CA Paris, 4e ch. B, 30 octobre 1998, n° 1996-12975
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Galerie Marcel Bernheim et Yves Hemin & Compagnie (SCS), Le Dosseur (ès qual.), Galerie Internationale (SARL)
Défendeur :
Bernheim Jeune & Compagnie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
MM. Ancel, Lachacinski
Avoués :
SCP Varin-Petit, Mes Olivier, Bodin-Casalis
Avocats :
Mes Sitbon, Casalonga.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par Me Le Dosseur, ès-qualité de représentant des créanciers et de mandataire judiciaire de la société en commandite simple Galerie Marcel Bernheim et Yves Hemin & Cie (la société avait précédemment formé un appel qu'elle n'a pas suivi elle-même), d'un jugement rendu le 3 mai 1996 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Bernheim Jeune & Cie.
La société Galerie Internationale, cessionnaire du fonds de commerce de l'appelante est intervenue volontairement à la procédure devant la cour.
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
La société Bernheim Jeune expose qu'elle est une des plus anciennes et des plus prestigieuses galeries de peinture et de sculpture, qu'elle a été fondée par la famille Bernheim à Besançon en 1795 et à Paris depuis 1863, que depuis 1925 elle est installée au 27 de l'Avenue Matignon, à l'angle de la rue Faubourg Saint-Honoré et que l'appellation Bernheim est l'élément distinctif de la société à la fois en tant que dénomination sociale, nom commercial et enseigne.
Elle indique encore que fin 1994, début 1995, la presse s'est fait l'écho du vol de nombreux tableaux du peintre Chagall qui auraient été recelés par Monsieur Yves Hemin, gérant de la Galerie Marcel Bernheim, lequel aurait été écroué après avoir été mis en examen sur plainte des héritiers du peintre décédé, que de nombreux articles diffusés à cette époque ont fait état de l'arrestation du " gérant de la galerie Bernheim ", ce qui aurait créé une confusion entre les deux galeries, qu'elle a dû adresser des lettres et des télécopies de protestations aux journaux et à l'AFP, ainsi que diffuser des communiqués préventifs pour tenter d'éviter toute assimilation supplémentaire, que les journalistes eux-mêmes, malgré leur travail d'investigation, ont commis des erreurs en confondant les deux galeries compte tenu de l'existence commune de l'appellation Bernheim.
Bernheim Jeune a fait assigner la société Galerie Marcel Bernheim devant le Tribunal de commerce. Invoquant la concurrence déloyale et parasitaire elle réclamait que son adversaire soit condamné à supporter les frais à titre de dommages-intérêts de la publication du jugement à intervenir dans 20 journaux ou revues de son choix dans la limite d'un coût de 300 000 F et que soient prononcées des mesures d'interdiction sous astreinte. Elle priait encore le Tribunal de condamner la société Marcel Bernheim à lui payer la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Marcel Bernheim a conclu au débouté soutenant au principal qu'il n'existait aucune homonymie entre les deux sociétés qui n'avaient pas la même dénomination sociale et que la confusion qui avait pu être faite dans des articles de presse n'était imputable qu'aux négligences des journalistes.
Le jugement a retenu que l'usage par la défenderesse de l'appellation Bernheim portait atteinte aux droits de la société Bernheim Jeune. Il a en conséquence :
- interdit à la société Marcel Bernheim Yves Hemin et Compagnie de faire usage de l'appellation Bernheim sous quelque forme que ce soit, sous astreinte de cinq cent francs par infraction constatée à compter du dixième jour de la signification du jugement,
- condamné Marcel Bernheim Yves Hemin et Compagnie à supporter le coût de la publication du présent jugement dans 15 journaux ou revues au choix de la société Bernheim Jeune à titre de dommages-intérêts, sans que le coût global desdites publications n'excède la somme de 200 000 F,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Marcel Bernheim Yves Hemin à payer à la société Bernheim Jeune la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Galerie Marcel Bernheim a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 février 1996. Me Le Dosseur ès-qualité de mandataire judiciaire de la société poursuit la réformation du jugement. Réitérant l'argumentation de son administrée en première instance, elle prie la Cour de condamner Bernheim Jeune au paiement de la somme de 50 000 F pour procédure abusive.
La société Galerie Internationale, cessionnaire du fonds de commerce de la société Galerie Marcel Bernheim en liquidation intervient volontairement à l'instance. Elle reprend les demandes de Me Le Dosseur ès-qualité et invoque en outre la prescription de l'action de la société Bernheim Jeune. Subsidiairement elle prie la Cour de constater que cette action constitue un abus de droit et plus subsidiairement encore qu'elle est mal fondée.
La société Bernheim Jeune conclut à la confirmation. Elle prie en outre la Cour de faire supporter in solidum la réparation de son préjudice à la société Galerie Internationale et à Me Le Dosseur, ès-qualité. Elle sollicite la condamnation de Galerie Internationale à lui payer à titre de dommages-intérêts le coût des publications ordonnées par les premiers juges à hauteur de 200 000 F et la somme de 500 000 F pour appel abusif. Elle demande de dire que Me Le Dosseur sera tenue de l'admettre au passif de la société Galerie Marcel Bernheim pour les mêmes sommes de 200 000 F et de 500 000 F et pour les mêmes causes.
