CA Paris, 1re ch. A, 9 septembre 1998, n° 96-16711
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Séri Brode (SARL)
Défendeur :
Procter et Gamble France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
MM. Mandel, Lachacinski
Avoués :
SCP Hardouin-Herscovici, SCP Teytaud
Avocats :
Me Thiebault, Greffe.
Faits et procédure : La société Procter & Gamble est titulaire des marques suivantes :
- "M. Propre", marquenominative déposée le 19 décembre 1983 à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 685.400 en renouvellement d'un dépôt opéré le 15 janvier 1974 dans la classe 3 pour désigner notamment, des substances pour lessiver, nettoyer et détacher, savons d'industrie et de ménage, détergents, renouvelée le 2 nov. 1993,
- "M. Propre", marque figurative accompagnée d'un récipient de lessive sur lequel figure la représentation de "M. Propre" déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 25 juin 1990 sous le n° 220.145 en renouvellement d'un dépôt opéré le 9 juill. 1980 dans la classe 3 pour désigner notamment, des préparations pour blanchir et toutes substances pour lessiver, détergents, préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser,
- "M. Propre", marque figurative accompagnée d'un récipient de lessive sur lequel figure la représentation de M. Propre déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 7 févr. 1985 sous le n° 730.874 en renouvellement d'un dépôt opéré le 3 mars 1975 dans la classe 3 pour désigner notamment des substances pour nettoyer, dégraisser, détacher, lessiver, savons d'industrie et de ménage, détergents, renouvelée le 31 janvier 1995,
- "M. Propre", marque figurative accompagnée d'un récipient de lessive sur lequel figure la représentation de M. Propre déposée à l'InstitutNational de la Propriété Industrielle le 25 oct. 1988 sous le n° 962.910 en renouvellement d'un dépôt opéré le 6 nov. 1978 dans la classe 3 pour désigner notamment des préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, savons d'industrie et de ménage, détergents, préparations pour nettoyer, polir et abraser, produits pour laver la vaisselle,
- "M. Propre", marque figurative accompagnée d'un récipient de lessive sur lequel figure la représentation de M. Propre déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 24 mars 1986 sous le n° 787955 dans la classe 3 pour désigner notamment, les substances pour nettoyer, polir, dégraisser, détacher et abraser, savons d'industrie et de ménage, détergents.
La société Procter & Gamble ayant constaté que la société Calexa Magic Circle commercialisait des tee-shirts surlesquels était représenté le personnage de M. Propre a fait effectuer le 23 janvier 1995, après y avoir été autorisée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris du 20 janvier 1995, à une saisie-contrefaçon dans les locaux de ladite société situés 25 rue Etienne Marcel à 75001 Paris de nature àrévéler que la société Séri Brode avait procédé à la sérigraphie des marques déposées représentant M. Propre.
Par acte du 2 févr. 1995, la société Procter & Gamble a assigné les sociétés Calexa et Séri Brode devant le Tribunal de grande instance de Paris afin que soit jugé qu'elles ont porté atteinte à cinq de ses marques enexploitant sous la forme de tee shirts sur lesquels sont représentés à l'identique le personnage M. Propre, sa marque figurative "M. Propre", qu'elles ont ainsi commis des actes de contrefaçon et qu'elles doivent être condamnées à lui payer à titre provisionnel la somme de 300 000 F à parfaire à l'aide d'une expertise en réparation de son préjudice et celle de 30 000 F en application de l'article 700 NCPC.
La société Séri Brode à titre principal a conclu au rejet de l'ensemble des demandes formées par la société demanderesse, et à titre subsidiaire, à ce que la société Calexa la garantisse de toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle.
La société Calexa bien qu'ayant constitué avocat n'a pas conclu.
Par jugement du 5 juin 1996, le tribunal saisi a :
- dit que les sociétés Calexa et Séri Brode ont engagé leur responsabilité dans les termes de l'article L.713-5 Code de la propriété intellectuelle en reproduisant la partie figurative des marques n° 1.254.663, 1.598.978, 1.298.396, 1.495.565 et 1.347.806 dont la société Procter & Gamble est titulaire,
- interdit aux sociétés Calexa et Séri Brode de reproduire à quelque titre et de quelque manière que ce soit les marques susvisées, sous astreinte de 500 F par infraction constatée à compter d'un mois de la signification du jugement et pendant un délai de deux mois au delà duquel le tribunal pourra être à nouveau saisi, - condamné in solidum les sociétés Calexa et Séri Brode à payer à la société Procter & Gamble la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de l'atteinte à ses marques,
- autorisé la publication du jugement dans trois revues au choix de la société demanderesse et aux frais in solidum des sociétés défenderesses sans que le coût total excède la somme de 40 000 F, - condamné in solidum les sociétés Calexa et Séri Brode à payer à la société Procter & Gamble la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC,
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires, - ordonné l'exécution provisoire de la mesure d'interdiction, - condamné in solidum les sociétés défenderesses aux entiers dépens.
