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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 28 janvier 1999, n° 181-97

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dargaud Éditeur (SA)

Défendeur :

Esso (SA), Lucky Productions (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Gas, SCP Lissarrague, Dupuis Associés, SCP Merle-Carena-Doron

Avocats :

Mes Lehman, Luciani, De Clerck.

T. com. Nanterre, 7e ch., du 26 nov. 199…

26 novembre 1996

Faits et procédure :

La Sté Dargaud Éditeur a pour activité l'édition de livres de bandes dessinées et est titulaire des droits d'édition de 40 des albums de la série Lucky Luke.

Les droits d'édition des albums antérieurs à ceux édités par la Sté Dargaud sont détenus par la Sté Dupuis, les droits des albums édités postérieurement ont été cédés à la Sté Lucky Productions.

En librairie et chez les détaillants, la Sté Dargaud vend ses albums au prix unitaire de 53 F.

Les albums édités par la Sté Lucky Productions sont vendus par la Sté Hachette Livre au prix public de 49 F TTC.

En septembre et octobre 1994, la Sté Dargaud a constaté que les stations du réseau Esso proposaient à leurs clients, ayant acquis une certaine quantité de carburant, de pouvoir acheter des albums édités par la Sté Lucky Productions au prix de 6 F pièce.

L'opération Esso s'est déroulée en deux temps :

Cinq albums mis sur le marché édités par la Sté Lucky Productions :

Lucky Luke

- Chasseurs de fantômes

- Les Dalton à la noce

- L'amnésie des Dalton

- Rantamplan le Clown

- Rantamplan otage

Cela représentait au moins 300.000 exemplaires.

La Sté Dargaud considère donc que les Stés Esso et Lucky Productions ont commis à son égard des actes de concurrence déloyale.

En effet, la loi du 10 août 1981 réglemente, en fonction de la date de la première édition, la tarification de vente des livres. Un prix de vente inférieur au prix de vente au public est autorisé sous réserve que les livres concernés aient été édités ou importés depuis plus de deux ans et que le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois.

Les albums litigieux ont été imprimés en Belgique en septembre 1993 et sont importés depuis moins de deux ans.

Le stock de livres Esso existe depuis moins de six mois et la Sté Esso est donc tenue de vendre les aventures de Lucky Luke à un prix compris entre 95 et 100 % du prix fixé par l'importateur, soit 49 F.

La Sté Dargaud a donc saisi le juge des référés de Nanterre afin que ladite vente cesse immédiatement, par ordonnance du 15 novembre 1994, ce magistrat a estimé la Sté Dargaud irrecevable car la Sté Dargaud n'éditait pas des ouvrages identiques à ceux diffusés par les Stés Esso et Lucky Productions.

Par un arrêt du 2 février 1996, la Cour d'appel de Versailles a infirmé cette ordonnance, considérant que la Sté Dargaud était recevable à agir, mais a estimé qu'il n'y avait pas de trouble manifestement illicite au point de faire droit à la demande d'interdiction, le juge du fond étant appelé à rechercher si la somme de 6 F constituait le prix effectif du livre.

La Sté Dargaud, par assignation en date du 6 mars 1995 a demandé au Tribunal de commerce de Nanterre de constater qu'en offrant aux consommateurs des albums à un prix inférieur de plus de 5 % à celui fixé par l'importateur, les Stés Esso et Lucky Productions avaient violé l'article 1er de la loi du 10 août 1981 et commis, à l'égard de la Sté Dargaud, des actes de concurrence déloyale.

En conséquence, de les condamner solidairement à lui payer les sommes suivantes :

- 3.150.000 F correspondant au préjudice commercial subi.

- 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par conclusions en réponse en date du 26 septembre 1995, la Sté Esso demandait à ce tribunal de :

- déclarer la Sté Dargaud Éditeur mal fondée en toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Sté Lucky Productions faisait alors valoir que l'opération de promotion réalisée par la Sté Esso, au cours des mois de septembre et octobre 1994, ne constituait pas une vente de livres, mais une distribution de " prime autopayante ", qu'à ce titre, elle n'entrait pas dans le champ d'application de la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre.

