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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 27 novembre 1998, n° 1996-008931

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens

Défendeur :

Groupement d'achat Edouard Leclerc (Sté), Association des Centres Distributeurs E. Leclerc, Nantes Nord Distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazars

Conseillers :

Mmes Magueur, Lebé

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Vatier, Amadio

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 29 nov…

29 novembre 1995

La société Nantes Nord Distribution exploite, dans la galerie marchande de l'hypermarché Leclerc d'Orvault, un espace de vente de produits cosmétiques, d'hygiène et diététiques, signalé par des enseignes portant en lettres vertes sur fond blanc, le terme Parapharmacie ainsi que par le logo Leclerc, peint dans les mêmes couleurs.

Estimant que la présentation de cet espace de vente, visant à tromper la clientèle qui s'attend à y recevoir les mêmes garanties que celles auxquelles elle peut prétendre dans le cadre d'une officine de pharmacie, est constitutive de concurrence déloyale, de parasitisme et de publicité mensongère, le conseil national de l'ordre des pharmaciens dit CNOP, a assigné la société Nantes Nord Distribution, devant le tribunal de grande instance de Paris pour la voir condamner sous astreinte à cesser de faire état de la qualité de pharmacien, d'utiliser le logo et le terme de parapharmacie et à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 29 novembre 1995, le tribunal de grande instance de Paris a débouté le CNOP de l'ensemble de ses prétentions, a débouté la société Nantes Nord Distribution de sa demande de dommages-intérêts et a condamné le CNOP à payer à la société Nantes Nord Distribution, la somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il a relevé que le terme Parapharmacie ne peut faire l'objet d'une appropriation, que l'usurpation du titre de pharmacien n'est pas caractérisée et qu'aucun fait de parasitisme, de concurrence déloyale ou de publicité mensongère ne résulte de la présentation de l'espace commercial de la société Nantes Nord Distribution.

Le CNOP a interjeté appel de cette décision. Poursuivant son infirmation, il soutient que les faits de parasitisme résultent de la multiplication des signes extérieurs s'apparentant à ceux utilisés dans les officines, tels que couleur verte, logo extérieur pouvant être assimilé à la croix verte, marque collective des pharmaciens, utilisation du terme " parapharmacie ", vente de médicaments. Il reproche à la société Nantes Nord Distribution d'avoir permis à ses employés de porter le titre de pharmacien, port aggravé par l'adjonction sur les panneaux publicitaires et les prospectus du terme " conseil ". Il précise que la demande d'interdiction de l'utilisation du terme " parapharmacie " ne trouve sa justification que dans l'environnement déloyal dans lequel il est utilisé. Il ajoute, enfin, que les conditions contractuelles imposées par les fabricants de produits d'hygiène et de beauté ne justifient pas la reproduction de la présentation extérieure et intérieure d'une officine de pharmacie.

Il réitère donc ses demandes telles que formulées dans l'acte introductif d'instance.

Se fondant sur la décision du conseil de la concurrence du 9 juin 1987, sur l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 janvier 1988 et sur celui de la cour de cassation du 25 avril 1989, la société Nantes Nord Distribution réplique que la parapharmacie ne peut être définie comme les produits hors monopole vendus exclusivement en pharmacie, et que la revendication du CNOP sur ce terme est donc injustifiée. Elle soutient que les exigences des fabricants de produits de parapharmacie, qui ont été validées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 1989, ont rapproché les espaces de parapharmacie, qu'ils soient ou non officinaux, d'un modèle unique, typé et reconnaissable, éloigné de la pharmacie d'officine traditionnelle. Sur le reproche qui lui est fait d'avoir utilisé la couleur verte sur son logo, elle répond que cette couleur n'est pas le monopole des pharmacies d'officine. Enfin, sur l'usage du titre de " pharmacien conseil " qui lui est reproché, elle fait valoir que les employés, titulaires du diplôme d'état de docteur en pharmacie, ont pour donner des conseils à la clientèle, le droit de faire savoir qu'ils sont pharmaciens.

La société Nantes Nord Distribution sollicite la confirmation de la décision déférée et, sauf en ce qui concerne la société GALEC et l'association ACD Leclerc, une indemnité complémentaire de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société GALEC et l'Association ACD Leclerc sollicitent leur mise hors de cause, au motif qu'elles n'ont pas été assignées en première instance.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que l'acte introductif d'instance n'a été délivré qu'à la société Nantes Nord Distribution ; que ni l'association des Centres Distributeurs Leclerc, ni le GALEC ne sont intervenus dans l'instance; qu'aucune demande n'a été formée à leur encontre par le CNOP ;

Considérant que c'est donc par erreur qu'elles sont mentionnées en qualité de parties dans le jugement déféré ; qu'il convient en conséquence, de les mettre hors de cause ;

Considérant que les premiers juges, rappelant l'avis du conseil de la concurrence confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 1988, ont exactement retenu que le secteur de la " parapharmacie " est constitué par les produits qui, ne relevant pas du monopole des pharmaciens, sont soumis au libre jeu de la concurrence et peuvent être diffusés par le biais d'autres circuits de distribution ;

