CA Bordeaux, 1re ch. A, 2 novembre 1998, n° 94004414
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Scotch Whisky Association (Sté)
Défendeur :
Reau Richard et Cie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bizot
Conseillers :
M. Cheminade, Mme Carbonnier
Avoués :
SCP Boyreau, SCP Arsène-Henry & Lancon
Avocats :
Mes Borysewicz, Sarfaty.
Faits - procédure - prétentions des parties
1. La Société Anonyme Reau Richard et Cie, dont le siège est à Cognac (17) a commercialisé durant plusieurs années des boissons spiritueuses sous quatre noms : "Royal Club", "Golf Club", "Ligger's" et "Royal Dream", avec une dénomination de vente initialement énoncée "whisky".
Postérieurement à la publication du règlement européen CEE n° 1576-89 du 26 mai 1989 a précisé les caractéristiques de la boisson spiritueuse susceptible de la dénomination "whisky", la Société Reau Richard et Cie a supprimé sur les étiquettes de ses boissons la mention "whisky", pour la remplacer par celle de "spiritueux au whisky".
La personne morale de droit écossais "Scotch Whisky Association" (la SWA), considérant d'abord que la boisson ainsi commercialisée par la Société Reau Richard et Cie n'était qu'une boisson spiritueuse constituée d'alcool neutre mélangé avec une petite quantité de whisky, ensuite que les étiquettes des bouteilles vendues sous ces quatre noms comportaient des mentions ou dessins ou symboles évoquant l'Ecosse, a, par acte du 27 novembre 1992, assigné cette société en réparation, en interdiction d'usage sous astreinte et publication du jugement à intervenir, en lui faisant grief d'une tromperie sur la nature du produit, pour avoir, avant comme après l'entrée en vigueur du règlement européen, utilisé les dénominations "whisky" ou "spiritueux au whisky", et d'une tromperie sur l'origine du produit pour avoir utilisé sur les étiquettes initiales ou modifiées des mentions ou dessins directement évocateurs de l'Ecosse.
La Société Reau Richard et Cie (la Société RRC) a conclu au débouté et a réclamé réparation pour abus de procédure.
2. Par jugement contradictoire du 6 mai 1994, le Tribunal de Commerce de Cognac a "rejeté l'accusation formulée par la demanderesse pour tromperie sur la nature du produit faute de preuve", a décidé que " l'étiquette "Royal Club" dans sa dernière version n'est pas constitutive de concurrence déloyale à l'encontre du whisky en général et du Scotch Whisky en particulier, mais que la défenderesse devra utiliser cette seule étiquette ", a rejeté " les demandes de la Scotch Whisky Association concernant l'étiquette "Ligger's" dont la production est abandonnée ", a décidé que " la dernière étiquette "Golf Club" ne constitue pas une concurrence déloyale sous réserve de la modifier en utilisant les mêmes caractères pour les mots "spiritueux au whisky" comme pour l'étiquette "Royal Club", a rejeté " les demandes de la Scotch Whisky Association concernant l'étiquette "Royal Dream" dont la production est abandonnée", a " accordé à la Société Scotch Whisky Association un franc symbolique de dommages et intérêts pour le préjudice moral pouvant provenir des étiquettes précédentes abandonnées qui ont pu créer par le passé une certaine confusion bien qu'aucun consommateur ne se soit plaint ", a dit n'y avoir lieu à publication du jugement, a débouté les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du Code de Procédure Civile, a débouté la Société Reau Richard et Cie de sa demande de dommages et intérêts et l'a condamnée aux dépens, en refusant l'exécution provisoire.
3. La Scotch Whisky Association a régulièrement relevé appel par déclaration du 21 juillet 1994.
La Scotch Whisky Association (dite ci-après la S.W.A.) demande à la Cour de déclarer son appel recevable et bien fondé, et de :
- constater qu'en commercialisant sous la dénomination de vente "Whisky" avant et après le 15 décembre 1989, date d'entrée en vigueur du Règlement Européen n° 1576-89, des boissons spiritueuses ne correspondant pas à un alcool de céréales, puis ne répondant pas à la définition du whisky telle qu'elle figure à l'article 1-4 b) du Règlement, la Société Reau Richard s'est rendue coupable de tromperie sur la nature du produit,
- constater qu'en commercialisant ensuite sous la dénomination de vente "Spiritueux au Whisky", quelle que soit la calligraphie de ces deux mots, des boissons ne répondant pas aux articles 1-4 b), 5 et 9 du Règlement n° 1576-89, la Société Reau Richard se rend également coupable de tromperie sur la nature du produit,
- interdire à la Société Reau Richard de faire usage du mot "Whisky" pour toute boisson spiritueuse ne répondant pas à la définition de l'article 1-4 b) du Règlement et ce, dans les huit jours de la décision à intervenir et sous astreinte de 1.000 Francs par infraction constatée,
- interdire à la société Reau Richard de faire usage de la dénomination de vente "spiritueux au Whisky", quelle que soit la calligraphie utilisée, pour toute boisson composée d'un mélange à base de whisky et ce, dans les huit jours de la décision à intervenir et sous astreinte de 1.000 Frs par infraction constatée,
- constater qu'en commercialisant ou en ayant commercialisé des boissons spiritueuses qui ne sont pas exclusivement composées de Scotch Whisky sous des étiquettes comportant le dessin de chardons et/ou une couronne, et/ou la représentation et/ou le mot "golf", et/ou une référence à une société au nom typiquement écossais et/ou domicilié en Ecosse, la société Reau Richard se rend coupable de tromperie sur l'origine du produit,
- interdire en conséquence, à la société Reau Richard de faire usage d'étiquettes comportant un ou plusieurs de ces éléments pour la commercialisation de toute boisson spiritueuse autre que du Scotch Whisky et ce, dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 1.000 Frs par infraction constatée,
- constater que l'ensemble des ces agissements sont consécutifs de concurrence déloyale à l'encontre de la SWA et sont à l'origine d'un préjudice,
- condamner, en conséquence, la société Reau Richard à payer à la SWA une somme de 200.000 Frs à titre de dommages-intérêts,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans les trois journaux ou magazines au choix de la SWA et aux frais de la défenderesse sans que le coût de chaque insertion soit inférieur à 10.000 Frs HT,
- condamner la société Reau Richard à verser à la SWA la somme de 20.000 Frs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner la société Reau Richard aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- confirmer pour le surplus le jugement déféré.