Subsidiairement, si le tribunal estimait que cette opération constituait une vente de livres, elle considérait que les dispositions de la loi du 10 août 1981 n'étaient pas applicables dès l'instant où il était établi qu'il s'agissait d'ouvrages importés.

Plus subsidiairement encore, elle demandait le renvoi à la Cour de justice des Communautés Européennes conformément aux dispositions de l'article 177 du Traité de Rome, sur l'appréciation de la compatibilité des dispositions de la loi française du 10 août 1981 avec celles de l'article 30 et de l'article 5 en combinaison avec l'article 85 du Traité de Rome, lorsque ces dispositions de la loi française entendent régir le régime de prix applicable à des ouvrages importés, que ceux-ci proviennent, ou non, d'un Etat membre.

Par le jugement déféré, en date du 26 novembre 1996, le Tribunal de commerce de Nanterre a dit que les Stés Esso et Lucky Productions n'avaient pas violé les dispositions de la loi du 10 août 1981, a dit " n'y avoir lieu à concurrence déloyale de la part des Stés Esso et Lucky Productions à l'encontre de la SA Dargaud Éditeur " et l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, la Sté Dargaud, après avoir rappelé la nature de son activité (édition de bandes dessinées) souligne que, par application de la loi du 10 août 1981 le prix de vente des livres n'est pas libre : toute personne qui édite ou importe des livres est en effet tenue de fixer un prix de vente qui sert de base obligatoire aux détaillants. Ceux-ci doivent en effet pratiquer un prix compris entre 95 et 100 % de celui-ci.

Or, l'opération effectuée par le réseau Esso a consisté à proposer aux clients qui avaient acheté une certaine quantité de carburant d'acquérir certains des albums édités par Lucky Productions - absolument identiques à ceux commercialisés pour un prix pouvant varier entre 49 F (prix de référence) et 46,55 F (prix de référence X 95 %) - au prix de 6 F pièce.

La Sté Dargaud considère que ce faisant les Stés Esso et Lucky Productions ont violé la loi du 10 août 1981 et se sont rendus coupables, à son égard, de concurrence déloyale.

Elle estime le préjudice par elle subi à 3.150.000 F auquel elle demande condamnation solidaire de ces deux sociétés et sollicite, en outre, 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur la recevabilité de sa demande, elle rappelle que l'article 8 de la loi du 10 août 1981 précise que les actions en cessation des infractions à ses dispositions et en réparation du préjudice pouvant en découler peuvent être engagées notamment par tout concurrent.

Il existe bien, en l'espèce, une situation de concurrence entre elle et les Stés Esso et Lucky Productions, peu important le fait que les titres diffusés par elle ne soient pas les mêmes que ceux qui ont fait l'objet de l'opération litigieuse.

De même il importe que la Sté Esso vende des produits pétroliers, dès lors que, dans la circonstance, elle a vendu des ouvrages de bandes dessinées.

Sur l'infraction à la loi du 10 août 1981, le tribunal n'a pas recherché le prix effectif eu égard au caractère complexe de l'opération qui comportait à la fois une vente de produits pétroliers et une vente de livre.

Cette opération constituait bien une vente au sens de la loi de 1981. Il y avait bien en effet remise d'un album contre paiement d'une somme de 6 F. L'appellation de " prime autopayante " ne saurait modifier la nature et la qualification juridique du contrat qui était passé.

S'agissant du prix effectif, la Sté Dargaud souligne qu'il s'agit de la somme que le consommateur doit effectivement verser pour obtenir le livre. En l'espèce, nonobstant le fait que le consommateur acquérait, concomitamment, de l'essence, le prix était de 6 F.

La vente de produits à un prix inférieur à celui autorisé constitue un acte de concurrence déloyale. Le préjudice qui en est résulté pour la Sté Dargaud est de 3.150.000 F. En effet, l'opération a porté sur 300.000 albums. Les albums Lucky Luke édités par la Sté Dargaud sont vendus 53 F, sur lesquels elle perçoit 21 F.

