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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 19 février 1999, n° 1996-12469

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Navarre (SARL)

Défendeur :

Poggi (SA), Battaglia, Canapé

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Bollet-Baskal, SCP Hardouin-Le Bousse, Me Bolling

Avocats :

Mes Hoffman, Rouch, Narboni.

TGI Paris, 3e ch., du 8 mars 1996

8 mars 1996

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

M. Battaglia, titulaire de droits d'auteur sur cinq paires de boucles d'oreilles référencées sous la dénomination " BUI 2 P ", " BUI 5P ", " BUI 7P croix ", " BUI 23P " et " 599 " et la société Poggi qui les commercialise et à qui il a cédé ses droits par actes du 4 avril 1994 ont constaté que Navarre avait proposé à la vente cinq modèles qui seraient la contrefaçon des œuvres ci-dessus mentionnées et, après avoir fait pratiquer saisie contrefaçon le 17 mai 1994, l'ont assignée devant le Tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon et concurrence déloyale pour obtenir, outre les mesures d'interdiction et de publication, paiement de dommages intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Navarre qui soutenait que les modèles contestés avaient été créés par Mlle Canapé a appelé cette dernière en garantie. Elle prétendait en outre que les demandeurs ne prouvaient pas l'antériorité de leurs droits et que les œuvres opposées étaient dénuées de toute originalité.

Mlle Canapé avait conclu au mal fondé de l'appel en garantie, soutenant d'une part ne pas être l'auteur des dessins des bijoux litigieux et d'autre part, ne travailler que sous l'autorité et la direction de Navarre.

Par le jugement déféré, le Tribunal, rejetant l'argumentation de la société Navarre :

- l'a condamnée pour contrefaçon et concurrence déloyale à payer à la société Poggi la somme de 80 000 F et à M. Battaglia celle de 50 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 8000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- a prononcé une mesure d'interdiction sous astreinte,

- a ordonné des mesures de publication dans trois journaux ou périodiques dans la limite globale de 45 000 F,

- a rejeté l'appel en garantie formé par la société Navarre,

- l'a condamnée à payer à Mlle Canapé la somme de 6 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Appelante, Navarre poursuit la réformation du jugement en toutes ses dispositions. Elle conteste l'originalité des œuvres, leur date de création, et à titre subsidiaire soutient qu'il n'existe ni contrefaçon, ni acte de concurrence déloyale ni préjudice et qu'elle est d'une totale bonne foi. Elle réitère sa demande en garantie à l'encontre de Mlle Canapé, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code Civil.

Elle conclut au débouté, et dans le cas où elle serait condamnée, demande à la cour que Mlle Canapé la garantisse et que ses adversaires soient condamnés in solidum au paiement de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Poggi et M. Battaglia concluent à la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages intérêts. Formant appel incident de ce chef, Poggi et M. Battaglia prient la Cour de condamner Navarre à payer respectivement la somme de 500 000 F et de 200 000 F à ce titre ainsi que celle de 40 000 F et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Mlle Canapé conclut également à la confirmation du jugement sauf en ce qu'elle a été déboutée de sa demande de dommages intérêts. Formant appel incident de ce chef, elle prie la Cour de condamner Navarre à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral et pour procédure abusive ainsi que celle de 15 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur la date de création

Considérant que le tribunal a retenu que Poggi avait rapporté la preuve de la date de création des bijoux opposés " par la production de :

- factures en date de mars 1993 pour ceux référencés BUI 5P et BUI 2P,

- factures en date de juillet 1993 pour ceux ci-dessus indiqués et BUI 23P,

- factures de l'année 1991 pour la référence " 599 ",

et pour l'œuvre BUI 7P pour laquelle il n'était pas établi de commercialisation, par le contrat de cession du 4 avril 1994 qui comportait la photographie de ce bijou,

alors que Navarre n'avait pas apporté la preuve contraire qui lui incombe de l'antériorité de la réalisation et de la commercialisation des bijoux argués de contrefaçon " ;

Considérant que Navarre prétend que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la date de création repose sur les seules affirmations de l'intimée, que les bijoux qu'elle-même a commercialisés à compter du mois de janvier 1994 ont été créés par une styliste Mlle Canapé un an avant la date de commercialisation, soit à une date antérieure, ou en toute hypothèse, contemporaine de la date de création alléguée par Poggi ; qu'en outre, il n'est pas prouvé que le bijou référencé BUI 7 P aurait été créé avant la commercialisation du sien ;

Mais considérant que les premiers juges ont exactement relevé que les bijoux référencés BUI 5P et BUI 2P avaient été commercialisés depuis mars 1993, celui référencé BUI 23P, depuis juillet 1993, et celui référencé 599 depuis 1991, et que le bijou BUI 7P, dont la photographie a été annexée à l'acte de cession du 4 avril 1994, avait au moins date certaine à cette date et que Navarre devait rapporter la preuve de l'antériorité de création ;

Considérant que sur ce point, pas davantage en appel qu'en première instance, Navarre ne verse aux débats des documents de nature à apporter cette preuve ; qu'elle se contente d'affirmer que les bijoux auraient été commercialisés dès janvier 1994 ce qui laisse supposer qu'ils auraient été créés un an auparavant ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que les intimés démontraient que les bijoux qu'ils invoquent avaient été créés antérieurement à ceux mis en vente par Navarre ;

