CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 1 mars 1999, n° 98-00439
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cejibe (SA)
Défendeur :
Nicolas (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
MM. Coleno, Charras
Avoué :
SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Me Deschamps, Société Dumaine-Lacombe-Quenioux.
La SA Cejibe exploite un réseau de franchises de dépôt vente sous l'enseigne " Troc de l'Ile " qu'elle a fait enregistrer à titre de marque.
La SA Cejibe, à concurrence de 130 parts, et Michel Casse, à concurrence de 370 parts, ont constitué en 1988, la SARL Nicolas.
La SA Cejibe et la SARL Nicolas ont conclu, le 14 octobre 1988, et pour une durée de cinq ans, un contrat de franchise.
A l'expiration de ce contrat, la SARL Nicolas a poursuivi son activité dans le même local sous le nom commercial de " Troc 2000 " déposé en qualité de marque le 26 septembre 1993.
Par acte du 8 février 1996, la SA Cejibe a fait assigner la SARL Nicolas en contrefaçon de la marque " Troc de l'Ile " ou en imitation illicite, sollicitant la nullité de la marque "Troc 2000 " et sa radiation ainsi que l'allocation de dommages et intérêts et la mise en œuvre de mesures pratiques consécutives ; elle prétendait également à l'existence d'actes de concurrence commis à son encontre par la SARL Nicolas en violation des stipulations de l'article 27 du contrat de franchise et à leur réparation.
Par un jugement du 20 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Toulouse,
- sur la contrefaçon,
Considérant les pouvoirs donnés par Monsieur Boudier représentant légal de la SA Cejibe à Monsieur Casse gérant de la SARL Nicolas en vue de le représenter à l'assemblée générale extraordinaire de la SARL Nicolas sur l'ordre du jour précisé et les résolutions adoptées, a débouté la SA Cejibe de l'action en contrefaçon,
- sur la violation de la clause de non-concurrence,
Considérant que la SA Cejibe avait donné son accord, à tout le moins tacite, à la poursuite d'une activité identique à celle du contrat de franchise pendant toute la durée d'efficience de la clause de non-concurrence, et revendiqué seulement le bénéfice des mesures prévues à l'article 35 du contrat, a débouté la SA Cejibe de sa demande fondée sur l'article 27 du contrat de franchise, a constaté que la SA Cejibe ne fondait aucune demande de dommages et intérêts sur les dispositions de l'article 35 du contrat de franchise.
La SA Cejibe demande à la Cour :
1 - de prononcer la nullité de la marque Troc 2000 enregistrée le 26 juillet 1993 par l'INPI sous le numéro 93478185, d'ordonner la radiation de cette marque, de condamner la SARL Nicolas à payer la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon à la Société Cejibe et d'ordonner à la Société Nicolas de supprimer la marque Troc 2000 sur tous les supports sur lesquels elle figure et de détruire tous les documents sur lesquels elle est apposée, sous astreinte forfaitaire et définitive de 5 000 F par infraction constatée à compter de la fin du mois qui suivra la signification de l'arrêt à intervenir,
2 - de constater que l'article 27 du contrat de franchise conclu entre les sociétés SA Cejibe et SARL Nicolas interdisait à cette dernière d'exercer une activité concurrente à celle du réseau "Troc de l'Ile" pendant une durée de deux ans à compter de la fin du contrat, de constater que le contrat signé le 14 octobre 1988 entre les sociétés Cejibe et Nicolas a pris fin le 14 octobre 1993 à l'initiative de la SARL Nicolas, de constater que la SARL Nicolas avait interdiction d'exercer une activité concurrente de celle du réseau "Troc de l'Ile" du 14 octobre 1993 au 14 octobre 1995, de constater qu'elle a exercé l'activité de dépôt vente sur les mêmes lieux que ceux où elle exploitait la franchise "Troc de l'Ile" en contravention avec les dispositions de l'article 27 du contrat de franchise et, en conséquence, de la condamner à payer la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts à la SA Cejibe.
Elle sollicite en outre l'allocation de frais irrépétibles.
Elle soutient que le dépôt et l'usage de la marque "Troc de l'Ile" est susceptible, de par sa consonnance, de créer un risque de confusion avec la marque "Troc de l'Ile", ce risque étant conforté par l'utilisation de couleurs identiques, puis inversées.
Elle conteste avoir accepté tacitement de considérer que la dénomination litigieuse n'était pas contrefaisante de sa marque ; elle fait valoir qu'elle n'était qu'un partenaire " passif " de la SARL Nicolas, qu'elle ne pouvait -en qualité de franchiseur- s'immiscer dans la gestion de son franchisé et que, porteur de parts, elle ne pouvait que suivre la gestion déterminée par la gérance, une politique d'obstruction pouvant lui être reprochée comme un abus de droit.
