Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 27 novembre 1998, n° 1997-01865

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens

Défendeur :

Sodios (SA), Sosnydis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazars

Conseillers :

Mmes Magueur, Lebé

Avoués :

SCP Lagourgue, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Amadio, Vatier.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 16 oct…

16 octobre 1996

La société Sosnydis exploite, dans la galerie marchande de l'hypermarché Leclerc d'Osny-Sous-Bois, un espace de vente de produits cosmétiques, d'hygiène et diététique, signalé par des enseignes portant en lettres vertes sur fond blanc, le terme " Parapharmacie " ainsi que par le logo Leclerc, peint dans les mêmes couleurs.

Estimant que la présentation de cet espace de vente vise à tromper la clientèle en lui faisant croire qu'elle y bénéficiera des mêmes garanties que dans une officine de pharmacie et est constitutive de concurrence déloyale, de parasitisme et de publicité mensongère, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens dit CNOP, a assigné la société Sosnydis et la société Sodios devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour les voir condamner sous astreinte à cesser de faire état de la qualité de pharmacien, d'utiliser le logo et le terme de parapharmacie et à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Il a, en outre, demandé qu'il soit fait interdiction aux sociétés Sosnydis et Sodios de commercialiser les produits dénommés Lacryma Spetine et Boissons n° 2 qui constitueraient des médicaments par fonction et par présentation.

Les sociétés Sodios et Sosnydis ont appelé en garantie les fournisseurs de ces produits.

Par jugement du 16 octobre 1996, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- prononcé la mise hors de cause de la société Sodios,

- débouté la CNOP de ses demandes pour faits de parasitisme, de concurrence déloyale ou de publicité mensongère,

- avant-dire droit, sur la demande en interdiction de vente de la boissons n° 2 et du Lacryma Septine, ordonné une mesure d'expertise aux fins notamment de rechercher si ces produits possèdent des vertus curatives ou préventives à l'égard des maladies, s'ils renferment des substances toxiques, s'ils sont susceptibles de contre-indication et si un usage sans contrôle peut se révéler dangereux,

- sursis à statuer sur toute autre demande jusqu'au dépôt du rapport,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit de la société Sodios.

Le CNOP a interjeté appel de cette décision. Poursuivant son infirmation, il soutient que les faits de parasitisme résultent de la multiplication des signes extérieurs s'apparentant à ceux utilisés dans les officines, tels que couleur verte, logo extérieur pouvant être assimilé à la croix verte, marque collective des pharmaciens, utilisant du terme " parapharmacie ", vente de médicaments. Il reproche à la société Sosnydis d'avoir permis à ses employés de porter le titre de pharmacien, alors que seuls peuvent l'utiliser ceux qui exercent leur activité sous le contrôle du Conseil de l'ordre. Il précise que la demande d'interdiction de l'utilisation de terme " parapharmacie " ne trouve sa justification que dans l'environnement déloyal dans lequel il est utilisé. Il ajoute, enfin, que les conditions contractuelles imposées par les fabricants de produits d'hygiène et de beauté ne justifient pas la reproduction de la présentation extérieure et intérieure d'une officine de pharmacie. Il ajoute que le centre Leclerc d'Osny-Sous-Bois distribue des produits considérés comme des médicaments. Il réitère donc ses demandes telles que formulées dans l'acte introductif d'instance.

Se fondant sur la décision du Conseil de la concurrence du 9 juin 1987, sur l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 janvier 1988 et sur celui de la cour de cassation du 25 avril 1989, les intimées répliquent que la parapharmacie ne peut être définie comme les produits hors monopole vendus exclusivement en pharmacie, et que la revendication du CNOP sur ce terme est donc injustifiée. Elles soutiennent que les exigences des fabricants de produits de parapharmacie, qui ont été validées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 1989, ont rapproché les espaces de parapharmacie, qu'ils soient ou non officinaux, d'un modèle unique, typé et reconnaissable, éloigné de la pharmacie d'officine traditionnelle. Sur le reproche qui lui est fait d'avoir utilisé la couleur verte sur son logo, elles répondent que cette couleur n'est pas le monopole des pharmacies d'officine. Enfin, sur l'usage du titre de " pharmacien conseil " qui lui est reproché, elles font valoir que les employés, titulaires du diplôme d'état de docteur en pharmacie, ont pour donner des conseils à la clientèle, le droit de faire savoir qu'ils sont pharmaciens.

La société Sodios et la société Sosnydis concluent donc à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société Sodios et débouté le CNOP de ses demandes à l'encontre de la société Sosnydis.

Elles demandent de la réformer en ce qu'il n'a pas fait application au profit de la société Sodios des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. A ce titre, la société Sodios sollicite l'allocation d'une indemnité de 30 000 F. La société Sosnydis demande de lui allouer une somme de 50 000 F sur le même fondement.