Sur l'originalité

Considérant qu'il est soutenu par Navarre que le tribunal n'aurait pas caractérisé l'originalité et se serait uniquement fondé sur l'absence de production d'antériorités de toutes pièces pour déclarer l'œuvre originale ;

Mais considérant que cette argumentation est dénuée de pertinence dès lors que les premiers juges ont de manière très précise caractérisé en quoi les créations invoquées par les intimés présentaient un effort créatif ;

Que la Cour relève que le bijou référencé 599 consiste dans une boucle d'oreille en forme de boule constitué d'un croisement de six torsades fines parallèles laissant apparaître à chaque angle une surface arrondie lisse, qui comme l'ont dit les premiers juges donne une impression de croix ; que cette composition par la forme particulière et l'opposition de l'aspect lisse et torsadée révèle l'empreinte personnelle de son auteur ;

Que pour les autres bijoux de la ligne " BUI ", qui se présentent sous forme de métal doré comportant, en relief, des petits feuillages enchevêtrés et incrustés de perles noires ou blanches, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont relevé que l'originalité tenait à l'ensemble que constitue la composition de ces éléments, la forme particulière des bijoux, la coloration particulière et le dessin de feuillages enchevêtrées ; qu'il convient en outre d'ajouter que le feuillage est composé de feuilles effilées à nervures apparentes ; que ce motif décoratif est repris sur les quatre boucles d'oreilles opposés, dans des formes différentes (demi cercle pour BUI 23P, boule pour BUI 2P, croix pour BUI 7P et carré pour BUI 5P) ; que chacun de ces bijoux, par cette composition particulière porte l'empreinte personnelle de son auteur ;

Que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;

Sur la contrefaçon

Considérant que pour contester l'existence de la contrefaçon, Navarre soutient que les modèles commercialisés ne sont pas la copie servile ; que les bijoux n'ont en commun que la présence de feuillages et d'incrustation de perles ou de pierres en eux-mêmes non originaux ;

Mais considérant qu'en l'espèce, les cinq bijoux saisis lors de la saisie contrefaçon reproduisent tous les caractères protégeables des créations de M. Battaglia ; que le modèle, objet du scellé n° 7 reproduit le croisement des torsades dans le même nombre que celui du bijou référencé 599 ; que les autres bijoux saisi représentent non seulement la même forme de feuille effilée enchevêtrée, mais les mêmes formes de bijoux ; que le motif décoratif étant identique ainsi que la forme des bijoux, les premiers juges ont exactement retenu des actes de contrefaçon par reproduction des éléments originaux des boucles d'oreilles invoquées ; que le jugement mérite confirmation ;

Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que Navarre fait grief d'avoir retenu des actes de concurrence déloyale par la vente à des prix inférieurs, faisant valoir qu'une vente par un concurrent à des prix moindres ne peut constituer un acte de concurrence déloyale ;

Mais considérant que les premiers juges n'ont pas retenu ce seul grief pour qualifier des actes de concurrence déloyale ; qu'ils ont en effet relevé, outre la vente à des prix inférieurs, que Navarre avait copié servilement les modèles d'une même collection; que ces agissements, qui dénotent une volonté délibérée de profiter du travail fourni par une société concurrente, constituent, comme l'ont retenu les premiers juges, des actes de concurrence déloyale; que le jugement sera également confirmé de ce chef ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que Navarre soutient que les dommages intérêts alloués par les premiers juges ont un caractère excessif ; qu'au contraire, les intimées exposent que leur préjudice a été insuffisamment apprécié par les premiers juges ;

Considérant cependant qu'aucune des parties n'apporte d'élément en appel de nature à modifier l'exacte appréciation des dommages intérêts déterminés par les premiers juges tant au titre du préjudice patrimonial causé à la société Poggi cessionnaire des droits d'auteur de M. Battaglia qu'à ce dernier au titre de son préjudice moral ; que le jugement sera donc confirmé ;

Considérant que les mesures d'interdiction et de publication seront également confirmées ;

Sur l'appel en garantie

Considérant que Navarre réitère ses prétentions de première instance à l'encontre de Mlle Canapé selon lesquelles cette dernière, styliste indépendante de sa société, serait l'auteur des dessins litigieux et aurait ainsi l'entière responsabilité des actes délictueux reprochés ;

Mais considérant que Navarre ne verse pas davantage aux débats en appel une pièce émanant de manière certaine de Mlle Canapé qui serait de nature à prouver qu'elle a créé les dessins à l "origine du litige ; qu'en conséquence, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si Mlle Canapé exerçait un travail de commande, à défaut d'établir que cette dernière ait été à l'origine des modèles, le jugement qui a débouté Navarre de son appel en garantie sera confirmé ;

Considérant que Mlle Canapé qui réitère sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral et procédure abusive ne démontre pas plus en appel qu'en première instance la réalité de son préjudice ; quel le jugement qui l'a déboutée sera donc confirmé ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Poggi et M. Battaglia pour chacun d'eux la somme de 5 000 F et à Mlle Canapé celle de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Ajoutant, Condamne la Société Navarre à payer à M. Battaglia et à la société Poggi respectivement la somme de 5 000 F et à Mlle Canapé celle de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la Société Navarre aux entiers dépens qui seront recouvrés, le cas échéant, par la SCP Bollet-Baskal et Maître Bolling, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.