La société Séri Brode appelante conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à titre principal, de constater que le transfert litigieux constitue une caricature de la marque figurative "M. Propre" bénéficiant de l'exception prévue par l'article L. 122-5-4 Code de la propriété intellectuelle et que les conditions requises par l'article L. 713-5 du même code ne sont pas remplies, à titre subsidiaire, de réduire compte tenu de l'absence de préjudice la condamnation à la somme d'un franc, et plus subsidiairement encore, de condamner la société Calexa à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, et en tout état de cause de condamner les sociétés Procter & Gamble et Calexa à lui verser chacun la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC.
La société Procter & Gamble intimée revendique la confirmation de la décision entreprise mais lui reproche d'avoir omis de condamner "solidairement" les sociétés Calexa et Séri Brode au titre de la contrefaçon de dessin.
Elle demande en conséquence que lesdites sociétés soient condamnées "conjointement et solidairement" à lui payer la somme de 300 000 F pour la contrefaçon de son dessin et l'utilisation de sa marque, et à titre de dommages et intérêts complémentaires, sollicite la publication de l'arrêt à venir dans cinq journaux de son choix aux frais des sociétés Calexa et Séri Brode qui devront être condamnées à lui verser la somme de 30 000 F en application de l'article 700 NCPC.
La société Calexa qui a été assignée et réassignée les 4 et 23 décembre 1996 par la société Séri Brode et par la société Procter & Gamble le 12 févr. 1997 puis le 7 mai 1998 n'a pas constitué avoué.
LA COUR,
Considérant que la société Séri Brode indique que la société Calexa lui a commandé en 1994 en vue d'être imprimée sur des tee-shirts la reproduction d'un personnage chauve portant une boucle d'oreille, dont la couleur de peau est rose vif, et vêtu d'un tee-shirt mauve fluorescent, d'un slogan "Mr Queen" et d'une légende "Axel is a real Bitch ! TM Shampoo pour Magic Circle", caricature du personnage M. Propre, emblème de la lessive commercialisée par la société Procter & Gamble.
Qu'elle revendique, comme l'aurait admis celle-ci, l'extension des dispositions visées à l'article L.122-5 Code de la propriété intellectuelle au droit des marques et soutient que la parodie, le pastiche ou la caricature d'une création intellectuelle protégée par le droit d'auteur est également licite au regard du droit des marques. Qu'elle reproche à la décision querellée d'avoir porté un jugement sur le mérite de son œuvre en estimant que le résultat obtenu n'était ni parodique ni caricatural.
Considérant que la société Procter & Gamble pour solliciter l'application à son profit des dispositions du LivreI du code susvisé soutient que le dessin de M. Propre constitue une "indéniable œuvre de l'esprit" et que les sociétés Calexa et Séri Brode en le reproduisant à l'identique sur des tee-shirts ont commis des actes de contrefaçon.
Considérant qu'elle fait également grief à la décision déférée de ne pas avoir solidairement condamné les sociétés Calexa et Séri Brode au titre de la contrefaçon de dessin et conteste à la société appelante le droit de soutenir que la reproduction qu'elle a faite du personnage de M. Propre est une caricature alors qu'il ne constitue qu'une reproduction servile qui ne se différencie pas de l'œuvre originale.
Qu'elle fait encore remarquer que les dispositions du code de la propriété intellectuelle invoquées par la société Séri Brode ne sont pas applicable en l'espèce du fait de l'utilisation de "termes grossiers, pernicieux, voire pervers" qui sont de nature à nuire à l'image de la marque M. Propre.
Considérant que la société Procter & Gamble revendique par conséquent la protection tant du dessin représentant le personnage de M. Propre, que des marques n° 685.400, 220.145, 730.874, 962.910 et 787.955 qu'elle a déposées.
