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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 13 janvier 1999, n° 1997-13267

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fertil (SA)

Défendeur :

Decazes, Plantco France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Menard Scelle Millet, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Jourde, Ferrand Tomasi.

TGI Paris, 2e ch., sect. B, du 1er avr. …

1 avril 1997

Le 24 janvier 1986, la SA des papeteries Henry Boucher a engagé Guillaume Decazes en qualité de chef des ventes, responsable du marché français de sa division " Fertil ", liée à la fabrication, la commercialisation et au négoce d'accessoires et de produits destinés à l'agriculture.

Celle-ci étant devenue ultérieurement une société anonyme filiale, Guillaume Decazes en a assumé la direction commerciale.

Aux termes d'un procès-verbal de transaction du 22 mars 1996, la société Fertil et son employé ont conclu un accord par lequel Guillaume Decazes acceptait la mesure de licenciement dont il avait fait l'objet le 29 décembre 1995 moyennant la dispense d'effectuer un préavis de trois mois (article 1 et 2) et le versement " d'une indemnité forfaitaire, transactionnelle définitive et pour solde de tout compte, ayant le caractère de dommages et intérêts, arrêtée d'un commun accord à la somme de 133 400 F " (article 3).

Par acte sous seing privé du 10 mai 1996, Guillaume Decazes et Thierry Bemer (ancien délégué régional de la société Fertil et responsable de la société Paysages Distribution) ont constitué une SARL " Plantco France ", spécialisée dans la commercialisation et le négoce de produits destinés à l'agriculture (article 2) dont le premier des associés est devenue le gérant (article 12).

Les 16 et 17 janvier 1997, la société Fertil a assigné la société Plantco et Guillaume Decazes devant le tribunal de commerce de Paris à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- constater les actes de concurrence déloyale par elle dénoncés

- évaluer son préjudice par expertise

- condamner solidairement les défendeurs au paiement des sommes de :

* un million de francs, à titre provisionnel

* 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile

* ordonner les habituelle mesures de publication.

Le 21 janvier 1997, Guillaume Decazes a soulevé au profit du Tribunal de Grande Instance de Paris l'incompétence de la juridiction saisie, laquelle a rejeté cette exception par décision du 4 février 1997.

Le 11 mars suivant, les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et poursuivi l'attribution des sommes de 200 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 20 000 F pour leurs frais hors dépens.

Par jugement du 1er avril 1997, le tribunal relevant d'une part " qu'au total le demandeur n'(apportait) pas la preuve d'actes indiscutablement qualifiables de concurrence déloyale avec dénigrement ", d'autre par que les défendeurs ne justifiaient pas " d'un dommage résultant de la présente procédure autre que celui qui (serait) réparé en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ", a :

- dit la société Fertil mal fondée en ses demandes,

- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires

- condamné la société Fertil à payer à Guillaume Decazes et à la société Plantco la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Société Fertil a, le 18 avril 1987, interjeté à l'encontre de cette décision un appel aux termes duquel elle poursuit selon ses écritures du 21 octobre 1998 :

- à titre principal, la condamnation in solidum des intimés à lui verser les sommes de :

2 070 000 F en réparation de la perte de marge par elle alléguée

500 000 F en indemnisation du préjudice né de la désorganisation invoquée

- à titre subsidiaire, la désignation d'un expert afin d'évaluer les préjudices subis et l'attribution d'une somme de deux millions de francs à titre provisionnel

- la publication du présent arrêt

- la condamnation in solidum des intimés au paiement d'une somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Guillaume Decazes et la société Plantco France qui ont formé un appel incident par conclusions du 5 octobre 1998, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Fertil de ses prétentions mais de condamner celle-ci à leur verser une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme supplémentaire de 20 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce,

I - Sur la demande principale

Considérant que la société Fertil invoque à l'appui de sa demande les griefs de débauchage, de confusion et de dénigrement.

Sur le débauchage

Considérant que l'appelante expose qu'ont successivement démissionné de son entreprise : - le 6 mai 1996, Philippe Menneteau, délégué commercial de la région Rhône-Alpes,

- le 22 juillet 1996, Eric Croue, délégué commercial de la région de l'Ouest,

lesquels représentaient la moitié de son effectif commercial et avaient été formés par elle pendant six ans.

Qu'elle fait valoir que ces démissions qu'elle qualifie de quasi concomitantes le sont également de la création de la société Plantco et soutient que Guillaume Decazes a " démarché ses anciens collaborateurs avant même d'effectuer toutes les formalités de création de sa société " au motif qu'il serait " exclu que MM. Menneteau et Croue aient démissionné de la société Fertil sans avoir eu l'assurance de trouver un travail chez Plantco ".

Qu'elle allègue que la société intimée a ainsi " été créée exclusivement du personnel de la société Fertil : son gérant, ses associés et ses commerciaux chefs de vente " et qu'elle-même a été désorganisée par ces départs et placée dans l'impossibilité de réagir.

Considérant que les intimés répliquent, outre que son personnel commercial aurait compté huit et non quatre salariés, qu'elle ne démontre ni le débauchage illicite ni la désorganisation qui en serait résultée.

