurs produits ".
Considérant que s'il ne saurait être contesté que le signe affecté à la désignation d'un produit ou d'un service doit être arbitraire à l'égard de celui-ci, l'existence du caractère distinctif ainsi requis qui constitue la seule condition de validité de la marque, s'apprécie par rapport à l'objet auquel il est appliqué.
Or considérant que l'expression en cause bien que d'origine anglo-saxonne, évoque dans l'esprit d'une large fraction du public français une image de vitesse et de primauté dont le tribunal a exactement relevé qu'elle n'était nullement descriptive, usuelle ou nécessaire pour désigner les services de publicité ou d'aide aux entreprises dans la conduite de leur stratégie de communication.
Sur l'opposabilité de la marque aux produits de l'appelante
Considérant que la société Benetton qui expose qu'une marque, en vertu du principe de spécialité, n'est valable qu'autant qu'elle a pour objet d'être appliquée à des marchandises ou services déterminés et que ceux-ci soient indiqués dans la revendication faite au moment du dépôt avec référence à la classification officielle, soutient qu'elle n'utilise le terme litigieux que dans le domaine des skis, chaussures de ski et casques de Formule 1 où sa notoriété lui confère une position de leader, alors que Patrick Jamgotchian l'emploie à titre de slogan publicitaire, dont, selon elle, la seule protection relève de l'application des règles relatives à la propriété littéraire et artistique et non du droit des marques.
Mais considérant qu'il convient de lui opposer que de nombreux slogans évoquant des produits ou des services, peuvent de ce fait être adoptés à titre de marque et que tel est le cas en l'espèce, l'intimé rappelant à ce propos que la marque qu'il invoque a été déposée par ses soins en classe 35 pour désigner des activités publicitaires " dont l'objet est de créer des thèmes publicitaires pour le compte de tiers ".
Qu'il en résulte que le tribunal a exactement retenu que le fait pour la société Benetton d'avoir reproduit sans autorisation l'expression Pole Position non pour désigner ses produits (lesquels sont revêtus des marques Nordica, Kastle ou Benetton Sport System) mais bien à titre de slogan publicitaire, suffisait à caractériser la contrefaçon incriminée.
Sur la réparation du préjudice
Considérant que Patrick Jamgotchian rapporte la preuve par la production de divers documents que la société Benetton a utilisé la dénomination sur laquelle il détient des droits privatifs, dans le cadre d'une campagne de promotion d'ampleur nationale, lancée en 1994, et concrétisée par l'emploi de panneaux publicitaires urbains ou d'annonces en pleine page dans des magazines largement diffusés tels que " VSD " ou " Ski Français ", qui s'est de surcroît poursuivie en 1995, en dépit d'une mise en demeure du 27 décembre 1994.
Que de tels faits justifient, outre les mesures d'interdiction et de publication qui seront précisées au dispositif, la condamnation de la société appelante à verser à Patrick Jamgotchian une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts.
II - Sur la demande de la société Pole Position
Considérant que cette société fonde ses prétentions à l'encontre de la société Benetton sur deux griefs.
Sur l'atteinte à sa dénomination sociale
Considérant que l'intimée expose qu'employant l'expression Pole Position en tant que dénomination sociale, elle est recevable à poursuivre toute utilisation irrégulière de celle-ci.
Considérant, ceci exposé, que toute société, dès lors qu'elle y a intérêt, est en droit de réclamer protection de la dénomination qui la désigne dans son identité et l'individualise dans l'ensemble de son existence et de ses activités et notamment d'incriminer sur le fondement de l'article 1382 du code civil, son usurpation si celle-ci cause un préjudice.
Considérant que la société intimée utilise la dénomination sociale Pole Position depuis le 7 avril 1986, date de son immatriculation au Registre du Commerce et des sociétés de Paris.
Qu'il ne saurait être contesté que l'usurpation par l'appelante de ce signe distinctif est de nature à susciter un risque de confusion sur l'identité de l'intimée, lequel suffit sans que soit requise la règle de spécialité en l'espèce, à dire bien fondée de ce chef l'action en concurrence déloyale qui constitue le mode normal de protection juridique de la dénomination invoquée.
Sur les autres actes incriminés
Considérant que la société Pole Position allègue que " le licencié d'une marque contrefaite a capacité et vocation à poursuivre réparation, au côté du titulaire de la marque, des actes de contrefaçon de cette dernière qui constituent à son égard des faits de concurrence déloyale ".
Considérant qu'il convient de rappeler que l'intimée s'est vu concéder aux termes d'un contrat du 25 mai 1987, publié le 9 janvier 1989, par Patrick Jamgotchian, la licence exclusive d'une marque Pole Position, déposée le 22 novembre 1985 sous le numéro 768.741 et enregistrée sous le numéro 1.331.865 dans la classe 35 pour désigner des services de publicité.
Que le fait pour la société Benetton de se servir d'une expression protégée par un droit exclusif dans des conditions de nature à créer une confusion sur l'identité des sociétés en cause et à conférer à l'appelante le bénéfice des efforts et initiatives déployés par l'intimée pour faire connaître son activité sous cette appellation suffit à caractériser le grief invoqué.
Sur la réparation du préjudice
Considérant que les premiers juges ont pertinemment retenu que l'ampleur des faits incriminés justifiait l'attribution à la société Pole Position d'une indemnité de 300 000 F.
III - Sur la demande reconventionnelle
Considérant que la société Benetton qui succombe en son appel, ne saurait valablement invoquer le caractère dilatoire ou abusif de la procédure.
IV - Sur les frais non taxables
Considérant que s'il convient de débouter la société Benetton dont le recours est rejeté de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, il est en revanche équitable d'élever la somme allouée à ce titre à chacun des intimés à 20 000 F.
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle fondée sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, étant précisé que : - la mesure d'interdiction sous astreinte prendra effet à compter de la signification du présent arrêt et pendant une dure de trois mois à l'expiration de laquelle la Cour qui se réserve expressément ce pouvoir, statuera à nouveau, - la mesure de publication portera sur le dispositif en son entier du présent arrêt, Le réformant pour le surplus, Condamne la société Benetton Sport System à payer tant à Patrick Jamgotchian qu'à la société Pole Position une somme de Vingt Mille Francs (20 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toutes les autres demandes, Condamne la société Benetton Sport System aux dépens d'appel, Admet la SCP Annie Baskal, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.