L'appelante, qui conclut au rejet des fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir, demande encore à la Cour de :
- élargir aux produits "Grand Duc" et "Country Club" l'ensemble des demandes de la SWA à l'encontre de la société Reau Richard au titre des autres produits ;
- dire que la société Reau Richard, en donnant licence de ses marques "Golf Club" et "Royal Club 99" et en fournissant les étiquettes et les ingrédients de ces produits s'est rendue coupable de tromperie sur l'origine des produits en cause ;
- interdire à la société Reau Richard, sous astreinte de 1.000 Frs par infraction constatée de :
- licencier ses marques ou autrement permettre leur usage,
- fournir ses produits, des ingrédients quelconques et des étiquettes ou emballages, à quelque personne que ce soit qui commercialisant sous ces marques des whiskies, des produits contenant du whisky ou des produits sur lesquels figure le mot "whisky" ne correspondant pas à la réglementation applicable au Royaume-Uni ou sous une présentation contraire à la réglementation ;
- préciser que chaque bouteille contrevenante constituera une infraction séparée pour le calcul des astreintes prononcées en application de l'arrêt à intervenir.
La société Reau Richard et Cie demande à la Cour à titre principal :
- de déclarer mal fondé l'appel de la société Scotch Whisky Association et de l'en débouter,
- de faire droit à son appel incident et déclarer irrecevables les demandes de la société Scotch Whisky Association "celle-ci étant dépourvue de capacité et d'intérêt à agir",
- de condamner la société Scotch Whisky Association à lui payer une indemnité de 300.000 Frs en réparation "de l'obligation de plaider" et la somme de 50.000 Frs au titre de ses frais non taxables,
"à titre infiniment subsidiaire" de juger qu'elle ne s'est nullement rendue coupable des faits de tromperie et de concurrence déloyale reprochés par la société SWA, et de la condamner comme dit à titre principal,
enfin de condamner la société Scotch Whisky Association aux entiers dépens.
L'instruction a été close le 1er décembre 1997.
Motifs :
I. En procédure.
Alors que la date de clôture de l'instruction a été annoncée aux parties le 14 mai 1997, la société Reau Richard et Cie, à l'effet de satisfaire à deux sommations d'avoir à "communiquer ses éventuelles conclusions responsives" à elles adressées par la SWA les 4 septembre et 6 octobre 1997, a conclu "en réplique " et communiqué, le 25 novembre 1997, onze nouvelles pièces en photocopie et une en original.
Comme le soutient à juste titre la SWA par conclusions du 28 novembre 1997, ces actes de procédure sont tardifs ; la société Reau Richard et Cie ne justifie pas les motifs qui l'auraient contrainte à en retarder l'accomplissement cinq jours, dont un samedi et un dimanche, avant la date de clôture ; elle a ainsi contrevenu aux dispositions des articles 15 et 16 du Code de Procédure Civile, la SWA n'ayant pu, dans le délai restant, utilement conclure sur ces pièces et sur les arguments et moyens qui les commentent dans les dernières conclusions de son adversaire.
Il convient, en conséquence, par application des textes susvisés et de l'article 783 du Code de Procédure Civile de rejeter des débats les écritures et pièces de la société Reau Richard et Cie du 25 novembre 1997.
II. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt a agir de la société Scotch Whisky Association (appel incident de la société Reau Richard et Cie).
Contrairement à ce qui ressort à la lettre du dispositif de ses conclusions d'appel du 27 mars 1995, la société Reau Richard et Cie n'invoque pas l'exception de nullité tirée du défaut de capacité d'ester en justice de la SWA (articles 117 et suivants du Code de Procédure Civile), mais bien seulement la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt pour agir (articles 31, 32 et 122 et suivants du Code de Procédure Civile).
Faisant sienne une consultation écrite du professeur Agostini, qu'elle a versée au dossier de la Cour et régulièrement communiquée, la société Reau Richard et Cie, qui invoque cette fin de non-recevoir pour la première fois devant la Cour, fait valoir en substance d'abord que seule la loi française constitue la référence de la qualité pour agir en concurrence déloyale, action de nature délictuelle, et que la SWA, groupement de droit privé, n'a pas eu en France, à défaut d'habilitation particulière, qualité pour opposer aux tiers le but fixé par ses statuts, situation qui le prive ici de toute qualité pour attaquer quiconque se rattacherait indûment au whisky écossais produit par les professionnels qu'elle regroupe ; ensuite que la SWA n'a pas qualité pour agir en concurrence déloyale au nom de la collectivité des producteurs écossais dont ses membres ne constituent qu'une partie ; enfin, qu'à supposer la SWA regroupant la totalité des professionnels du whisky écossais, elle n'a pas d'intérêt à agir en concurrence déloyale puisqu'elle n'exerce pas la même profession que les prétendus concurrents, alors qu'il est de principe "absolu" que "l'auteur et la victime de la concurrence déloyale doivent exercer des commerces, industries ou professions de même nature" et que la concurrence déloyale, comme la concurrence parasitaire, "suppose que la victime ait une clientèle", ce qui n'est pas le cas de la SWA.
- La SWA, qui demande implicitement à la Cour (Cf. conclusions du 23 octobre 1995), d'écarter cette double fin de non-recevoir, réplique en substance, par la voix d'une consultation du professeur Cadiet qu'elle incorpore dans ses écritures, que, personne morale pourvue de la capacité d'ester en justice, elle a un intérêt personnel légitime à agir dans le cadre de son objet social dès lors qu'elle établit par ses statuts que ceux-ci prévoient clairement son droit d'exercer toute action en justice pour assurer la défense de cet objet, et que cet objet est lui-même distinct de l'intérêt général, ce qui justifie en l'espèce, malgré l'absence de préjudice propre, qu'elle puisse agir disciplinairement en concurrence déloyale contre une société commercialisant irrégulièrement un produit de type whisky ou s'apparentant à un whisky ; que, par ailleurs, société par sa forme et association par son objet, c'est-à-dire la protection des intérêts des professionnels du commerce du whisky écossais, elle a encore intérêt à agir pour la défense collective des intérêts de ses membres ; qu'enfin elle a qualité et intérêt à agir pour la défense des intérêts de la profession toute entière des producteurs de whisky écossais, et dispose à ce titre de l'habilitation légale nécessaire au double titre des dispositions de la Convention d'Union de Paris et de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
- La fin de non-recevoir devant s'apprécier au regard de la nature du groupement auquel elle est opposée, il convient, au préalable, de qualifier celui-ci au regard des catégories du droit français, et de dire si la SWA est une société ou une association.
