CA Paris, 5e ch. C, 19 février 1999, n° 1997-04124
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gaz de France (Sté)
Défendeur :
Fédération Nationale des Syndicats de Négociants en Combustibles et Carburants de France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
Mme Cabat, M. Bouche
Avoués :
SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Roblin-Chaix de Lavarène
Avocats :
Mes Pellissier, Guillin
Le journal Le Berry Républicain a publié le 10 avril 1995 dans la rubrique " Question du Jour " sous le titre " Casser le monopole d'EDF-GDF " un entretien accordé par M. Frédéric Plan, Conseiller technique de la Fédération Nationale des Syndicats de Négociants en Combustibles et Carburants de France (FNSNCF) qui déclare : " Gaz de France peut se permettre d'offrir la moitié du prix du branchement, un crédit bonifié à 5 % et une année de chauffage gratuit. Bien, ces cadeaux proposés aux nouveaux consommateurs sont payés par les autres abonnés. La pression pour capter de nouveaux clients est renforcée par le fait que Gaz de France n'est plus assuré de la durée de son monopole " ;
" ... les consommateurs sont mal informés. Ainsi Gaz de France avance des prix du kilowatt/heure de 17 % inférieur à la réalité en jouant sur les mots dans sa tarification. De même, cette entreprise vante des installations moins chères en se référant au chauffage mural, alors que la base du chauffage central est le chauffage au sol ".
Enfin, à la question " De quels moyens disposez-vous pour mieux informer le public ? ", le représentant de la Fédération répond : " Une majorité de gens sont convaincus que le gaz est beaucoup moins cher que le pétrole. Or, cent kilowatt/heure de fioul domestique pour chauffer une maison individuelle coûtent 20 F. Comparativement, il faut compter 22 F pour le gaz naturel et 70 F pour l'électricité ".
Estimant que ces propos sont dénigrants à l'égard de ses prix et de ses méthodes commerciales et sont ainsi constitutifs d'un acte de concurrence déloyale ou à tout le moins d'une faute engageant la responsabilité de la FNSNCF sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, Gaz de France a fait délivrer assignation le 18 juillet 1995 à la FNSNCF en demandant au Tribunal de Grande Instance de Paris de :
- dire que ces propos sont constitutifs de concurrence déloyale et de condamner la FNSNCF à lui payer avec exécution provisoire la somme de 30 000 F en réparation du préjudice moral subi ;
- ordonner la publication du jugement à venir dans deux quotidiens régionaux et deux quotidiens nationaux au choix de Gaz de France et aux frais du défendeur ;
- ordonner la publication de l'intégralité du jugement à intervenir dans le plus prochain numéro du quotidien Le Berry Républicain suivant la décision et ce, sous astreinte définitive de 5 000 F par numéro de retard ;
- condamner la FNSNCF à payer à Gaz de France la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement du 3 juillet 1996, le Tribunal a débouté Gaz de France de sa demande et l'a condamné à verser la somme de 8 000 F à la FNSNCF en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, cette dernière étant également déboutée de ses autres demandes.
Gaz de France a interjeté appel de cette décision.
Il critique l'analyse du dénigrement faite par les premiers juges auxquels il reproche de n'avoir pas retenu le caractère malveillant de chacune des déclarations de l'article litigieux.
Il précise que ces déclarations jettent le discrédit sur ses méthodes commerciales en ce qu'il est soutenu qu'il offrirait aux nouveaux consommateurs des cadeaux financés par les autres abonnés, exercerait des pressions pour capter de nouveaux clients, mentirait aux consommateurs et utiliserait des manœuvres constitutives d'une tromperie. Il souligne qu'est également mise en cause la transparence de ces prix. Il reproche une intention malveillante par l'emploi au titre de l'article " Casser le monopole d'EDF-GDF " et la présentation du succès de GDF qui serait dû au monopole et aux méthodes trompant les usagers. Selon lui, l'allégation de la disparition du monopole de EDF-GDF, d'un abus de position dominante et des pratiques particulières de GDF et la comparaison des prix respectifs du gaz et du pétrole démontrent que l'article a cherché, par une présentation tendancieuse, à présenter Gaz de France aux lecteurs sous le jour le plus favorable et lui a causé un préjudice moral certain ; que ces propos sont dénigrants et constitutifs d'actes de concurrence déloyale.