On peut estimer que sa perte de chiffre d'affaires correspond à la moitié des albums vendus. Au demeurant les ventes d'albums Lucky Luke sont passées de 74.542 pour le quatrième trimestre 1994 à 56.359 au quatrième trimestre 1994 et de quelque 230.000 en 1993 et 1994 à 215.870 en 1995.

La Sté Esso demande confirmation de la décision du Tribunal de commerce en ce qu'elle a écarté l'application de la loi du 10 août 1981.

Elle rappelle les conditions de son opération promotionnelle : tout automobiliste qui faisait un plein d'essence, pour au moins 30 litres, avait la possibilité de se procurer une bande dessinée éditée par la Sté Lucky Productions moyennant le versement d'une somme symbolique de 6 F.

Aucun de ces albums n'a jamais été édité par la Sté Dargaud.

L'offre promotionnelle n'était pas une vente de livres : l'objet de la Sté Esso est la vente de produits pétroliers. Elle ne peut en aucun cas être considérée comme un détaillant de livres au sens de la loi du 10 août 1981. Les bandes dessinées Lucky Luke, objets de l'opération publicitaire, n'étaient pas proposées à la vente et en étaient même formellement exclues comme cela est précisé dans les annexes jointes au contrat de promotion.

Seuls les automobilistes ayant acheté au moins 30 litres d'essence se voyaient offrir la possibilité d'obtenir, moyennant la somme de 6 F, une bande dessinée.

Une telle opération, parfaitement licite, s'analyse en une vente de carburant avec prime autopayante. La bande dessinée, objet secondaire du contrat, est proposée moyennant l'achat du produit principal et du paiement d'un complément à caractère symbolique. Dans une telle opération, il n'y a qu'une vente - celle du carburant -. La remise de la bande dessinée s'analyse en la délivrance d'une prime payante, non en une vente.

Dès lors les dispositions de la loi du 10 août 1981 ne sauraient s'y appliquer.

Au demeurant, la Cour de Versailles, dans son arrêt du 2 février 1996, a jugé qu'il n'apparaissait pas manifeste que la somme incriminée constituât le prix effectif d'un livre, ce qui signifie que la remise, par les automobilistes de la somme de 6 F pour obtenir un album Lucky Luke ne saurait être assimilée au paiement du prix d'un livre.

Subsidiairement, la Sté Esso estime que la loi du 10 août 1981 s'appliquerait-elle que la Sté Dargaud n'étant nullement un concurrent de la Sté Esso n'aurait pas qualité pour agir.

Les albums distribués par la Sté Esso ne sont, en effet, nullement identiques à ceux que diffuse la Sté Dargaud. Il s'agit seulement d'albums diffusés par la Sté Lucky Productions.

En outre, on ne saurait considérer comme " concurrent " d'un éditeur une société dont l'activité est de vendre des carburants pour véhicules terrestres à moteur.

De même, le rayonnement géographique et la spécialité des deux sociétés diffèrent totalement.

Une prime payante ne saurait constituer une vente de livre à un prix prédateur.

La Sté Dargaud, qui ne démontre à aucun moment que l'opération réalisée par la Sté Esso serait constitutive d'une faute à son égard, ne justifie nullement de ce que la baisse de son chiffre d'affaires, baisse dont elle fait état sans en justifier, serait due à l'opération. On ne peut d'ailleurs raisonnablement assimiler la clientèle d'automobilistes à la clientèle de bibliophiles de la Sté Dargaud.

Aussi l'allégation de détournement de clientèle est-elle vaine.

La Sté Dargaud qui, de son côté, a mené une opération publicitaire du même ordre avec Shell, est particulièrement mal fondée à se plaindre de celle menée par la Sté Esso.

Outre confirmation du jugement, la Sté Esso demande à la Cour condamnation de la Sté Dargaud à lui payer 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Sté Lucky Productions souligne que la remise d'un album à titre de prime au prix de 6 F était subordonnée à l'acquisition d'un minimum de 30 litres de carburant.