Suivant ses statuts et son acte constitutif, la SWA, immatriculée le 22 avril 1960 par le "greffier des sociétés", appartient à la catégorie du droit anglais des sociétés limitées par leurs garanties, n'ayant pas de capital social au sens du Companies Act de 1948. Ses membres ne font aucun apport en vue de la constitution d'un "capital" et se bornent à verser une cotisation modeste (5 livres sterling) qui constitue la limite de leur engagement propre pour contribuer aux obligations financières du groupement en cas de liquidation. Son objet est de protéger et promouvoir les "intérêts du commerce du whisky écossais en général" sur le territoire national et à l'étranger ; mais si son activité se déploie, selon les articles de son acte constitutif dans la sphère commerciale nationale ou internationale pour la défense et l'illustration de cet objet, il en ressort également que cette activité est en elle-même désintéressée, dés lors qu'à supposer que s'y réalise des opérations lucratives, l'acte constitutif exclut formellement, et selon une expression réitérée, toutes distributions ou répartitions de revenus, bénéfices ou dividendes quelconques à ses membres, ces avantages devant être expressément affectés soit à l'objet commun, soit à la gratification de groupements du même type dont elle se serait rapprochée.
Dans ces conditions, la SWA constitue un groupement du type association et non du type société civile ou commerciale, suivant la distinction énoncée tant par l'article 58 al. 2 du Traité de la CEE ("par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives et les autres personnes morales du droit public ou privé à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif"), que par la loi française du 1er juillet 1901 article 1er ("l'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager les bénéfices"). Il importe peu qu'antérieurement et dans une instance étrangère à la présente, il ait été jugé (Cour d'Appel de Paris - 30 juin 1995) que la SWA relevait de la catégorie des "sociétés commerciales". Il importe peu, encore, que l'objet de la SWA se rapporte à un "intérêt professionnel et économique", qu'en recherchant la protection du whisky écossais en général, elle poursuive un but non désintéressé ainsi que l'illustrerait l'"énormité" de sa demande indemnitaire, ces constatations, qui dérivent exclusivement de son objet social, n'ayant aucunement pour conséquence de l'ériger en groupement à finalité de partage des profits.
- Ainsi qu'il a été dit plus haut, la SWA est une association "déclarée" pourvue de la personnalité morale tant au regard de la loi anglaise que de la loi française, et comme telle disposant de la capacité d'ester en justice.
- L'acte constitutif autorise la SWA, dans le cadre de son objet global, à "agir en justice dans tout territoire du monde, tant en demande qu'en défense, afin de défendre les intérêts du commerce de "Scotch Whisky en général".
Ses statuts prévoient (article 7) que seuls peuvent être membres de l'association "toute personne physique, toute société à responsabilité limitée, toute société anonyme ou toute société de droit écossais qui exerce l'activité de distillateur ou de spécialiste du coupage de Whisky écossais ou qui est propriétaire d'une ou plusieurs marques protégées de whisky écossais ou qui exploite l'activité de courtier ou d'exportateur de whisky écossais"... "sous réserve qu'elle participe au commerce de gros de whisky écossais".
Son intérêt et sa qualité pour agir en vue de la protection en France du whisky écossais pour faire cesser en France des actes de concurrence déloyale doivent donc s'apprécier au regard des droits dévolus en France aux associations.
La SWA a incontestablement intérêt et qualité pour agir à titre personnel dés lors que, son objet social étant la protection et la promotion des intérêts du whisky écossais, les comportements commerciaux dont elle recherche, en France, la cessation, sont susceptibles de porter atteinte à cet objet social. Il est de principe que la maxime "Nul ne plaide par procureur" n'est pas applicable au droit d'une personne morale d'agir ès qualités pour la défense des intérêts collectifs de ses membres. La SWA est donc recevable, au sens de l'article 31 du Code de Procédure Civile à contester elle-même l'atteinte portée à son objet social par la commercialisation en France sous une présentation fallacieuse, et à agir en cessation et en réparation d'actes de concurrence déloyale, même si elle ne peut se prévaloir elle-même de l'exercice d'aucune activité commerciale propre, son objet social la plaçant ipso facto en position de concurrence à l'égard des commerçants visés par ce grief.
La SWA a, en outre, intérêt et qualité à agir, en tant qu'association, pour la défense de l'intérêt collectif de ses membres, et même pour la défense de l'intérêt collectif du secteur professionnel du commerce du whisky écossais en général.
D'abord,en effet, la défense, en France, par cette association écossaise de l'intérêt collectif non seulement des producteurs, conditionneurs et exportateurs écossais membres de l'association ou non constitue, au regard de la liberté du commerce et de l'industrie et de la loyauté de la concurrence, un objectif légitime.
De plus, la SWA étant une association ouverte aux seuls professionnels de l'élaboration et de la commercialisation du whisky écossais, y compris à l'exportation, l'intérêt collectif du commerce de cette boisson spiritueuse spécifique est, quant à la collectivité concernée, identifié avec exactitude.
