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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 novembre 1998, n° 1996-01938

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hebdo Mag France (SA)

Défendeur :

Chavinier (ès qual.), Editions La Bastille (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Me Olivier, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Casalonga, Castel.

CA Paris n° 1996-01938

20 novembre 1998

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Hebdo Mag France d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris, le 23 octobre 1995 dans un litige l'opposant à Me Chavinier ès qualités de liquidateur judiciaire de la société des Editions de la Bastille.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Editions de la Bastille avait entrepris de publier un journal d'annonces hebdomadaires intitulée Le Filon, dont le premier numéro est paru début mars 1994. Elle avait été assignée, en avril 1994, devant le tribunal de commerce, par SINPA devenue Hebdo Mag, éditrice de La Centrale des Particuliers qui lui reprochait d'avoir employé à l'occasion du lancement du Filon, divers agissements constitutifs selon elle de concurrence déloyale et parasitaire (démarchage systématique de ses clients annonceurs, reprise du texte de ses annonces, dénigrement...).

Editions de la Bastille ayant été mise en liquidation de biens le 10 novembre 1994, Hebdo Mag avait mis en cause Me Chavinier ès qualités de liquidateur. Me Chavinier ès qualités avait conclu au débouté invoquant le principe de la liberté de la concurrence, faisant valoir que le démarchage était libre et que son adversaire n'était pas propriétaire de ses clients.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris par lequel le tribunal a débouté Hebdo Mag de toutes ses demandes en estimant que " la démarche commerciale d'Editions de la Bastille, quoique s'inscrivant dans une situation concurrentielle sévère ne pouvait être qualifiée de concurrence déloyale ".

Ayant interjeté appel, Hebdo Mag poursuit la réformation du jugement. Elle prie la Cour :

- de dire qu'Editions de la Bastille a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

- de condamner Editions de la Bastille et Maître Chavinier ès qualités à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts,

- d'interdire à Editions de la Bastille et Maître Chavinier ès qualités la poursuite de ces agissements sous astreinte définitive de 10 000 F par infraction constatée,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 10 journaux ou revues au choix de la Société Hebdo Mag France et aux frais de la Société Editions de la Bastille et de Maître Chavinier ès qualités,

- de condamner Editions de la Bastille et Maître Chavinier ès qualités à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Me Chavinier ès qualités conclut à la confirmation et réclame une indemnité de 50 000 F pour ses frais irrépétibles.

Hebdo Mag ayant pris de nouvelles écritures pour indiquer qu'elle réclamait des fixations de créances pour les montants des condamnations à dommages intérêts qu'elle sollicitait primitivement, Me Chavinier a conclu au rejet de ces demandes en exposant qu'Hebdo Mag avait au mépris des dispositions de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 procédé à une déclaration de créance évaluée " à titre provisionnel " à 1 040 000 F.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que reprenant son argumentation de première instance, Hebdo Mag expose :

- qu'Editions de la Bastille, en vue du lancement du premier numéro de sa revue et pour les publications des numéros suivants a systématiquement démarché ses clients et pillé ses annonces, en faisant téléphoner aux annonceurs dont le nom et le numéro de téléphone apparaissent dans La Centrale des Particuliers pour leur faire proposer d'en poursuivre gratuitement la publication dans Le Filon,

- qu'elle a reproduit purement et simplement le texte des annonces parues dans sa revue, s'épargnant les frais qu'elle-même expose pour confier à des rédacteurs très spécialisés la mise en forme des annonces,

- qu'Editions de la Bastille a commis également des actes de dénigrement à son préjudice ;

Considérant qu'il ressort du dossier que les démarcheurs d'Editions de la Bastille téléphonaient aux annonceurs de La Centrale des Particuliers, en leur présentant un argumentaire versé aux débats, non contesté par l'intimé et rédigé ainsi qu'il suit :

" Je vous appelle à propos de l'annonce que vous avez passée dans La Centrale des Particuliers.

1/ Je voudrais en effet vous proposer de repasser complètement gratuitement votre petite annonce dans Le Filon sans autre démarche complémentaire que votre accord.

Le Filon est un Nouveau Journal de petites annonces. Il sort le 3 mars prochain (depuis le 3 mars dernier) et il est vendu à 50 000 exemplaires dans tous les kiosques de Paris et de la banlieue parisienne pour 10 F seulement.

