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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 16 décembre 1998, n° 1998-24063

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LVP Partner's (Sté)

Défendeur :

Défi France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Charoy, Provost-Lopin

Avoués :

Me Kieffer Joly, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Petit, Gallois Thierry.

T. com. Paris, du 26 oct. 1998

26 octobre 1998

La société LVP Partner's a installé une bâche publicitaire sur l'immeuble situé 8, rue Francis Croisset à Paris 8e pour promouvoir la société Nissan. La société Défi France, concurrente directe de la société LVP Partner's, a sollicité en référé la suppression sous astreinte de cet affichage.

Par ordonnance de référé du 26 octobre 1998, le président du Tribunal de commerce de Paris :

- s'est déclaré compétent,

- a ordonné le retrait de l'affiche sous astreinte de 200 000 F par jour de retard à compter du troisième jour du prononcé de l'ordonnance pendant trente jours,

- dit qu'il lui en sera référé pour la liquidation ou le renouvellement de l'astreinte,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la société LVP Partner's à payer à la société Défi France la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société LVP Partner's a interjeté appel de cette décision.

Autorisée à assigner à jour fixe, elle déclare :

- avoir procédé en toute légalité à l'apposition de sa bâche le long du périphérique, puisqu'elle bénéficie d'une autorisation tacite de la ville de Paris,

- avoir déféré à la censure du Tribunal administratif de Paris la décision du 4 septembre 1998 notifiée par la ville de Paris la mettant en demeure de procéder au retrait du dispositif publicitaire qui contreviendrait à l'article 6 du décret du 21 décembre 1980,

- avoir sollicité le sursis à exécution de cette décision par requête du 21 octobre 1998.

Elle reproche au premier juge de s'être prononcé sur la légalité d'un acte administratif à caractère individuel, en violation du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, de n'avoir pas relevé que les moyens invoqués par la société Défi France quant à la réglementation applicable à la publicité en cause étaient sérieusement contestables, (en raison de l'autorisation tacite de la ville de Paris et de la saisine du Tribunal administratif) et d'avoir prononcé une astreinte s'ajoutant à l'astreinte administrative, contrevenant ainsi au principe non bis in idem.

Elle soulève, ensuite, l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Paris au profit de celui de Nanterre, lieu du siège social de la société Défi France.

Elle soutient, sur la demande de la société Défi France, que, se fondant sur des décisions administratives individuelles dont la légalité est contestée, elle se heurte à une contestation sérieuse.

Elle argue également de l'irrecevabilité de l'action de la société Défi France pour défaut d'intérêt à agir et de l'absence de trouble manifestement illicite.

Elle affirme encore que le premier juge a omis de statuer sur sa demande de dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale commis par la société Défi France à son égard et qu'il aurait dû faire courir l'astreinte non pas du jour de l'ordonnance mais du jour de sa signification. Elle ajoute que le montant de l'astreinte est disproportionné et le délai inexécutable.

Elle demande, en conséquence, à la cour :

- d'annuler l'ordonnance, les juridictions administratives et non judiciaires étant compétentes,

- de dire qu'il n'y a ni trouble manifestement illicite ni lieu à référé, la société Défi France étant irrecevable à agir et compte tenu d'une contestation sérieuse,

- sur ses demandes :

-- de constater que la lettre adressée le 15 octobre par la société Défi France à la société Nissan, comme l'assignation en référé, constituent des actes de concurrence déloyale,

-- de lui donner acte de ses réserves quant aux poursuites devant les juridictions compétentes,

-- d'ores et déjà, d'ordonner la publication de la décision à intervenir sur la demande reconventionnelle dans trois publications professionnelles et une publication grand public dans la limite d'une somme de 500 000 F,

-- condamner la société Défi France à lui payer la somme de 20 000 F pour ses frais non compris dans les dépens.

Contestant point par point cette argumentation, la société Défi France sollicite le rejet des prétentions de la société LVP Partner's, la confirmation de l'ordonnance entreprise et une somme de 20 000 F pour ses frais irrépétibles.