Enfin, cet intérêt à agir puise aussi sa justification si nécessaire d'abord, quoique indirectement, dans les dispositions de la Convention de l'Union de Paris du 20 mars 1883 applicables tant au Royaume-Uni qu'en France, et spécialement dans ses articles 10 et 10 ter, qui engagent les Etats signataires à "prévoir des mesures pour permettre aux syndicats et associations représentant les industriels, producteurs ou commerçants intéressés, et dont l'existence n'est pas contraire aux lois de leur pays, d'agir en justice... en vue de la répression.., de l'utilisation directe ou indirecte d'une indication fausse concernant la provenance du produit ou l'identité du producteur, fabricant ou commerçant... et de tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale... notamment les indications ou allégations dont l'usage, dans l'exercice du commerce, est susceptible d'induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l'aptitude à l'emploi ou la quantité de marchandises" ; ensuite, indirectement encore, dans les dispositions de l'article 56 ter de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifié par la loi n° 95-95 du 1er février 1995, qui dispose que "les organisations professionnelles peuvent introduire l'action devant la juridiction civile ou commerciale pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ou du secteur qu'elles représentent ou à la loyauté de la concurrence", d'où il s'évince qu'une association telle que la SWA, qui constitue une "organisation professionnelle" de défense des intérêts du commerce du whisky écossais doit être tenue pour habilitée, à raison de son objet statutaire, à agir non seulement pour la protection des intérêts personnels, puis collectivement, de ses membres, mais encore pour celle de l'intérêt collectif du secteur commercial qu'elle soutient, promeut et défend ; enfin dans les termes du décret n° 75-1086 du 12 novembre 1975 portant publication de l'échange de lettres du 31 juillet et 11 septembre 1975 entre la France et la Grande-Bretagne concernant la protection réciproque d'appellations d'origine française et de l'appellation "Scotch Whisky", aux termes duquel l'Etat Français s'est engagé "à réserver exclusivement l'utilisation de l'appellation Scotch Whisky au seul whisky produit sur le territoire du Royaume-Uni..., de prohiber ou réprimer l'utilisation de cette appellation ou la description de tout autre whisky ou mélanges de whiskies, même si cette appellation était utilisée soit avec l'indication de la provenance véritable, soit avec l'adjonction de termes tels que genre, type, façons, ou termes similaires".
Il convient donc, dans ces conditions, à la lumière des textes susvisés, de dire qu'en raison de la spécialité du but recherché (la défense des intérêts du commerce du whisky écossais "en général" et de l'objet de sa mission, expressément prévu par les statuts (la défense et la promotion du whisky écossais au Royaume-Uni et dans le monde entier), la SWA est incontestablement recevable à agir en justice en France pour s'opposer, sous l'angle de la concurrence déloyale notamment, à des actions de commerce susceptibles de porter atteinte à l'intérêt collectif de ses membres et à l'intérêt collectif du secteur professionnel et commercial du whisky écossais qu'elle représente valablement.
Il convient, en conséquence, de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité pour agir, et de statuer sur le mérite de l'appel de la SWA.
III. Au fond
1. Sur les actes de concurrence déloyale à l'égard du whisky écossais
a - Sur les actes ou faits qualifiés de tromperie ou de confusion sur la nature du produit
- Il est constant qu'avant l'entrée en vigueur du règlement CEE n° 1576-89 du 29 mai 1989 (15 décembre 1989), l'appellation whisky ne pouvait être donnée qu'à une boisson spiritueuse composée exclusivement d'un distillat produit à partir de céréales.
- Ledit règlement "établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation de boissons spiritueuses" précise en son article 1 paragraphe 4 que le whisky ou whiskey est une boisson spiritueuse obtenue par distillation d'un moût de céréales, et doit, pour être commercialisé sous cette dénomination "répondre à la définition et aux prescriptions qui concernent la catégorie à laquelle il appartient" ; l'article 4 énonce que "l'adjonction de toute substance autre que celles autorisées par la législation communautaire ou, en l'absence de celle-ci, par les dispositions nationales fait perdre à la boisson spiritueuse en question le droit à la dénomination réservée" ; l'article 5-1 paragraphe 2 précise : "les boissons spiritueuses qui ne répondent pas aux spécifications arrêtées pour les produits définis à l'article 1 paragraphe 4 ne peuvent pas recevoir les dénominations qui y sont retenues ; elles doivent être dénommées "boissons spiritueuses" ou "spiritueux". L'article 7 dit que l'étiquetage et la présentation des boissons spiritueuses destinées au consommateur final doit être la dénomination qui lui est réservée ; l'article 9 paragraphe 1 rappelle que les boissons spiritueuses, telle le whisky ou whiskey notamment "lorsqu'elles sont additionnées d'alcool éthylique d'origine agricole ne peuvent pas porter dans leurs présentation, sous quelque forme que ce soit, le terme générique réservé" à ces boissons spiritueuses ; enfin à l'article 12 paragraphe 1 énonce que "les boissons spiritueuses destinées à l'exportation doivent être conformes au présent règlement" sauf dérogations (énumérées à l'article 12 paragraphes 2 à 4).
- Il importe peu, en l'espèce, que la société Reau Richard ait eu, antérieurement à la prise d'effet du règlement précité, l'aval des autorités administratives françaises compétentes pour commercialiser en 1981, 1984 ou 1985 des whiskies ou "Scotch Whisky" pur malt ou "blended". L'ensemble des bouteilles produites aux débats par la SWA a été acquis par celle-ci en Pologne, Jordanie, à Taiwan ou au Surinam au-delà du 26 avril 1990, et notamment en 1991 et 1992, soit à des périodes postérieures à l'entrée en vigueur dudit règlement communautaire. Ce texte est donc à juste titre retenu par la SWA comme la référence des griefs de tromperie ou de confusion sur la nature des produits spiritueux ainsi commercialisés.
- Il apparaît d'abord qu'en 1990, 1991, 1992 et au-delà encore en janvier 1994 et mars 1995, la société Reau Richard a commercialisé dans les pays étrangers n'appartenant pas à la Communauté Economique Européenne une boisson spiritueuse dénommée Royal Club 99 Finest Whisky, ou Golf Club Réserve Whisky Deluxe, ou Ligger's Blended Whisky, ou Royal Dream Blended Whisky, dont la composition s'est avérée être, aux termes d'analyses opérées par la SWA et non sérieusement contestées par l'intimée, un mélange comportant une faible quantité de whisky et une forte quantité d'alcool éthylique d'origine agricole, à savoir un alcool extrait de mélasse, c'est-à-dire de sucre résiduel.