Cela vous coûtera zéro franc et cela vous permet de trouver acquéreur plus rapidement.

Vous êtes d'accord ?

2/ Alors je vous relis le texte de votre annonce et je vous demande de m'arrêter si vous désirez certains termes.

3/ Avant de vous quitter souhaitez-vous publier votre annonce dans Le Filon deux semaines consécutives et cela toujours gratuitement bien sur ? " ;

Considérant que l'appelante produit encore des planches qui comportent en regard des annonces parues dans Le Filon, les annonces correspondantes précédemment publiées dans La Centrale des Particuliers ; que les premiers reproduisent pour la plupart mot pour mot celles du journal de l'appelante ;

Considérant qu'Hebdo Mag communique également la lettre-type qu'elle envoyait à ses annonceurs pour leur proposer, en cas de première parution infructueuse, de publier à nouveau leur annonce à des tarifs présentés comme préférentiels (150, 230, et 300 F respectivement pour 1, 2 ou 3 semaines) ;

Considérant que Me Chavinier es qualités fait valoir en réplique :

- qu'Hebdo Mag n'est pas propriétaire du fichier clientèle composé de ses annonceurs particuliers passant des offres d'achat et ventes ponctuelles et qu'elle permet à tous d'utiliser la liste de ses annonceurs en divulguant leurs nom et adresse dans le corps de l'annonce,

- que l'action en concurrence déloyale ne sanctionne en aucun cas le démarchage, même systématique, et que le démarchage effectué par le journal Le Filon, n'a nullement constitué une manœuvre visant à désorganiser le commerce d'Hebdo Mag,

- que toutes les annonces publiées dans Le Filon l'ont été avec l'accord express des annonceurs en leur donnant un aspect original propre au journal Le Filon, dont " le démarcheur téléphonique proposait à l'annonceur de modifier le texte de son annonce, manifestant ainsi le caractère non déterminant de la présentation initiale de l'annonce par les services de La Centrale des Particuliers ",

- que Le Filon n'a commis aucun acte de dénigrement, et n'a jamais cherché à jeter le discrédit sur Hebdo Mag ou son activité ;

Considérant, sur le grief de dénigrement, que le tribunal doit être approuvé d'avoir estimé qu'aucun élément ne justifiait à cet égard les allégations d'Hebdo Mag ; que si les démarcheurs du Filon indiquaient à leurs interlocuteurs que leur offre leur permettrait de vendre plus rapidement, leurs propos qui impliquaient seulement que cette publication supplémentaire était de nature à favoriser la réussite de leur projet, sans comporter d'attaque contre la Centrale des Particuliers ou d'appréciation défavorable sur les services de celle-ci;

Considérant en revanche que le démarchage des annonceurs de La Centrale des Particuliers aux fins de leur proposer la publication gratuite d'annonces reproduisant celles déjà parues dans ce journal et rédigées par les rédacteurs de celui-ci, constitue contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges un comportement fautif, en ce qu'il emportait imitation servile des prestations de services de l'appelante, et aboutissait à un détournement déloyal de commandes, puisque les annonceurs, qui, à défaut, auraient payé Hebdo Mag pour faire repasser leur annonce, étaient incités à faire procéder gratuitement à de nouvelles publications dans le Filon;

Considérant que ces éléments suffisent à caractériser des actes fautifs de concurrence déloyale, engageant la responsabilité d'Editions de la Bastille ;

Considérant que les faits incriminés étant antérieurs à la mise en liquidation de l'intimée, et en l'absence de déclaration de créance répondant au prescription de l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 (puisqu'une déclaration n'a été faite à titre provisionnel, ce qui n'est admis que pour le trésor et les organismes sociaux) les demandes de condamnations pécuniaires pour couvrir le coût de publications et de dommages intérêts sont irrecevables et ne peuvent pas donner lieu à des fixations de créance ; qu'il sera en revanche fait droit aux demandes de mesures d'interdiction ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Hebdo Mag une indemnité de 20 000 F pour ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau et ajoutant ; Dit que la Société Editions de la Bastille a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Hebdo Mag France ; Fait interdiction à la société Editions de la Bastille et Me Chavinier ès qualités de poursuivre ces actes sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée passé la signification du présent arrêt ; Condamne Me Chavinier ès qualités à payer à la société Hebdo Mag France la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne Me Chavinier ès qualités aux dépens de première instance et d'appel ; Admet Me Olivier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.