Dans des conclusions additionnelles, la société LVP Partner's précise que si la situation devait pénaliser la profession, la société Défi France n'a pas vocation à la représenter, que la concurrence déloyale dont se plaint l'intimée n'est pas établie puisqu'elle dépend d'une décision administrative définitive et que l'action de la société Défi France, leader sur le marché, qui affiche des bâches de dimensions similaires, vise seulement à écarter une jeune concurrente. Ajoutant à ses demandes, elle sollicite à toutes fins la réformation de l'ordonnance et le renvoi de la société Défi France à se pourvoir au fond.

La société Défi France rétorque qu'elle respecte scrupuleusement la réglementation en vigueur et maintient de plus fort ses demandes.

Discussion :

Selon l'article 873 du nouveau Code de procédure civile, le juge peut, dans tous les cas d'urgence, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

La société Défi France a fait valoir dans son assignation introductive d'instance que l'affichage de la bâche publicitaire litigieuse, contraire à la réglementation en vigueur, constituait un trouble manifestement illicite, une telle situation pénalisant les professionnels respectueux de la réglementation et constituant un acte de concurrence déloyale.

Il n'est pas contesté que la bâche apposée mesure 18 m de hauteur sur 100 m de longueur, soit 1 800 m2, ce qui lui a valu d'être décrite dans la presse comme la plus grande affiche d'Europe " ou " le plus grand panneau publicitaire 2 000 m2 en Europe ".

Or l'article 6 du décret du 21 décembre 1980 énonce que " dans les agglomérations dont la population est égale ou supérieure à 10 000 habitants, la publicité non lumineuse apposée sur un mur ou une clôture, ne peut avoir une surface unitaire de plus de 16 m2 ni s'élever à plus de 7,50 m au-dessus du niveau du sol ".

La société LVP Partner's fait vainement valoir qu'elle aurait bénéficié de l'autorisation tacite de la ville de Paris, qui aurait laissé sans réponse à l'expiration du délai de deux mois sa demande d'autorisation d'affichage du 25 mai 1996, (déposée le 26), dans la mesure où:

- la ville de Paris rappelle, dans une lettre du 6 octobre 1998, que ses services ont indiqué dès le mois de juin à la société LVP Partner's que son projet n'était pas réglementaire,

- l'installation des publicités non lumineuses non scellées au sol (ce qui est le cas) n'est soumise à aucune autorisation mais seulement à une déclaration préalable, à compter de laquelle " le déclarant peut procéder, sous sa responsabilité, à la réalisation du projet déclaré ",

- par lettre du 4 septembre 1998, la mairie de Paris a " confirmé " à la société LVP Partner's que son projet, non conforme à la réglementation, ne pouvait être réalisé sur un pignon comportant des fenêtres (trois fenêtres dont la surface totale excède très largement 2 m2) et qu'elle rappelait les dispositions du règlement de la publicité à Paris sur ce point.

L'appelante prétend tout aussi vainement que l'appréciation de l'illiciéité de trouble conduit nécessairement le juge judiciaire à se prononcer sur la légalité d'un acte administratif individuel relevant du juge administratif, à savoir la mise en demeure de déposer l'affiche qui lui a été notifiée par la ville de Paris, le 4 septembre 1998.

En effet, si cette mise en demeure fait l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif, fondé sur le défaut de délégation de compétence de son signataire et sur la distinction à faire entre le dispositif publicitaire utilisé et la surface unitaire définie à l'article 6 du décret du 21 novembre 1980, il n'en demeure pas moins que ce recours, au demeurant non suspensif, n'ôte pas au juge des référés le pouvoir de se prononcer sur la conformité de la publicité en cause avec la réglementation en vigueur, afin de déterminer s'il y a eu ou non trouble manifestement illicite.

La mise en demeure de la ville de Paris n'est, comme le procès-verbal d'infraction qui a été dressé et transmis au Procureur de la République aux fins de poursuites pénales (lettre de la mairie du 6 octobre 1998), et comme la lettre du 4 septembre 1998, qu'un élément de fait venant conforter les allégations de la société Défi France sur le non-respect par la société LVP Partner's des prestations réglementaires.