Il est indiscutable, et il n'est pas sérieusement contesté par la société Reau Richard, que le seul fait de commercialiser alors un mélange spiritueux sous un étiquetage laissant seulement apparaître que le terme générique protégé Whisky auquel ce mélange ne pouvait prétendre, a constitué de sa part non seulement une tromperie évidente à l'égard du consommateur, mais encore un acte manifeste de concurrence déloyale à l'égard des concurrents, notamment écossais ici représentés par la SWA, commercialisant des spiritueux, constituant d'authentiques whiskies au sens de l'article 1er paragraphe 4 b précité du règlement CEE n° 1576-89.
- Il apparaît, ensuite, qu'à compter de la fin de l'année 1991, la société Reau Richard, qui avait manifestement conscience de contrevenir au règlement précité, a modifié l'étiquetage de ses bouteilles de spiritueux pour désigner le produit vendu comme "spiritueux au whisky".
Or, compte tenu de leur composition ci-dessus rappelé, le produit vendu n'était en aucun cas susceptible de bénéficier de cette dénomination, prohibée par l'article 9 précité du règlement CEE n° 1576-89 pour les whiskies additionnés d'alcool éthylique d'origine agricole.
Il résulte en effet du rapprochement des articles I.3H, 1-4, 5-1 et 9 du règlement CEE n° 1576-89 qu'aucune exception à la prohibition ainsi instituée n'a été alors retenue, qui aurait permis à la société Reau Richard d'utiliser le terme générique protégé "whisky" pour des boissons spiritueuses formées à partir d'un distillat agricole et non à partir d'un alcool éthylique d'origine agricole.Il s'en énonce, au contraire, que le whisky est (article 1.4) une boisson spiritueuse obtenue par distillation directe d'un produit fermenté naturel (le moût de céréales) selon certaines conditions (distillation à 94,8 % volumique puis vieillissement pendant trois ans au moins dans des fûts de bois de 700 l. au plus), que toute adjonction d'autre substance à cette boisson lui fait perdre le droit à l'appellation générique whisky (article 4.1) que, de même, l'absence de l'une quelconque des spécifications exclusives, interdit l'usage de cette appellation et fait entrer cette boisson dans la seule dénomination "boisson spiritueuse" ou "spiritueux" (article 5.1), qu'enfin l'addition à une boisson relevant de l'appellation whisky d'un alcool éthylique d'origine agricole interdit l'usage de cette appellation sous quelque forme que ce soit (article 9.1). En sorte que, ne serait-ce qu'au regard de l'article 4.1, l'adjonction d'un distillat d'origine agricole à un whisky ne pouvait en aucune manière autoriser l'usage du terme protégé whisky, le produit en résultant devant être seulement considéré comme une des boissons spiritueuses définies à l'article 1er paragraphe 2 du règlement ("boisson spiritueuse par mélange d'une boisson spiritueuse avec un distillat d'origine agricole").
Dès lors le mélange d'un whisky avec de l'alcool éthylique d'origine agricole, correspondant ou non à la définition de l'article I.3H du règlement, ne pouvait, dès l'origine, comporter dans sa présentation, et sous quelque forme que ce soit le terme générique "whisky", même sous la dénomination "spiritueux au whisky", la seule dénomination réglementaire licite d'un tel mélange était celle de "boisson spiritueuse" ou "spiritueux".
La circonstance qu'un règlement CEE n° 2675-94 du 3 novembre 1994 entré en vigueur le 10 novembre 1994 ait clarifié la portée de la prohibition est sans portée pour l'examen de l'étendue de celle-ci telle qu'elle résulte clairement du texte fondateur. Ce règlement n'a en rien modifié l'état du droit existant. Il a été pris à l'effet, évident, d'interpréter et de compléter le texte antérieur à raison du comportement des producteurs français de boissons spiritueuses ayant considéré, par une interprétation a contrario, que le règlement n° 1276-89 ne permettait en aucun cas, que le droit à l'utilisation du terme protégé whisky restait permis pour la vente de boissons spiritueuses de cette sorte additionnées d'alcool provenant de distillat d'origine agricole, avec l'approbation explicite du Ministre des Finances français (note de la DGCCRF du 5 novembre 1991), et nonobstant l'avis absolument contraire de la Commission de la CEE du 18 décembre 1991.
Dès lors, la société Reau Richard, qui ne peut s'abriter utilement derrière l'avis du Ministère des Finances français, contraire au texte communautaire et sans portée quelconque dans le cadre de la hiérarchie des normes juridiques, a également commis une tromperie évidente à l'égard du consommateur, et un acte de concurrence déloyale manifeste en commercialisant jusqu'en 1994 des boissons spiritueuses telles "Royal Club Spiritueux au Whisky 99" ou "Golf Club Spiritueux au whisky De Luxe", "Spiritueux au whisky Grand Duc", ou encore, par l'organe d'une société "The Glen Argyll Whisky Co. Limited", "Country Club Spiritueux au Whisky".
b. Sur les actes ou faits qualifiés de tromperie ou de confusion sur l'origine des produits
Il ressort des productions que la société Reau Richard a également commis des actes de tromperie et de concurrence déloyale à l'égard des producteurs de whisky écossais représentés par la société SWA et à l'égard de l'objet social de cette dernière en utilisant sciemment sur l'étiquetage des boissons spiritueuses vendues soit comme "whiskies" soit comme "spiritueux au whisky" des motifs et des termes propres à laisser croire à l'origine écossaise du produit vendu.
Il n'est pas contesté d'abord, et il ne peut être sérieusement discuté au vu des productions, que le whisky écossais est un produit traditionnel très ancien notoirement connu dans le monde entier ; que, par ailleurs, l'Ecosse est un pays de tradition original dont les références notoires, appartenant à son patrimoine historique, sont le chardon comme emblème national écossais désignant en outre l'Ordre des Chevaliers Ecossais, et utilisé constamment dans l'étiquetage des produits fabriqués en Ecosse, et la couronne royale, comme pays membre du Royaume Uni de Grande-Bretagne ; qu'enfin le sport de golf a été inventé en Ecosse et constitue aussi, combinée avec d'autres signes, une référence explicite à ce pays.