Considérant ceci exposé, qu'en vertu du principe de la liberté du commerce, l'embauche de salariés d'une société concurrente n'est répréhensible que si elle est effectuée de manière déloyale, dans le but de désorganiser par les défections ainsi opérées l'entreprise visée et de s'approprier indûment le savoir-faire et les connaissances que les employés en cause ont pu acquérir de celle-ci.

Or considérant, en l'espèce, que la société Fertil qui n'a pas contesté le bien fondé des conclusions des intimés du 5 octobre 1998 (page 11 paragraphe 4) évoquant de multiples défections en son sein, caractérisées par :

- le licenciement de quatre directeurs, délégué et responsable en trois ans,

- la démission de sept responsables ou délégués commerciaux en quatre ans, outre celle du remplaçant d'Eric Croue,

- la succession de plus de 15 secrétaires commerciales en cinq ans,

n'établit ni que Philippe Menneteau et Eric Crous aient été débauchés illicitement par la société Plantco ni que leur démission lui ait causé un préjudice certain, les intimés soutenant sur ce point sans en être contredits que les deux postes ainsi libérés ont été pourvus et que la société Fertil avait opté " pour une gestion du personnel axée vers un renouvellement quasi permanent des emplois ".

Sur la confusion

Considérant que la société Fertil allègue que Philippe Menneteau et Eric Croue qui, lorsqu'ils étaient ses employés, travaillaient à partir de leur domicile et de ce fait, correspondaient et recevaient les commandes des clients de la société à un numéro de téléphone ou de fax installé chez eux, ont " longuement après leur départ... continué à utiliser les mêmes numéros de téléphone et de fax sans résilier les lignes, si bien que les clients de Fertil ont continué à s'adresser à eux sans savoir toujours qu'il ne s'adressaient plus à Fertil ".

Qu'elle soutient que la société Plantco et Guillaume Decazes ont volontairement entretenu cette confusion qui suffirait à démontrer leur intention déloyale.

Mais considérant que le seul fait d'établir qu'Eric Croue a, postérieurement à sa démission et à son engagement par la société Plantco, conservé les abonnements téléphoniques dont il était initialement et personnellement titulaire ne suffit pas à justifier le grief invoqué.

Sur le dénigrement

Considérant que la société Fertil fait grief à la société Plantco de s'être livrée " à une campagne de dénigrement particulièrement violente à (son) égard, auprès de ses clients et fournisseurs et même de ses concurrents ".

Qu'il convient d'observer que :

- Bertrand Dambrive (dont la supposée parenté avec un cadre de la société Fertil n'est pas établie), directeur de la société Algochimie a, le 15 novembre 1996, attesté :

" Lors du salon Hortimat, à Orléans, en septembre 1996, Guillaume Decazes, sur le stand d'Algochimie m'a expliqué que les agissements et les méthodes employés par les dirigeants de Fertil, au plan commercial, gestion, management des équipes, auraient pour conséquence la disparition rapide de la société "

- Alan Lomas directeur des ventes de la société de droit anglais Scotts Europe, a le 20 octobre 1998, témoigné en ces termes :

" Mon premier contact avec M. Decazes après qu'il ait quitté Fertil a eu lieu en janvier 1996 par téléphone. Il m'a appelé pour m'informer de ses projets de créer sa propre entreprise... plusieurs fabricants/fournisseurs devaient le suivre, laissant Fertil sans personnel et sans une gamme complète de produits. Fertil serait donc exclue du marché... "

Que, si les autres faits allégués de ce chef par l'appelante ne sont pas justifiés de manière indiscutables et probante, l'implication des intimés dans les aléas et vicissitudes rencontrées ces dernières années par la société Fertil n'étant pas établie, il n'en demeure pas moins que le dénigrement infligé par ceux-ci à cette société tels que révélé par les documents susvisé, suffit à reconnaître le bien fondé partiel de la demande et à infirmer le jugement déféré.

Sur le préjudice

Considérant que le seul dommage retenu, à savoir le dénigrement de la société Fertil auprès de deux sociétés appartenant à la même spécialité, sera indemnisé, sans qu'il y ait lieu de recourir préalablement à une mesure d'instruction, par l'attribution d'une somme de 100 000 F.

Qu'il sera en outre, fait droit à la demande de publication dans les conditions précisées au dispositif.

II - Sur la demande reconventionnelle

Considérant que la demande principale étant jugée partiellement fondée, les intimés ne sauraient en invoquer le caractère abusif.

III - Sur les frais hors dépens

Considérant que les intimés qui succombent, seront déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Qu'il est, en revanche, équitable d'allouer à la société Fertil une somme de 25 000 F de ce chef.

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit la demande de la société Fertil bien fondée en ce qu'elle porte sur le grief le dénigrement, Condamne in solidum Guillaume Decazes et la société Plantco France à payer à la société Fertil les sommes de : - cent mille francs (100 000 F) à titre de dommages et intérêts - Vingt Cinq mille francs (25 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Autorise la société Fertil à publier le présent arrêt par extraits dans deux revues professionnelles de son choix, aux frais de Guillaume Decazes et de la société Plantco France dans la limite d'un coût de trente mille francs HT (30 000 F HT) par insertion, Rejette toutes autres demandes. Condamne Guillaume Decazes et la société Plantco France aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Menard Scelle Millet titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.