Il sollicite en conséquence l'infirmation du jugement déféré, la condamnation de la FNSNCF à lui verser la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt dans les termes identiques à ceux de l'assignation ainsi que l'attribution d'une somme de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Intimée, la FNSNCF oppose qu'il ne saurait y avoir de sa part concurrence loyale, puisqu'elle n'a aucune activité commerciale qui la place en concurrence directe avec Gaz de France et sollicite sur ce point la réformation du jugement entrepris.
Pour conclure à la confirmation de la décision qui a débouté Gaz de France de ses demandes fondées sur un prétendu dénigrement de sa part et lui a accordé la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, elle fait valoir que les premiers juges ont la juste titre relevé que les propos ont été tenus en des termes mesurés, qu'ils sont argumentés et dépourvus d'agressivité sur les trois points sur lesquels Gaz de France concentre ses critiques, le monopole Gaz de France, l'abus de la position dominante et la comparaison des prix respectifs du gaz et du pétrole.
Elle souligne de Gaz de France qui supporte la charge de la preuve de la faute alléguée ne justifie pas de l'inexactitude des déclarations incriminées de son conseiller quant au monopole de Gaz de France dont elle souligne qu'elles s'inscrivent dans le cadre d'un débat ouvert sur l'avenir des monopoles nationaux. Elle fait valoir que le titre litigieux de l'article relève de la seule responsabilité du journaliste.
Elle dénie tout caractère polémique à l'information qu'elle a donnée quant à sa plainte dont elle a saisi le Conseil de la Concurrence pour abus de position dominante.
Elle affirme sans fondement l'argumentation vague de l'appelante sur la comparaison des prix respectifs du gaz et du pétrole.
Elle sollicite l'attribution d'une somme supplémentaire de 15 000 F pour ses frais irrépétibles exposés en appel.
Gaz de France réplique que la FNSNCF qui a pour vocation de défendre les intérêts commerciaux des commerçants en combustibles est susceptible de faire l'objet d'une action en concurrence déloyale ; il relève à nouveau le caractère dénigrant des propos tenus quant au monopole de GDF-EDF et le caractère mensonger des propos relatifs à la tarification appliquée par GDF et EDF ; Il explique que la FNSNCF relève de manière erronée un différentiel 17 % entre les prix du KW/H avancés par GDF et les prix réels, puisque Gaz de France peut selon les usages des professions exprimer ses prix en PCS (Pouvoir Calorifique Supérieur) et non en PCI (Pouvoir Calorique Inférieur).
La fédération maintient ses précédentes écritures, confirme sa critique quant à la tarification erronée de Gaz de France et dénonce la dénaturation des propos tenus par son représentant quant au monopole EDF-GDF.
Gaz de France réplique encore en reprenant les moyens développés dans ses précédentes écritures.
Sur ce, la COUR,
Considérant que la Fédération Nationale des Syndicats de Négociants en Combustibles et Carburant de France (la FNSNCF), a pour objet de représenter et de défendre les intérêts collectifs des négociants en combustibles et carburants, étant précisé que, selon ses statuts, il s'agit des entreprises de distribution et combustibles solides, liquides et gazeux, que les activités des adhérents de la Fédération s'exercent indiscutablement sur le marché du chauffage dans une situation de concurrence avec Gaz de France qui bénéficiant d'un monopole, exploite le marché des énergies.
Considérant que la FNSNCF ne peut prétendre, du fait qu'elle n'exerce aucune activité commerciale propre qui la place en concurrence directe avec Gaz de France, que sa responsabilité ne saurait être engagée au titre du dénigrement constitutif de concurrence déloyale que lui reproche l'appelant, dès lors qu'elle assure la défense des intérêts collectifs des membres de la profession qu'elle représente et que ceux-ci se trouvent placés en situation de concurrence avec Gaz de France.