De cette condition découlent deux conséquences :

- la Sté Esso n'est pas un détaillant de livres au sens de la loi du 10 août 1981, mais un vendeur de carburants qui, pour les besoins de sa promotion utilise la technique des primes autopayantes,

- le prix de 6 F n'est pas le prix effectif de l'album puisqu'au préalable le consommateur aura dû dépenser un minimum de 150 F pour effectuer un plein d'essence.

Cette opération ne saurait donc s'analyser en une double vente de carburant, puis de livre.

La Sté Dargaud, par ailleurs, n'a subi aucun préjudice.

Elle a, au demeurant, effectué une opération du même ordre, avec le réseau Shell.

De la même manière, elle a effectué en 1995 une opération avec la SNCF.

En 1998, elle a lancé une opération consistant à vendre à moitié prix le second album vendu en cas d'achat groupé de deux albums de la série.

En réalité, l'opération que la Sté Lucky Productions a menée avec la Sté Esso induit des conséquences favorables pour l'ensemble de la collection dont quelques titres seulement font partie de la promotion.

Les chiffres de vente ont ainsi augmenté, pour la Sté Dargaud, en 1994, année de la promotion litigieuse.

Outre confirmation du jugement, la Sté Lucky Productions demande à la Cour de condamner la Sté Dargaud à lui payer la somme de 35.000 F " HT " sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR

Sur le champ d'application de la loi du 10 août 1981 :

Attendu que selon l'article 1er alinéas 1er et 4, de la loi du 10 août 1981, toute personne qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe, un prix de vente au public; que les détaillants doivent, de leur côté, pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur ;

Attendu que ce texte ne fait nulle distinction entre les différentes catégories de détaillants, que la vente de livres soit leur activité principale, accessoire ou occasionnelle ; qu'il ne fait non plus nulle distinction qui permettrait que ses dispositions soient écartées lors d'opérations promotionnelles;

Sur la nature du contrat conclu entre la Sté Esso et les automobilistes aux fins de remise d'un album " Lucky Luke " :

Attendu que les automobilistes qui venaient faire un plein d'essence d'un minimum de 30 litres dans les stations Esso se voyaient offrir la possibilité de se faire remettre, moyennant versement d'une somme de 6 F, un album de la série Lucky Luke ;

Attendu que l'automobiliste qui faisait, dans le réseau Esso, un plein d'essence d'un minimum de 30 litres était libre d'en régler le prix sans acquérir d'autre bien ; que la détermination de la nature du contrat au terme duquel le client du réseau Esso obtenait la remise d'un album de la série Lucky Luke ne se pose dès lors que pour ceux qui faisaient - librement - le choix de la demander ;

Attendu que cette décision était prise par ces clients alors que s'étant déjà vus remettre de l'essence - du prix de laquelle ils étaient alors devenus débiteurs - ils se présentaient pour s'acquitter de leur dette ; que le contrat de vente d'essence était alors déjà parfait, le paiement du prix qu'ils étaient sur le point d'effectuer n'étant que l'exécution de l'obligation qu'ils venaient de contracter ; qu'ainsi le contrat de vente d'essence et le contrat subséquent ne faisaient nullement un tout indissociable ;

Attendu que la remise d'un bien moyennant versement d'une somme d'argent qui en est la contrepartie s'analyse, quelque soit la qualification qu'en donnent les parties - ou l'une d'entre elles -, en un contrat de vente ; qu'il n'importe, à cet égard, que cette vente soit consécutive à la conclusion préalable d'un autre contrat, en l'espèce une vente d'essence ;

Attendu que le versement des 6 F par le consommateur était bien la contrepartie de la remise de l'album par le distributeur du réseau Esso comme cela est d'ailleurs reconnu par les intimés qui parlent de prime " autopayante " ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que la remise, par la Sté Esso, d'un album de bande dessinée Lucky Luke moyennant versement de la somme de 6 F était une vente entrant dans les prévisions de la loi du 10 août 1981 ;

Sur l'intérêt à agir de la Sté Dargaud sur le fondement de la violation de la loi du 10 août 1981 :

