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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 6 novembre 1998, n° 1996-13346

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Dumont, Minerstone (SA), Vannitesen, Amonit (Sté), Lebreton (ès qual.)

Défendeur :

Weber et Broutin (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Fanet, SCP Goirand

Avocats :

Mes Catoni, Corouge, Drye.

T. com. Créteil, 5e ch., du 1er juin 199…

1 juin 1993

LA COUR statue sur l'appel relevé par Noël Dumont du jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, rendu le 16 mars 1995, par le tribunal de commerce de Créteil qui l'a condamné solidairement avec Marcel Vannitsen et les sociétés Minerstone et Amonit, à payer à la société Weber et Broutin, venant aux droits de la société des Ciments Métalliques, la somme de 2 000 000 F, ainsi que celle de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Il est fait référence aux énonciations du jugement déféré ainsi qu'aux conclusions des parties pour l'exposé des faits, des prétentions et moyens initialement développés. Il suffit de rapporter les éléments essentiels suivants.

Par arrêt du 10 février 1995, la quatrième chambre de cette Cour a, d'une part, confirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris, en date du 1er juin 1993, ayant dit que la société des Ciments Métalliques avait fait l'objet d'actes de concurrence déloyale de la part des sociétés Minerstone et Amonit, de Noël Dumont et de Marcel Vannitsen, fait interdiction à ces derniers de fabriquer et de diffuser les produits, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée, ordonné une expertise en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, alloué à la société des Ciments Métalliques une somme de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et, d'autre part ajoutant au jugement du 1er juin 1993, a condamné in solidum Noël Dumont, Marcel Vannitsen, les sociétés Minerstone et Amonit à verser à la société Weber et Broutin une indemnité provisionnelle de 200 000 F, ainsi qu'une somme supplémentaire de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

C'est dans ces conditions que le jugement déféré, statuant au vu du rapport d'expertise déposé par M. Chevalier a pu reconstituer le chiffre d'affaires et les marges réalisés au cours des années 1990 à 1992 par la société des Ciments Métalliques et la société Minerstone, respectivement sur les produits " Gaystone " et " Amonit Minerstone ", a retenu que le préjudice subi par la société Weber et Broutin au cours de ces années et du premier semestre 1993, correspondait, en ce qui concerne les clients de la société des Ciments Métalliques démarchés par la société Minerstone, à la perte de marge subie par la société Minerstone et, en ce qui concerne les autres clients, à la marge réalisée par la société Minerstone.

Appelant, Noël Dumont fait valoir, pour l'essentiel qu'il n'aurait eu aucune participation dans la société Amonit, fabricant du produit " Amonit Minerstone ", qu'en sa qualité d'actionnaire minoritaire de la société Minerstone dont il se serait désengagé, en 1992, en vendant ses actions et dans laquelle il n'aurait jamais exercé ses fonctions d'administrateur, il aurait tout ignoré des agissements de ces dernières, si bien que sa responsabilité ne saurait être retenue, si ce n'est de manière symbolique.

En conséquence, il prie la Cour, par voie d'infirmation, de la condamner à payer à la société Weber et Broutin la somme symbolique de 1 F à titre de dommages-intérêts.

Par acte du 3 octobre 1997, Noël Dumont a fait assigner en reprise d'instance Me Florence Lebreton, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Minerstone, déclarée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bourges en date du 14 février 1997.

Intimée, la société Weber et Broutin conclut à la confirmation du jugement dont appel et sollicite une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle observe, en premier lieu, que Noël Dumont, en sa qualité d'actionnaire et d'administrateur de la société Minerstone dont l'objet était similaire à celui de la société des Ciments Métalliques, ne pouvait ignorer qu'il participait à la création et au développement d'une entreprise de nature à concurrencer de manière déloyale la société des Ciments Métalliques et, en second lieu que la demande de l'appelant se heurterait à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris ayant définitivement jugé qu'il avait, par son action, concouru à l'entier dommage subi par la société des Ciments Métalliques.

Noël Dumont qui sollicite le bénéfice de ses précédentes écritures rétorque qu'il aurait été écarté de la gestion de la société Minerstone, que sa signature aurait été contrefaite sur les statuts et qu'en l'absence de documents justifiant qu'il aurait régulièrement été convoqué aux assemblées et tenu informé des agissements de la société sa responsabilité ne saurait être engagée.

Dans ses écritures en réplique, la société Weber et Broutin précise son argumentation antérieure.

Intimée et appelant incident, Marcel Vannitsen conteste :

- d'une part, tout acte de concurrence déloyale en raison de son rôle de simple représentant de la société Amonit, administrateur de la société Minerstone,

- d'autre part, les conclusions de l'expert ainsi que l'évaluation du préjudice opérée par le tribunal, motifs pris de l'absence de spécificité du produit et de sa distribution par un réseau distinct, la société Minerstone ayant vendu le produit litigieux directement aux entreprises, tandis que la société des Ciments Métalliques aurait écoulé son produit auprès des négociants, si bien que la distinction entre les clients communs et clients non communs opérée par l'expert ne serait pas pertinente.

Il demande en conséquence, à la Cour, à titre principal, de débouter la société Weber et Broutin de l'intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions le montant des dommages-intérêts alloués à la société Weber et Broutin.

Dans ses écritures complémentaires, Marcel Vannitsen ajoute que le préjudice de la société des Ciments Métalliques, qui ne saurait être supérieur à la marge réalisée par la société Minerstone sur les clients communs, ne pourrait excéder 576 000 F.

Dans ses ultimes conclusions, Noël Dumont, maintient ses précédentes demandes et, soutenant qu'il n'aurait pas signé les statuts de la société Minerstone, il sollicite une expertise en écritures. Par ailleurs, il s'associe, à titre subsidiaire, à l'argumentation développée par Marcel Vannitsen quant au montant du préjudice subi par la société des Ciments Métalliques.

