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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 5 novembre 1998, n° 8996-96

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Glock France (SA), Girard

Défendeur :

Becheret (ès qual.), Neral (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

Me Binoche, SCP Merle & Carena-Doron, SCP Jullien-Lecharny-Rol

Avocats :

Mes Marchi, Chouamier.

T. com. Nanterre, 9e ch., du 5 nov. 1996

5 novembre 1996

Faits et procédure

La société Neral, ayant pour activité la distribution de matériel destiné à l'identité judiciaire et aux laboratoires d'enquêtes, se compose pour l'essentiel d'un service commercial limité à Monsieur Capmas, créateur de la société et Madame Anne Girard qui occupa les fonctions entre janvier 1984 et décembre 1994.

Au décès de Monsieur Capmas, son fils Arnaud a repris la société.

Madame Girard a démissionné le 15 décembre 1994 et a été embauchée dès le mois de janvier 1995 par la société Glock France, développant la même activité.

La société Neral a estimé avoir fait l'objet de débauchage de personnel, ainsi que d'actes de dénigrement et parasitisme imputables à la société Glock et Madame Girard.

Dans ces circonstances, elle a saisi le tribunal de commerce de Nanterre afin de voir la société Glock France et Madame Girard condamnés solidairement à réparer le préjudice subi.

Par un jugement en date du 5 novembre 1996, cette juridiction a retenu les demandes fondées sur le débauchage et le parasitisme constatant que la société Glock France avait repris les photographies et référencements de la société Neral dont les erreurs transposées d'un catalogue à l'autre trahissent une " copie servile ". Le tribunal les a condamnées pour débauchage et concurrence déloyale à l'encontre de la société Neral dont la cessation des paiements a été provoquée et a fixé la réparation à 1.000.000 F, outre l'allocation de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Appelante de cette décision, la société Glock France fait grief aux premiers juges d'avoir retenu le débauchage de Madame Girard alors qu'aucun acte de concurrence déloyale ne saurait être retenu de ce chef en l'absence de la violation d'une clause de non-concurrence qui n'existait pas en l'espèce.

De même, il fait grief aux juges de ne pas avoir tiré les conséquences de droit de leur analyse concernant la prétendue copie des catalogues justifient la condamnation pour parasitisme : les catalogues en question ne contenaient des similitudes que parce qu'ils sont constitués de deux éléments, photographies et référencements fournis par les mêmes fournisseurs. D'autre part, la société Glock France relève des dissemblances tenant à la présentation et à la présence dans son catalogue d'articles nouveaux. En droit les actes de concurrence déloyale ne sauraient être retenus que si l'imitation litigieuse est de nature à créer une confusion préjudiciable dans l'esprit de la clientèle ; il ne peut en être ainsi d'une ressemblance partielle de documents destinés exclusivement à des professionnels du commerce.

Enfin, la concluante sollicite la confirmation du jugement sur le point du dénigrement et considèrent la procédure abusive et infamante. Elle demande 100.000 F de dommages et intérêts et de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire, la société Glock France conteste l'évaluation du préjudice qu'aucun élément fiable ne permet d'établir.

La société Neral a été placée en liquidation judiciaire et Maître Becheret poursuit l'instance ès qualités de liquidateur judiciaire.

Maître Becheret conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande fondée sur le dénigrement. Elle retient en premier lieu que le débauchage est constitutif de concurrence déloyale dès lors qu'il vise à la désorganisation de l'entreprise concurrente ; qu'il a pour but d'utiliser les connaissances acquises par l'employé et de détourner une clientèle.

En l'espèce ces faits sont évidents comme l'a retenu le tribunal.

En second lieu, la concluante relève que le dénigrement a bien eu lieu et était imputable à la société Glock France et Madame Girard ces derniers ont pris contact avec la clientèle de la société Neral lui laissant entendre que celle-ci était en cessation de paiement.