Attendu que selon l'article 8 de la loi du 10 août 1981, en cas d'infraction aux dispositions légales édictée par ce texte les actions en cessation ou en réparation peuvent être engagées, notamment par tout concurrent, association agréée de défense des consommateurs ou syndicat de professionnels de l'édition ou de la diffusion de livres, ainsi que par l'auteur ou toute organisation de défense des auteurs ;

Attendu qu'outre le fait que l'énumération de cet article n'est pas limitative,un concurrent est, vis-à-vis d'un agent économique offrant un bien donné sur le marché, celui qui, s'adressant à la même demande, offre un bien présentant des caractéristiques analogues qui permettent, de la part du consommateur potentiel, un comportement de substitution d'un produit à un autre ; que tel est le cas de deux agents proposant, comme en l'espèce, différents titres d'une bande dessinée mettant en scène un même personnage de fiction, surtout lorsque ce personnage bénéficie d'une grande notoriété et que les titres de la série sont nombreux ;

Attendu que la Sté Dargaud, éditeur notamment de bandes dessinées de la série Lucky Luke, est ainsi un concurrent tant de la Sté Lucky Productions, éditeurs de titres différents de la même série que de la Sté Esso lorsqu'elle vend des albums mettant en scène ce personnage ; qu'elle est recevable à agir contre ces parties ; que le fait qu'elle ait, de son côté, participé à des opérations promotionnelles de certaines bandes dessinées - opérations d'ailleurs fondamentalement différentes de celle objet du présent litige - ne saurait avoir d'incidence sur cette recevabilité ;

Sur la méconnaissance de la loi du 10 août 1981 :

Attendu que les albums de la série Lucky Luke vendus par la Sté Esso à l'occasion de l'opération litigieuse étaient des albums parallèlement vendus dans le commerce ; qu'il n'est pas contesté que leur prix de référence était 49 F ;

Attendu, en conséquence, qu'en vendant au prix de 6 F ces mêmes albums, alors que le prix le plus bas qui pouvait légalement être consenti était de 46,55 F, la Sté Esso a méconnu les dispositions de la loi du 10 août 1981 ;

Attendu qu'en agissant ainsi la Sté Esso a perturbé les règles de fonctionnement du marché du livre dans le secteur concerné et causé un préjudice à la concurrence ; que cette perturbation, constituée par la violation délibérée d'une réglementation impérative est constitutive d'une concurrence déloyale ;

Attendu qu'il résulte de la télécopie du 11 juillet 1994 (16 heures 07) que la Sté Lucky Productions a accepté que les albums de la série Lucky Luke cédés à la Sté Esso fussent vendus dans les conditions suivantes : " offerts aux acheteurs de carburants au titre de prime autopayante... cette prime autopayante (n'étant) pas considérée comme une vente " ;

Attendu que si cette exclusion de qualification convenue entre les parties est, comme il a été dit, sans incidence sur la nature réelle du contrat, aucun des éléments versés aux débats ne permet de dire que la Sté Lucky Productions aurait autorisé la vente, par la Sté Esso, des albums Lucky Luke à un prix fixé en méconnaissance des dispositions de la loi du 10 août 1981 ; que la demande de la Sté Dargaud n'est, dès lors, pas fondée en ce qu'elle est dirigée contre la Sté Lucky Productions ;

Sur le préjudice :

Attendu que la Cour trouve en la cause, notamment les chiffres de ventes Lucky Luke, les éléments suffisants pour fixer à 300.000 F le préjudice subi par la Sté Dargaud ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de la Sté Esso à payer à la Sté Dargaud la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'elle s'oppose à d'autres condamnations sur ce fondement ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Reçoit la SA Dargaud Éditeur en son action, Condamne la SA Esso à lui payer la somme de 300.000 F de dommages-intérêts et celle de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile , Déboute la SA Dargaud Éditeur de sa demande en ce qu'elle est dirigée contre la Sté Lucky Productions, Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 au profit de la Sté Lucky Productions, Condamne la SA Esso aux dépens, Admet la SCP Gas et Merle-Carena-Doron au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.