Or, il apparaît, à l'examen des étiquettes utilisées par la société Reau Richard :
1. que l'étiquette Royal Club utilisée sur des bouteilles acquises par la SWA les 26 avril 1990 et 25 octobre 1992 porte une dénomination de vente en langue anglaise "Finest Whisky", un dessin représentant trois fleurs de chardons, un dessin représentant une couronne et une indication "Quality produce of R.R. and Co under technical supervision of the Glen Argyl Whisky and Co of Glascow (Scotland) en caractères très apparents, et sur une bouteille acquise ultérieurement sous le nom "Royal Club 99 spiritueux au whisky", une étiquette semblablement composé, avec chardons et couronne et la mention, en langue française cette fois, "Produit sous le contrôle technique de The Glen Argyll Whisky Co Largs (Ecosse) ; que dans les deux types d'étiquette, la mention "Product of France", figure en petits caractères d'imprimerie, peu apparents ;
2. que l'étiquette Ligger's utilisée encore postérieurement à l'entrée en vigueur du règlement CEE n° 1276-89, puisque apposée sur une bouteille acquise par la SWA à Varsovie le 2 Septembre 1991, et qui n'a été modifiée par la société Reau Richard en 1991 que pour y substituer la mention "spiritueux au whisky" à la mention "Blended whisky" comporte, outre la dénomination Ligger's, d'origine anglaise, la référence à une société "Glen Argyll Whisky and Co", ainsi que, comme il a été dit plus haut, le terme générique "Whisky" puis "spiritueux au Whisky" en lettres très apparentes, ainsi que celle "Export High Quality Whisky", alors que la mention de l'origine réelle du produit "RR and Co BP10 16100 France" est imprimé en lettres minuscules peu lisibles.
3. que l'étiquette Golf Club dans sa première version porte les mentions "Réserve Whisky de luxe", avec le dessin d'un joueur de golf en action et la mention apparente "Product under technical supervision of the Glen Argyll whisky Co Ltd, Largs, Ayrsthire (Scoland) by J. Radcliff and Cie" et imprimé en minuscules très peu apparentes "Produce of France" ; dans sa seconde version (bouteille acquise à Taïwan le 18 février 1993), se retrouvent le dessin du joueur de golf, la mention "spiritueux au Whisky", où le terme whisky est d'un corps d'imprimerie très apparent, la mention en langue française "élaboré sous la supervision technique de The Glen Argyll Whisky 00 Ltd, Lards, Ayrshire (Ecosse) par R. Richard and Co", et une mention "Produit de France" au pied de l'étiquette en lettres peu apparentes ; dans sa troisième version, la même présentation et les mêmes mentions que dans la seconde, avec l'indication en langue anglaise "Produced and bottled by EDC Jordan under licence from R. Richard and Co EMB 16102 Z", sans indication de l'Etat de fabrication ; qu'au surplus, il est établi ici que la société Eagle Distilleries, qui distribue ce produit en Jordanie sous les dénominations Golf Club est alimentée en alcool destiné au mélange à base de whisky et en étiquettes par la société Reau Richard elle-même (cf. lettres de la société Eagle Distilleries Co. du 29 avril 1995 et autorisation de licence et de dépôt des marques Royal Club, Golf Club et Rivalet Napoléon donnée à cette société le 7 février 1994 par la société 1994 par la société Reau Richard).
4. que l'étiquette Royal Dream (bouteille acquise par la SWA le 27 janvier 1994 en Pologne), d'abord porteuse de la mention "Blended Whisky" où le terme Whisky était mis en évidence, puis de la mention "spiritueux au whisky" porte un blason avec couronne et la mention "Glen Argyli Whisky and Co" puis, dans sa seconde version la mention en langue française "produit sous le contrôle technique de the Glen Argyll Whisky and Co - Largs - Ecosse par Reau Richard et Co EMB 16102 Z" et en petits caractères la mention "Product de France"
5. que l'étiquette "Grand Duc" illustrée par des photographies publicitaires parues dans le journal taiwanais Joker Magazine entre janvier 1994 et janvier 1995, s'est rapportée d'abord à un "spiritueux au whisky" présenté cependant comme "Scotch Matured Blended Whisky" ou "Scotch Matured Manufactured and Blended Whisky", ensuite à un "spiritueux au whisky Grand Duc" dans un étui portant en gros caractères la mention "Blended Whisky", et en dernier lieu à un "spiritueux" qualité "spiritueux issu d'un mélange distillant d'origine agricole 97 % vol. whisky 3 % vol." sans qu'y figure aucune autre indication de provenance que la mention, en petits caractères peu apparents "Produits de France", et la mention en caractères minuscules "EMB 16102 Z" ; que la SWA présente encore les photocopies d'une bouteille de ce produit commercialisé dans un étui comportant à sa base le code barre de la société Reau Richard et sur lequel figure la mention en gros caractère "Whisky Grand Duc" la photographie, près d'un verre, d'une bouteille portant de manière lisible "spiritueux au whisky Grand Duc", que la société SWA présente enfin la photographie d'une bouteille portant l'étiquette "Spiritueux au whisky Grand Duc", où figure en caractères minuscules, et presque illisibles "whisky 1 %, eau de vie 6 %, spiritueux d'origine agricole 93 %".
6. que l'étiquette Country Club d'une bouteille acquise par la SWA à Taiwan (Taipei) selon facture du 28 janvier 1997 comporte deux dessins parallèles représentant des chardons, l'indication "Spiritueux au Whisky De Luxe" où le terme whisky est très apparent, la mention "Elaboré sous la supervision technique de The Glen Argyll Whisky Co Ltd. Largs, Ayrshire (Ecosse) par J. Radcliff and Co" suivie de "EMB 16102 Z", et enfin la mention en petits caractères peu apparents "product of France".
- Il apparaît ainsi que, durant les années postérieures à la date d'entrée en vigueur du règlement CEE n° 1276-89, la société Reau Richard, dont l'extrait K bis du Registre du Commerce de Cognac du 25 novembre 1991 établit qu'elle a déclaré utiliser comme noms commerciaux notamment "Glen Argyll France" ou "J. Radcliff and Co" a, de manière systématique utilisé pour vendre les boissons spiritueuses ou les spiritueux qu'elle savait ne pouvoir d'aucune manière être présentés comme des "whiskies" ou des "spiritueux au whisky", en diverses combinaisons et présentations portées soit sur des étiquettes de bouteilles, soit sur des emballages de bouteilles destinées à l'exportation, des signes, symboles, images, termes et indications de contrôle technique qui, ensemble ou séparément avaient pour unique conséquence, sinon pour unique objectif de laisser accroire au consommateur d'attention moyenne que le produit vendu était d'origine écossaise, ou qu'il avait été élaboré sous le contrôle d'un spécialiste écossais, et qu'il s'agissait d'une boisson spiritueuse pouvant répondre à la dénomination protégée de "whisky" ou susceptible de faire légitimement référence à une boisson de cette qualité.