Considérant qu'il appartient à Gaz de France de rapporter la preuve que les propos tenus par M. Plan, conseiller technique de la FNSNCF dans une interview au journal le Berry Républicain parue le 10 avril 1995, dans la rubrique " Question du Jour " sous le titre " Casser le monopole d'EDF-GDF " sont mensongers, dénigrants, exprimés en termes tendancieux, qu'ils jettent le discrédit sur les méthodes commerciales de GDF, dénoncent en termes malveillants le monopole, qu'ils sont fautifs, constitutifs de concurrence déloyale et engagent la responsabilité de la FNSNCF.
Considérant que s'agissant des avantages accordés par Gaz de France à ses nouveaux abonnés, le représentant de la FNSNCF cite dans son interview, " la prise en charge partielle voire totale du coût du branchement, un crédit bonifié ou une année de chauffage gratuit " ; que Gaz de France en admet expressément l'existence et qu'il reconnaît qu'il s'agit d'une politique d'aide commerciale envers ses nouveaux abonnés d'un usage courant pour les professionnels de l'énergie, et qu'il est licite au regard du droit de la concurrence.
Considérant cependant que si l'appelant affirme que ces aides sont déterminées au regard de la marge de rentabilité dégagée pour le client bénéficiaire, compte tenu de la marge de rentabilité dégagée pour le client bénéficiaire, compte tenu de ses consommations prévisionnelles et de la durée probable de la desserte, sans conduire à une quelconque revente à perte, force est de constater que Gaz de France ne justifie pas de l'absence d'incidence de cette pratique sur les autres abonnés, se contentant d'énoncer sans autre démonstration que le prix de l'abonnement, qui n'est pas bradé, reste rentable et ne préjudicie pas aux autres consommateurs de GDF, mais qu'il ne s'explique pas sur le mode opératoire de cette politique commerciale ni sur ses incidences financières ; qu'il résulte de cette analyse que le caractère prétendument mensonger des propos rapportés n'est pas démontré.
Considérant que Gaz de France ne démontre pas davantage l'inexactitude des propos rapportés liés à l'information des consommateurs sur les prix pratiqués ; que la seule production par l'appelant d'un document émanant de la revue éditée par l'Association Technique Energie Environnement et présentant une " étude des prix des énergies au 15 décembre 1993 pour la région de Versailles ", qui concerne une zone très limitée, est insuffisante à démontrer que le gaz est moins cher que le pétrole ; que Gaz de France ne conteste pas que dans le secteur de la maison individuelle, le seul à être évoqué dans les propos rapportés, la comparaison des prix respectifs du chauffage au gaz, au fioul ou à l'électricité se vérifie.
Considérant enfin, que la mention du prix du kilowatt-heure hors taxe qui figure sur un courrier publicitaire rédigé par un service commercial d'EDF-GDF en date du 1er octobre 1992 versé aux débats, est contraire à la réglementation en vigueur, ainsi que cela résulte d'un document du Ministère de l'Economie et des Finances également versé aux débats.
Considérant que l'intimé soutient utilement qu'en qualité de professionnel du marché de l'énergie, Gaz de France n'ignore pas la différence de coût d'une énergie selon que son pouvoir calorique est exprimé en KW/H PCS ou en KW/H ; qu'elle fait valoir et que, selon l'Observatoire de l'énergie du Ministère de l'Industrie, les prix du gaz sont exprimés pour une consommation type donnée sur la base de 100 KW/H PCS pour permettre aux consommateurs d'établir la corrélation entre les tarifs GDF (établis en PCS) pour ses tranches des consommations et le prix des 100 KW/H PCI pour la tranche de consommation correspondant ; qu'il en résulte que l'indication donnée par M. Plan dans son interview que Gaz de France joue sur les mots dans sa tarification ne procède pas d'une présentation critiquable des pratiques tarifaires de Gaz de France.
Considérant que, s'agissant du caractère dénigrant des propos tenus par M. Plan, conseiller technique de la FNSNCF et rapportés dans l'interview sous le titre Casser le monopole d'EDF-GDF, il y a lieu de l'apprécier compte tenu de ce que dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent ou une profession entière en répandant à leur propos ou au sujet de leurs produits ou services des informations malveillantes ; qu'en revanche est licite le droit de critiquer pourvu qu'il soit objectif et mesuré.
