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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 30 octobre 1998, n° 97-06768

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Air et Voiles techniques stéphanoises (SARL)

Défendeur :

Techniques Michel Brochier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

Mme Robert, Mme Martin

Avoués :

Mes De Fourcroy, Morel

Avocats :

Mes Schafir, Saunier.

T. com. Saint-Etienne, du 10 sept. 1997

10 septembre 1997

Faits, procédure, prétentions et moyens des parties :

La société TMB, spécialisée depuis plusieurs années dans l'étude, la conception, la fabrication et la vente de tous produits dans lesquels rentrent en application tous types de textiles ou de matières plastiques, fabrique et commercialise depuis 1987 des tentes à armature gonflable dont certaines des caractéristiques, notamment la rapidité de montage, la fiabilité, la modularité, ont suscité l'intérêt des divers organismes de secours ainsi que de l'armée ;

En mai 1995, suite à un appel d'offres de la sécurité civile de Dijon la société TMB s'est trouvée évincée du marché de fourniture d'une tente gonflable de 60 m2 au profit de la société AVTS, récemment implantée sur le marché, qui a présenté une offre moins disante pour une tente en tous points comparable ;

Estimant avoir été victime d'actes de concurrence déloyale de la part de cette société pour avoir servilement copié son modèle, la société TMB l'a fait assigner par acte du 13-03-1996 devant le tribunal de commerce de SAINT-ETIENNE qui, par jugement en date du 10-09-1997 assorti de l'exécution provisoire, se fondant sur le rapport déposé par l'expert MAUCOTEL qu'il avait précédemment désigné, a constaté que la société AVTS avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société TMB en fabriquant, détenant et commercialisant des tentes gonflables constituant des copies serviles de celles réalisées et commercialisées par cette dernière, lui a fait défense de poursuivre cette activité sous astreinte de 10 000 francs par infraction constatée, l'a condamnée au paiement d'une somme de 40 000 francs à titre de dommages et intérêts, d'une somme de 10 000 francs à titre de frais de procédure, et a ordonné la publication à ses frais de la décision dans deux journaux dans la limite de 5 000 francs par insertion ;

La société AVTS a relevé appel de cette décision et déposé des conclusions de réformation aux termes desquelles, reprenant les moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, elle soutient :

- qu'elle n'a fait que reprendre un modèle de tente modulaire de l'armée qui répond à la norme OTAN et a fait l'objet d'un brevet au nom de l'Etat Français, modèle que la société TMB a elle-même recopié et sur lequel elle ne détient aucun droit ;

- que ce modèle répond d'ailleurs à des impératifs techniques incontournables lié à son utilité spécifique ;

- qu'il est donc vain de lui reprocher d'avoir réalisé une copie servile alors qu'elle n'a fait que se référer au modèle défini au cahier des charges pour concourir à l'appel d'offre ;

- qu'elle n'a pas davantage agi de façon parasitaire puisque sa notoriété réside exclusivement en son savoir-faire et sa capacité à répondre aux besoins spécifiques de la clientèle qui s'adresse à elle ;

- que la société TMB n'est d'ailleurs pas en mesure de justifier d'un préjudice ;

Elle demande donc à la cour de débouter celle-ci de ses prétentions comme non fondées, de la condamner à lui verser la somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial que cette procédure abusive lui a causé, ainsi qu'une indemnité de procédure de 60 000 francs et d'ordonner à ses frais la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux périodiques dans la limite de 20 000 francs par insertion ;

La société TMB a déposé des conclusions de confirmation du jugement entrepris en faisant essentiellement valoir en défense à l'argumentation adverse :

- que la forme, les dimensions et composants du modèle de tente litigieux n'étaient nullement imposés par un prétendu "brevet de l'armée française" ni par un cahier des charges se référant à une norme spécifique, ni par la fonctionnalité définie ;

- Que pour autant les tentes réalisées et commercialisées par la société AVTS constituent une copie quasi servile des siennes tant en ce qui concerne la forme, que les dimensions, que les boudins de gonflage, que le système d'assemblage et de fixation et même les coloris ;

- que cette mise sur le marché d'une tente reproduisant la sienne à l'identique procède d'agissements parasitaires de la part de la société AVTS qui s'est ainsi dispensée de tout frais d'étude, de conception et de commercialisation ;

- que ces agissements caractérisent des faits de concurrence déloyale dès lors qu'ils ont abouti à détourner une partie de sa clientèle, les éléments de préjudice qu'elle verse aux débats attestant de l'existence d'un manque à gagner important sur les marchés détournés, ainsi que d'une atteinte à son image de marque ;

Elle demande donc à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a admis le bien fondé de sa demande mais, y ajoutant, de porter à 20 000 francs le montant de l'astreinte assortissant l'interdiction prononcée par le tribunal, de lui allouer la somme de 162 980 francs à titre de provision sur l'indemnisation définitive de son manque à gagner à déterminer au vu des pièces relatives aux ventes détournées que la société AVTS devra lui communiquer sous astreinte de 20 000 francs par jour de retard, de condamner celle-ci à lui verser une somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à son image de marque, d'ordonner la confiscation des produits litigieux sous astreinte de 20 000 francs par jour de retard, de porter à 20 000 francs par insertion le montant du plafond des frais de publication et à trois le nombre de ces insertions, et enfin de lui allouer une nouvelle indemnité de procédure de 100 000 francs ;