En ce qui concerne spécialement la mention récurrente "produit sous le contrôle technique de Glen Argyll Whisky and Co Scotland" (ou Ecosse), il convient d'observer que la société Reau Richard, pour prétendre à la réalité de ce contrôle et à l'existence d'une société Glen Argyll, produit une série de pièces diverses (correspondances, certificats, notices diverses) en langue anglaise, non traduites en langue française et comme telles impuissantes à faire la démonstration recherchée.
Il apparaît, en tout état de cause, que ces documents sont tous très antérieurs à la période concernée par le présent litige qu'aucune pièce intelligible n'établit que la société Glen Argyll existerait encore depuis 1989 et qu'il n'est pas démontré qu'une telle société aurait opéré réellement quelque contrôle technique que ce soit sur l'élaboration des boissons spiritueuses ici discutées, et que cette société aurait autorisé la société Reau Richard à utiliser sa propre dénomination sociale comme nom commercial désignant une boisson spiritueuse élaborée en France et vendue par la société Reau Richard elle-même notamment à l'exportation.
Par ailleurs, si la société Reau Richard justifie qu'une marque "J. Radcliff et Cie" a été enregistrée au greffe du Tribunal de Commerce de Cognac le 15 juin 1934 sous le n° 10436 au nom d'une société Lucien Foucauld et Cie SA, d'une part elle n'établit pas ses liens propres avec la société déposante, d'autre part elle n'établit pas que cette marque ait été renouvelée ou qu'elle en soit devenue propriétaire par cession, en sorte que cette circonstance n'est pas de nature à légitimer l'utilisation de cette prétendue marque déposée sur l'étiquetage d'une boisson spiritueuse fabriquée en France, sinon, comme il est dit plus haut, dans le seul souci de renforcer l'illusion sur l'origine anglo-saxonne de ce produit et plus spécialement, en la combinant avec d'autres signes, sur l'origine écossaise de cette boisson.
Il convient de rappeler, enfin, que les conclusions et pièces de la société Reau Richard se rapportant à ses relations avec la société Eagle Distilleries (Jordanie) sont hors débat.
- Par voie de conséquence, et à raison des motifs retenus ci-dessus aux sous-paragraphes a) et b), il convient d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, les premiers juges ayant d'abord motivé leur décision par le résultat de leurs investigations personnelles en violation des articles 7 et 16 du Code de Procédure Civile, ensuite décliné à tort leur compétence pour examiner les faits de concurrence déloyale fondés sur la tromperie sur la nature du produit, et enfin à tort fait état d'observations inopérantes sur les critères d'origine du produit pour écarter le grief de concurrence déloyale de ce chef.
Il convient de dire aux termes de cette analyse que la société Reau Richard s'est rendue responsable d'actes de concurrence déloyale ou a concouru, par son action propre, à la commission de tels actes entre 1990 et 1997, en commercialisant ou en favorisant la commercialisation de boissons spiritueuses appelées illégalement whiskies ou spiritueux à base de whisky dans des emballages et sous un étiquetage destinés à laisser accroire ou à tenter de faire accroire que ces boissons étaient d'origine écossaises ou élaborées avec l'appui du savoir-faire d'un professionnel écossais leur garantissant une qualité semblable à celle du whisky écossais.
2. Sur les réparations dues à la SWA.
- Le préjudice subi par la SWA découlant des actes et faits de concurrence déloyale retenus contre la société Reau Richard est de plusieurs ordres : la SWA peut en effet légitimement s'en plaindre au titre de l'atteinte portée à son objet social, et au titre de l'intérêt collectif de ses membres et du secteur professionnel du commerce du whisky écossais.
- D'abord, les agissements incriminés sont en eux-mêmes, et par le seul fait qu'ils caractérisent des comportement concurrentiels déloyaux, source d'un préjudice réparable.
Ensuite la SWA est fondée à invoquer le préjudice découlant du risque de détournement de clientèle provoqué par ces agissements, en ce que, destinés à tromper le consommateur, notamment dans les pays étrangers où la société Reau Richard a commercialisé ses produits (Pologne, Hongrie, Jordanie, Taiwan notamment), les pratiques déloyales incriminées ont eu pour effet, sinon pour but avoué, de capter ou tenter de capter la clientèle d'un produit notoirement connu, le whisky écossais, et, par là même, d'empiéter de manière illégitime sur le marché mondial de ce produit d'origine écossaise.
Enfin, la SWA est fondée à invoquer le préjudice découlant de la déceptivité des produits commercialisés par la société Reau Richard dans les pays étrangers précités d'abord parce qu'en vendant sous un étiquetage trompeur ou simplement équivoque, donc de nature à créer une confusion, des boissons spiritueuses dont la composition ne justifiait ni l'appellation whisky, ni toute autre appellation évoquant ce produit spécifique protégé, cette société a porté atteinte à la réputation qualitative du whisky écossais ; ensuite parce qu'en utilisant des signes d'étiquetage ou de conditionnement imités des signes traditionnels de référence des produits originaires d'Ecosse, la société Reau Richard e pris le risque de contribuer à leur banalisation et à la diminution corrélative de leur caractère distinctif et de leur pouvoir attractif auprès du consommateur intéressé par la présomption d'authenticité et de qualité attachées à ces signes de référence.
- Compte tenu notamment, de la durée pendant laquelle se sont poursuivis les agissements déloyaux de la société Reau Richard et des quantités de boissons spiritueuses concernées, selon ses propres pièces communiquées (ex 29.000 litres, soit 8.600 caisses de Country Club, Royal Club, Grand Duc, Golf Club élaborés ou en cours d'élaboration au 1er décembre 1994 sous l'appellation "spiritueux au whisky ; 10.000 étiquettes Golf Club "spiritueux au whisky" vendues à Eagle Distilleries le 5 mai 1994, chiffres à rapporter aux quantités conditionnées entre 1990 et 1994 sous les dénominations Whisky ou spiritueux au Whisky), la Cour dispose des éléments d'appréciation pour évaluer à la somme de 200.000 Frs l'indemnité réparatrice des préjudices reconnus au profit de la SWA.