Sur le droit d'auteur
Considérant que le dessin litigieux sous lequel figure la mention "M. Propre" représente un personnage chauve arborant un large sourire et prenant du fait de sa stature et des bras qu'ilcroise une posture qui symbolise le sérieux, la sérénité et la puissance. Que les marques déposées font apparaître exactement le même dessin.
Considérant que le personnage argué de contrefaçon qui est la reproduction exacte de celui de M. Propre,à l'exception des couleurs brune, marron foncé et rose mauve utilisées, est accompagné de l'appellation Mr Queen et des mentions "Axel is a real Bitch TM by Shampoo pour Magic Circle".
Considérant que le dessin reproduisant le personnage de M. Propre constitue une œuvre de l'esprit qui quels que soient son genre et son mérite, justifie l'application des dispositions du livre I Code de la propriété intellectuelle.
Que les dispositions contenues à l'article L.122-5-(4°) qui ne permettent pas à l'auteur d'interdire la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre sont par conséquent applicables en l'espèce.
Considérant puisqu'il est dans la loi du genre de la caricature ou de la parodie de permettre l'identification immédiate de l'œuvre caricaturée, la société Procter & Gamble ne saurait reprocher à la société Séri Brode d'avoir reproduit les traits essentiels du personnage de M. Propre.
Que l'adjonction à celui-ci d'une coloration en rose fuchsia, en brun et en brun foncé et des indications littérales "Mr Queen Axel is a real bitch" constituent des modifications essentielles destinées à démarquer le personnage critiqué de l'original et exclut de ce fait tout risque de confusion possible avec celui-ci.
Considérant qu'il n'est également pas établi sur le fondement des droits d'auteur que la société Séri Brode en attribuant les caractéristiques susvisées au dessin représentant le personnage de M. Propre, essentiellement destinées à choquer, à tourner en dérision, à se moquer ou seulement à faire sourire, peu important les moyens pour y parvenir et les explications fournies -Mr Queen constituant selon la société appelante le synonyme de Mr Clean (M. Propre)-, ait eu l'intention de nuire à la société Procter & Gamble.
Que celle-ci ne saurait par conséquent reprocher à la société Séri Brode d'invoquer à son profit le bénéfice des dispositions de l'article L. 122-5-(4°) Code de la propriété intellectuelle en caricaturant et en parodiant le dessin représentant le personnage litigieux.
Sur le droit des marques
Considérant que le signe distinctif que constitue la marque a essentiellement pour objet, grâce à son pouvoir attractif sur la clientèle, de désigner un produit ou un service destiné à êtrecommercialisé par rapport à ceux de ses concurrents.
Que le titulaire d'une marque est fondé à préserver sa valeur économique et à lutter contre les atteintes portées à celle-ci par tous ceux qui la dénigrent ou l'avilissent.
Considérant que la partie figurative qui représente le personnage de M. Propre et qui constitue un élément essentiel, détachable, en ce qu'elle assure à elle seule la fonction distinctive des marques complexes déposées, est protégeable.
Considérant que la société Procter & Gamble pour revendiquer l'application à son profit des dispositions de l'article L. 713-5 Code de la propriété intellectuelle, invoque le caractère notoire de ses marques et soutient que la société Séri Brode ne conteste pas celui-ci.
Qu'elle indique avoir subi un incontestable préjudice consistant essentiellement dans l'avilissement et l'affaiblissement causés à la valeur de sa marque, ainsi que dans la perte de son pouvoir distinctif.
Considérant après avoir rappelé que le caractère notoire est réservé aux marques non déposées et que si au seul titre des droits d'auteurs et pour les causes sus-énoncées, il n'existe aucune risque de confusion possible entre cette partie figurative et le dessin représentant M. Propre, et qu'aucune intention de nuire àla société Procter & Gamble imputable à la société Séri Brode n'est démontrée, il apparaît cependant en l'espèce que la représentation sous la forme caricaturale ou parodique des marques déposées M. Propre avec l'adjonction des mentions littérales "Mr Queen" et "Axel is a real Bitch ! TM by Shampoo pour Magie Circle." n'a pas été réalisée dans le seul but de créer une œuvre qui se démarque de son original, mais a été spécialement destinée à susciter une réaction commerciale positive des clients en faveur de la société Séri Brode.