Sur quoi LA COUR,

1. sur l'existence de faits de concurrence déloyale

Attendu qu'il résulte des constatations consignées par l'expert dans son rapport que la tente réalisée par la société AVTS a une forme strictement identique à celle de la société TMB alors que cette forme, empruntée certes aux tentes marabout, n'était nullement imposée par le cahier des charges; que ses dimensions sont quasiment les mêmes tant en longueur, largeur et hauteur alors que seule la surface au sol était imposée par le cahier des charges de telle sorte qu'une répartition différente des dimensions était parfaitement envisageable ; que la société AVTS a mis en œuvre, suivant la même configuration, cinq boudins de gonflage strictement identiques quant à leur diamètre, leur coloris et jusqu'au nombre de fermeture-éclair les équipant, alors qu'aucun impératif d'ordre technique ne lui imposait ce choix ; qu'elle a fait de même pour les pannes et contreventements métalliques qu'elle a réalisés avec des matériaux strictement identiques, à la couleur près, à ceux mis en œuvre par la société TMB et qu'elle a assemblés exactement de la même façon, renforçant d'autant le risque de confusion ; qu'elle est allée jusqu'à adopter le même tapis de sol vert antidérapant alors qu'aucune prescription du cahier des charges n'imposait ce choix ;

Attendu que les seules divergences relevées par l'expert, au nombre de sept, portent sur des éléments secondaires et constituent des différences de détail insuffisantes à distinguer les deux produits ;

Qu'en présence d'un tel constat la société AVTS ne peut sérieusement soutenir que seul le respect des directives contenues dans le cahier des charges, à supposer même qu'elles fassent référence à un modèle-type, ou les impératifs techniques auxquels elle devait répondre, l'auraient amenée nécessairement et inéluctablement à concevoir et réaliser une tente présentant des caractéristiques identiques, aux coloris près, à celles de la tente commercialisée antérieurement par la société TMB;

Qu'il en résulte donc que la société AVTS, pour concourir à l'offre et se placer sur le marché de ce type d'article, s'est bornée à copier quasi servilement le modèle que la société TMB avait mis au point et commercialisé de longue date avec succès, et qu'à la faveur des économies que ces agissements parasitaires lui ont permis de réaliser sur les frais d'études, de conception, de fabrication et de commercialisation, elle a pu proposer un produit identique et aussi performant à un prix bien inférieur à celui que la société TMB était en mesure de proposer, ce qui lui a permis de remporter le marché;

2. sur le préjudice

Attendu que la société TMB, qui justifie avoir été évincée de deux marchés émanant l'un de la DDSIS de Côte d'Or et l'autre de celle de Charente Maritime et portant sur quatre tentes, est bien fondée à se voir indemnisée du préjudice résultant de la privation des gains en résultant et qui correspond à la perte de la marge brute qu'elle aurait réalisée sur ces ventes et qu'elle chiffre à 162 980 francs ;

Qu'une indemnisation de son préjudice sur cette base apparaît justifiée au regard de l'estimation faite par l'expert à la somme de 550 000 francs des frais d'études et de recherches qu'elle a exposés de 1986 à 1987 pour concevoir ce produit et dont la société AVTS a tiré un profit illégitime ;

Attendu que ne justifiant pas en revanche s'être trouvée en concours avec la société AVTS sur d'autres marchés relatifs au même produit et que celle-ci aurait remportés, elle n'est pas fondée à obtenir de cette dernière la production de ses pièces comptables relatives à l'ensemble des ventes réalisées par elle ;

Attendu de même que ne versant aux débats aucun élément nouveau de nature à démontrer l'importance de l'atteinte que la société AVTS aurait porté à son image de marque ou sa notoriété par la mise sur le marché de la réplique de sa propre tente, elle n'est pas fondée à voir majorer le montant de l'indemnité que le tribunal lui a accordée de ce chef ;

Attendu par contre que l'importance du profit que la société AVTS est susceptible de tirer de la poursuite de la commercialisation du produit similaire qu'elle a mis au point conduit à élever à la somme de 20 000 francs par infraction l'astreinte provisoire dont le tribunal a assorti l'interdiction prononcée à son encontre ;

Que de même l'importance du coût d'une publication dans la presse conduit à élever à 20 000 francs par insertion le plafond fixé par le tribunal sans qu'il soit en revanche justifié de porter à trois le nombre des insertions ;

Attendu enfin que l'équité commande que l'appelante indemnise l'intimée des nouveaux frais qu'elle a dû exposer en appel et qu'il convient d'évaluer à 10 000 francs ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Porte à 20 000 francs le montant de l'astreinte provisoire dont le tribunal a assorti la mesure d'interdiction prononcée à l'encontre de la société AVTS ; Porte à 162 980 francs le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la société TMB du fait du manque à gagner sur les ventes détournées par la société AVTS ; Porte à 20 000 francs le plafond par insertion des frais de publication de la présente décision ; Condamne l'appelante au paiement d'une nouvelle indemnité de 10 000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne l'appelante aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de M. MOREL avoué.