- Il convient, par ailleurs, d'accueillir les demandes en cessation d'actes de concurrence déloyale présentées et en publication, à titre de dommages et intérêts complémentaires, ainsi qu'il sera précisé au dispositif ci-après, sauf à préciser que, statuant en matière de responsabilité civile de droit commun, la Cour ne saurait interdire d'une manière générale à la société intimée de licencier ses marques et de fournir à ses licenciés, des étiquettes ingrédients ou emballages, la société Reau Richard et Cie n'étant pas présumée responsable de l'ensemble des pratiques commerciales constitutives d'actes de concurrence déloyale pouvant être utilisées par des commerçants étrangers à son insu ou sans intervention de sa part.
3. Sur les demandes annexes et les dépens.
- La demande incidente en réparation formée par la société Reau Richard du chef de l'abus du droit d'agir en justice est sans fondement et doit être rejetée.
- Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la société intimée.
- L'article 700 du Code de Procédure Civile doit être appliqué, en équité, au seul bénéfice de la SWA comme ci-après précisé.
Par ces motifs, LA COUR, Recevant en la forme l'appel de la Scotch Whisky Association (SWA), I. Vu les articles 15, 16 et 783 du Code de Procédure Civile, Rejette des débats les conclusions déposées et signifiées et les pièces communiquées le 25 novembre 1997 par la SA Reau Richard et Cie, II. Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, III. Vu les articles 31, 32, et 122 et suivants du Code de Procédure Civile, Dit que la société Scotch Whisky Association relève de la qualification d'association au sens de l'article 1er de la loi du 1er juillet 1901, Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité pour agir, IV. Vu les articles 1382 et 1383 du Code Civil, Vu le règlement n° 1576-89 CEE du 29 mai 1989, Dit qu'en commercialisant à l'exportation entre 1990 et 1995 sous la dénomination "Whisky" ou "Spiritueux au Whisky" des boissons spiritueuses dont la composition ne correspondait pas à celle de ce produit telle qu'elle figure à l'article 1er paragraphe 4 b) ou en contravention aux articles 1er paragraphe 4 b), 4 paragraphe 1, 5 paragraphe 1 et 9 paragraphe 1 du règlement CEE susvisé, la SA Reau Richard et Cie a commis des actes de tromperie sur la nature du produit vendu, constitutifs d'actes de concurrence déloyale à l'égard du commerce de whisky écossais (scotch whisky), Interdit, en conséquence, à la SA Reau Richard et Cie de faire usage du terme générique Whisky pour toute boisson spiritueuse ne répondant pas à la définition de l'article 1er paragraphe 4 b) du règlement CEE susvisé, et de faire usage d'une dénomination de vente "spiritueux au whisky ou "boisson spiritueuse au whisky", quelque soit la calligraphie choisie pour chaque terme de ces dénominations, pour toute boisson spiritueuse composée d'un mélange comprenant du whisky, ensemble dans le mois de la signification du présent arrêt, et passé ce délai, sous astreinte de 1.000 Frs par infraction constatée (l'infraction étant définie comme la bouteille ou le conditionnement portant un étiquetage ou une mention ainsi prohibée), Dit qu'en commercialisant entre 1990 et 1995 des boissons spiritueuses ne justifiant pas l'appellation protégée Whisky et non élaborées avec du whisky écossais, avec utilisation d'un étiquetage comportant, combinés ou non, le dessin de chardons, le dessin d'une couronne ou la représentation d'un joueur de golf, pour illustrer des dénominations de fantaisie de consonance anglaise (Royal Club 99, Ligger's, Golf Club, Royal Dream, Country Club) et française (Grand Duc), et comportant en outre la référence à une société Glen Argyll déclarée domiciliée en Ecosse et déclarée chargée d'un contrôle technique ou de la supervision du produit vendu, ou encore la référence à un nommé Radcliff, simple non commercial, et, par ailleurs, en fournissant à des tiers, bénéficiaires de la licence de ses marques Golf Club et Royal Club 99 des étiquettes comportant de tels dessins, signes ou mentions, ainsi que tout ou partie des composants de la boisson spiritueuse vendue sous cet étiquetage mais non élaborée avec du whisky écossais et ne justifiant pas de l'appellation protégée Whisky, la société Reau Richard ET dIE a commis des actes de tromperie sur l'origine du produit constitutifs d'actes de concurrence déloyale à l'égard du commerce du whisky écossais (scotch whisky), ou a concouru à la commission de tels actes. Interdit, en conséquence, à la SA Reau Richard et Cie de faire usage d'étiquettes comportant un ou plusieurs des référents ci-dessus précisés pour commercialiser toute boisson spiritueuse autre que du whisky écossais (scotch whisky), ou de vendre à ses licenciés des étiquettes de cette nature en vue de la commercialisation de boissons spiritueuses autres que du whisky écossais, ou dont les caractéristiques n' autorisent pas lusage, comme dénomination de vente, du terme générique protégé Whisky, le tout dans le mois de la signification du présent arrêt, et, passé ce délai, sous astreinte de 1.000 Frs par infraction constatée (cf. la définition de l' infraction ci-dessus précisée), Condamne la SA Reau Richard et Cie à payer à la Scotch Whisky Association une indemnité de 200.000 Frs (deux cents mille francs) augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1153-1 du Code Civil, Ordonne, à titre de dommages et intérêts complémentaires, la publication du dispositif du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques au choix de la Scotch Whisky Association et aux frais de la SA Reau Richard et Cie pour un coût d'insertion maximal de 20.000 Frs HT, V. Déboute la SA Reau Richard et Cie de sa demande incidente en réparation du chef de l'abus du droit d'agir en justice, Condamne la SA Reau Richard et Cie aux dépens de première instance et d'appel, Condamne le SA Reau Richard et Cie à payer à la Scotch Whisky Association en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile la somme de 20.000 Frs, et la déboute de sa pareille demande, Autorise la SCP Boyreau, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.