La décision de la ville de Paris et l'ordonnance du juge des référés ont deux fondements et deux objets différents. Le président du tribunal de commerce statuant sur le trouble ainsi subi par la société Défi France, par un acte qualifié de concurrence déloyale, peut parfaitement ordonner qu'il y soit mis fin sous astreinte sans porter atteinte au principe non bis in idem et sans que lui soit opposé l'action ou l'inaction de l'administration.

L'exception d'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif est infondée. Il en est de même de l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Paris au profit du Tribunal de commerce de Nanterre, le juge des référés du lieu où les mesures de remise en état s'imposent étant compétent pour les prononcer.

Lorsque le juge des référés est saisi sur le fondement du trouble manifestement illicite, il ne peut prendre en considération les contestations sérieuses soulevées par le défendeur, ainsi que cela ressort des termes mêmes de l'article 873 rapportés plus haut. C'est donc en vain que la société LVP Partner's allègue des " contestations sérieuses " au soutien de son appel et sollicite le renvoi devant le juge du fond.

En ce qui concerne le trouble manifestement illicite, il convient de relever, en premier lieu, que les pièces produites et notamment les photographies établissent que le panneau publicitaire, qui couvre l'une des façades, pourvue de fenêtres, d'un immeuble et ce sur une surface prohibée, contrevient indiscutablement à la réglementation en vigueur.

Il apparaît, en second lieu, que les dimensions exceptionnelles et totalement illicites de l'affichage proposé par la société LVP Partner's, concurrente de la société Défi France, ont été d'évidence l'élément attractif et déterminant dans le choix de la société Nissan et constituent un acte de concurrence déloyale, dans la mesure où il y a eu détournement de clientèle.

La société Défi France démontre, à cet égard, avoir signé avec la société Nissan un contrat d'annonce par dispositifs publicitaires pour une durée de six ans, le 9 avril 1992, et avoir rencontré sa cliente pour une proposition d'installation de toile publicitaire, qui n'a pas été retenue, trois jours avant que celle-ci ne s'engage avec la société LVP Partner's.

Il y a lieu d'ajouter que le président de la Chambre syndicale française de la publicité lumineuse a stigmatisé le comportement de l'appelante en le déclarant " de nature à désorganiser le marché ", dans une lettre adressée le 20 octobre 1998 au président du tribunal de commerce.

La société Défi France justifie ainsi non seulement de son intérêt à agir mais également de la réalité du trouble manifestement illicite que lui ont causé les agissements de la société LVP Partner's.

C'est donc à juste titre que le premier juge a décidé de mettre un terme à ce trouble manifestement illicite en ordonnant la dépose de la publicité Nissan.

Les allégations de la société LVP Partner's, sur la réalisation par la société Défi France de publicités non réglementaires, au demeurant non établies, sont sans incidence sur la remise en état qui s'impose en l'espèce, et ce quelles qu'en soient pour elle les conséquences.

Le montant de l'astreinte n'apparaît pas excessif mais il convient d'en retarder le point de départ et de la faire courir à l'expiration d'un délai de quarante huit heures à compter de la signification de l'ordonnance.

La solution du litige emporte le rejet des demandes reconventionnelles de la société LVP Partner's qui soutient que l'assignation que lui a délivrée la société Défi France constitue, de même que la lettre que cette société a adressée le 15 octobre à la société Nissan, un acte de concurrence déloyale.

Elle emporte également le rejet de la demande formée par l'appelante au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il convient d'allouer, en revanche, à l'intimée une somme de 20 000 F pour ses frais, non compris dans les dépens.

Décision :

Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, Confirme l'ordonnance, sauf en ce qui concerne le point de départ de l'astreinte, La réformant de ce chef, statuant de nouveau et y ajoutant, Dit que l'astreinte courra à l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter de la signification de l'ordonnance, Condamne la société LVP Partner's à payer à la société Défi France la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société LVP Partner's aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.