En troisième lieu, Maître Becheret ès qualités considère que l'imitation du catalogue suffit à caractériser la concurrence déloyale ; en dehors des éléments fournis par les fournisseurs certains éléments permettent d'établir cette imitation. Au surplus la confusion a pu être établie.

Enfin, la concluante sollicite la capitalisation des intérêts et forme appel incident en ce qui concerne le montant du préjudice qu'elle avait initialement fixé à 2.500.000 F, ainsi que sur sa demande d'interdiction sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée de la diffusion et de l'utilisation du catalogue Glock France.

En outre, elle sollicite la confirmation concernant la publication de la condamnation dans trois journaux et une allocation complémentaire de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame Girard, intimée, fait siennes les conclusions développées par la société Glock et sollicite l'allocation d'une somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Maître Becheret ès qualités estime la responsabilité de Madame Girard clairement engagée dans les actes de dénigrement et de parasitisme.

Sur ce, LA COUR,

Sur le débauchage de Madame Girard,

Attendu que Madame Girard, qui était employée par la société Neral depuis près de onze ans, a donné sa démission par lettre en date du 15 décembre 1994, demandant à être dispensée de son préavis de trois mois et à quitter définitivement son travail dès le 20 décembre (pièce 3) ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'à la suite de cette démission, Madame Girard a, dès janvier 1995, été employée par la société Glock France ;

Attendu que Madame Girard n'était tenue par aucune clause de non-concurrence ;

Attendu que peu de temps avant qu'elle ne donne sa démission, Madame Girard avait été convoquée (le 25 juin 1994, pour le 16 août 1994) à un entretien préalable à un éventuel licenciement; qu'il lui avait été précisé que la société connaissait une importante baisse d'activité ;

Attendu que, dans de telles conditions, il était légitime, de la part de Madame Girard, non tenue par une quelconque clause de non-concurrence, de rechercher, avant même de donner sa démission, un nouvel emploi, dès lors qu'elle nourrissait des craintes sur la stabilité de celui qu'elle occupait ; qu'ainsi, à supposer que, comme l'allègue Maître Becheret ès qualités, Madame Girard ait trouvé son emploi à la société Glock France avant d'avoir donné sa démission, ce seul élément ne saurait être constitutif d'une faute de sa part ;

Attendu, en ce qui concerne le débauchage de Madame Girard imputé à la société Glock France qu'il n'est ni démontré ni même avancé avec des éléments en assurant la vraisemblance que le départ de Madame Girard de la société Neral et son embauche par la société Glock France auraient été provoqués par cette dernière ;

Sur le dénigrement,

Attendu que la société Neral n'apporte aucun élément de preuve qui démontrerait que la société Glock France ou que Madame Girard l'aurait dénigrée auprès de clients ou correspondants ; que les écritures de la société Glock France selon lesquelles les inquiétudes des fournisseurs et clients de la société Neral étaient fondées puisqu'aujourd'hui cette société est en liquidation judiciaire ne sauraient nullement démontrer l'existence dudit dénigrement ;

Sur le parasitisme,

Attendu que le catalogue Glock France 1995 présente, avec le catalogue Neral 1994, des similitudes considérables qui ne peuvent en aucun cas être ni le fait du hasard, ni induites par la reprise de références communes ;

Attendu, ainsi, que l'un et l'autre des deux catalogues comportent un texte de présentation des différentes classes de produits, des photographies et des références ;