Considérant que devant la cour, le CNOP n'entend pas se prévaloir d'un droit exclusif sur le terme " parapharmacie ", mais conteste l'environnement déloyal dans lequel il est utilisé, associé à d'autres signes extérieurs, tendant à démontrer que le centre Leclerc vise à s'approprier la réputation de qualité et de sécurité attachée au monopole des pharmaciens ;

Considérant qu'il ressort des procès-verbaux de constat versés aux débats que l'agencement de l'espace de parapharmacie Leclerc est composé d'un mobilier modulable où prédominent les couleurs verte et blanche ; que cet espace, qui fonctionne de manière autonome par rapport à l'hypermarché du même nom, est délimité et identifié par l'enseigne " parapharmacie " et par le logo constitué de la lettre L de couleur blanche sur fond vert ; qu'à l'entrée est apposé un panneau portant l'inscription " pharmacien conseil " ;

Mais considérant, d'une part, que la mise en place de cet espace délimité, isolé du reste du magasin, répond au caractère spécifique des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle qui sont offerts à la vente et aux exigences imposées par les fabricants de ces produits, quant à leur diffusion ; que les contrats de distribution sélective versés aux débats, dont la validité a été reconnue par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 1989, commandent selon des critères précis, l'aménagement et l'installation des points de vente espace fermé, soigné, identifiable par le consommateur et suffisamment éloigné des zones achalandées, susceptibles d'apporter des nuisances ;

Qu'il convient de relever, en outre, que ce mode d'agencement comme les couleurs choisies ne sont pas réservés exclusivement aux officines de pharmacie; qu'ainsi la revue intitulée MLP du 7 octobre 1995, consacre un dossier à l'agencement des officines de pharmacie, d'où il ressort que les aménagements spécifiques aux officines ont évolué vers une présentation de type " grandes surfaces " ; que les photographies illustrant cet article montrent que la couleur verte n'est pas prédominante dans les agencements réalisés ;

Considérant, que le logo incriminé, en forme de L de couleur blanche sur fond vert, qui évoque pour le consommateur, l'appartenance au circuit de grande distribution Leclerc, ne présente aucune similitude avec la croix verte, marque collective dont est titulaire le CNOP ;

Considérant, dès lors, que l'on ne saurait reprocher à l'intimée d'avoir offert à la vente des produits de parapharmacie dans cet environnement dépourvu d'originalité, impropre par sa banalité à caractériser le cadre type d'une officine, sur la conception duquel elle ne disposait d'aucune latitude, eu égard aux contraintes qui s'imposaient à elle ;

Considérant, d'autre part, que les contrats de distribution sélective exigent également la présence sur les lieux de vente d'un personnel compétent, apte à remplir une mission de conseil du consommateur et, plus particulièrement, une personne spécialisée dans le domaine de la santé, dotée de connaissances en cosmétologie, biologie, dermatologie ou pharmacie, sanctionnées par un diplôme universitaire à caractère scientifique ;

Considérant que l'article L. 514 du code de la santé publique dispose que nul ne peut exercer la profession de pharmacien s'il ne remplit pas les conditions qu'il énumère et notamment être titulaire du diplôme de docteur en pharmacie ou pharmacien et être inscrit à l'ordre des pharmaciens ;

Mais considérant que les titulaires d'un diplôme de pharmacien qui n'exercent pas la profession de pharmacien consistant à préparer et dispenser des médicaments ou produits assimilés ne sont pas soumis aux dispositions du code de la santé publique régissant cette profession, et notamment à l'obligation d'inscription à l'ordre des pharmaciens ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que la société Nantes Nord Distribution, dont l'activité consiste à vendre des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, et à conseiller les acheteurs de ceux-ci, proposait des produits relevant du monopole des pharmaciens ; qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir employé, pour présenter et vendre ses produits hors le cadre d'une officine, des salariés, titulaires d'un diplôme de docteur en pharmacie, et en conséquence qualifiés pour exercer cet emploi, bien que non inscrits à l'ordre des pharmaciens que, surtout, l'usage sur les panonceaux et sur les blouses des salariés du terme " pharmacien " au lieu de " docteur en pharmacie ", dès lors qu'il correspond à un même diplôme, n'est pas de nature à induire en erreur le client sur la qualification de celui qui le renseigne ;

Considérant, dès lors, que les faits de parasitisme reprochés n'étant pas démontrés, le CNOP sera débouté de l'ensemble de ses demandes ; qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile bénéficieront à la société Nantes Nord Distribution ; qu'il lui sera alloué à ce titre une indemnité de 10.000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a mentionné en qualité de parties, la société GALEC et l'Association ACD Leclerc ; Le réformant partiellement, Met hors de cause la société GALEC et l'Association ACD Leclerc ; Y ajoutant, Condamne le CNOP à payer à la société Nantes Nord Distribution une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne le CNOP aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.