Qu'en effet, celle-ci en commercialisant des tee-shirts sur lesquels apparaissent certains des éléments visuels essentiels des marques déposées auxquels elle a adjoint une appellation M. Queen" et un commentaire dérisoire "Axel is a Bitch", a usé de la caricature ou de la parodie, non pas uniquement pour railler ou faire sourire, mais aussi dans l'intention essentiellement commerciale de profiter des marques déposées pour vendre son propre produit qu'est le tee-shirt portant la caricature de la marque M. Propre.
Que la société Séri Brode ne peut pour échapper à sa responsabilité soutenir que le dessin et les mentions figurant sur ses tee-shirts ne dénigrent pas les marques et les produits qu'elles désignent, et qu'ils ne font pas références à la qualité des produits distribués par la société Procter & Gamble.
Que le fait pour la société Séri Brode d'avoir reproduit des marques protégées par les moyens de la caricature ou de la parodie sur des produits non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement dans le but de capterune clientèle attirée par le personnage notoirement connu de M. Propre constitue une exploitation injustifiée des signes appartenant à la société Procter & Gamble et un comportement fautif qui doit être sanctionné.
Que le jugement déféré sera par conséquent confirmé.
Sur le préjudice allégué
Considérant que la société Procter & Gamble évalue à la somme de 300 000 F le préjudice qu'elle a subi du fait des agissements des sociétés Calexa et Séri Brode.
Considérant que la société Séri Brode conclut à la minoration de la condamnation prononcée contre elle et indique qu'elle n'a reproduit les marques litigieuses que sur 595 tee-shirts représentant un chiffre d'affairesinférieur à 4 000 F.
Mais considérant que la seule atteinte portée aux marques de la société Procter & Gamble justifie la condamnation prononcée par les premiers juges, sans qu'il y ait lieu en l'absence de justifications complémentaires d'élever cette indemnité à la somme sollicitée.
Que les condamnations ne pouvant être prononcées solidairement qu'en vertu de la loi ou de dispositions contractuelles, le tribunal a, à juste titre condamné les sociétés Calexa et Séri Brode in solidum.
Qu'il ne sera par conséquent pas fait droit aux demandes de condamnation "conjointement et solidairement" formées par la société Procter & Gamble FRANCE.
Sur l'appel en garantie de la société Séri Brode :
Considérant que la société Séri Brode soutient pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité que la société Calexa lui a fourni un transfert définitif sur lequel était apposé une notice de copyright mentionnant que la société Magic Circle était titulaire des droits d'auteur sur le dessin et les mentions littérales destinées à être apposés sur les tee-shirts.
Qu'elle allègue qu'elle a pu légitimement croire que la société Calexa qui au moment de la commande l'a trompée en lui présentant le magazine "Who's Next" dans lequel est publié un encart consacré aux créations du bureau de style Shampoo, était titulaire des droits sur le transfert ainsi créé.
Que n'étant que le sous-traitant de la société Calexa, elle sollicite en conséquence en vertu de "l'équité" un partage de responsabilité
Mais considérant que la notoriété des marques M. Propre ne permet pas de retenir l'argumentation présentée par la société Séri Brode qui ne pouvait en sa qualité de professionnel ignorer que la société Calexa ne disposait pas des droits qu'elle invoquait.
Que l'absence de preuve de l'existence d'une engagement contractuel ne modifie pas la responsabilité de l'une et de l'autre des sociétés contrefactrices qui ont ensemble concouru à la réalisation de l'entier dommage subi par la société Procter & Gamble. Que ce moyen sera par conséquent rejeté.
Sur les mesures accessoires
Considérant que la mesure de publication visée dans le jugement déféré sera confirmé sans qu'il soit besoin de l'étendre comme sollicité par la société intimée, référence au présent arrêt devant toutefois y figurer.
Sur les frais hors dépens
Considérant qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société Procter & Gamble la totalité des frais qu'elle a dû engager du fait de la société Séri Brode en cause d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 30 000 F.
Que la demande formée par la société Séri Brode au même titre sera rejetée.
Considérant que les dépens d'appel devront être mis à la charge de la seule société appelante qui a succombé.
Par ces motifs, confirme le jugement rendu le 5 juin 1996 par le Tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, dit que la mesure de publication prévue dans le jugement susvisé devra faire référence au présent arrêt, rejette toutes les autres demandes formées par les sociétés Séri Brode et Procter &Gamble, condamne la société Séri Brode à payer à la société Procter & Gamble la somme de trente mille francs (30 000 F) en application de l'article 700 NCPC.