Sur quoi, LA COUR,

- Sur la mise hors de cause de la société Sodios

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Sodios est propriétaire du fonds de commerce, exploité en location-gérance par la société Sosnydis, depuis le 1er mars 1986 ; que c'est donc à juste titre, par des motifs que la Cour adopte, que les premiers juges ont prononcé la mise hors de cause de la société Sodios ;

Considérant, en revanche, que la société Sodios qui a dû exposer des frais pour assurer sa défense en première instance et devant la Cour, doit bénéficier des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; qu'il lui sera alloué à ce titre une indemnité de 10 000 F ;

- Sur les faits de parasitisme

Considérant que les premiers juges, rappelant l'avis du Conseil de la concurrence confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, ont exactement retenu que le secteur de la " parapharmacie " est constitué par les produits qui, ne relevant pas du monopole des pharmaciens, sont soumis au libre jeu de la concurrence et peuvent être diffusés par le biais d'autres circuits de distribution ;

Considérant que devant la cour, le CNOP n'entend pas se prévaloir d'un droit exclusif sur le terme " parapharmacie ", mais conteste l'environnement déloyal dans lequel il est utilisé, associé à une multitude de signes extérieurs, tendant à démontrer que le Centre Leclerc vise à s'approprier la réputation de qualité et de sécurité attachée au monopole des pharmaciens ;

Considérant qu'il ressort des procès-verbaux de constat versés aux débats que l'agencement de l'espace de parapharmacie Leclerc est composé d'un mobilier modulable où prédominent les couleurs verte et blanche; que cet espace, qui fonctionne de manière autonome par rapport à l'hypermarché du même nom, est délimité et identifié par l'enseigne " parapharmacie " et par le logo constitué de la lettre L de couleur blanche sur fond vert ; qu'à l'entrée est opposé un panneau portant l'inscription " pharmacien conseil " ;

Mais considérant, d'une part, que la mise en place de cet espace délimité, isolé du reste du magasin, répond au caractère spécifique des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle qui sont offerts à la vente et aux exigences imposées par les fabricants de ces produits, quant à leur diffusion ; que les contrats de distribution sélective versés aux débats, dont la validité a été reconnue par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 1989, commandent, selon des critères précis, l'aménagement et l'installation des points de vente : espace fermé, soigné, identifiable par le consommateur et suffisamment éloigné des zones achalandées, susceptibles d'apporter des nuisances ; qu'il convient de relever, en outre, que ce mode d'agencement comme les couleurs choisies ne sont pas réservés exclusivement aux officines de pharmacie ; qu'ainsi la revue intitulée MLP du 7 octobre 1995, consacre un dossier à l'agencement des officines de pharmacie, d'où il ressort que les aménagements spécifiques aux officines ont évolué vers une présentation de type " grandes surfaces " ; que les photographies illustrant cet article montrent que la couleur verte n'est pas prédominante dans les agencements réalisés ;

Considérant, que le logo incriminé, en forme de L de couleur blanche sur fond vert, qui évoque pour le consommateur, l'appartenance au circuit de grande distribution Leclerc, ne présente aucune similitude avec la croix verte, marque collective dont est titulaire le CNOP;

Considérant, dès lors, que l'on ne saurait reprocher à l'intimée d'avoir offert à la vente des produits de parapharmacie dans cet environnement dépourvu d'originalité, impropre par sa banalité à caractériser le cadre type d'une officine, sur la conception duquel elle ne disposait d'aucune latitude, eu égard aux contraintes qui s'imposaient à elle;

Considérant, d'autre part, que les contrats de distribution sélective exigent également la présence sur les lieux de vente d'un personnel compétent, apte à remplir une mission de conseil du consommateur et, plus particulièrement, une personne spécialisée dans le domaine de la santé, dotée de connaissances en cosmétologie, biologie, dermatologie ou pharmacie, sanctionnées par un diplôme universitaire à caractère scientifique ;

Considérant que l'article L. 514 du code de la santé publique dispose que nul ne peut exercer la profession de pharmacien s'il ne remplit pas les conditions qu'il énumère et notamment être titulaire du diplôme de docteur en pharmacie ou pharmacien et être inscrit à l'ordre des pharmaciens ;

Mais considérant que les titulaires d'un diplôme de pharmacien qui n'exercent pas la profession consistant à préparer et dispenser des médicaments ou produits assimilés ne sont pas soumis aux dispositions du code de la santé publique régissant cette profession, et notamment à l'obligation d'inscription à l'ordre des pharmaciens ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que la société Sosnydis, dont l'activité consiste à vendre des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, et à conseiller les acheteurs de ceux-ci, proposait des produits relevant du monopole des pharmaciens ; qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir employé, pour présenter et vendre ses produits hors le cadre d'une officine, des salariés, titulaires d'un diplôme de docteur en pharmacie, et en conséquence qualifiés pour exercer cet emploi, bien que non inscrits à l'ordre des pharmaciens ; que, surtout, l'usage sur les panonceaux et sur les blouses des salariés du terme " pharmacien " au lieu de " docteur en pharmacie ", dès lors qu'il correspond à un même diplôme, n'est pas de nature à induire en erreur le client sur la qualification de celui qui le renseigne ;

Considérant, dès lors, que les faits de parasitisme reprochés n'étant pas démontrés, le CNOP sera débouté de l'ensemble de ses demandes; qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;

- Sur les produits vendus par la société Sosnydis

Considérant que les parties ne critiquent pas les dispositions du jugement déféré relatives à l'expertise ; que cette mesure d'instruction sera donc confirmée ;

Considérant qu'il sera fait droit à la demande de la société Sosnydis sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, à concurrence de la somme de 10 000 F ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Sodios au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Statuant à nouveau, Condamne le CNOP à payer à la société Sodios la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Y ajoutant, Condamne le CNOP à payer à la société Sosnydis la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne le CNOP aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.