Elle soutient que pendant le délai de deux ans visé à l'article 27 du contrat de franchise, la SARL Nicolas a exercé dans les mêmes lieux une activité identique ; elle fait valoir que le temps écoulé entre les constats d'huissier qu'elle a fait dresser était motivé par les promesses faites par la SARL Nicolas et qu'elle n'a pas donné d'accord tacite à la poursuite de l'activité commerciale.
La SARL Nicolas demande la confirmation du jugement et l'allocation de dommages et intérêts et de frais irrépétibles.
Elle soutient que l'acquiescement au dépôt et à l'utilisation de la marque, au travers des pouvoirs et des décisions prises en Assemblée générale, interdit à la SA Cejibe de soutenir l'existence d'une contrefaçon.
Elle soutient qu'en toute hypothèse, la demande est mal fondée au regard de sa comparaison des deux marques.
Sur la violation de la clause de non-concurrence, elle soutient que la clause est nulle comme imposant, de fait, une interdiction totale d'une activité de même nature et elle considère que la Société Cejibe a renoncé à son application, acceptant implicitement la poursuite de l'activité.
Subsidiairement, elle conteste l'existence d'une faute et d'un préjudice.
Sur ce, la Cour :
S'agissant de la contrefaçon -ou de l'imitation illicite- invoquée, résultant du dépôt et de l'usage de la marque "Troc 2000 ", le premier juge, par des motifs pertinents et que la Cour adopte, reposant sur l'analyse du pouvoir donné par la SA Cejibe en vue de l'Assemblée générale extraordinaire de la SARL Nicolas en date du 29 janvier 1995 et des résolutions prises lors de cette assemblée, a retenu que l'appelant avait renoncé à poursuivre une contrefaçon ou autorisé l'imitation.
Contrairement à ce qu'elle affirme devant la Cour, la SA Cejibe avec 26 % du capital, n'était pas un partenaire passif et rien ne lui permet de soutenir qu'un blocage des propositions d'adoption de l'enseigne "Troc 2000 " aurait caractérisé un abus de droit, observation étant faite qu'au moment de l'Assemblée générale décisive de l'orientation de la SARL Nicolas, elle n'était plus son franchiseur.
Le jugement est confirmé, par adoption de motifs, en ce qu'il a débouté la SA Cejibe de son action en contrefaçon, de sa demande de nullité de la marque "Troc 2000 " et des demandes subséquentes.
S'agissant de la clause de non-concurrence, elle fait interdiction à la SARL Nicolas de collaborer, directement ou indirectement, à un commerce de même nature sur le territoire de la Communauté Européenne et Economique durant deux ans.
La SARL Nicolas soutient, pour la première fois devant la Cour, la nullité de cette clause.
Bien que remplissant les conditions de limitation dans l'espace et dans le temps, il apparaît que cette clause n'est pas proportionnée à l'objet du contrat de franchise et ne satisfait pas l'équilibre à maintenir entre la protection de la clientèle du franchiseur et la liberté d'entreprendre de la SARL Nicolas franchisée.
En effet, l'activité protégée, le dépôt vente par des particuliers d'objets de toute catégorie -les photographies annexées aux procès-verbaux de constats permettant de voir essentiellement des meubles meublants et des équipements ménagers- de caractère banal et qui n'implique pas l'acquisition d'un savoir-faire particulier, n'impose pas l'exclusion de tout l'espace de la communauté européenne.
Il s'en déduit que la clause est nulleet qu'elle ne peut fonder les demandes de la SA Cejibe au titre de sa violation.
La SA Cejibe est donc déboutée de ses demandes au titre de l'activité concurrente de la SARL Nicolas.
La SARL Nicolas ne faisant pas preuve d'un abus de procédure est déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
La SA Cejibe qui succombe, est tenue des dépens.
L'équité conduit à faire droit à la demande de frais irrépétibles présenté par la SARL Nicolas, tenue de suivre la procédure devant la Cour.
Par ces motifs, la Cour : Déclare l'appel recevable mais non fondé, confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse en date du 20 novembre 1997 dans toutes ses dispositions et y ajoutant, prononce la nullité de la clause de non-concurrence. Déboute la SARL Nicolas de sa demande de dommages et intérêts. Condamne la SA Cejibe aux dépens avec distraction en faveur de la SCP d'avoués Nidecker-Prieu. Condamne la SA Cejibe à payer la somme de 10 000 F (dix mille francs) à la SARL Nicolas en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.