Par ordonnance de référé en date du 9 janvier 1998, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris, a rejeté la demande de suspension de l'exécution provisoire de la mesure d'interdiction ordonnée par les premiers juges mais suspendu les effets de l'exécution provisoire relative aux mesures de publication.
Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats, que, la société Bernheim Jeune et Cie, qui est comme elle le rappelle une des plus anciennes et des plus prestigieuses galeries d'art a été constituée en société anonyme le 28 avril 1914 ; qu'un extrait K bis du 22 décembre 1995 fait état d'un début d'exploitation au 1er janvier 1894 ;
Considérant qu'elle utilise Bernheim, en tant qu'élément distinctif, à la fois comme dénomination sociale, comme nom commercial et comme enseigne ;
Considérant qu'elle possède une antériorité certaine sur sa concurrente, la société Marcel Bernheim, devenue par la suite la société Galerie Marcel Bernheim, qui a été constituée en société en commandite simple, en 1919 ;
Considérant que Me Le Dosseur ès qualités invoque vainement les dispositions de l'article 2262 du Code Civil relatives à la prescription trentenaire, celle-ci ne commençant à courir que du jour où les faits de concurrence déloyale ont pris fin ;
Considérant que les appelants ne peuvent davantage être suivis dans leur argumentation tenant au fait qu'ils avaient l'obligation de mentionner le nom de Marcel Bernheim, s'agissant d'une société en commandite simple ; qu'en effet il n'existe plus au sein de la société Marcel Bernheim aucune personne physique portant le nom de Bernheim ou ayant un quelconque lien de parenté avec Monsieur Marcel Bernheim, son fondateur décédé en 1936, à la différence des dirigeants de la société Bernheim Jeune qui font partie depuis l'origine de la même famille (même si les circonstances de l'époque l'ont amené à changer de patronyme pendant la dernière guerre) ; que cette observation vaut pour la société Galerie Internationale, qui a repris le fonds de commerce de la société Galerie Marcel Bernheim, et dont aucun dirigeant ne porte le nom de Bernheim ;
Considérant qu'il est établi par les coupures de presse de journaux, notamment Le Monde et Le Figaro, versées aux débats, qu'à l'occasion de la mise en examen et en détention de Monsieur Yves Hemin, gérant de la société Galerie Marcel Bernheim, les journalistes ont fait l'amalgame entre les deux galeries, en dénommant la galerie mise en cause " galerie Bernheim " sans autre précision dans leurs titres ;
Que contrairement à ce que soutiennent les appelants cette confusion n'est pas le seul fait des journalistes chargés des informations générales qui auraient manqué de vigilance, puisque les journalistes spécialisés dans le monde de l'art et d'autres professionnels de l'art comme la librairie Lardanchet ou la Musée de l'Orangerie à Paris se sont également trompés, par exemple à l'occasion d'envoi de courriers ;
Considérant qu'est tout aussi inopérante l'allégation d'une tolérance prolongée de la part de la société Bernheim Jeune ; qu'en effet cette tolérance à la supposer établie ne démontre aucun abandon de droit de sa part, alors au surplus que l'intimée était fondée à se plaindre d'une situation nouvelle aggravant les conséquences de la confusion en raison de la détérioration de la réputation attachée à l'appellation Bernheim ; qu'aucun abus de droit ne peut donc lui être reproché ;
Considérant enfin que contrairement aux affirmations des appelants,les deux sociétés ont le même homonyme " vedette " qui assure la distinctivité de leur dénomination sociale;
Considérant qu'il existe donc un risque de confusion par l'emploi fait par l'appelante Marcel Bernheim de la dénomination Bernheim, alors que les parties exercent des activités directement concurrentes à proximité immédiate l'une de l'autre ; que cet usage porte atteinte aux droits de la société Bernheim Jeune sur sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne ;
Considérant que le jugement sera confirmé tant en son principe qu'en ce qu'il a ordonné des mesures de publication et d'interdiction sous astreinte ; que compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Galerie Marcel Bernheim, une fixation de créance sera substituée aux condamnations exactement appréciées, prononcées contre elle par les premiers juges ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de retenir, sur les demandes principales de Bernheim Jeune, la responsabilité de Galerie Internationale ;
Considérant qu'il n'est pas établi que l'appelant ou l'intervenante auraient fait preuve d'une volonté de nuire ou d'une légèreté blâmable de nature à justifier qu'il soit fait droit à la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée reconventionnellement par la société Bernheim Jeune ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Bernheim Jeune une indemnité complémentaire de 20 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf du chef des condamnations pécuniaires ; Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant : Dit qu'aux condamnations prononcées par les premiers juges seront substituées des fixations de créance ; Condamne in solidum la société Galerie Internationale et Me le Dosseur ès-qualité à payer à la société Bernheim Jeune la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum la société Galerie Internationale et Me Le Dosseur ès-qualité aux dépens ; Admet Me Olivier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.