La société Weber et Broutin qui rappelle que l'arrêt de la Cour d'appel en date du 10 février 1994 a acquis autorité de la chose jugée, de sorte que Noël Dumont et Marcel Vannitsen ne peuvent plus, ni contester leur responsabilité, ni la spécificité du produit, fait valoir que son préjudice résulte de la diffusion de son savoir-faire spécifique, de la stagnation, puis de la diminution de son chiffre d'affaire, alors que la société Minerstone augmentait le sien en pratiquant des prix inférieurs à ceux de la société des Ciments Métalliques, et, enfin de la perte d'une chance d'un développement accru.

Assignée en la personne de son Président Directeur Général, la société Minerstone n'a pas constitué avoué.

Assignée et réassignée, à deux reprises, en intervention forcée, les actes ayant, à chaque fois, été délivrés en son étude à une personne habilitée, Me Florence Lebreton, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Minerstone, n'a pas constitué avoué.

Assignée et réassignée, à deux reprises, dans les formes prévues aux articles 684 et suivants du nouveau code de procédure civile, la société Amonit, n'a pas constitué avoué.

Il sera, en conséquence, statué par arrêt réputé contradictoire.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que le pourvoi formé par la société Minerstone à l'encontre de l'arrêt rendu par la quatrième chambre de cette cour, 10 février 1995, a été rejeté ;

Qu'il s'ensuit que cet arrêt est définitif, notamment en ce qu'il a retenu, d'une part que le " Gaystone " était un produit spécifique n'ayant pas de concurrent en France avant qu'il ne soit distribué par les sociétés Minerstone et Amonit, constituées par le directeur technique de la société des Ciments Métalliques et d'anciens agents commerciaux, dont Marcel Vannitsen et Noël Dumont, administrateur de la société Minerstone, et, d'autre part que l'action concertée de ces derniers qui ont reconstitué au profit des sociétés Minerstone et Amonit l'ancienne force de vente de la société des Ciments Métalliques constituait de leur part une concurrence déloyale et parasitaire dont la société Weber et Broutin était en droit de se prévaloir ;

Qu'en conséquence, Noël Dumont et Marcel Vannitsen ne sauraient, à nouveau, contester, tant leur responsabilité, que les actes de concurrence déloyale dont la société des Ciments Métalliques a été victime ;

Qu'il y a donc lieu de rejeter la demande d'expertise en écriture formée par Noël Dumont, laquelle a pour but de contester son rôle au sein de la société Minerstone et partant sa responsabilité, définitivement reconnue, dans les actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert Chevalier que le chiffre d'affaires réalisé par la société des Ciments Métalliques sur les produits " Gaystone " a stagné au cours des années 1989, 1990 et 1991, qu'il a baissé en 1992 de plus de 15 %, mais que cette baisse est moins importante que celle subie pour les autres produits vendus par l'intimée ; que la société Minerstone, constituée en septembre 1990 a réalisé, à compter de cette date jusqu'au 31 décembre 1992, un chiffre d'affaire total de 3 376 000 F, sur le produit " Amonit Minerstone ", dont 1 492 000 avec des clients de la société des Ciments Métalliques ; que les négociants représentent plus de 50 % de la clientèle de cette dernière et 30 % de celle de la société Minerstone ; que la marge coût matière première réalisée par la société des Ciments Métalliques sur le produit " Gaystone " est de 72,22 %, tandis que celles des sociétés Minerstone et Amonit s'élèvent respectivement à 60, 75 % et 14,67 % ; que faute d'éléments quant aux frais généraux et aux coûts salariaux, l'expert n'a pu déterminer la marge nette de la société des Ciments Métalliques ;

Qu'il en résulte que la stagnation du chiffre d'affaires de la société des Ciments Métalliques est antérieure à la commercialisation du produit " Amonit Minerstone " ;

Qu'au vu de ces éléments, le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire subis jusqu'à la fin du premier semestre 1993 par la société Weber et Broutin, venant aux droits de la société des Ciments Métalliques, correspond, d'une part à la diffusion de son savoir-faire spécifique ainsi qu'à la perte de marge nette sur ses clients démarchés par la société Minerstone et, d'autre part, à la perte de chance de voir accroître son chiffre d'affaires en raison de la fabrication par la société Amonit d'un produit identique au " Gaystone " et à sa commercialisation par la société Minerstone;

Que ce préjudice, qui ne saurait être équivalent à la marge nette de la société Minerstone, sera exactement réparé par l'octroi d'une somme de un million de francsque Noël Dumont, Marcel Vannitsen et la société Amonit, seront condamnés in solidum à lui verser ;

Qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à l'encontre de la société Minerstone, déclarée en liquidation judiciaire, que, toutefois, la société Weber et Broutin justifiant avoir régulièrement produit sa créance entre les mains du mandataire liquidateur, la Cour fixera le montant de celle-ci à la somme de un million de francs ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Weber et Broutin les frais non recouvrables de procédure par elle exposés en première instance et en cause d'appel ; qu'il convient de lui allouer, à ce titre, la somme de 15 000 F ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne les dépens, Condamne in solidum, Noël Dumont, Marcel Vannitsen et la société Amonit à payer à la société Weber et Broutin la somme de un million de francs à titre de dommages-intérêts, Fixe la créance de la société Weber et Broutin au passif de la liquidation judiciaire de la société Minerstone à la somme de un million de francs, Condamne in solidum, Noël Dumont, Marcel Vannitsen, la société Minerstone et la société Amonit à payer à la société Weber et Broutin la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties, Condamne, in solidum, Noël Dumont, Marcel Vannitsen, la société Minerstone et la société Amonit aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP Fanet, avoué, conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.