Attendu, en ce qui concerne les textes de présentation, que certaines des phrases du catalogue Neral 1994 se retrouvent, à l'identique ou presque, dans le catalogue Glock 1995 ; qu'ainsi la phrase (qui constitue un paragraphe à elle seule) " Parfois, l'apposition seule du doigt sur une surface molle comme le mastic laissera une empreinte valable " se retrouve sous une forme identique (à l'exception de " valable " remplacée par " en relief visible " et constituant aussi un paragraphe à elle seule ; que la phrase " les trois glandes sudoripares principales du corps humain sont : la glande eccrine, la glande sébaccès (sic) et la glande apocrine ", suivie d'un tableau détaillant les " composants non-organiques " et les " composants organiques " des sécrétions de ces glandes se retrouve dans le catalogue Glock " il existe trois glandes sudoripares principales dans le corps humain : les glandes eccrines, les glandes sébacées et les glandes apocrines. Les sécrétions de ces glandes sont les suivantes : " suivie du même tableau à une très légère variante près, présenté de façon identique, les " composants non-organiques " étant cependant appelés " composants inorganiques " ; que les textes de présentation d'autres classes de produits présentent des similitudes du même ordre (pages 36 du catalogue Neral et 34 du catalogue Glock, 53 du catalogue Neral et 72 du catalogue Glock) ;

Attendu, en ce qui concerne les photographies, que nombre d'entre elles sont identiques, y compris certaines d'entre elles qui présentent non le produit seul, mais le produit en situation ; qu'il en est ainsi, par exemple, des photographies de vêtements de protection (page 88 du catalogue Neral et page 91 du catalogue Glock); que Glock ne saurait valablement prétendre qu'il s'agit de la simple reprise des photographies des fournisseurs dès lors qu'elle précise, en fin de son catalogue, que " le droit à la reproduction des textes et illustrations de ce catalogue est réservé " ;

Attendu enfin, en ce qui concerne les références des produits, que Neral fait exactement observer que certaines de ses références, loin d'être la simple reprise des références fournisseur, sont des références propres, lesquelles ont été reprises, à l'identique, dans le catalogue Glock ; qu'il en est ainsi, notamment, des produits référencés par la société Neral et, à sa suite, par la société Glock, " CYA 241 ", " SPR 100 ", " TP1 " ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que le catalogue Glock est une reprise, plagiaire, qui se nourrit de la substance et de la forme du catalogue Neral; que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il y avait là des actes de parasitisme de la part de Glock au détriment de Neral ;

Attendu que le rôle personnel de Madame Girard dans ces agissements n'est pas démontré, rien ne prouvant son activité propre, le plagiat du catalogue Neral ayant pu être effectué sans même son concours ;

Attendu que l'attitude parasitaire de la société Glock, à l'égard d'une société dont elle connaissait les difficultés financières - Madame Girard, ancienne employée de la société Neral qui, comme il vient d'être dit, connaissait elle même parfaitement lesdites difficultés, occupant le poste de " directeur " au sein de Glock France - a causé à la société Neral un préjudice très important ;que la cour dispose des éléments d'appréciation pour le fixer à 1.500.000 F ;

Attendu que, compte tenu du caractère plagiaire du catalogue Glock France, il échet de faire droit à la demande d'interdiction de diffusion et d'utilisation qui en est faite par Maître Becheret, la société Glock France n'avançant aucun moyen - à l'exclusion de la contestation du plagiat - pour s'opposer à cette demande ;

Attendu que, pour les mêmes motifs, il échet de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a ordonné la publication de la condamnation ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de la société Glock France à payer à la société Neral la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; qu'en revanche l'équité s'oppose à condamnation à quelque somme, sur ce fondement, au profit de Madame Girard ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement déféré en ce qu'il condamné Madame Girard ; le confirme sur le principe de la condamnation de la société Glock France pour parasitisme et sur la condamnation à publication de la décision ; l'émendant, condamne la société Glock France à payer à Maître Becheret ès qualités la somme de 1.500.000 F ; statuant plus avant, fait interdiction à la société Glock France, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée, de diffuser et utiliser un catalogue en l'état du catalogue 1995 ; la condamne à payer à Maître Becheret ès-qualités la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de Madame Girard ; condamne Glock France aux dépens ; admet les SCP Merle Carena Doron et Jullien Lecharny Rol au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ;