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Décisions

Cass. com., 15 décembre 1998, n° 96-20.801

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Centre d'étude pour le développement et la promotion de l'artisanat du bâtiment de l'Indre

Défendeur :

Boterf, Arnaud, Bonnet, SCAGEC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Richard, Mandelkern, Me Cossa.

TGI Châteauroux, du 14 sept. 1993

14 septembre 1993

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Bourges, 1er août 1996) que le Centre d'études pour le développement et la promotion de l'artisanat du bâtiment de l'Indre (CEDP), association de la loi du 1er juillet 1901, a été créée en 1985, pour permettre de suivre la comptabilité de ses adhérents avec le concours d'un expert-comptable ; que cette association a été reconnue en 1989, par l'administration fiscale comme centre de gestion agréé ; qu'à la fin de l'année 1989 deux salariés du CEDP qui géraient ce service ont donné leur démission ; que les responsables de l'association alléguant que ces personnes étaient parties pour aller travailler dans le cabinet d'expertise comptable qui assurait le contrôle des dossiers du centre agréé, en emportant les répertoires d'adresse, les programmes de travail et les agendas comportant les noms de nombreux adhérents du CEDP, les ont assignées devant le tribunal de grande instance, ainsi que M. Boterf et la société dont il était le gérant, en dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;

Sur les deux premiers moyens réunis : - Attendu que le CEDP fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable son action en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et d'avoir confirmé par substitution de motifs, le jugement ayant rejeté sa demande contre la société d'expertise comptable, la SCAGEC, son gérant M. Boterf, ainsi que ses deux anciens salariés M. Bonnet et Mme Arnaud, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans la mesure où elle a le droit de faire des bénéfices à la condition de ne pas les répartir entre ses adhérents, une association exerçant une activité économique peut être l'objet d'une concurrence ; qu'en décidant que l'exposant n'était pas recevable à intenter une action en concurrence déloyale contre un expert comptable et deux de ses anciens salariés, au prétexte erroné qu'il ne pouvait se trouver en situation de concurrence avec une société commerciale, dès lors qu'en sa qualité d'association de la loi de 1901 interdisant le partage des bénéfices, il exerçait une activité certes lucrative, mais uniquement au profit de ses adhérents sans exploiter de fonds de commerce ouvert au public, et ne possédait donc pas de clientèle, bien qu'il résultât de ses propres constatations que cet opérateur avait pour objet une activité économique à caractère lucratif consistant à assurer à ses membres, moyennant une cotisation, un service d'assistance à la gestion et à la tenue de la comptabilité, ce qui suffisait pour qu'il fut soumis au jeu de la concurrence, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, d'autre part, que tenu de faire respecter et d'observer lui-même le principe de la contradiction, le juge ne peut modifier le fondement juridique d'une demande sans avoir invité les litigeants à présenter leurs observations ; qu'en décidant d'office que l'action de l'exposant en concurrence déloyale contre l'expert comptable et deux de ses anciens salariés ne pouvait être examinée, que sur la base d'une simple action en responsabilité civile de droit commun, sans l'avoir mis en mesure de discuter sous cet angle nouveau les fautes de ses adversaires, la cour d'appel a méconnu les droits de la défense en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que s'il est vrai que le régime juridique des associations de la loi du 1er juillet 1901 n'est pas de nature à leur interdire d'agir en responsabilité dès lors que, comme en l'espèce, ces associations exercent une activité les mettant en concurrence avec d'autres entreprises, il ressort de l'arrêt que la motivation, erronée mais surabondante de l'arrêt sur la recevabilité de la CEDP à agir, a été sans incidence sur le fond du litige la cour d'appel ayant énoncé, sans méconnaître le principe de la contradiction et en se référant aux écritures de la CEDP, qu'il y avait lieu de vérifier si M. Boterf et la société dont il est le gérant avaient eu un comportement fautif en faisant pression sur les adhérents de la CEDP, pour qu'ils rejoignent ce cabinet d'expert comptable, ces agissements, s'ils avaient été établis, pouvant compromettre l'existence de cette association et lui causer un préjudice ; qu'en l'état de ces constatations l'arrêt n'encourt pas les griefs des deux premiers moyens ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que le CEDP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge ne peut écarter des débats une attestation produite par une partie, par cela seul qu'elle ne répond pas aux conditions de forme édictées par la loi ; qu'en éliminant d'emblée, sans même en analyser le contenu, le témoignage de M. Bidault en date du 22 janvier 1990, pour l'unique raison que ce document n'était pas régulier en la forme, la cour d'appel a violé l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'il ressortait clairement du constat d'huissier dressé le 2 février 1990, ainsi que des pièces y annexées que, par le canal de deux de ses anciens salariés, que l'expert comptable avait embauchés et concomitamment avec eux, un nombre important d'adhérents du CEDP avaient quitté cet organisme pour devenir clients du cabinet d'expertise comptable, qu'en affirmant que ce document établissait seulement qu'une certaine partie des clients de la SCAGEC étaient des membres du syndicat professionnel des artisans du bâtiment, mais nullement qu'ils étaient des adhérents du centre de gestion agréé, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, en outre, que l'action en responsabilité civile, suppose seulement l'existence d'une faute sans requérir la preuve d'un élément intentionnel ; qu'en retenant pour débouter l'exposant de ses demandes de dommages-intérêts qu'il ne démontrait pas que ses anciens adhérents ayant émigré vers le cabinet d'expertise comptable, auraient été "malicieusement incités" à se retirer de l'association "dans le but d'aboutir" au retrait d'agrément de l'administration fiscale et par l'emploi de moyens fautifs tels que son "dénigrement", lui imposant ainsi de rapporter la preuve d'un élément intentionnel que la faute délictuelle n'exige pas, la cour d' appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; alors, enfin, que constituent des fautes susceptibles d'engager la responsabilité délictuelle de leur auteur, le fait de débaucher le personnel d'un centre de gestion agréé et de prospecter ses adhérents en vue de les inciter à le quitter pour devenir clients d'une autre entreprise, l'exposant ainsi à un préjudice financier important comme à la perte de son agrément auquel est subordonnée son existence même ; qu'en se bornant à énoncer que ne s'apparentait pas à une faute civile, le constat d'un déplacement de clientèle et de personnel, sans rechercher si les anciens membres de l'association l'ayant quittée pour rejoindre le cabinet d'expertise comptable, n'avaient pas été démarchés par les deux anciens salariés de celle-ci et si ces derniers n'avaient pas été embauchés à cette fin par l'entreprise commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

Mais attendu, en premier lieu, que si la cour d'appel a écarté l'attestation de M. Bidault, sur le fondement de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile, elle a également constaté que cette attestation était contredite par une autre attestation qu'il avait délivrée ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel appréciant souverainement les éléments de preuve versés aux débats, a constaté "qu'il ne résulte d'aucune des constatations minutieuses effectuées par l'huissier que la SCAGEC, son gérant ou ses préposés se (sont) livrés, de quelque façon que ce soit, au dénigrement du CEDP afin d'inciter les adhérents de cette association à la quitter" ; qu'ayant en outre, relevé que "cette association ne rapporte nullement la preuve de ce que les personnes concernées auraient été malicieusement incitées à s'en retirer dans le but d'aboutir au retrait d'agrément de l'administration fiscale et par l'emploi de moyens fautifs tels le dénigrement du CEDP", c'est hors toute dénaturation, et sans se référer à l'existence d'une faute intentionnelle, que la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.