Considérant que les propos critiqués ont été tenus par le représentant d'une organisation professionnelle à la suite d'un séminaire des présidents des Chambres syndicales des négociants en combustibles dans le cadre de la rubrique d'un journal s'intitulant " Question du Jour " ; que le journaliste qui a procédé à l'interview a centré l'entretien sur le monopole d'EDF-GDF, que cette référence était légitime en raison du débat général en cours sur l'aménagement de ce monopole et sur la diversification des activités d'EDF-GDF au regard de la concurrence que les premiers juges ont pertinemment relevé.
Considérant qu'il est notoire que des réflexions sont actuellement conduites sur la portée du monopole ainsi que sur les limites et aménagements à y apporter ; que l'appelant ne peut pas tirer argument de ce que la formule " Casser le monopole d'EDF-GDF se trouve entre guillemets pour en imputer la responsabilité à M. Plan ; qu'à l'évidence il s'agit d'une formule journalistique destinée à attirer l'attention du lecteur par son caractère provocateur ; que cette analyse est confirmée par le fait que les termes utilisés dans ce titre sont totalement étranger au propos rapportés dans le corps de l'article et tenus par M. Plan.
Considérant, concernant le monopole d'EDF-GDF, que M. Plan emploie des mots exempts de la connotation agressive que suggère le terme " Casser " utilisé dans le titre et dont la responsabilité doit être imputée au journaliste ou au directeur de la publication ; qu'il évoque " la disparition probable du monopole et non, comme l'affirme faussement GDF dans ses écritures, le caractère certain et inéluctable de celle-ci ; qu'il illustre ses propos d'indications précises et objectives quant aux aménagements possibles du monopole actuel en évoquant la possibilité de la création des entreprises spécialisées se chargeant chacune d'un domaine particulier, distribution, commercialisation ; que ces indications ne peuvent se confondre, comme le prétend à tort l'appelant, avec des propos annonçant la fin prochaine de l'entreprise qui pourraient seuls être considérés comme dénigrants ; qu'ainsi Gaz de France qui convient d'ailleurs que les médias se font régulièrement l'écho de la question de la disparition du monopole d'EDF-GDF n'apporte pas la preuve que les propos tenus par M. Plan soient dénigrants.
Considérant que l'information dépourvue de toute allégation polémique ou inexacte qu'a donnée M. Plan sur la décision prise par la FNSNCF de saisir le Conseil de la Concurrence d'une plainte pour abus de position dominante demeure dans les limites de la liberté d'information et d'expression dont bénéficie les organisations professionnelles représentatives ; que cette information ne peut être qualifiée de tendancieuse ; qu'elle ne dénonce pas le fait que GDF mettrait en œuvre des pratiques irrégulières en raison de son monopole mais relève de manière objective l'existence de pratiques particulières.
Considérant que la critique adressée au Tribunal par Gaz de France lui reprochant de n'avoir pas retenu la documentation fournie pour la comparaison des prix respectifs du Gaz et du pétrole est formulée en termes vagues et imprécis ; que n'étant assortie de la production d'aucun élément permettant d'en apprécier la portée, elle ne peut qu'être accueillie.
Considérant ainsi que l'analyse des propos tenus par M. Plan représente la FNSNCF, dans le journal le Berry Républicain sur la distribution des combustibles, et les pratiques et le monopole d'EDF-GDF, établit qu'ils n'ont pas le caractère erroné ou dénigrant que leur prête Gaz de France qui n'en rapporte pas la preuve; qu'ils ne constituent pas la faute reprochée par GDF à leur auteur dont la responsabilité ne saurait être engagée ; que l'appelant sera en conséquence débouté de l'intégralité de ses demandes et le jugement confirmé en toutes ses dispositions.
Considérant que Gaz de France qui succombe et qui sera condamné au paiement des dépens, ne peut prétendre à l'attribution de sommes en application de l'article 7 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimée, les frais irrépétibles de procédure qu'elle a exposés en appel et que la Cour fixe à 7 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel de Gaz de France, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant, Condamne Gaz de France à payer à la Fédération Nationale des Syndicats de Négociants en Combustibles et Carburants de France (FNSNCF) la somme complémentaire de 7 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes demandes autres ou contraire aux motifs. Condamne Gaz de France au paiement des dépens d'appel, avec admission de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.